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Chronique de 1831 à 1862. T. 1

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Plus on scrute la conduite de lord Brougham dans tout ceci, et plus on est frappé de l'indélicatesse de sa nature; le vieux et grave lord Harewood lui ayant demandé avant-hier où on en était, et si le ministère se recomposait, le Chancelier lui a répondu: «Où nous en sommes? Et où voulez-vous que nous en soyons, lorsque, dans un moment aussi critique que celui-ci, on a à traiter avec des hommes qui imaginent de venir vous parler de leur honneur? Comme si l'honneur avait quelque chose à faire dans un moment pareil.»

Si l'honneur ne le gêne pas, il paraît que le maintien de sa dignité ne le préoccupe guère non plus, car hier dimanche, à travers les mille agitations de tous, et malgré la règle établie pour les Chanceliers d'Angleterre, d'assister tous les dimanches à l'office divin dans la chapelle du Temple, il a imaginé d'accompagner Mme Peter à la messe catholique et de l'écouter dans le banc de cette belle dame, à laquelle il fait une cour non moins assidue que celle de son collègue lord Palmerston.

On dit, ce matin, que pour se débarrasser de lord Durham, en lui donnant un os à ronger, on l'envoie vice-Roi en Irlande, et qu'en même temps, le ministère, renaissant de ses cendres, renoncera au Bill de coercition sur l'Irlande30; si c'est le cas, on aura sacré M. O'Connell Roi d'Irlande le jour anniversaire de la prise de la Bastille. Décidément, le 14 juillet est le jour par excellence, dans les annales révolutionnaires de l'histoire moderne!

J'ai rencontré, tout à l'heure, un Pair conservatif, homme d'esprit et de cœur, qui m'a remuée fortement: de grosses larmes roulaient dans ses yeux; il déplorait l'abaissement de son pays, l'écroulement de ce vieux et grand édifice. Il prévoyait la terrible lutte qui, tout d'abord, peut s'engager entre les deux Chambres; le radicalisme qui, bon gré mal gré, va devenir le guide du ministère d'aujourd'hui et de tous ceux qui lui succéderont rapidement; le ministère du moment n'est, aux yeux de tout le monde, qu'un mort-né; aussi on est surpris que l'intelligente et bonne nature de lord Melbourne se soumette à une semblable comédie. Sa sœur cherchait à l'expliquer en disant qu'il fallait savoir se sacrifier pour sauver la patrie, mais Mme de Lieven lui a répondu en lui disant: «Ce n'est pas par des hommes qui se déshonorent que la patrie peut être sauvée.»

Les amis de lord Melbourne, qui le connaissent bien, prétendent que la paresse prendra le dessus au premier jour, et qu'après un Goddam bien vigoureux, il enverra tout paître. En effet, il est étrange de voir, dans le moment le plus critique du pays, l'homme le plus nonchalant de l'Angleterre appelé à en diriger les destinées.

Londres, 15 juillet 1834.– Lord Grey est venu me faire une longue visite. Nous avons parlé de la dernière crise, comme si c'était déjà de l'histoire ancienne, avec le même dégagement et la même sincérité. Il n'a que faiblement, et comme par acquit de conscience, combattu mes tristes prévisions; il défendait ses successeurs en masse, et les abandonnait en détail, ou, du moins, il convenait de la difficulté de leur position et du mauvais vernis avec lequel ils reparaîtraient sur la scène. Il s'est tu lorsque je lui ai dit que l'opinion publique assignait à M. Littleton le rôle de la bêtise, à lord Althorp celui de la faiblesse, au Chancelier celui de la perfidie! Il a haussé les épaules, lorsque je lui ai cité un propos tenu par M. Ellice, son beau-frère, la veille, dans le salon de lady Grey; en effet, ce propos était étrange. Le voici: En répondant aux regrets que quelqu'un lui exprimait de la retraite de lord Grey: «Sûrement, dit-il, c'est fâcheux sous plusieurs rapports; mais cela ne pouvait tarder d'arriver, avec le dégoût des affaires qui s'était emparé de lui; et, du moins, cela aura-t-il l'avantage de nous faire marcher dans une route plus large, de rendre nos allures plus franches et de nous tirer de ce juste milieu qui n'est plus possible maintenant.»

Lord Grey m'a répété plusieurs fois qu'il ne regrettait ni le pouvoir, ni les affaires; que, depuis quelques mois, il s'était senti affaibli, sans intérêt pour rien, ne faisant les choses qu'avec une extrême répugnance et lassitude. Il m'a avoué que ce qui l'avait le plus rempli d'amertume, c'était la conduite de plusieurs des siens, et surtout celle de lord Durham, dont la violence, la hauteur, l'ambition, l'intrigue, l'avaient d'autant plus fait souffrir que sa fille en était la première victime, et qu'il ne pouvait douter que la dernière fausse couche de lady Durham ne provînt de la brutalité de son mari. Il m'a dit que, malgré l'extrême effroi que ce caractère inspire, il était question de lui donner, dans le nouveau Cabinet, la place que lord Melbourne, passant à la Trésorerie, laissait vacante; l'ambition et la mauvaise activité de lord Durham le rendent tellement incommode à un ministère dont il ne fait pas partie, qu'on se demande s'il ne vaut pas mieux l'admettre dans celui-ci, pour essayer, par ce moyen, de neutraliser ses mauvaises dispositions. Lord Grey doutait pourtant qu'on s'y décidât, tant il est détesté par tous.

Lord Grey était sûr d'avoir décidé lord Althorp à passer sur tous les embarras de sa position et de lui faire reprendre sa place dans le Cabinet31. Il dit que sans lord Althorp, on ne pourrait jamais gouverner la Chambre des Communes; il se flattait aussi de décider lord Lansdowne à rester en place, mais cela n'était pas certain. Enfin, dans sa persuasion, fondée ou non, que l'arrivée des tories ou celle des radicaux amènerait une révolution, il faisait sincèrement, et avec le plus grand zèle, tous ses efforts pour rajuster ce même misérable Cabinet par lequel il vient d'être trahi, ne sentant pas, ou ne voulant pas comprendre, que c'est, nécessairement, sous un très léger masque, du radicalisme, tout aussi bien que si on en était déjà à un ministère O'Connell ou Cobbett.

J'ai dîné à côté du Chancelier chez la duchesse-comtesse de Sutherland. Il était de fort bonne humeur et m'a proposé de boire à la date du jour, le 14 juillet. «Au dessert!» lui ai-je répondu, sachant bien que sa mobilité d'esprit lui ferait oublier son toast; et, en effet, il n'y a plus songé! J'aurais été, en tout cas, incapable de l'accepter, car cette date, déjà si malheureuse, ne s'est, certes, pas purifiée hier.

Le Chancelier m'a demandé si j'avais vu lord Grey, si je n'avais pas été frappée de sa naïveté, qui est telle, me dit-il, qu'il ne sait rien cacher, rien dissimuler, rien contenir: c'est un enfant pour la candeur, pour l'imprévoyance, cédant à toutes les impressions du moment. «C'est une très noble nature, une âme bien pure», ai-je répliqué. – «Oui, oui, assurément,» a-t-il repris, «celle d'un charmant enfant, et cela me fait souvenir que M. Hure, un ami de M. Fox, de Fitz-Patrick et de Grey, n'appelait jamais celui-ci autrement que Baby Grey

Don Carlos est décidément parti. Les uns disent qu'il s'est embarqué sur la Tamise, pendant qu'on le croyait à l'Opéra, et qu'il va débarquer sur un des points de l'Espagne où on lui suppose des intelligences; les autres prétendent, et ceci est la version de M. de Miraflorès, qu'il a passé par la France, que c'est M. Calomarde qui, de Paris, a mené toute cette intrigue, mais par l'instigation de lui, Miraflorès, pour faire tomber don Carlos dans un piège. Tant il y a qu'il est parti, et que, quel que soit le résultat de son entreprise, elle ne saurait, en elle-même, être indifférente.

Londres, 16 juillet 1834.– Le successeur de lord Melbourne, au ministère de l'Intérieur, est connu; c'est lord Duncannon qui passe à cette place de la Direction des Eaux et Forêts, qu'il abandonne à sir John Cam-Hobhouse. Celui-ci est connu par ses relations avec lord Byron, ses voyages en Orient et ses opinions très libérales, moins cependant que celles de lord Duncannon, qu'on dit être des plus vives. Il est donc bien évident que le Cabinet a pris une couleur plus tranchée et plus avancée en tendance révolutionnaire.

Si, hier matin, le départ de Londres de don Carlos était hors de doute, le soir, son arrivée en Espagne était certaine. Les tories prétendent savoir qu'il est arrivé en Navarre, après avoir traversé toute la France; c'est aussi la version de M. de Miraflorès, qui regrette peut-être maintenant de s'être vanté de lui avoir tendu des pièges et de l'avoir entouré d'espions, qui devaient, disait-il, le livrer au premier poste espagnol ennemi; mais voici qu'au contraire, il est parvenu sain et sauf au milieu des siens, dont on assure qu'il a été très joyeusement reçu.

Le ministère anglais se disait, hier, instruit de son arrivée en Espagne, qui aurait eu lieu le 9: mais il prétend que don Carlos a débarqué dans un des ports de la Biscaye, et qu'il y est arrivé n'ayant avec lui qu'un seul Français; que ses partisans lui avaient fait grand accueil. On assure qu'il ne s'est rendu en Espagne que sur l'invitation des provinces du Nord, et sur la menace de celles-ci de se déclarer indépendantes de l'Espagne et de se constituer en République, si leur chef naturel ne se rendait pas au milieu d'elles. Il est évident qu'il fallait de grandes espérances d'une part, et de grandes craintes d'une autre, pour décider un homme aussi timide et aussi inhabile que don Carlos à courir de semblables hasards. Du reste, sa conversation avec le duc de Wellington, que j'ai rapportée plus haut, prouve que le projet d'aller en Espagne occupait son esprit depuis plusieurs semaines.

 

Londres, 17 juillet 1834.– Les amis du nouveau ministère s'évertuent à assurer que le système d'alliance avec la France n'éprouvera aucune altération. Je le crois, mais j'aurais préféré, pour les deux pays, que cette alliance s'affermît sur un terrain de bon ordre, au lieu de ne se continuer que par des sympathies révolutionnaires. Celles-ci inquiètent, à juste titre, le reste de l'Europe, et peuvent amener des crises dans lesquelles il serait difficile de désigner d'avance les vainqueurs.

Nous sommes de plus en plus décidés à retourner en France, aussitôt après la clôture du Parlement, peut-être même avant.

Notre avenir plus éloigné, je ne le prévois point encore, mais l'exemple de lord Grey est une preuve de plus que, pour bien finir, les grandes figures historiques doivent choisir elles-mêmes le terrain de leur retraite, et ne pas attendre qu'il leur soit imposé par les fautes ou par la perfidie d'autrui.

Nous avons reçu, hier, les deux premiers volumes d'un livre qui a pour titre: Monsieur de Talleyrand. J'y ai à peine regardé, mais M. de Talleyrand l'a lu. Il dit que rien n'est si bête, si faux, si ennuyeux, si mal inventé, et qu'il ne donnerait pas cinq shellings pour que ce livre n'eût pas été publié. J'avoue que je suis moins philosophe et que dans des occasions de ce genre, qui sont si fréquentes à une époque aussi libellique que la nôtre, je me souviens toujours d'un mot de La Bruyère, qui m'a beaucoup frappée par sa justesse. Il dit: «Il reste toujours quelque chose de l'excès de la calomnie, ainsi que de l'excès de la louange.» En effet, le monde se partage entre les malveillants et les imbéciles, c'est ce qui fait qu'il y a toujours des gens pour croire l'invraisemblable, surtout quand il est hostile.

Londres, 18 juillet 1834.– La fatuité est, chez les hommes, le résultat d'une disposition qui s'étend d'un point à tous les autres. M. de Miraflorès, fort avantageux et pas mal ridicule auprès des femmes, n'est pas moins présomptueux en politique; il s'y lance en enfant perdu, et s'attribue, avec une simplicité toute naïve, des succès qu'il n'a dû qu'aux passions personnelles des autres, et que, d'ailleurs, les résultats définitifs ne se chargeront peut-être pas de justifier; c'est ainsi qu'il se proclame l'inventeur de la Quadruple Alliance dont l'idée première lui a été inspirée par lord Palmerston. Maintenant que la rentrée de don Carlos sur le territoire espagnol renouvelle les difficultés, le petit Marquis, proprio motu et sans attendre les ordres de son gouvernement, fait, par une note, chef-d'œuvre de ridicule, véritable olla podrida, un appel à l'Angleterre et à la France, pour étendre les termes du traité dont on croyait l'objet accompli.

Les circonstances actuelles sont cependant fort différentes. Il y a trois mois, les deux prétendants, Miguel et Carlos, étaient, l'un et l'autre, acculés dans un petit coin de Portugal, et, par le fait, plus spécialement du ressort de l'Angleterre; maintenant, c'est dans le Nord de l'Espagne qu'est don Carlos, près des frontières de France. L'Angleterre poussera-t-elle ses passions révolutionnaires jusqu'à laisser entrer les armées françaises dans la Péninsule, et ne sera-ce pas pour lord Palmerston le signal de sa sortie du ministère? D'autre part, la France peut-elle, après s'être prononcée contre don Carlos, lui laisser ressaisir un pouvoir qu'il emploiera contre elle? Ce n'est pas que le gouvernement, de plus en plus anarchique, de la Régente offre un voisinage bien rassurant. Le Roi Louis-Philippe se trouve donc placé ainsi dans la double alternative d'avoir à redouter, de l'autre côté des Pyrénées, le principe républicain ou le principe légitimiste; le mezzo termine ne peut se soutenir que par la force armée, la conquête, enfin!

Cela me rappelle un mot bien vrai de M. de Talleyrand qui m'est souvent revenu à l'esprit depuis quatre ans: il a été dit au travers de l'enivrement des grandes journées de 1830. M. de Talleyrand répondit alors à quelqu'un qui était tout en espérances et en illusions, en phrases patriotiques et en attendrissements sur la scène de l'Hôtel de ville, les accolades La Fayette et la popularité de Louis-Philippe: «Monsieur, ce qui manque à tout ceci, c'est un peu de conquête.»

On dit Martinez de la Rosa dépassé en Espagne et ne pouvant plus se soutenir au ministère: il serait remplacé par Toreno et passerait à la Présidence de la Chambre des Pairs. On dit aussi que la Régente l'a nommé Marquis de l'Alliance.

Londres, 19 juillet 1834.– Tout ce qui se passe ici fait reporter la pensée vers les premières scènes de la Révolution française. L'analogie est frappante, c'est presque une copie trop servile; les aristocrates, la minorité de la noblesse, le tiers état, il y a de tout cela dans les tories, les whigs, les radicaux. Les jalousies, les ambitions personnelles aveuglent les whigs, qui ne veulent voir d'autres ennemis que les tories, qui n'aperçoivent d'autres courants que de ce côté, et qui, pour échapper à des rivaux de pouvoir, se précipitent, eux et toute leur caste, dans l'abîme creusé par les radicaux.

En causant, hier, de tout cela, M. de Talleyrand rappelait un mot que lui disait l'abbé Sieyès pendant l'Assemblée constituante. «Oui, nous nous entendons fort bien maintenant qu'il ne s'agit que de liberté, mais quand nous arriverons sur le terrain de l'égalité, c'est alors que nous nous brouillerons.»

A la séance très vive d'avant-hier, à la Chambre des Lords, le ministère a bien nettement marqué la ligne qu'il veut suivre, et les mêmes hommes, qui, sous lord Grey, tenaient, il y a moins de quinze jours, les clauses répressives du «Bill de coercition» pour indispensables, sont venus en annoncer l'abandon, au milieu des injures, des moqueries de la Chambre! C'était déclarer que le Cabinet, pour vivre, se plaçait aux ordres de la majorité radicale des Communes, ne comptait l'opposition des Lords pour rien, et prendrait tous les moyens pour l'annuler. L'irritation qui en résulte est, comme de raison, vivement exprimée par les Lords. Les ministres n'ont que les éloges gracieusement accordés par O'Connell pour les encourager et les consoler.

Londres, 20 juillet 1834.– Je préfère, de beaucoup, le second discours de lord Grey, prononcé avant-hier, à la Chambre des Pairs, pour bien éclaircir sa position, qui avait été mal représentée par les deux côtés de la Chambre, au premier discours dans lequel il avait annoncé sa retraite. Je trouvais celui-ci trop long, trop larmoyant, entrant dans des détails trop minutieux de ses affaires de famille. Dans le discours d'avant-hier, plus laconique, plus serré, il est d'une dignité remarquable, et tout en évitant des personnalités aigres, tout en se mettant au-dessus de ressentiments personnels, il montre quel a été le mauvais jeu devant lequel il s'est retiré; il reste indulgent pour les plus coupables, bienveillant pour ses successeurs comme individus, mais il se sépare de leur système. Il rentre dans ses propres instincts aux acclamations des gens sensés, à l'humiliation de ceux qui l'ont quitté, à la grande déplaisance de tous ceux qui sont les vrais fléaux de l'ordre social.

Il faut en convenir, il y a quinze jours, lord Grey n'apparaissait plus que comme un vieux homme éteint, miné, tiraillé, presque au moment d'être déconsidéré. Depuis sa retraite, un beau rayon de lumière a éclairé ses derniers actes politiques; son beau talent oratoire, si longtemps exercé dans l'opposition, reprend, en y rentrant, toute son énergie, et il est vrai de dire que lord Grey, tombé de chute en chute, vient de remonter à la première place, depuis qu'il s'est dégagé des honteuses entraves, par lesquelles il s'était laissé garrotter. Le Cabinet le redoute beaucoup maintenant; et, en effet, il tomberait bien bas, si lord Grey ne jetait, miséricordieusement, sur eux, le manteau de sa charité! Ses collègues, qui, naguère, parlaient de lui avec plus de pitié que de respect, tremblent, aujourd'hui, devant ses paroles. Ah! que l'on fait bien de ne pas se survivre, et que l'à-propos est nécessaire, surtout dans la vie politique!

Une retraite à la fois moins importante et moins honorable, c'est celle du maréchal Soult32. Des querelles intestines sur le choix d'un gouverneur civil ou militaire de l'Algérie, sur un discours de la Couronne plus ou moins détaillé au 31 juillet prochain, mais surtout la terreur du budget de la Guerre, que le Maréchal aurait des raisons pour ne pas affronter à la prochaine session, voilà les motifs, assure-t-on, de cette démission, acceptée par le Roi, peu regrettée dans le Cabinet, en général, et dont on veut offrir la vacance au maréchal Gérard.

Il paraît que fort heureusement pour la régente d'Espagne, elle a éprouvé un accident qui lui permettra de se montrer à l'ouverture des Cortès. Elle a bien besoin que quelque bon hasard vienne rétablir sa position, si étrangement compromise par ses légèretés et ses inconséquences.

Lord Howick, fils aîné de lord Grey, dont l'esprit est aussi de travers que le corps est repoussant, et dont le public ne pensait pas grand bien, vient aussi de se relever en quittant sa place de sous-secrétaire d'État au ministère de l'Intérieur, et de suivre ainsi l'exemple et la destinée de son père. C'est la seule fidélité à sa fortune qu'aura trouvée lord Grey.

J'ai rencontré, hier, lady Cowper chez elle; elle m'a paru triste et soucieuse. Il est difficile, en effet, qu'avec son esprit intelligent elle ne soit pas affligée de voir ses parents et ses amis dans une route si peu honorable. Elle me faisait remarquer, avec raison, l'aspect si différent de la société et de la vie de Londres, le soin qu'on met à s'éviter, l'hostilité du langage, l'inquiétude des esprits, la défiance du présent, les tristes prévisions de l'avenir, le décousu général, l'éparpillement du Corps diplomatique et l'absence de tout gouvernement et de toute autorité. Ce langage était frappant de la part de la sœur du premier ministre et de l'ami intime du ministre des Affaires étrangères.

Elle a mis du prix à me persuader que tous les sujets de plainte donnés par celui-ci au Corps diplomatique, et à M. de Talleyrand en particulier, ne devaient être attribués à aucune mauvaise intention, mais seulement à quelques négligences dans les formes, excusables chez un homme accablé de travail. Elle m'a paru surtout embarrassée de l'idée que M. de Talleyrand pourrait donner la conduite de lord Palmerston, envers lui, comme raison de sa retraite; enfin elle a mis tout son esprit, son bon goût et sa grâce, et elle a beaucoup de tout cela, à servir ses amis et à diminuer l'amertume qu'ils ont provoquée. Je l'ai quittée, parfaitement contente de ses expressions, mais peu convertie sur le fond des questions.

Londres, 21 juillet 1834.– Le besoin qu'a le ministère anglais actuel de quelque orateur à la Chambre Haute moins discrédité que le Chancelier, plus habile que ses collègues pairs et ministres, a inspiré la plus inconcevable des propositions, produite par le manque absolu de bon sens, et l'absence de toute élévation, qui caractérisent Holland-House. C'est très sérieusement qu'on est venu proposer à lord Grey de rester, non comme chef, mais comme garde du Sceau privé. Il a eu le bon goût d'en rire, comme d'une chose trop grotesque pour s'en fâcher. Mais de quel air a-t-on pu lui adresser une pareille demande?

Du reste, tout est si étrange en ce moment qu'il ne faut plus s'étonner de rien. Voici, par exemple, le récit exact de la manière dont lord Melbourne s'est acquitté de l'ordre du Roi, de chercher par tous les moyens à arriver à un ministère de coalition, où tous les partis fussent représentés. Je comprends que la chose fût impraticable, mais il faut convenir que lord Melbourne s'est acquitté d'une singulière façon de cette mission royale. Il a écrit au duc de Wellington et à sir Robert Peel, de la part du Roi, pour leur dire de quelle commission il était chargé, en ajoutant que, pour leur éviter la fatigue des détails, il leur envoyait, en même temps, une copie de la lettre qu'il venait d'écrire au Roi sur sa manière personnelle d'envisager la question. Cette lettre ne contenait autre chose que la plus forte argumentation contre tout rapprochement et l'énumération de toutes les difficultés qui rendaient le projet de coalition impossible. La réponse du duc de Wellington et de sir Robert Peel n'est qu'un accusé de réception, avec un remerciement respectueux de la communication qui leur était faite au nom du Roi. Le Roi, s'étant étonné que ces messieurs ne fussent entrés dans aucun autre détail, leur a fait dire qu'il demandait leurs observations: «Elles sont toutes contenues dans la lettre de lord Melbourne au Roi, nous n'avons rien à y ajouter,» ont-ils répondu; et c'est ainsi que s'est terminée cette singulière négociation.

 

Londres, 22 juillet 1834.– L'espèce de calme et de bonne mine qu'avait repris le gouvernement français, semble un peu troublé par les discussions des ministres entre eux, qui ont amené la retraite du maréchal Soult. Il paraît qu'on s'inquiète et se divise aussi sur le plus ou moins de durée et d'importance de la petite session annoncée pour le 31 juillet. Elle arrive mal à propos, pour discuter les événements de la Péninsule, et embarrasser le gouvernement par tout le bavardage de la tribune. Le triomphe de don Carlos fixerait un ennemi personnel sur nos frontières; celui de la Régente, qu'elle ne peut obtenir qu'en se jetant, de plus en plus, dans le mouvement, nous donnerait un voisinage de révolution et d'anarchie. Cela ne saurait être indifférent à notre gouvernement, qui n'a déjà que trop à lutter contre de semblables éléments. Il paraît, du reste, que les deux armées étaient trop en regard l'une de l'autre, pour qu'elles n'en vinssent pas aux prises, et le premier succès éclatant restant à l'un ou à l'autre des deux compétiteurs fixera, probablement, leurs destinées ultérieures. Aussi en attend-on l'issue avec une grande et inquiète curiosité.

Maintenant que la querelle ne se règle plus en Portugal, mais en Espagne, les Anglais se mettent sur le second plan et ne donneront que de légers secours à leur cher petit Miraflorès; le grand fardeau est réservé à la France, et il se présente hérissé de difficultés.

On répandait, hier, à la Cité, la nouvelle de la mort de la Reine régente. Les uns disaient qu'elle avait péri par le poison, d'autres à la suite de l'accident qui l'avait conduite dans la retraite. La nouvelle est probablement fausse, mais dans un semblable pays, à travers la guerre civile, le fanatisme religieux, les querelles et les jalousies de famille, les passions de toute espèce qui y sont déchaînées, des crimes ne sont pas plus invraisemblables que les folies et les désordres qui s'y passent journellement.

Le ministre Stanley qui remplace lord Howick, comme sous-secrétaire d'État au ministère de l'intérieur, et qui n'a rien de commun avec le M. Stanley dernièrement ministre, est une espèce de faux dandy parfaitement radical et de la plus mauvaise et vulgaire sorte. Il a été, un moment, secrétaire particulier de lord Durham.

Celui-ci a dédaigneusement refusé l'ambassade de Paris, qu'on ne lui offrait, à ce qu'il a bien compris, que pour se débarrasser de lui ici. Il a répondu qu'il n'accepterait aucun emploi d'un Cabinet qui refusait de le recevoir dans son sein. Lord Carlisle a donné sa démission de lord du Sceau privé.

Londres, 24 juillet 1834.– On disait assez généralement, hier, que l'infante Marie, princesse de Portugal, femme de l'infant don Carlos, avait, secrètement aussi, quitté l'Angleterre, pour suivre son mari en Espagne, laissant ses enfants ici, à la duchesse de Beïra, sa sœur. On dit que l'infante Marie a beaucoup de courage et de décision. Probablement, elle s'en croit plus qu'à son mari, et elle pense que sa présence près de lui inspirera au prétendant toute l'énergie dont il a besoin dans la crise actuelle. Toutes ces Princesses de Portugal sont des démons, en politique ou en galanterie, et quelquefois les deux ensemble. L'aventure qui a fait, d'une de ces Princesses, une marquise de Loulé, explique l'éclat qu'elle vient de donner à Lisbonne, à l'occasion d'un officier de la marine anglaise. M. de Loulé s'est fâché, et a renvoyé sa femme en gardant les enfants. Dom Pedro a exigé que son beau-frère reprit sa femme; je ne sais comment cela a fini.

L'Infante Isabelle, qui pendant sa régence a aussi fait parler d'elle, et que dom Miguel a voulu, dit-on, faire empoisonner avec un bouillon aux herbes, est maintenant à Lisbonne, réunie au reste de sa famille, ou pour mieux dire, de ses parents, car il règne des affections et des haines si également dénaturées dans cette maison de Bragance, qu'il ne peut être question pour elle des liens naturels de famille.

A propos de prétendants et de mœurs singulières, lord Burghersh m'a beaucoup parlé, hier, de la comtesse d'Albany, qu'il a connue à Florence. Elle y avait, pour cavalier servant, M. Fabre, le peintre, qui, depuis la mort d'Alfieri, demeurait chez elle. Ils se promenaient seuls, n'ayant que le grand chien de M. Fabre en tiers, ils dînaient seuls. De huit à onze heures, Mme d'Albany recevait tout Florence. M. Fabre allait, pendant ce temps-là, chez une maîtresse d'un ordre inférieur. A onze heures, il reparaissait chez la Comtesse, ce qui était le signal de la retraite pour tout le monde, afin de les laisser souper tête à tête. Jamais on ne les invitait l'un sans l'autre, ce qui est d'étiquette en Italie, et poussé à un point de naïveté étrange. En voici un exemple: lord Burghersh, ministre d'Angleterre à Florence, ouvrit sa maison par un grand bal, où il crut avoir prié toute la grande compagnie, mais, n'étant pas encore très au fait des relations de la société, il oublia d'inviter un monsieur attaché à une belle dame; le matin du bal, le maître d'hôtel vint chez my lord avec une lettre ouverte, qu'il venait de recevoir, et qu'il pria son maître de parcourir; lord Burghersh y lut ce qui suit: «Sapete, caro Matteo, che sono servita, da il cavalier un tel; il n'est pas invité chez lord Burghersh, ce qui, comme vous le sentez, me met dans l'impossibilité d'aller à son bal: faites réparer cette erreur, je vous prie.» Elle le fut en effet, et lord Burghersh n'oublia pas la leçon. Le sapete, adressé à un valet, le sono servita, tout est d'une naïveté incroyable, et néanmoins parfaitement dans les convenances italiennes. Mais, pour en revenir à la comtesse d'Albany et à M. Fabre, la Comtesse étant morte, M. Fabre fit le portrait du chien, le compagnon de leurs promenades, le fit graver, et en envoya une épreuve à chacun des amis de la Comtesse, avec l'inscription suivante: «Aux amis de la comtesse d'Albany, le chien de M. Fabre.»

Londres, 25 juillet 1834.– Le ministère devient bien aigre pour lord Grey: on lui sait mauvais gré de sa noble retraite, de son juste dédain pour cette absurde proposition du Sceau privé. On le dit faible, incapable, capricieux, enfin on joint l'outrage à la perfidie, et le voile léger dont on couvre cette déloyale conduite ne la dérobe pas assez, aux yeux de lord Grey, pour qu'il ne commence aussi à en être aigri. Je sais qu'il a dit que si ses successeurs faisaient un pas de plus dans la route révolutionnaire, il cesserait non seulement de voter pour eux, mais encore se déclarerait contre eux. Décidément, il est rentré dans ses vrais instincts, et je crois qu'il aura à cœur de se laver, autant que cela se pourra, de l'imputation d'avoir entraîné l'Angleterre dans une route de perdition.

Lord John Russell, le plus doux, le plus spirituel, le plus honorable, le plus aimable des Jacobins; le plus naïf, le plus candide des révolutionnaires; le plus agréable, mais aussi, par son honnêteté même, le plus dangereux des ministres, me disait, hier, qu'il avait eu, il y a quelques mois, une violente discussion avec lord Grey, à propos d'une mesure sur laquelle ils n'étaient pas d'accord, et à l'occasion de laquelle lord Grey lui déclara que jamais il ne consentirait à mettre son nom à un acte révolutionnaire. Lord John ajouta, avec son petit air doux: «C'était, après la réforme, une grande faiblesse et une inconséquence. – Vous auriez raison,» ai-je repris, «si lord Grey, en vous laissant faire la réforme, en eût prévu toutes les conséquences; mais vous conviendrez avec moi qu'il ne les a pas aperçues, et que vous vous êtes bien gardé de les lui signaler in time.» Lord John s'est mis à rire et m'a dit, de fort bonne grâce: «Vous n'exigez pas que je me confesse?» Si tous les révolutionnaires étaient de l'espèce de Cobbett et O'Connell, ou de l'inconvenante et cynique nature de lord Brougham, on se tiendrait plus aisément en garde; mais dans la spirituelle et délicate personne du fils du duc de Bedford, comment soupçonner de tels travers dans le jugement, et dans la nature physique la plus frêle, et, en apparence, la plus éteinte, comment s'attendre à une semblable persévérance dans la pensée et à une telle violence dans l'action.

30Ou Bill des dîmes.
31Le nouveau Cabinet fut ainsi constitué: Premier lord de la Trésorerie, lord Melbourne. Chancelier, lord Brougham. Président du conseil, marquis Lansdowne. Affaires étrangères, vicomte Palmerston. Colonies, M. Spring Rice. Chancelier de l'Échiquier, lord Althorp. Amirauté, lord Auckland. Postes, marquis de Conyngham. Payeur général de l'Armée, lord John Russell. Irlande, M. Littleton. Chancelier du duché de Lancastre, lord Holland. Intérieur, vicomte Duncannon. Conseil du Contrôle, M. Charles Grant. Commerce, M. Poulett Thomson. Guerre, M. Ellice. Sceau privé, lord Mulgrave. La plupart de ces ministres avaient fait partie du Cabinet précédent.
32Le maréchal Soult était Président du Conseil depuis 1832. Il quitta ces fonctions en juillet 1834.