Za darmo

Un tuteur embarrassé

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XXXI

– Positivement, elle a embelli s'exclamait Guimauve, le monocle à l'oeil et examinant son ancienne "ennemie" retour d'Algérie.

– Qu'importe cela, si elle nous aime toujours autant! murmurait Mme Samozane qu'Odette couvrait de caresses.

En pouvait-elle douter, alors?

On avait accueilli avec autant de joie l'arrivante que le voyageur. Gui, qui n'avait pas changé, lui, ne pouvait s'empêcher de s'extasier sur la métamorphose de sa cousine.

– Pourvu que tu ne sois pas trop sérieuse, au moins, Nénette, continuait-il; c'est que ce ne serait plus du tout amusant, sais-tu?

– Je serai sérieuse, oui monsieur, répondait-elle, parce que je dois mener une vie laborieuse. Je vais me reposer quelques jours, puis, je me mettrai à gagner mon pain.

– Si on te le permet, Odette, dit tranquillement Robert qui la regardait, sans sourire.

Elle releva sa crête:

– Il faudra bien qu'on me laisse faire, s'écria-t-elle. Ce n'est pas pour des prunes que j'ai bûché… pardon, travaillé comme un nègre en ces huit mois.

– A propos, fillette, reprit M. Samozane qui avait des moments de distraction, tu as été demandée en mariage, là-bas?

– Moi? fit Odette, en rougissant jusqu'aux oreilles.

– Elle? fit Robert dont le sourcil se fronça.

– Qui vous a dit?.. commença la jeune fille, troublée.

– Dame! M. de Merkar, qui nous remplaçait auprès de toi, avait bien le droit de nous mettre au courant…

– Eh bien! oui, répliqua Odette très vite et comme pour se débarrasser d'un interrogatoire déplaisant; j'ai été demandée, en effet, par un monsieur très riche…

– Qui pourrait être ton père. Et ne le pouvant pas, poursuivit M.

Samozane, il se contente d'être ton cousin.

– Vraiment? fit encore Robert en tordant sa moustache fauve. Quel peut-il être?

– Tu ne devines pas? M. Garderenne…

– Ah! celui qui… s'écria Guillaume.

– Oui, celui qui a dépouillé notre Nénette d'une fortune. Fortune qui, en définitive, lui revenait.

– Il a un fier toupet! gronda le fils cadet des Samozane.

– Mon Dieu! non, il a trouvé Odette à son goût et, pour lui, c'était une manière fort agréable de lui rendre son bien en l'épousant.

– Et tu n'as pas voulu de lui? Oh! Nénette, que je t'aime pour cela! dit le jeune fou en déposant un baiser retentissant sur la main de sa cousine.

Seul, Robert ne riait pas. Il pensait à sa pupille, à M. Garderenne, et il se disait, avec une émotion sans pareille, qu'il s'en était peut-être fallu de peu que la pauvrette épousât ce quinquagénaire.

Eh! n'aurait-elle pas été excusable? Elle était si seule, si abandonnée, là-bas?

– Qu'as-tu, Robert? Tu as l'air soucieux, demanda soudain Odette, remarquant son silence.

– Rien, répondit-il en passant la main sur son front comme pour en chasser une pénible impression.

Et, obligeant ses lèvres à sourire, il ajouta:

– Si, au lieu de quêter tout de suite tant de détails de cette pauvre Odette, vous nous laissiez aller nous reposer? Songez que, la nuit dernière, nous n'avons pas fermé l'oeil, étant en chemin de fer, et que, depuis quatre heures que nous sommes arrivés, nous devons répondre aux questions multiples que vous nous posez.

– Bah! pour Nénette, il n'y a pas grand danger… elle ne sortira pas de son lit demain avant onze heures, fit observer Gui.

Mlle d'Héristel se rebiffa:

– Tu te trompes, Guimauve, dit-elle; en Algérie, sache que j'ai été d'une sagesse exemplaire et que j'y ai pris des habitudes matinales qui vous étonneront.

– Soit; mais demain tu feras exception à la règle, fillette, commanda Mme Samozane, car je ne te trouve pas très bonne mine et tu dois, en effet, avoir besoin de repos.

– Robert a raison, dit Odette, il faut se coucher, on meurt de sommeil… Je dois, dorénavant, avoir des égards pour ma santé qui me sera nécessaire, à l'avenir. Tantes, adieu. Mon oncle, bonsoir.

Elle tendit sa joue à tous et s'en fut coucher pour s'endormir bientôt d'un sommeil d'enfant.

Ses tantes vinrent la voir et la trouvèrent si gentille ainsi, que, ravies de la posséder de nouveau, elles ne purent résister à la tentation de glisser un baiser sur son front.

Les jours qui suivirent furent pleins de charme pour toute la famille.

A son tour, Robert raconta ce qu'Odette ignorait encore: ses expéditions dans les terres soudanaises, les travaux qu'il avait dû y faire, les dangers qu'il y avait courus, lui et ses compagnons…

Et Mlle d'Héristel l'admira du fond de son coeur et se trouva bien petite et bien misérable à côté de lui, elle qui croyait avoir fait beaucoup en secouant sa paresse et sa frivolité et en s'essayant à devenir studieuse, bonne et sérieuse.

Comme le voyageur avait un congé indéterminé pour se reposer de ses fatigues, les Samozane pensaient à louer, pour la saison s'été, une petite maison à la campagne où M. Samozane se remettrait aussi de sa secousse récente et où ils vivraient tous dans l'intimité la plus douce.

Or, il arriva, quelques jours avant qu'on se décidât à signer un bail de six mois, que Mlle d'Héristel reçut la lettre suivante qu'elle ne montra d'abord à personne:

"Ma chère enfant,

"Mon âge et mon titre de parent me donnent le droit de vous appeler ainsi, croyez-le.

"J'espère que vous ne garderez pas un trop mauvais souvenir de votre vieux cousin Garderenne qui vous aime aujourd'hui paternellement et veut vous le prouver.

"La somme que je vous ai enlevée, par un procès qui me semblait équitable tant que je ne vous connaissais pas, me pèse lourdement à présent.

"Cependant, je ne veux pas vous la restituer tout entière: vous seriez trop riche, cela pourrait vous rendre comme autrefois (c'est vous qui me l'avez dit), futile et vaniteuse, et votre main serait peut-être sollicitée parce qu'elle contiendrait beaucoup d'or.

"Si donc, vous me faites savoir un jour qu'un brave garçon veut vous épouser pauvre, j'applaudirai de tout mon coeur à cette union et, le lendemain des fiançailles, je verserai à votre nom la somme de quatre cent mille francs, à peu près la moitié de celle que vous a reprise ma rapacité.

"Jusque-là, que ce soit un secret entre nous.

"Si vous ne vous mariez pas, le jour de vos vingt-cinq ans, cette restitution vous sera faite, et je suis sûr que vous emploierez sagement cet argent.

"Mais permettez-moi d'espérer que j'assisterai plutôt et… plus tôt à votre mariage; vous êtes faite pour donner beaucoup de bonheur autour de vous.

"Quant au reste de la somme, puisque je suis assez riche pour m'en passer sans vivre plus mal pour cela, je la placerai sur la tête de votre premier-né, si vous voulez bien me faire l'honneur de me prendre pour parrain.

"Et maintenant, chère enfant, je n'ai plus qu'à vous souhaiter d'être heureuse et de rencontrer celui qui vous rendra telle.

"Ne pensez plus à moi avec amertume, et surtout ne refusez pas la donation très légitime que je veux vous faire.

"Vous ne voulez pas peiner un vieillard qui a déjà trop connu les déboires de la vie, n'est-ce pas? Si vous n'acceptiez pas cet argent, (le vôtre en définitive), il irait grossir le trésor des pauvres.

"Mais entre vos mains, chère enfant, il ne sera pas moins bien placé.

"Veuillez croire à mon absolu dévouement et à ma paternelle affection."

O. GARDERENNE.

Le mince papier dans ses doigts, les yeux dans le vide, ne regardant rien, Mlle d'Héristel murmurait de temps à autre:

"C'est drôle, c'est bizarre; mais c'est bien agir. Seulement, dois-je accepter?..

– Je sais! Je tiens mon affaire! s'écria-t-elle soudain; Je vais tenter une épreuve, et que le ciel me pardonne si je joue une petite comédie qui doit m'éclairer sur ce que je veux savoir!"

Comme un pas alerte se faisait entendre derrière la porte, elle enferma la lettre de M. Garderenne dans son corsage, prit une mine indifférente et pensa:

"Guimauve doit savoir moins que tout autre ce qui m'arrive.

Taisons-nous."

Et, à l'entrée de son cousin, elle parla de la pluie et du beau temps; il la trouva parfaitement inepte contre son ordinaire, mais il ne le lui dit pas.

XXXII

Très appliquée, ses petites dents de jeune chien mordant sa lèvre inférieure malgré un commencement de mal de tête, Odette cherchait ardemment, sous les yeux de son cousin Robert qui lui servait de professeur, la solution d'un problème difficile.

Toute la famille était à Croissy, en train de visiter la maison de campagne qu'on voulait louer pour l'été.

Mlle d'Héristel, qui s'était remise au travail avec une diligence étonnante, avait préféré rester à Paris, et Robert lui donnait une leçon de mathématiques.

Elle poussa soudain un énorme soupir; son cousin la regarda avec inquiétude.

– Tu es pâlotte, Odette; es-tu souffrante?

– Un peu de malaise, cela passera.

– Veux-tu que nous suspendions ce travail?

– Tout à l'heure. Explique-moi d'abord ce problème.

– Soit. Deux puisatiers creusent un puits cylindrique de trois mètres de diamètre et de quinze de profondeur…

– Oui, je sais; il faut multiplier la hauteur par le diamètre et ensuite diviser… Ah! tiens, non, je n'y suis plus du tout, ajouta-t-elle découragée, en posant son crayon sur la table.

Tout à fait anxieux, Robert se leva.

– Je t'assure, Odette, que tu dois te coucher; tu as la mine de quelqu'un qui frise la syncope.

– En effet… je… tu as raison, répliqua la fine mouche qui avait son plan et que favorisaient les circonstances.

– Mon Dieu! si tu allais avoir…

– Encore une léthargie, n'est-ce pas? Au fait, c'est possible. Tiens, aide-moi à regagner ma chambre.

Il obéit si troublé, qu'elle sentait son coeur battre à grands coups sourds.

 

Et, en vérité, il avait raison de s'inquiéter, car, lorsque Odette fut étendue sur son lit, elle conserva un immobilité de morte et pas un souffle ne parut soulever sa poitrine.

On était au déclin du jour; sans l'obscurité croissante, Robert eût pu remarquer que la jeune fille n'était pas d'une pâleur bien intense, que ses lèvres restaient rosées et que nulle sueur ne perlait à son front.

Mais il était trop agité pour s'occuper de ces détails.

Tout à con chagrin, il pensait:

– Le médecin nous avait promis que cet accident ne se renouvellerait pas… Alors, puisque, en dépit de ces pronostics, le mal reprenait, nous pourrions bien perdre Odette.

Aussi, au lieu de secourir la jeune fille, ou de tenter de la rappeler à la vie, il demeurait debout près du lit, lui parlant à mi-voix sans se douter que sa fine oreille recueillait ces manifestations de douleur et que son petit coeur en battait de joie.

"Je ne t'aurai donc retrouvée si gentille, si affectueuse, si intelligente, que pour te voir disparaître de nouveau de ma vie? Si tu savais ce qui s'est passé en moi, lorsque je t'ai rencontrée à Alger, si jolie dans ta fraîche toilette, et que je t'ai entendue jouer du piano avec tant d'âme et de compréhension des maîtres!.. Seulement, j'ignorais comment tu me recevrais; nous avions gardé mutuellement un si long silence!

"Je crois que si je t'avais retrouvée vaniteuse et folle, toute tendresse serait morte en mon coeur et je serais parti de mon côté sans venir te serrer la main.

"Car, je t'étais resté fidèle, au fond, et ton image me suivait partout: dans les expéditions dangereuses, dans mes travaux, dans mes excursions.

"Et je revenais heureux, mignonne, parce que, en récompense de mon labeur, un poste brillant m'est promis et que j'espérais te demander, ma chère petite pupille, si tu m'y suivrais, non plus en image cette fois…

– Mais en chair et en os! Ah! Comment donc, si je le veux! s'écria tout à coup la "morte" en se dressant sur son séant et en tendant les bras à Robert.

Celui-ci recula, plus épouvanté qu'à la première "résurrection" de Mlle d'Héristel.

– Je te fais donc peur? dit-elle avec un sourire d'infinie tendresse. Pourtant, ne devines-tu pas que j'ai simulé cette léthargie pour surprendre ton secret, si tu en avais un?

Oh! pardonne-moi mon sans-gêne, ajouta-t-elle, voyant un mouvement qu'il esquissait. Vois-tu, le malentendu qui nous a éloignés l'un de l'autre pendant deux années au moins venait de ce que, dans ma première crise de catalepsie, je ne t'avais entendu ni pleurer, ni exprimer de regrets.

– Ah! ma pauvre nénette! c'est que j'avais trop de chagrin. Je t'aimais tant, déjà! s'écria Robert.

– Eh! je le conçois maintenant; mais avant, pouvais-je le deviner?

J'étais si jeune!

– Et aujourd'hui? fit Samozane en souriant.

– Eh bien! aujourd'hui, sans être encore une vieille femme, j'ai de l'expérience.

Tu en as vu la preuve, tout à l'heure.

– En effet, autrefois, tu n'aurais pas eu la ruse de feindre une syncope.

– Plus qu'une syncope, presque la mort, Robert, fit gravement la jeune fille.

Mais si le bon Dieu m'avait punie et reprise à ce moment pour de bon, je serais partie contente avec ce que je sais.

– Ainsi tu consentirais…

– A être ta femme? Oh! mais oui, Robert, avec joie; il y a un an, je ne sais ce que je t'aurais répondu, je ne me sentais pas digne de toi. A présent, je peux hautement dire que je le suis.

D'une petite voix timide, elle ajouta:

"Sauf que je suis pauvre."

Il tressaillit et dit avec une dureté inattendue:

– Ainsi, tu ne m'accuses plus de courir après les jeunes filles bien dotées?

Rougissante, elle cacha sa jolie tête sur l'épaule de son tuteur:

– Tu ne comprends donc pas, Robert, que la colère seule me faisait parler: j'étais jalouse de Mlle Dapremont.

– A laquelle je portais la courtoisie et l'amabilité dont tu ne voulais pas, toi, Odette.

– Parce qu'on m'avait mis des idées en tête et que j'étais une sotte.

Ecoute, Robert, je veux bien t'épouser, mais à une condition.

– Laquelle? fit-il, effrayé d'avance de la fantaisie extravagante qui pouvait traverser cette petite tête.

– C'est que tu ne me reparleras plus de cette… circonstance. C'est enterré, n'est-ce pas?

– Je te le promets, répondit-il, soulagé.

Nénette sauta à travers la chambre.

– Et maintenant, veux-tu que nous allions finir notre problème?

– Ah! fit-il, si j'ai la tête au calcul!

– Cela ne fait rien. Viens toujours, nous causerons de choses sérieuses.

De nouveau, ils s'attablèrent à la salle d'études, et lorsque la famille Samozane revint, lasse et joyeuse, de Croissy, on leur demanda, sans arrière-pensée:

– Eh bien! enfants, avez-vous bien travaillé?

– Enormément, répondait Odette, pendant que son cousin rougissait comme un écolier pris en faute.

Guillaume regarda son frère en dessous.

– Aussi, ce pauvre Bob en a le sang à la tête, fit-il observer.

Mme Samozane examina son fils aîné:

– C'est vrai, Robert, cette petite te donne trop de peine avec sa passion d'étude. Repose-toi donc.

– Ma tante, reprit Odette, après avoir jeté un coup d'oeil d'intelligence à son cousin, je vous répète que nous avons, en effet, beaucoup travaillé: même, nous nous sommes fiancés.

Un silence de stupeur accueillit ces paroles.

– Il est des plaisanteries, Odette… commença tante Bertrande avec sévérité.

– Qu'il ne faut pas faire, acheva Mlle d'Héristel sans se troubler; vous avez raison, tante, aussi suis-je très sérieuse.

M. Samozane se tourna vers sa pupille:

– Enfin, qu'y a-t-il de vrai dans tout ceci, ma fille, dis-le-nous sans ambages?

– Tout, mon oncle, je ne ferai pas de fleurs de rhétorique pour vous le répéter: nous avons cherché la solution de plusieurs problèmes et nous nous sommes fiancés.

M. Samozane frappa légèrement le plancher du bout de sa canne.

– Avec cette petite folle, on ne peut rien croire, dit-il.

Robert parla à son tour:

– Odette ne rit pas, mon père, dit-il; seulement elle va un peu vite en besogne et nous aurions dû vous communiquer, à vous d'abord et à maman…

– Ca ne fait rien, interrompit Guillaume, nous avons aussi voix au chapitre, nous les jeunes. Robert, moi, je t'approuve; toi aussi, Nénette, vous êtes faits l'un pour l'autre.

– Allons, mes enfants, venez causer sérieusement de cela avec nous, conclut Mme Samozane, en faisant signe aux deux soeurs et à Guillaume de rester à la salle d'étude.

Le trio, abandonné à lui-même, fit ses réflexions: Blanche et Jeanne, très philosophes, trouvaient que rien n'était changé à leur manière de vivre. Depuis si longtemps on était accoutumé à voir Odette faire partie de la maison! tout irait comme par le passé, sauf que Mlle d'Héristel deviendrait Mme Robert Samozane.

Guillaume, lui, portait envie à son frère.

– S'il existe, de par le monde, une seconde Odette d'Héristel, disait-il, je ferai bien d'aller à sa découverte, car c'est tout à fait mon affaire.

Ses soeurs firent observer qu'il n'était pas assez mûr pour se marier.

– Qu'importe! répliqua-t-il, j'irai faire un tout "en Alger"; on mûrit très vite, là-bas, témoin, notre cousinette qui, en huit mois, est devenue plus accomplie que Cornélie, mère des Gracques ou que Blanche de Castille, reine de France.

XXXIII

– C'est une ravissante habitation, disait M. Samozane avec autant d'enthousiasme que sa nature calme pouvait en témoigner; l'air y est d'une pureté de cristal, la vue telle, que l'on passerait ses soirées sur la terrasse à regarder le soleil se coucher et la lune se lever…

– Quand il y a de la lune! ajouta Gui avec sérieux.

– Et une maison d'un confortable, reprit Jeanne, qui aimait son bien-être; des cabinets de toilette à chaque chambre, une salle de bain…

– Mais voilà, c'est d'un prix inabordable pour nous, soupira Mme Samozane, et il n'en faut plus parler puisque nous devons nous contenter de la petite propriété du bas…

– Où nous serons serrés comme des anchois, acheva l'incorrigible Gui.

La voix claire d'Odette s'éleva:

– Pourquoi, tante, ne loueriez-vous pas, de juillet à octobre, c'est-à-dire dès que nous serions mariés, Robert et moi, la jolie villa dont vous parlez?

– Tu es folle: on nous en demande trois mille cinq cents francs; on l'aurait eue pour trois mille, mais puisque…

– Il faut, dès aujourd'hui, signer un engagement, répéta l'obstinée jeune fille.

Guillaume murmura dans sa moustache:

– Je crois que son mariage lui tourne la tête; elle ne comprend plus rien, la chère cousinette.

– Eh bien! moi, je vais écrire au propriétaire que c'est une affaire conclue, répliqua Odette en découpant son bifteck avec férocité, car on était au déjeuner.

– Avec quel argent paieras-tu? demanda malicieusement Jeanne.

– Avec le mien, riposta Odette qui était toute rose et qui posa fourchette et couteau sur son assiette pour se tourner vers Robert.

Pardonne-moi, poursuivit-elle, je t'ai caché quelque chose, Robert, mais, je vais me confesser aujourd'hui, en public, et j'espère que tu ne me gronderas pas.

– Savoir! grommela le jeune homme qui ajouta, les yeux au ciel:

"Grand Dieu! que va-t-elle m'apprendre?"

– Lis, s'écria Mlle d'Héristel, en lui mettant sous les yeux la lettre, que nous connaissons, de M. Garderenne.

Robert pâlit un peu en en prenant connaissance; puis, faisant passer le papier à ses parents, il demanda, la voix altérée:

– J'espère que vous avez refusé, Odette?

Les jolis yeux de la jeune fille exprimèrent un effarement subit.

– J'ai réfléchi, puis j'ai répondu… mais la lettre n'est pas partie, elle est là-haut sur ma table… cela te fâcherait donc, si je redevenais riche?

– Absolument; je ne veux pas que tu doives un sou à ce… monsieur.

– Il me semble, fit tranquillement Mme Samozane après avoir lu à son tour, que ce monsieur, comme tu dis peu aimablement, Robert, agit très bien en rendant à Odette une fortune qui revenait à la chère enfant, de par la volonté du légataire au moins.

– C'est tout à fait mon avis, dit Guillaume à qui l'on ne demandait rien.

– Mais ce n'est pas le mien et je crois avoir le droit de décider la question, s'écria Robert très animé.

Je ne veux tenir Odette que d'elle-même, je ne veux pas de cette dot…

– Qu'elle mérite pourtant bien, car cet argent aura été joliment trimballé, insinua Guillaume.

– C'est possible; mais je suis seul en cause, répliqua sèchement son frère.

Puis, se tournant vers Odette:

– Chérie, tiens-tu donc tant que cela à cette fortune?

L'enfant leva ses yeux purs sur son fiancé et répondit, soumise:

– J'y tenais pour vous tous, Robert, pour louer cette villa qui vous a séduits et où mon oncle reprendrait des forces. J'y tenais aussi pour Jeanne qui aurait la dot réglementaire et pourrait se marier selon son coeur… Mais, je ferai ce qu'il te plaira, Robert, je ne veux pas te contrarier.

Jeanne était devenue toute rose, elle aussi.

– Mon Dieu! dit-elle en joignant les mains, si tu faisais cela, Nénette!

La famille entière était ébranlée; seul, Robert tenait toujours bon.

– Cependant, hasarda tante Bertrande, il ne faut pas exagérer certains sentiments: Robert, mon enfant, tu sais très bien que l'intention du légataire était de laisser sa fortune au père de Nénette.

Un vice de forme dans le legs a permis à M. Garderenne d'intenter et même de gagner un procès plus ou moins justement. Il reconnaît sa faute et veut restituer…

– C'est possible, mais il choisit mal son moment pour cela, gronda Robert.

– Si j'avais su, je n'aurais rien dit encore, murmura Odette très marrie.

– Qu'as-tu dit à ce monsieur? demanda l'irritable fiancé.

– Je peux te montrer ma lettre, puisqu'elle n'est pas partie, répondit Mlle d'Héristel.

On sonna Euphranie et on la pria d'aller chercher, dans la chambre de sa jeune maîtresse, une missive demeurée sur la table.

– La… le… l'enveloppe? fit la brave femme effarée; ah! y a beau temps que je l'ai jetée à la poste.

– Comment! tu t'es permis… commença Odette.

– C'est après avoir fait votre chambre, mademoiselle; j'allais au marché, j'ai vu la lettre et j'ai pensé comme ça que vous l'aviez oubliée, rapport à ce que vous avez la tête un peu perdue, sauf respect, depuis que vous vous épousez avec m'sieu Robert.

– Mais, malheureuse, elle n'était pas cachetée!

– Oh! j'y ai bien vu et j'ai léché l'enveloppe gommée avant de la jeter à la boîte… Mademoiselle ne doute pas de ma discrétion: je ne sais pas lire l'écriture écrite.

 

– Dieu a donc décidé lui-même, soupira tante Bertrande, point fâchée au fond de ce qui arrivait.

– Nanie, souffrez que je vous embrasse pour vous féliciter de votre bonne inspiration, s'écria Gui.

Et, sans façon, il effleura de sa moustache les joues ridées mais encore fraîches de la vieille femme ravie.

On la congédia et le cadet des frères Samozane, prenant une attitude théâtrale, la main sur la poitrine, parla en ces termes:

– Mes chers parents, mon frère, ma soeur, puisque tu deviens ma soeur de fait, par le mariage, ma chère Nénette.

Voyez le doigt de Dieu en ce qui nous arrive. Une servante fidèle, instrument de la Providence, a tranché la question sans le savoir.

D'ici peu, M. Garderenne va recevoir l'acceptation de Nénette, et nos aimables fiancés vont voir l'aisance, sinon la richesse couler sous leur toit.

– Sans compter que notre premier enfant est déjà doté, dit ingénument Odette.

Tu as bien lu la lettre de M. Garderenne, répliqua-t-elle; il dit qu'il sera parrain de notre premier-né et lui donnera environ trois cent mille francs.

– C'est juste.

– Et maintenant, conclut Mlle d'Héristel, assez causé de ce qui est irréparablement fait. Je propose que nous allions visiter la fameuse villa où nous devons passer en famille un été délicieux.

La promenade fut arrangée; seul, Gui, qui avait à écrire, demeura à la maison, ce qui lui procura l'inestimable faveur de recevoir Mlle Dapremont.

Elle avait eu vent du retour de Robert et accourait, assez désappointée de ne trouver au logis que son frère.

Guillaume entra au salon, plus ennuyé que ravi.

– Vous ne semblez pas enthousiasmé de ma visite, lui dit un peu âprement la demoiselle en quête de mari.

– Moi! comment donc? se récria-t-il. C'est le bonheur qui me coupe la parole.

– Ainsi, votre frère est revenu. Ses dangereux voyages ne l'ont pas trop…

– Décati, acheva Gui, voyant qu'elle cherchait son mot. Pas le moins du monde; il reparaît frais comme une rose et Odette aussi.

– Ah! Odette aussi? Ils sont revenus… ensemble?

– Comme vous le dites; sous l'égide de tante Bertrande et bras dessus, bras dessous, ainsi que deux tourtereaux – fiancés qu'ils sont.

– Comment! Ils sont… elle est… ils… essaya de proférer Mlle Dapremont qui était verte et qui voyait le salon tourner devant ses yeux.

– Fiancés? Mais certainement, et dès la plus haute antiquité. Ne vous en doutiez-vous pas un brin?

– Nullement, car ils cachaient trop bien leur jeu, répliqua aigrement Antoinette, recouvrant la voix pour exhaler son courroux.

Et puis, je ne pouvais supposer que Rob… que votre frère, si grave, si instruit, si sérieux, s'éprendrait d'une petite fille si folle.

– C'est que voilà, chère mademoiselle, ces petites filles, comme vous le dites, dissimulent parfois sous des airs évaporés les qualités les plus exquises. Un moment venu, les airs évaporés fichent le camp… pardon, je voulais dire, s'envolent pour de bon…

– Et les qualités exquises restent, fit avec ironie Mlle Dapremont.

– C'est l'absolue vérité. D'ailleurs, notre chère Nénette a fait la conquête de toute l'Algérie en quelques mois.

– Comme Charles X.

– Tout à fait, et sans le chercher, elle du moins. Si elle l'avait voulu, elle aurait épousé trois sheicks, cinq Anglais milliardaires et vingt-quatre Français des meilleures familles.

– M. Robert a d'autant plus de chance de se voir préféré, qu'il est peu fortuné lui-même et que sa fiancée n'a plus de dot.

Guillaume parut tomber des nues.

– Qui vous a dit cela? Ah! oui, je sais, le bruit a couru qu'elle allait être dépouillée de sa fortune; mais il n'en est rien, et celui qui voulait lui intenter un procès, a compris qu'il serait injuste d'agir ainsi.

– Ah!.. alors tout est bien, mes compliments, en ce cas! conclut Mlle Dapremont qui se leva, de plus en plus verte et de plus en plus consternée.

– Je ne manquerai pas de les transmettre aux deux fiancés quand ils rentreront, répliqua l'impitoyable Gui en reconduisant la visiteuse.

Soudain, Mlle Dapremont se retourna brusquement:

– Mais… pardon! Vos parents, si chatouilleux sur la question… religion, comment tolèrent-ils cette union entre cousins?

Gui se mit à rire:

– Chère mademoiselle, notre saint Père le Pape lui-même vous dirait que la mariage entre des cousins aussi éloignés que nous le sommes avec Odette – pas du tout germains, comme vous semblez le croire – est archi autorisé. Vous entendez bien? archi autorisé. Par respect pour ses tuteurs, Odette donne à papa et à maman les noms d'oncle et de tante, quand ils ne sont que des cousins âgés.

– Allons! je suis battues à plate-couture, soupira l'envieuse fille.

Et elle alla conter sa peine à son amie la plus intime Miss Hangora, qui la consola en ces termes:

– Soyez certaine, my dear, que cette petite étourdie n'est pas du tout la femme qu'il faut à M. Samozane.

– Je ne le sais que trop, gémit l'autre; il sera très malheureux avec elle.

Cette prédiction ne se réalisera pas, car nous devons avouer au lecteur, que Robert et Odette ont déjà quatre enfants à l'heure qu'il est et ils s'aiment autant qu'au premier jour. Ils ont d'ailleurs bien mérité leur bonheur car, très respectueux des lois de l'Eglise qui maternellement tolère, mais n'autorise pas les unions entre cousins, Odette, Robert et les parents de celui-ci hésitèrent longtemps à enfreindre ces lois; ce n'est qu'après avoir rempli toutes les formalités nécessaires en pareille circonstance et reçu toutes les dispenses voulues, que le mariage fut célébré avec grande pompe; aucune ombre ne vint donc attrister la joie de ce jour; et sans aucun obstacle, les bénédictions du Ciel purent se répandre avec abondance sur les jeunes époux.