La Suisse entre quatre grandes puissances

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4. Le Service de renseignements

4.1. L’organisation du Service de renseignements à l’Etat-major général

Comme nous l’avons vu dans les deux premières parties de ce chapitre, l’organisation du Service de renseignements à l’Etat-major général a connu de nombreux changements. Jusqu’à l’été 1891, il fut centralisé dans une seule subdivision de l’institution.106 L’instruction provisoire de février 1875 l’avait confié à la Section géographique, qui fut scindée en deux à la fin des années 1880 en une Section technique et une Section des renseignements, cette dernière étant chargée du renseignement, de l’étude des armées étrangères et de la géographie militaire.

Le règlement du 11 août 1891 apporta deux modifications.107 La Section technique fut renommée Section géographique. Dans son domaine de compétence, elle reprenait notamment tout ce qui avait trait aux questions de géographie et de topographie militaires. Le changement le plus important fut toutefois la répartition des différentes tâches du Service de renseignements entre les subdivisions du Bureau d’état-major. La division des tâches du renseignement suivit les mêmes modalités que celle de la préparation des plans de concentration, les deux domaines étant étroitement liés. Désormais, chaque section était chargée d’élaborer les documents nécessaires pour l’un ou l’autre des fronts et devait s’occuper de récolter et de gérer les renseignements concernant l’armée et le pays du front correspondant. La Section des renseignements restait responsable pour toutes les armées étrangères, à l’exclusion de l’Allemagne et de l’Italie. Le premier de ces pays relevait de la responsabilité de la Section d’état-major général. Quant à l’Italie, c’était la Section géographique qui en était chargée. Elle avait aussi pour tâche de s’occuper de la collection des informations se rapportant à la géographie militaire.

Deux ans plus tard, cette répartition des activités fut revue une dernière fois pour la période qui nous préoccupe. Le règlement intérieur du 28 novembre 1893 retira le front est et le domaine autrichien à la Section des renseignements pour les confier à la Section tactique.108 Les tâches de renseignement en matière de géographie militaire furent également divisées. La Section géographique vit ses compétences dans ce domaine se restreindre au seul territoire national.

En dehors du Service de renseignements, la Section de renseignements avait d’autres attributions. Le règlement d’août 1891 lui confia des tâches diverses telles que la fortification et la fortification nationale, le génie et le matériel d’artillerie.109 La liste s’allongea, deux ans plus tard, avec une extension des domaines techniques.110 S’occupant déjà de l’artillerie, la Section reçut tout naturellement la mission de traiter les questions liées aux poudres et aux munitions, à la théorie de tir et à la balistique. En 1897, deux autres sphères de compétence importantes relatives au matériel lui furent confiées: l’armement et l’équipement de l’infanterie, ainsi que le matériel de guerre.111

Des domaines d’ordre tout aussi techniques, mais en rapport beaucoup plus étroit avec le renseignement, lui furent également confiés en août 1891, comme les moyens de transmission (télégraphe, transmission optique et pigeons voyageurs) ou d’éclairage, d’écoute et de mesure, ainsi que l’aérostation et la photographie militaire. Les liens que ces questions entretenaient avec le domaine du renseignement étaient doubles. On comprend d’emblée l’intérêt, pour la Section, que revêtaient les systèmes de transmission et d’écoute ou la photographie. Il faut préciser que nombre de ces questions étaient nouvelles et qu’elles découlaient de récents progrès techniques. Leur utilisation à des fins militaires faisait l’objet d’études de la part des armées étrangères et il était intéressant pour l’Etat-major général de connaître les résultats qu’elles avaient obtenus et de les employer pour élaborer la doctrine de l’armée suisse.

Les règlements internes donnent de bonnes indications sur les méthodes de travail employées et le genre de renseignements recherchés par l’Etat-major général.112 En 1874, ce dernier ne savait pas exactement quelles informations il devait collecter et il ne possédait pas de collection documentaire appropriée.113 Dans son programme de travail pour cette année-là, Siegfried écrivait qu’il faudrait définir précisément ce que les officiers suisses devaient connaître des armées étrangères. Il notait également que les études sur les armées allemande et française devaient être complétées et des travaux sur les armées autrichienne et italienne commencés. Il envisageait de charger de ces missions le capitaine William Favre, le colonel Ferdinand Lecomte, le colonel Am Rhyn et le colonel Merian. Le recours à un ancien officier de l’Etat-major général, le colonel Lecomte, montre bien la faiblesse des moyens à disposition de l’institution.

Le Service de renseignements restait cantonné aux aspects strictement militaires. On ne voit pas trace d’intérêt pour les questions économiques, démographiques ou politiques non directement liées au domaine militaire. L’attention portait essentiellement sur les armées et la géographie militaire, avec une focalisation sur les quatre pays voisins. Des renseignements de tout genre étaient collectés sur les armées. Toutefois, l’accent était mis sur les questions organisationnelles et structurelles. Les différentes sections devaient en effet constamment mettre à jour les documents relatifs aux ordres de batailles, aux organigrammes et aux découpages des circonscriptions administratives des corps d’armée. Le commandement des troupes était un autre centre d’intérêt. L’Etat-major général tenait également à jour la liste des officiers supérieurs les plus en vue ainsi que celle des commandants de corps d’armée, avec diverses données personnelles.

En ce qui concerne la géographie militaire, c’était avant tout sur les lignes de communication, routes et voies de chemin de fer, y compris les gares et leurs quais de débarquement, que l’intérêt était porté. Le développement des réseaux devait être suivi avec la plus grande attention et tout changement devait être répertorié. En rapport direct avec les possibilités de communications, l’Etat-major général cherchait aussi des renseignements sur les fortifications ainsi que sur les possibilités de logement et de soutien logistique des troupes dans certaines régions particulières.

4.2. Les méthodes de travail

La méthode de travail employée consistait avant tout à analyser les possibilités de l’adversaire potentiel, plutôt que ses intentions.114 L’importance accordée à la géographie militaire, avec un accent mis sur l’étude des lignes de communication, les sources employées et les moyens à disposition pour obtenir des renseignements, sont en grande partie responsables de ces pratiques. L’Etat-major général se basait en effet sur des publications diverses, livres, actes législatifs ou périodiques, traitant des questions militaires et politiques. Il employait également les rapports des officiers envoyés ponctuellement à l’étranger, pour assister aux grandes manœuvres ou pour effectuer des reconnaissances spéciales.

Ces sources présentaient un grand intérêt, mais aucune d’entre elles ne permettait d’obtenir des renseignements précis et continuels offrant la possibilité de saisir les intentions des principaux dirigeants politiques et militaires des pays voisins. Les méthodes employées pour pallier ces carences donnèrent peu de résultats. La prise en compte de déclarations publiques ou d’écrits de personnages de seconde importance contribua le plus souvent à fausser les analyses de l’Etat-major général. Quant à la méthode historique, son emploi ne fut pas des plus judicieux. Dans les études sur la menace française, par exemple, le souvenir des ambitions expansionnistes des périodes impériales plomba littéralement la réflexion de l’institution. Dans la deuxième partie de notre étude, nous en verrons quelques exemples, ainsi que les problèmes qui en découlèrent pour la planification de la mobilisation et de la concentration de l’armée.

Les insuffisances du Service de renseignements étaient connues de l’Etat-major général et tant Pfyffer que Keller ont cherché à y remédier.115 Les difficultés pour parvenir à mettre sur pied un service véritablement efficace étaient nombreuses. La première résidait dans le manque de moyens à disposition. Outre l’aspect financier, c’était l’absence d’une structure permanente, organisée dès le temps de paix avec un personnel suffisant, qui était soulignée. Keller le regrettait d’autant qu’il considérait que le renseignement était un domaine de la défense plus difficile à organiser que les autres. De la faiblesse de la structure et de sa jeunesse découlaient des problèmes d’organisation, de méthodes et de possibilité de travail. L’Etat-major général mit du temps à se constituer une banque de données utilisable pour ses activités. L’archivage et le classement des documents selon des critères fonctionnels n’allaient pas de soi. Jusqu’en 1875, moment de la réorganisation de l’Etat-major général par Siegfried, les mémoires concernant la géographie militaire, réalisés dans le cadre de l’institution, étaient rangés dans l’ordre où ils avaient été écrits.116 A partir de cette date, les suivants ont été classés par secteurs géographiques. Par ailleurs, même les documents présentant la plus haute importance n’étaient pas systématiquement conservés. Ainsi, lorsqu’en 1895 Keller voulut se documenter sur le problème de la neutralisation de la Savoie, il ne retrouva pas les plans d’occupation élaborés par le général Herzog au cours de l’hiver 1870–1871 et il dut faire recopier le manuscrit qui se trouvait entre les mains de la famille de ce dernier.117

 

Le deuxième problème était lié au faible développement des réseaux d’agents en Suisse et à l’étranger. A la fin du XIXe siècle, la Suisse ne possédait pas de véritable réseau diplomatique dont le personnel aurait pu être employé en tant qu’agents de renseignement.118 Elle n’entretenait qu’un nombre restreint de diplomates, consuls ou ministres, et ne disposait pas d’attachés militaires. Les renseignements fournis par ces personnes ne présentaient, le plus souvent, qu’un intérêt très limité au point de vue militaire même si, à certaines occasions, ils purent avoir une importance significative. Enfin, se posait un dernier problème, d’ordre culturel. La Suisse ne possédait aucune culture politique en matière de renseignements et ne comprenait pas les pratiques des services des grandes puissances, notamment le secret des activités. A l’instar de ce qui se passait dans le domaine de la diplomatie, peu de dirigeants suisses comprenaient que, pour être efficace, un service de renseignements helvétique devait être constitué selon les mêmes principes que ceux des grands Etats.

4.3. Le Service de renseignements en Suisse

Au début de l’année 1892, le Bureau d’état-major reçut la compétence d’organiser un Service de renseignements en Suisse, dans les régions frontière du pays.119 En raison du manque de moyens, on pensa à utiliser les services des employés de la Confédération en poste dans les régions limitrophes du pays: personnel de la poste et des douanes, gardes-frontière. Le système se mit en place dans les semaines suivantes; le territoire fut divisé en secteurs. Les premiers rapports arrivèrent au début du mois de mai de la même année.

Si le Service a fourni un certain nombre de résultats, par ailleurs fort difficiles à estimer vraiment en raison de l’état de conservation des archives, il a aussi posé des problèmes. Les fonctionnaires devaient en effet remplir, en même temps, leur fonction d’employé de telle ou telle administration et remplir des missions pour le compte du Service de renseignements. En 1898, le premier-lieutenant Dupraz, chef du corps des gardes-frontière, a envoyé à la Direction des douanes de Lausanne une lettre dénonçant les problèmes et les risques qui découlaient de cette situation. Il mentionnait que certains de ses agents, habillés en civil, étaient allés chercher des renseignements en territoire français pendant leurs heures de travail. Dupraz soulignait le fait que ses agents n’avaient pas rempli leur mission première et mettait en garde contre les risques diplomatiques qui pouvaient découler de ces pratiques, en cas de capture en pays étranger.

Le Service de renseignements de l’Etat-major général était conscient de ces difficultés. Il en tint compte lorsqu’il voulut étendre son réseau d’agents aux polices cantonales.120 Il insista sur le fait que les activités de renseignement ne devaient pas porter préjudice aux activités normales des services. De son côté, la Direction des douanes, principale administration concernée par la question, a pris des mesures pour faire face à la situation. En août 1902, elle a émis une instruction réglementant le service de renseignements des gardes-frontière.

L’Etat-major général, qui ne disposait d’aucun service de contre-espionnage, chercha à combler cette lacune qui avait déjà été signalée par le major Strohl en 1891.121 L’Etat-major général savait que les pays voisins, particulièrement l’Allemagne, disposaient de réseaux d’agents composés de nationaux vivant sur le territoire helvétique. Il ne possédait en revanche aucune information précise sur ces personnes et cherchait à les surveiller. Sans moyens matériels ou humains suffisants, le Service de renseignements ne pouvait qu’exploiter certaines occasions particulières. Ainsi, Strohl souhaitait profiter du changement d’attaché militaire allemand en Suisse. Il voulait surveiller le nouveau diplomate, car il pensait que ce dernier ferait la tournée de ses agents, ce qui permettrait de les découvrir.

En 1896, le Service de renseignements du Bureau d’état-major prit contact avec les polices cantonales, dans le but de bénéficier d’une collaboration de ces administrations en matière de contre-espionnage.122 L’Etat-major général voulait que les polices cantonales surveillent les personnes soupçonnées d’espionnage vivant en Suisse ainsi que les lâchers de pigeons voyageurs. Cette pratique était en effet interdite pour les pigeons étrangers depuis l’émission d’une circulaire par le Département militaire fédéral le 14 août 1890. Dans la zone frontière, les polices cantonales avaient aussi pour tâche de collecter des renseignements à l’étranger concernant les constructions en matière de voies de communication et de fortifications. Elles devaient encore signaler les mouvements de troupes repérés et donner des indications sur les personnes de confiance susceptibles de travailler en tant qu’agents de renseignement pour le compte de l’Etat-major général.

La documentation archivistique ne permet pas d’évaluer le fonctionnement de ce Service qui employait des fonctionnaires fédéraux et des fonctionnaires cantonaux. Nous possédons cependant une appréciation faite par Keller dans son mémoire de 1901 sur le Service de renseignements.123 Il considérait que cette structure avait fonctionné de manière passable, d’autant qu’elle n’avait pas nécessité de dépenses. Elle avait tiré toute sa force de la collaboration entre employés de l’administration.

4.4. Le Service de renseignements à l’étranger

L’absence d’un réseau d’agents de renseignement à l’étranger s’est fait sentir tout au long de la période étudiée. Dès 1886, au moment de la grave crise de l’affaire Boulanger, Pfyffer a signalé le problème au Département militaire fédéral et souligné la nécessité de disposer, en temps de guerre, d’agents à l’étranger, capables de fournir rapidement des informations d’ordre militaire.124 Ce service devait être organisé dès le temps de paix, en recrutant des Suisses vivant dans les pays voisins.

Cette initiative de Pfyffer avait des ambitions limitées et elle ne visait pas la création d’un véritable service de renseignements. Tout d’abord, les réseaux d’agents se limitaient aux régions frontière de la Suisse. Ensuite, Pfyffer préconisait de se concentrer sur la collecte de renseignements spécifiques: mouvements et concentrations de troupes, état des stocks de matériel de guerre et d’approvisionnement, matériel ferroviaire. En outre, il ne prévoyait pas de voie de transmission précise pour l’acheminement des informations, se contentant de mentionner qu’il faudrait les faire transiter par un Etat tiers neutre, à l’instar des pratiques des agents allemands au cours de la guerre de 1870–1871, qui avaient fait passer leurs informations par Londres.

La démarche de Pfyffer ne déboucha sur aucune réalisation concrète, même si le Conseil fédéral accorda un crédit de 1000 francs inscrit dans le poste «Imprévus» du budget.125 Dès lors, avant même sa nomination officielle à la tête du Bureau d’état-major, Keller dut reprendre la question d’une manière plus détaillée.126 Il proposa d’emblée de mandater rapidement un officier pour réaliser un projet. Ce fut le major Strohl qui reçut la mission. Il travailla sur les bases données par le chef de l’Etat-major général en ce qui concernait les agents et le genre d’informations à recueillir. Strohl remit deux rapports au cours du mois de février 1891.127 Le dernier, une fois mis au propre, fut transmis au chef du Département militaire fédéral. Comme Pfyffer et Keller, Strohl insistait sur la nécessité de constituer un réseau d’agents dès le temps de paix. En raison de l’absence de moyens financiers, il renonçait à recruter des espions qui auraient dû être rémunérés. Les seuls agents envisagés étaient donc le personnel diplomatique, les officiers envoyés en mission et des Suisses habitant à l’étranger ou y faisant des séjours de longue durée.

Diverses modalités de recrutement ont été étudiées. Certaines d’entre elles montrent le peu d’expérience de l’Etat-major en la matière, ainsi qu’une certaine naïveté. Finalement, une solution restrictive, garantissant davantage la qualité des agents et, aussi, leur sécurité, fut retenue. Les nouveaux agents devaient être recrutés par l’intermédiaire d’officiers de l’Etat-major général ou de camarades ayant la confiance du Service de renseignements, peu de temps avant leur départ pour l’étranger. Conscient du temps qu’il faudrait pour constituer un véritable réseau dans chacun des pays voisins, Strohl insistait sur la nécessité de commencer immédiatement le recrutement. Selon lui, l’essentiel était de mettre rapidement en place les noyaux de structures permettant de développer ultérieurement les réseaux.

Le Service devait être implanté dans les quatre pays voisins et structuré en districts. Pour l’Italie, l’Allemagne et l’Autriche, la structure était purement géographique. En ce qui concernait la France, elle correspondait aux circonscriptions des corps d’armée. Pour chaque district, Strohl préconisait de mettre en place un agent de liaison chargé de transmettre les ordres et les informations du Service de renseignements aux différents agents sur place, de les visiter régulièrement et de stimuler leur activité.

Tableau 3: Structure en districts du Service de renseignements à l’étranger


Le document de Strohl montre à quel point le Service de renseignements manquait de moyens et d’expérience en matière de techniques et de procédures de travail. L’Etat-major général ne disposait pas de procédés de cryptage adapté à la transmission des informations fournies par les agents. Ce fut le savoir-faire de la milice qui permit de trouver une solution. Strohl, travaillant dans une maison de commerce bâloise, reprit les procédures employées couramment par sa firme pour les transmissions par télégraphes. Les modalités d’acheminement des messages posèrent également des difficultés. Au début, on pensa utiliser comme boîtes aux lettres des maisons de commerce internationales ayant leur siège à Berne et dirigées par des officiers suisses. Finalement, ce moyen ne fut pas jugé suffisamment sûr. Strohl proposa de créer des adresses fictives et de mettre dans la confidence certains hauts fonctionnaires de la poste suisse, qui retransmettraient ensuite directement les courriers au Service de renseignements.

La procédure de recrutement des agents était tout aussi symptomatique de l’inexpérience de l’Etat-major général. Le Service devait fonctionner avec l’aide des nationaux vivant à l’étranger. Un premier vivier de recrutement était constitué par les Suisses installés et travaillant pour de longues périodes dans les pays voisins. Un second comprenait les officiers effectuant des séjours à l’étranger, par exemple des commerçants ou des étudiants perfectionnant leur formation. Il fut envisagé de contraindre tous ces officiers à travailler pour le Service de renseignements, en ne leur délivrant leur congé militaire qu’en contrepartie d’un engagement à fournir toutes les informations qu’ils pourraient obtenir. Ce service serait par ailleurs noté et servirait pour un avancement futur. On se rendit vite compte que cette manière de faire manquerait d’efficacité et qu’elle ne garantirait pas le maintien du secret. Aussi l’abandonna-t-on au profit d’une procédure de sélection plus discrète et sélective.

C’est toutefois la manière de rétribuer les agents qui révèle vraiment la pauvreté des moyens à disposition de l’Etat-major général. Nous avons déjà vu que, pour des raisons financières, on renonça à employer les services d’espions. En ce qui concerne les agents, les moyens de rémunération étaient aussi limités. En dehors du remboursement des frais, il était envisagé de les exonérer, partiellement ou totalement, de la taxe militaire qu’ils devraient payer du fait de leur séjour à l’étranger!

Il est difficile d’estimer dans quelle mesure l’Etat-major général parvint à mettre en place les réseaux prévus d’agents à l’étranger. Une chose est sûre, ils manquèrent d’efficacité, notamment pour le front sud. Dès 1893, le Département militaire fédéral dut se tourner vers le Département politique pour lui demander si la Légation suisse à Rome pouvait fournir des renseignements sur l’armée italienne.128 Elle se montra tout à fait disposée à entamer une collaboration avec l’Etat-major général et proposa de lui fournir les différents textes législatifs et leurs projets, les catalogues des publications militaires et les principaux ouvrages publiés, ainsi que les diverses informations fournies par le ministère de la Guerre. Le mémoire de Keller de 1901 souligna par ailleurs que nombre de réalisations prévues n’avaient pas été menées à terme et que le service des agents fonctionnait très mal.129 Pour remédier aux défaillances du réseau chargé du front sud, un service plus important fut mis en place à partir de 1905.130