La Suisse entre quatre grandes puissances

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2.5. La concentration

Une fois les états-majors et les corps de troupes mobilisés, il restait encore à réaliser deux opérations avant que l’armée ne fût en mesure de commencer des opérations. Il fallait tout d’abord constituer les grandes unités, puis les concentrer dans la région voulue. Ces activités nécessitaient de nombreux transports par chemin de fer et, par conséquent, une planification détaillée. Si cette dernière était indispensable, elle faisait toutefois courir deux risques. Le premier résidait dans le fait qu’elle était rigide et ne pourrait être adaptée, en cours d’exécution, à des circonstances imprévues. Cette rigidité amenait à ne déclencher la concentration qu’en cas de certitude par rapport à l’ennemi. Le deuxième problème, qui découlait du précédent, tenait au fait que la situation stratégique internationale, une fois la mobilisation terminée, ne serait pas forcément claire. Il n’y aurait peut-être pas d’ennemi déclaré ou de menace directe suffisante. Dès lors, le haut commandement ne serait peut-être pas en mesure de décider contre qui la concentration devrait s’effectuer. Cette incertitude pourrait, par ailleurs, durer des jours, voire davantage. La situation pouvait devenir délicate pour l’armée, car le dispositif de mobilisation ne permettait pas de faire vivre les troupes durant une période relativement longue. Il pouvait aussi être dangereux de rester ainsi, avec des troupes dispersées. Une attaque brusque et imprévue pourrait avoir lieu et prendre par surprise l’armée, avant qu’elle n’ait le temps de se concentrer.

Pfyffer et Keller étaient conscients de ces problèmes et ils ont cherché des solutions. Le premier a établi, en plus des plans de concentration faisant face aux quatre voisins de la Suisse, un plan de concentration intermédiaire («unpräjudizierlichen ersten Aufmarsch»).183 Ce plan était valable tant que l’ennemi n’était pas connu et, comme son nom l’indique, il ne devait pas être préjudiciable à une concentration ultérieure contre quelque adversaire que ce fût. Pour ce faire, Pfyffer voulait adopter un dispositif permettant de couvrir certains secteurs particulièrement vulnérables de la frontière et occuper la position stratégique du St-Gothard, tout en permettant une concentration ultérieure rapide sur l’un des fronts. Il faisait prendre le dispositif suivant à ses huit divisions:

– 1ère Division: canton de Vaud

– 2e Division: canton de Neuchâtel et Jura bernois

– 8e Division: St-Gothard

– 3e, 4e, 5e, 6e et 7e Divisions: région Olten–Brugg–Zurich

Après la mort de Pfyffer, le nouveau chef du Bureau d’état-major changea les modalités de la concentration.184 Jusqu’au début des années 1890, celle-ci s’opérait en concentrant les corps de troupes directement à partir des places de rassemblement de corps. Avec la création des corps d’armée, cette manière de faire n’était plus possible. Désormais, les divisions et les corps d’armée étaient d’abord constitués puis, une fois cette opération terminée, concentrés. Cette nouvelle procédure était beaucoup plus souple que l’ancienne. Les divisions organisaient elles-mêmes leurs transports de concentration. Le Bureau d’état-major ne devait plus s’occuper des documents concernant les nombreux corps de troupes qui les composaient et se limitait à préparer les transports à l’échelon divisionnaire. En revanche, le nouveau système était un peu plus lent que l’ancien. Keller ne voyait cependant pas un inconvénient notoire dans la journée de retard découlant des nouvelles modalités de concentration. Il ne s’attendait en effet pas à devoir faire face à des pénétrations importantes de forces ennemies dans les premiers jours de mobilisation et considérait que les détachements de surveillance seraient suffisants pour faire face à des incursions de petits détachements.

Le nouveau système fut, pour l’essentiel, mis en place assez rapidement. Toutefois, Keller apporta de nombreux changements dans les détails des dispositifs. De plus, il réalisa une distinction entre les modalités de concentration opérée directement avec les divisions ou avec les corps d’armée constitués. Ces derniers ne devaient en effet être rassemblés avant la concentration que si le temps le permettait. Il s’agissait de déplacer certaines troupes des divisions, de manière à accélérer les transports de concentration. Une fois les corps d’armée constitués, l’armée se trouvait dans un dispositif dit de mobilisation («Mobilmachungsaufstellung»). Ces travaux d’organisation des grandes unités devaient être terminés, pour les troupes les plus lentes, au matin du sixième jour de la mobilisation. L’armée pouvait alors soit être concentrée sur l’un ou l’autre des fronts, soit prendre un dispositif de concentration intermédiaire au cas où la menace ne serait pas clairement définie. Ce dispositif de mobilisation, à la fin des années 1890, était le suivant:

– Ier Corps d’armée

Etat-major: Fribourg

1ère Division: région Lausanne–Morges–Echallens

2e Division: région Cerlier –Aneth–St-Blaise

Les bataillons jurassiens: Tavannes–Tramelan

Les Bataillons neuchâtelois 19 et 20: Colombier

Troupes de corps: région Moudon–Morat

– IIe Corps d’armée

Etat-major: Berne

3e Division: région Berne–Münchenbuchsee–Muri

5e Division: région Aarau–Olten–Liestal

Troupes de corps: Berthoud et Wangen

– IIIe Corps d’armée

Etat-major: Zurich

6e Division: région Oerlikon–Winterthour

7e Division: région Wil–Frauenfeld

Troupes de corps: région Altstetten–Uster

– IVe Corps d’armée

Etat-major: Lucerne

4e Division: région Huttwil

8e Division: répartie en 4 groupes à Airolo, Brigue, Biasca et Coire

Troupes de corps: près du lac de Sempach, de Wolhusen et Hochdorf

Par ailleurs, Keller établit de nouveaux plans de concentration intermédiaire.185 Dans la seconde moitié des années 1890, il étudia deux dispositifs qu’il nomma «Armeeaufmarsch Ia» et «Armeeaufmarsch Ib». La réflexion du chef du Bureau d’état-major l’avait conduit à la conclusion qu’un regroupement plus serré de l’armée ne pouvait avoir lieu que dans la région de Lucerne. Cette solution, idéale, présentait toutefois un caractère trop théorique. Elle avait en effet le désavantage d’éloigner l’armée de la frontière. De plus, elle ne tenait pas compte de l’importance relative des menaces, ni des différences géographiques de chacun des fronts. Keller considéra que la frontière est était peu menacée et que celle avec l’Italie était défendue par un terrain très «fort», où les troupes de la 8e Division et celles des fortifications seraient suffisantes. Il ne restait donc plus que deux variantes pour les fronts ouest et nord. Le premier dispositif devait être pris en cas de menace française, hypothèse considérée comme la plus probable («Armeeaufmarsch Ia») et le second si le commandant en chef s’attendait à une attaque allemande («Armeeaufmarsch Ib»). La décision revenait à celui-ci, en fonction de la situation politico-militaire du moment.

Dans la variante Ia, le Ier Corps d’armée restait en Suisse romande. La 1ère Division devait se retirer sur le plateau d’Echallens, le gros de la 2e Division avancer depuis le canal de la Thielle en direction du Val-de-Ruz et les troupes de corps s’installer dans la région de Payerne. Le IIe Corps d’armée devait prendre position sur la ligne Soleure–Berthoud, à l’exception des troupes mobilisées dans le canton de Bâle, qui devaient rester dans cette région. Le IIIe Corps d’armée se déplaçait vers l’ouest en installant sa 6e Division à Brugg et sa 7e à Winterthour, mais laissait les troupes de corps à Zurich. Enfin, le IVe Corps d’armée maintenait la 8e Division sur le front sud, tandis que la 4e se déplaçait à Langenthal et les troupes de corps à Huttwil.

Dans la variante Ib, le Ier Corps d’armée restait en place en Suisse romande. Le IIe Corps d’armée s’installait entre Olten et Zofingue, tout en détachant des troupes près de Liestal. Le IIIe Corps d’armée se trouvait dans la région zurichoise, avec un détachement à Winterthour. Enfin, le IVe Corps d’armée laissait sa 8e Division sur le front sud, tandis que la 4e Division se déplaçait à Brugg.

Après 1900, Keller apporta des changements de détail à ces différents plans.186 Le dispositif de mobilisation du IVe Corps d’armée connut toutefois des modifications significatives. De plus, Keller se mit à travailler aux dispositifs de mobilisation particuliers («besondere Mobilmachungsaufstellung»), relatifs à chacun des quatre fronts. Ces derniers devaient être pris si l’adversaire était connu d’emblée. Les troupes devaient prendre directement leur dispositif au moment de la mobilisation, sans passer par un quelconque dispositif intermédiaire. Le but était de gagner du temps, d’éviter les déplacements inutiles et de réaliser immédiatement un effort principal sur la frontière menacée. La mise en place des détachements de surveillance de la frontière était également fonction de la menace, seuls ceux des fronts menacés s’installant dans leur dispositif. Ces dispositifs particuliers de mobilisation ne doivent pas être confondus avec les dispositifs de concentration en cas de guerre directe, contre un adversaire connu. Alors que les opérations de mise en place de ces derniers ne pouvaient être modifiées, celles concernant les premiers pouvaient être arrêtées.

 

A la fin de l’ère Keller, les modalités de la mobilisation étaient devenues très complexes et les différents plans d’application, avec toutes leurs variantes, particulièrement nombreux.187 Cette complexité était admise par Keller qui avoua qu’un successeur ou un remplaçant aurait de la peine à se retrouver dans la masse de documents. Un autre désavantage résidait dans la difficulté à tenir à jour l’ensemble des documents. Ceux-ci devaient être adaptés ou refaits chaque année, dans leurs différentes variantes, en raison des changements dans l’organisation des troupes, des chemins de fer ou des infrastructures cantonales. Il s’agissait d’un travail qui devait être réalisé par les différents chefs de section du Bureau d’état-major, ce qui représentait une charge considérable. L’expérience avait, en effet, montré que ces travaux ne pouvaient être réalisés par des officiers effectuant leur service à l’Etat-major. Ils ne restaient pas assez longtemps en place pour avoir l’aisance nécessaire dans ces activités.

Ce constat fut partagé par le successeur de Keller, von Sprecher. Trouvant le système de mobilisation beaucoup trop compliqué, il informa, peu de temps après son entrée en fonction en 1905, la Commission de défense nationale qu’il voulait revenir à un système unique. Keller, lui-même, avait d’ailleurs voulu remédier à ce problème. Il avait l’intention de mettre en place un nouveau système beaucoup plus simple, mais il n’eut pas le temps de réaliser ce projet durant l’année et demie qu’il resta encore à la tête du Bureau d’état-major. Par ailleurs, dès 1904, il eut l’intention d’organiser, à l’Etat-major général, des exercices de mobilisation et de concentration. Ces exercices devaient familiariser les différents membres de l’institution avec les quatorze (!) situations différentes de mobilisation. Afin de faciliter les activités de ses subordonnés et de son éventuel successeur lors d’une mobilisation, Keller prévoyait également de rédiger un aide-mémoire pour chacun de ces cas, dans lesquels seraient inscrits les procédures de travail ainsi que les documents à employer.

CHAP. III: Les officiers d’état-major général: formation, activités
1. La formation

1.1. Le recrutement, les effectifs et la répartition au sein des différents états-majors

La loi sur l’organisation militaire de 1874 prévoyait de former, indépendamment de la Section des chemins de fer dont nous parlerons ultérieurement, un corps pour le service d’état-major général composé de 3 colonels, 16 lieutenants-colonels ou majors et 35 capitaines.188 Ces officiers étaient nommés par le Conseil fédéral après avoir suivi avec succès la première Ecole d’état-major général. Les candidats étaient de jeunes officiers, capitaines ou premiers-lieutenants n’ayant pas encore accompli une école de recrues comme commandant d’unité, proposés par l’instructeur en chef, le chef d’arme, un des commandants de division et, à partir de 1891, de corps d’armée.

Les officiers d’état-major général devaient être répartis à l’Etat-major général et dans les états-majors des grandes unités, brigades, divisions, puis, à partir de 1891, corps d’armée, ainsi que dans des états-majors spécifiques comme ceux des fortifications, des villes frontière et des troupes de landwehr. Cette répartition se faisait par le Département militaire fédéral sur proposition du chef du Bureau d’état-major.189 La principale fonction qu’ils assumaient était celle de chef d’état-major. Toutefois, d’autres officiers EMG étaient incorporés dans les états-majors des corps d’armée et des divisions pour remplir les tâches du service d’état-major général.

La nouvelle loi apportait des changements considérables par rapport à l’ancienne organisation de l’Etat-major fédéral, notamment du fait de la suppression des différents états-majors spécifiques: états-majors du génie, de l’artillerie, du commissariat, etc.190 En ce qui concernait le personnel, une des premières tâches du Département militaire fédéral consista à régler la situation des officiers appartenant à ces différents états-majors, dont la carrière avait été, jusqu’alors, régie par la loi sur l’organisation militaire du 8 mai 1850. Les officiers désirant quitter l’Etat-major général purent le faire, à condition d’en présenter la demande jusqu’à la fin du mois de janvier 1875. Pour les autres, seuls restèrent incorporés dans la nouvelle structure ceux qui étaient âgés de moins de quarante-quatre ans et ceux, plus âgés, qui recevraient une «invitation à cet effet du Conseil fédéral et qui déclarer[aient] vouloir y donner suite». Le Conseil fédéral accorda leur démission à cinquante-six officiers d’état-major, quatre commissaires d’ambulance et un secrétaire d’état-major.191 Pour le personnel des chemins de fer de l’Etat-major général, la décision fut prise ultérieurement, le Bureau d’état-major recevant la mission de s’occuper de la question.192 Siegfried présenta une solution en septembre 1876 et le Conseil fédéral prit sa décision au début du mois suivant. Dès le début, les effectifs prévus par la loi s’avérèrent insuffisants pour assumer toutes les fonctions.193 Une fois les officiers répartis à l’Etat-major de l’armée et dans les états-majors des grandes unités, il ne restait plus qu’une réserve très faible, comme le montre l’exemple ci-dessous d’un projet d’organisation de 1874. Les quelques officiers EMG restant n’étaient pas assez nombreux pour remplir toutes les tâches qui pouvaient leur être attribuées en plus.

Tableau 5: Attribution des officiers EMG (projet d’organisation, 1874)


La constitution des corps d’armée en 1891 et le développement, plus général, des états-majors firent augmenter les besoins, particulièrement pour les grades les plus élevés.194 Ce développement ne fut toutefois pas aussi important que ce que Keller souhaitait. Le nombre d’officiers EMG à disposition ne permettait en effet pas de satisfaire des besoins supplémentaires et des compromis devaient être trouvés dans la répartition des postes.195 De plus, certains militaires, notamment Wille, ne voyait pas forcément d’un bon œil une augmentation de la présence des officiers EMG au sein des états-majors des grandes unités. Ainsi, lorsque Keller lui demanda son avis à propos de l’attribution d’un officier EMG dans l’état-major de chaque brigade de cavalerie, il répondit que cette mesure n’était «pas très urgente» et la question fut mise de côté.

Les effectifs prévus par la loi de 1874 étaient insuffisants pour remplir toutes les nouvelles fonctions. Le projet de loi sur l’organisation militaire de 1895 aurait dû résoudre le problème. Il prévoyait d’augmenter, certes de manière modeste, les effectifs du corps d’état-major, en doublant le nombre de colonels (6 au lieu de 3) et en créant 3 postes supplémentaires de lieutenants-colonels ou de majors.196 Malheureusement, il fut rejeté en votation populaire. Vers la fin de sa période à la tête du Bureau d’état-major, Keller pensait que les effectifs devraient comprendre 80 officiers pour l’Etat-major général.197 Ces chiffres correspondaient aux besoins de l’institution et étaient un peu supérieurs à ceux de ses effectifs réels. En ce qui concerne l’«Eisenbahnstab », Keller pensait que 40 officiers seraient suffisants, soit un peu moins que les effectifs réels du moment. La loi sur l’organisation militaire de 1907 ne donne aucun chiffre quant aux effectifs du corps d’état-major général. On ne voulait plus être lié à un texte législatif aussi rigide et difficile à modifier que la loi sur l’organisation militaire.

Tableau 6: Besoins en officiers EMG vers 1900198


Les effectifs du corps d’état-major général prévus par la loi ont donc été globalement insuffisants durant l’ensemble de la période étudiée.199 Les chiffres réels montrent par ailleurs que l’on eut de la peine à atteindre ces effectifs théoriques. Jusqu’en 1883, le corps d’état-major général disposa au mieux de 52 officiers. Ensuite, et jusqu’à la fin de la décennie, il compta quelques cadres excédentaires. A partir de 1890, le nombre d’officiers EMG augmenta de manière régulière et significative pour atteindre un pic en 1895 (85 officiers). Cette augmentation fut toutefois en partie absorbée par la création des corps d’armée qui nécessita de nouveaux besoins. Elle apparaît aussi sans doute comme un révélateur de la volonté du nouveau chef de l’Etat-major général de résoudre le problème des effectifs et de développer les activités de l’institution. C’est, en effet, sous son influence que les travaux d’état-major furent menés plus à fond et dans le détail. Dès le milieu des années 1890, les effectifs baissèrent toutefois fortement: on ne trouve plus que 70 membres dans le corps de l’état-major général en 1896 et même 60 en 1897. Cette diminution de près de 30 pour cent était la conséquence de l’arrêté fédéral du 20 mars 1895 prescrivant le transfert obligatoire à la troupe des officiers EMG quatre ans après leur entrée dans l’institution. Les années suivantes sont marquées par un renforcement et une stabilisation des effectifs légèrement au-dessus de 70 officiers. Cette dernière ne fut cependant pas immédiate, le nombre d’officiers EMG connut encore deux brusques baisses importantes en 1900 et en 1904.


Illustration 8: Incorporations des officiers de l’Etat-major général en 1889. Archives fédérales.


Graphique 1: Effectifs du corps d’état-major général (Etat-major général).

Le corps d’état-major général disposa généralement d’un nombre d’officiers à partir du grade de major égal ou supérieur aux effectifs prévus par la loi. En revanche, pour les capitaines, les effectifs légaux furent rarement atteints. Jusqu’en 1892, il manquait, chaque année, globalement, un tiers des capitaines prévus. Ensuite, la situation s’améliora, même si les capitaines continuèrent à être en sous-effectifs. On manquait, annuellement, de trois à quatre officiers de ce grade. La raison de cette nette amélioration doit sans doute être vue dans la division de l’Ecole I en deux cours séparés, se déroulant généralement sur deux ans. Cette mesure allégea en effet considérablement le poids des obligations des candidats à l’Etat-major général.

Ces chiffres montrent qu’il existait un problème de recrutement. Le vivier constitué par les capitaines était généralement suffisant pour alimenter les grades supérieurs. En revanche, il y avait des difficultés à recruter de nouveaux officiers, les candidatures se faisant sur la base du volontariat. La charge représentée par les dix semaines consécutives du cours de formation I constituait un obstacle pour de nombreux officiers jusqu’au début des années 1890. Ce phénomène ne touchait pas seulement les officiers de milice, exerçant des professions indépendantes ou subissant la pression de leur employeur.200 Même les instructeurs, surchargés de travail, devaient renoncer ou demander des dispenses pour raisons professionnelles. Les demandes de dispense étaient fréquentes et le nombre de candidats incertain jusqu’au dernier moment. Le nombre d’entrées en service effectives était souvent nettement inférieur à celui des officiers convoqués. L’exemple le plus significatif est celui du printemps 1890 où seuls 14 officiers entrèrent en service sur les 46 annoncés.201 Enfin, certains officiers admis dans le corps d’état-major général devaient le quitter en raison de l’opposition de leur employeur qui considérait que les obligations militaires de leur employé seraient trop lourdes.202

 

La sélection des candidats était par ailleurs très sévère; nombre d’entre eux, ayant suivi ou non les cours, n’étaient finalement pas admis au sein du corps d’état-major général. Les critères de sélection prenaient en compte les qualités d’intelligence et de caractère, de culture générale, de résistance physique, ainsi que l’éducation et la sociabilité. En 1876, Siegfried, dans une lettre adressée aux chefs d’arme, aux divisionnaires et aux instructeurs en chefs, définissait ainsi les qualités requises pour les candidats à la formation d’état-major général:203

«1° Goût prononcé pour le service militaire, possibilité de disposer de son temps en vue d’un appel fréquent au service et de travaux militaires en dehors du service.

2° Bonne santé, aptitudes physiques pour supporter les fatigues d’une campagne et la continuité des travaux de bureau. Etre cavalier expérimenté.

3° Caractère ferme et droit, inspirant confiance, éducation soignée, discrétion, tact, énergie, commerce facile.

4° Ecriture lisible, facilité de rédaction, écrire correctement l’une des langues nationales et comprendre un exposé français et allemand. Connaissances des règlements militaires et être convenablement versé dans les sciences historiques, géographiques et mathématiques élémentaires.»

De son côté, Keller insistait sur les qualités de caractère des officiers EMG. Dans son article de 1880 sur le Service d’état-major, il faisait le portrait de l’officier d’état-major général idéal.204 Ce dernier devait avoir beaucoup de tact, aussi bien avec les officiers, qu’ils soient EMG ou non, qu’avec la troupe et également être un bon camarade. De contact facile, il devait être capable de créer un climat de travail serein et de collaborer avec d’autres autorités militaires, tant cantonale que fédérale. Keller soulignait un point important. L’officier d’état-major général n’était pas un commandant. A ce titre, il ne devait pas s’immiscer dans les décisions du commandement. Son rôle se limitait à celui d’un conseiller et ses qualités premières étaient le sens des responsabilités et la confiance que l’on pouvait avoir en lui.

Les exigences étaient donc élevées, surtout aux niveaux de la personnalité et de la formation intellectuelle. La préférence était ainsi donnée aux candidats ayant une formation universitaire. Les jeunes officiers ne répondaient pas toujours à toutes ces exigences. Un colonel aussi distingué que von Sprecher regrettait, en 1892, que les candidats ne possèdent pas les qualités requises.205 Il les jugeait médiocres, manquant de culture générale, de connaissances de langues étrangères et d’aisance en matière de comportement en société. Ces propos sont sans doute exagérés et mériteraient d’être nuancés, comme le montrent notamment les rapports des attachés militaire français et les appréciations du 2e Bureau de l’Etat-major de l’armée qui soulignent la qualité des officiers EMG suisses.206 L’avis de von Sprecher indique toutefois que les candidats étaient évalués et sélectionnés avec rigueur. De plus, des considérations d’ordre administratif entraient également en ligne de compte. Comme nous l’avons vu, les candidats devaient avoir l’approbation des officiers les plus élevés de la hiérarchie militaire: instructeur en chef, chef d’arme, commandant de division ou de corps d’armée. Il y avait également, à qualification égale, priorité au grade supérieur. Ainsi, un capitaine pouvait être préféré à un premier-lieutenant s’il ne restait plus qu’une place libre à l’Ecole d’état-major général. Suivre le cours EMG I ne donnait par ailleurs aucune garantie d’entrer au sein du corps d’état-major général. Par exemple, en 1893, Keller estimait, après six semaines de cours, que plus de la moitié des candidats pouvaient entrer en ligne de compte pour un transfert ultérieur à l’Etat-major général.207 Même les officiers instructeurs étaient soumis à cette sélection et seuls les officiers qui le méritaient étaient définitivement acceptés dans l’institution.208

Graphique 2: Effectifs du corps d’état-major général (Section des chemins de fer).

De leur côté, les officiers de la Section des chemins de fer étaient sélectionnés parmi les employés d’administration et d’exploitation des entreprises de transport ferroviaire.209 S’occupant des questions très techniques de l’emploi du réseau ferré en cas de guerre, ils formaient un groupe à part au sein de l’Etat-major général. Leur nombre a été très stable, un peu moins de vingt, jusqu’à la fin des années 1880. Ensuite, comme pour l’Etat-major général, il a augmenté dans les premières années de l’ère Keller. Après une baisse en 1897, les effectifs ont encore crû, mais de manière plus lente, à partir de la seconde moitié des années 1890. Finalement, en une dizaine d’années, les effectifs de la Section des chemins de fer ont plus que doublé et ont fini par dépasser largement les quarante officiers.

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