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Lettres à Mademoiselle de Volland

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C'est lui qui m'a amené ici Nous y attendons Saurin, qui n'est pas encore venu; cela me fait craindre que Mme Helvétius ne soit fort mal; elle a quitté la campagne pour faire ses couches à Paris, et la voilà non accouchée et attaquée d'une fièvre putride. C'est une femme très-aimable, qui s'est fait un caractère qui l'a affranchie au milieu de ses semblables, toutes esclaves. Saurin m'a consulté sur le plan d'une pièce. Je l'ai renversé d'un bout à l'autre. M. Grimm et Mme d'Épinay disent que ce que j'ai imaginé est de toute beauté, mais que personne n'en peut exécuter un mot. Si ce plan a lieu, vous verrez au quatrième acte une foule de citoyens, condamnés à mort pour avoir trop bien défendu leur ville, briguer l'honneur de la préférence et tirer au sort. Le sort se tirera sur la scène. Imaginez le spectacle et les cris des pères, des mères, des parents, des amis, des enfants, à mesure que le billet fatal sort; imaginez la contenance diverse, forte ou faible, de celui que le sort a condamné; imaginez que celui qui tient le casque d'où les billets sont tirés est le gouverneur de la ville, qu'on en doit tirer six, et qu'après qu'on en a tiré cinq, il se condamne lui-même et dit: Le sixième est le mien, sans qu'on puisse jamais lui faire changer d'avis81. Imaginez ce que deviennent sa femme, sa fille, qui sont présentes. Ô Voltaire! vous qui savez à présent l'effet de ces tableaux, vous n'auriez garde de vous refuser à celui-là.

Mais à propos de Grimm, ne serez-vous pas un peu surprise que je vous aie déjà écrit sept à huit pages, sans presque vous en dire un mot? C'est, mon amie, qu'il arrange si bien ses voyages, qu'il sort de la Chevrette au moment que j'y arrive. En vérité, quand il aurait le dessein de me rendre amoureux de sa maîtresse, il ne s'y prendrait pas autrement. Vous concevez bien que je plaisante: il est trop honnête pour avoir cette vue, et je le suis trop, moi, pour qu'elle lui réussît quand il l'aurait. Et puis, il est si enfoncé dans la négociation et les mémoires, qu'on ne lui voit pas le bout du nez. Il ne lui reste presque pas un instant pour l'amitié; et je ne sais quand l'amour trouve le sien. Nous nous sommes un peu promenés, elle et moi, ce matin. Je lui avais trouvé l'air soucieux hier au soir. Je lui en ai demandé le sujet. «C'était une de ces minuties auxquelles, lui disais-je, vous êtes trop heureux tous les deux d'être sensibles au bout de quatre ans. Vous vous examinez donc de bien près? Vous en êtes donc comme au premier jour? Eh! mes amis, tâchez de n'épouser jamais. » L'après-dîner, nous nous sommes encore promenés, lui et elle, Mme d'Houdetot et moi J'oubliais de vous dire que j'avais trouvé mon vin blanc fort bon, que j'en avais usé peu sobrement, et que ma voisine était fort gaie. Mme d'Houdetot fait de très-jolis vers; elle m'en a récité quelques-uns qui m'ont fait grand plaisir. Il y a tout plein de simplicité et de délicatesse. Je n'ai osé les lui demander; mais si je puis lui arracher un hymne aux tétons qui pétille de feu, de chaleur, d'images et de volupté, je vous l'enverra82. Quoiqu'elle ait eu le courage de me le montrer, je n'ai pas eu celui de le demander. Le soir nous avons laissé rentrer les femmes, et nous avons fait le tour du parc, Grimm et moi. Il y avait longtemps que nous ne nous étions vus; nous avons été fort aises de nous retrouver. Je l'aime sûrement, et j'en suis, je crois, autant aimé que jamais. Au milieu de ces amusements, des idées tristes m'obsèdent, je ne fais rien, le temps s'enfuit, et je ne vous ai pas. Je viens de recevoir un paquet de Damilaville. Je ne savais ce que c'était, car il était bien gros. J'espérais y trouver un mot de vous. Rien. À la place, les deux Remontrances du parlement d'Aix qui sont très-belles, mais qui ne me dédommagent pas. Je brûle de m'en retourner à Paris. Je ne saurais dissimuler ma joie; et Mme d'Épinay dit que cela n'est pas honnête d'être gai quand on quitte les gens. Il serait donc plus honnête de l'être ni plus ni moins et de paraître triste. N'y a-t-il encore rien d'arrêté sur votre retour? Votre sœur revient-elle avec vous? Si j'avais été bien avisé, j'aurais fait ce voyage de province tant projeté. Je vous aurais du moins vue en passant. Je crains que vous ne trouviez mon caractère un peu changé. On dit que j'ai l'air d'un homme qui va toujours cherchant quelque chose qui lui manque. Au reste, c'est l'air que je dois avoir. Quand vous étiez ici, votre présence me soutenait. Avais-je du chagrin, j'allais voir mon amie, et je l'oubliais. Pourquoi m'avez-vous abandonné? La mélancolie a trouvé mon âme ouverte, elle y est entrée, et je ne pense pas qu'on puisse l'en déloger tout à fait. Elle ne me déplaît pas trop; et puis qu'importe? Je serai moins gai, ou plus triste, comme il vous plaira, mais je n'en aimerai pas moins. Ma tendresse sera d'une couleur brune qui ne sied pas mal à ce sentiment. Mon amie, tout peut s'altérer au monde; tout, sans vous en excepter; tout, excepté la passion que j'ai pour vous. Quand je vous reverrai, comme je vous embrasserai! comme je me reposerai sur vous! comme je chercherai celle que j'aime! Ah! s'il n'y avait personne qui me contraignît! mais il ne faut pas compter là-dessus. Je ne finirai pas encore cette lettre. Nous partirons de bonne heure. Grimm me descendra à la rue de Fourcy. De là il n'y a qu'un pas sur le quai des Miramionnes. Si j'y trouvais une lettre de vous, je remplirais la demi-page qui me reste et qui ne me resterait pas, car je l'aurais remplie tout en disant que je ne voulais pas en dire plus long, si l'on ne m'invitait pas à descendre. Je vais voir ce qu'on me veut… C'est Saurin qui vient d'arriver. Adieu, ma tendre amie. Ce soir, s'il n'est pas trop tard, nous causerons encore un moment, et puis il faut faire mon sac; je n'aime point à foire attendre après moi.

Nous avons eu deux convives sur lesquels nous ne comptions guère, excellents tous deux, Saurin et le curé de la Chevrette. Vous connaissez Saurin, je ne vous en dis rien. Pour notre pasteur, c'est un des meilleurs esprits qu'il y ait bien loin: il n'y a pas d'homme dont les passions se peignent plus vivement sur son visage; c'est peut-être le seul qui ait le nez expressif; il loue du nez, il blâme du nez, il décide du nez, il prophétise du nez. Grimm dit que celui qui entend le nez du curé a lu un grand traité de morale. La conversation a été fort diverse. Mme d'Houdetot m'a demandé du bout de la table où en était ma bouteille. Je lui ai répondu qu'elle devait le savoir mieux que moi. On a trouvé que je n'étais pas trop malheureux de boire de bon vin, et d'enivrer ma voisine. Et puis on a parlé nouvelles. On a dit que le roi de Portugal introduisait le jansénisme dans ses États; cela m'a déplu. J'ai dit que, religion pour religion, quand un monarque faisait tant que d'en adopter une, il valait mieux la choisir plaisante et gaie que triste et maussade; que la mélancolie religieuse inclinait au fanatisme et à l'intolérance, et Mme d'Épinay me faisait des yeux; et à la fin, quand j'ai eu tout dit, j'ai compris que je désobligeais Mme d'Esclavelles, sa mère, qui est janséniste jusqu'à la pointe de ses cheveux blancs. On parla tendresse. Le curé, qui n'est déplacé dans aucun sujet, dit que les amants malheureux disaient tous qu'ils en mouraient; mais qu'il était rare d'en rencontrer qui tinssent parole; qu'il en avait cependant vu un: c'était un jeune homme de famille appelé Soulpse. Il s'éprit d'une fille belle et sage, mais sans biens et d'une famille déshonorée. Son père était alors aux galères pour faux seings. Ce jeune homme, qui prévoyait toute l'opposition et toute la raison de l'opposition qu'il rencontrerait dans ses parents, fit ce qu'il put pour se détacher; mais quand il se fut bien assuré de l'inutilité de ses efforts, il osa s'en ouvrir à ses parents, qui allaient s'épuiser en remontrances, lorsque notre amant les arrêta tout court et leur dit: «Je sais tout ce que vous avez à m'opposer, je ne saurais désapprouver des raisons que j'opposerais moi-même à mon fils si j'en avais un. Mais voyez si vous m'aimez mieux mort que mésallié; car il est sûr que si je n'ai pas celle que j'aime, j'en mourrai». On traita ce propos comme il le méritait; l'événement n'y fait rien. Le jeune homme tomba, dépérit de jour en jour, et mourut. Le curé ajouta: C'est un fait dont j'ai été témoin. «Mais, curé, lui dis-je, à la place du père qu'auriez-vous fait? – Monsieur, me répondit le curé, je ne saurais me mettre à cette place; les sentiments d'un père ne se devinent point et ne peuvent se suppléer. – Cela est vrai; mais enfin vous auriez pris un parti d'après ce que vous êtes; dites-nous quel il eut été? – Volontiers. J'aurais appelé mon fils; je lui aurais dit: Soulpse a été votre nom jusqu'à présent; souvenez-vous bien qu'il ne l'est plus. Appelez-vous comme il vous plaira. Voilà votre légitime. Allez vous marier avec celle que vous aimez si loin d'ici que je n'entende plus parler de vous, et que Dieu vous bénisse. – Pour moi, dit Mme d'Esclavelles, qui craignait peut-être que la décision du curé ne fît impression sur son petit-fils, si j'avais été la mère de ce jeune fou, j'aurais fait comme son père, je l'aurais laissé mourir ». Et puis voilà les avis partagés, et un bruit à faire retentir les voûtes du salon, qui a duré longtemps, et qui durerait encore, si le curé n'avait rompu la dispute par une autre histoire que voici. Un jeune curé, mécontent de son état, se sauve en Angleterre, apostasie, se marie selon la loi, et a des enfants de sa femme. Au bout d'un certain temps, il regrette son pays; il revient en France avec sa femme et ses enfants. Au bout encore d'un certain temps, il a du remords; il revient à sa religion, prend du scrupule sur son mariage, et songe à se séparer de sa femme: il s'en ouvre à notre curé, qui trouve le cas fort embarrassant, et qui, n'osant rien prendre sur lui, le renvoie aux casuistes et aux jurisconsultes. Tous décident qu'il ne peut en sûreté de conscience rester avec sa femme. Lorsque leur séparation, à laquelle la femme s'opposait de toute sa force, allait s'entamer par voie de justice, mais un peu contre le gré du curé, l'époux tomba malade et assez dangereusement pour qu'il n'en revînt pas. Il envoie chercher le curé: «Mon ami, lui dit-il, vous connaissez mes intentions; je touche au dernier moment; je veux montrer du moins qu'elles étaient sincères. Je veux faire amende honorable publique, et recevoir les sacrements, et mourir à l'hôpital; ayez la bonté de m'y faire transporter. – Je m'en garderai bien, lui dit le curé; cette femme est innocente. Elle vous a épousé selon la loi; elle ne connaissait rien des empêchements qui ne lui permettaient pas d'accepter votre main. Et ces entants, quelle part ont-ils à votre faute? Vous êtes le seul coupable, et ce sont eux qui vont être punis! Votre femme sera déshonorée, vos entants seront déclarés naturels; et où est le bien de tout cela? La raison est pour eux; certainement, et jusqu'à ce que la loi ait prononcé, nous ignorons si elle serait contre eux. Attendons, et en attendant, mon ami, demeurez dans le lit de celle que vous appelez votre femme et qui l'est, et où vous avez eu d'elle ces entants qui vous ont appelé leur père et qui sont vos entants». Jamais le curé n'en voulut démordre. Il confessa son homme; le mal empira, il lui administra les derniers sacrements. Il mourut, et la femme et les entants restèrent en possession des titres qu'ils avaient. Nous avons tous approuvé la sagesse du curé. Grimm l'a fait peindre; il prétend en faire quelque jour un personnage de roman. Nous sommes revenus un peu tard; cet homme singulier et ses histoires aussi singulières que lui nous ont défrayés en chemin.

 

À propos, je ne vous ai pas dit que M. le comte de Bissy83 avait envoyé au marquis de Ximènes pour moi une tragédie anglaise en un acte, tout à fait dans le goût du Joueur. Elle est intitulée l'Extravagance fatale. Un homme de naissance a été conduit par la dissipation à l'extrême misère. Il ne peut supporter l'idée de l'avilissement où il va tomber, lui, sa femme et ses entants. Il se persuade qu'il vaut mieux qu'il meure. Mais si la mort est meilleure pour lui que la vie, pourquoi la vie vaudrait-elle mieux que la mort pour sa femme et ses enfants? Il vient à bout de se persuader qu'il leur manquerait d'une manière indigne, s'il ne les associait pas à un sort qu'il croit préférable à celui dont il est menacé. Il se défait donc de lui-même, de sa femme et de ses deux enfants. Cette catastrophe est d'une atrocité qui révolte; cependant la dernière scène est d'un pathétique qui déchire. Imaginez que cet homme était sur le point d'être saisi et précipité dans une prison. Sa femme vient à lui, et lui propose de prendre ses enfants entre ses bras et de se sauver avec lui en quelque lieu de sûreté. Toute la dernière scène roule sur la double acception des termes de voyage, d'asile, de demeure paisible, d'éloignement des hommes, de dernier terme des revers et des maux, de repos, qui conviennent à une fuite réelle ou à la mort. La femme les entend toujours de la fuite, et l'époux les lui dit toujours de la mort. L'ignorance de cette femme, qui a reçu le breuvage fatal de son époux et qui l'a donné de sa propre main à ses deux enfants, la tendresse de ses discours, la présence de ses enfants en qui la mort circule, font un effet plus terrible mille fois que le spectacle d'Œdipe qui a les yeux crevés et qui se baisse pour chercher ses enfants. Cependant, si vous avez le père Brumoy, voyez cette scène au cinquième acte de l'Œdipe de Sophocle.

Je viens de recevoir votre numéro 21. Je n'ai point la tête mauvaise. Quant à mon pied, il est guéri. Nous avons joué; le Baron a oublié son serment, mais comme la fortune a été assez égale, je ne saurais vous dire comment il soutiendrait son caprice. Il faut qu'il y ait une espèce de contre-coup à ma chute; car j'ai eu la tête étonnée pendant les deux premiers jours. Les jours suivants j'ai senti une douleur passagère au côté opposé, et depuis j'éprouve comme des envies de moucher, et la sensation comme de quelque chose d'arrêté au-dessus du nez qui voudrait tomber. Ils m'ont conseillé le sel ammoniac. Mais je bois, je mange, je dors, je n'ai ni chaleur ni fièvre, et tout ira bien.

Ô femme! serez-vous toujours femme par quelque endroit? Jamais la fêlure que nature vous fit ne reprendra-t-elle entièrement? Je n'ai pu m'empêcher de rire de tous les mouvements que vous vous êtes donnés pour un colichet. Je sais bien ce que vous répondrez à cela; mais je sais bien aussi comment on s'en impose. Je le voudrais bien que vous en fessiez de nos causeries, et vous et la chère sœur. À propos de ces Chinois, savez-vous que l'illustration remonte chez eux et ne descend jamais? Ce sont les enfants qui illustrent et anoblissent leurs aïeux, et non pas les aïeux leurs entants. Ma foi, cela est encore bien sage. Nous sommes plus grands poëtes, plus grands philosophes, plus grands orateurs, plus grands architectes, plus grands astronomes, plus grands géomètres que ces peuples-là; mais ils entendent mieux que nous la science du bon sens et de la vertu; et si par hasard cette science était la première, ils auraient raison de dire qu'ils ont deux yeux, et que nous en avons un, et que le reste de la terre est aveugle.

Oui, je connais vos Intérêts de la France mal entendus. C'est un livre qui a du succès84. M. Gaschon m'a fait dîner une fois avec l'auteur. Cet homme connaît assez bien le mal; mais il n'entend rien aux remèdes. Il a des observations assez justes qui marquent un homme instruit, mais sans génie. Il a un monde de choses dont il ne sait rien faire; et le génie sait faire un monde de rien.

Non, non, mon ami vaut mieux que moi; personne ne peut lui être comparé, soit qu'il plaisante, soit qu'il raisonne, soit qu'il conseille, soit qu'il écrive, soit qu'il…

(La suite manque.)

XLII

Le 7 octobre 1760.

Pas un moment de repos, comme vous disiez à la fin d'une de vos lettres; non, pas un moment! J'arrive, je jette en passant mon sac de nuit à ma porte, et je vole sur le quai des Miramionnes; j'y trouve une de vos lettres; j'en achève une que j'ai commencée à la Chevrette. Je m'en retourne chez moi à minuit. Je trouve ma fille attaquée de la fièvre et d'un grand mal de gorge; je n'ai pas osé m'informer de sa santé. Les questions les plus obligeantes amènent des réponses si dures de la part de la mère, que je ne lui parle jamais sans une extrême nécessité; mais j'ai interrogé l'enfant, qui m'a très-bien répondu; j'ai donné des ordres qui marquent l'attention et l'intérêt. Voilà ce que c'est que de se brûler le sang à crier et à travailler. Je devais partir demain pour le Grandval; voilà un accident qui pourrait bien retarder mon voyage. Nous avons dîné, M. Grimm et moi, sous un des chevaux des Tuileries. Longue promenade avant dîner; dîner d'appétit; longue promenade après dîner; et, dans cet intervalle, de la morale et de l'amour, et de l'amour et de la morale; et le résultat, de se rendre meilleur, de pardonner aux méchants, assez punis par leur méchanceté même; de faire le bonheur de tous et surtout de son ami et de son amie. Je quitte M. de Montamy; je l'ai trouvé avec une grosse dondon, dont je vous dirais volontiers, comme du curé de la Chevrette, qu'on la baiserait pendant deux mois sans la baiser deux fois au même endroit; c'est une amie de Mme Riccoboni; nous en avons causé. Celle-ci vous régalera cet hiver de deux nouveaux romans. Je les verrai sûrement avant qu'on les imprime, et vous aussi, si vous êtes à Paris. Mais dites-moi donc que vous y serez, si vous ne voulez pas que je périsse. J'avais deviné, comme vous verrez par la précédente, et la possibilité du voyage de Mme de Solignac, et les inquiétudes de Mme Le Gendre, et votre indifférence.

Toutes ces dates ne m'apprennent rien; je voulais savoir s'il n'y avait eu aucune de mes lettres d'égarée. Voici l'histoire de ma chute. J'ai connu chez Le Breton un ex-oratorien, homme d'esprit dont je suis devenu la passion, mais non pas la plus forte ni l'unique. Cette homme s'appelle M. Destouches; il est secrétaire de la ferme générale; il y demeure; il s'était engagé à m'introduire à l'endroit où l'on fabrique le tabac, afin que je pusse connaître et décrire cette manœuvre; j'étais allé avec mon dessinateur le sommer de sa parole. Il était de bonne heure. Il est jeune. Je le trouve engagé de conversation avec une fille; je renvoie mon dessinateur; je m'assieds, et je me mets à causer avec ces fous-là. Le temps se passe; l'heure du dîner vient; nous allions dîner, Destouches et moi, chez Le Breton. Chemin faisant, nous devions jeter sa demoiselle rue des Prouvaires. Mais crac; à l'entrée de la rue voilà une des soupentes qui casse, et Destouches qui va donner de la tête contre celle de sa fille, et moi de la tête contre un des côtés du carrosse. Destouches descend par le côté renversé, moi et la demoiselle par l'autre côté, et cela à la vue de la compagnie la plus nombreuse et la moins choisie. Heureusement la demoiselle avait l'air plus honnête que peut-être elle ne l'était; je vous ai dit le reste. J'ai encore de temps en temps des sensations au haut du nez comme de quelque chose qui voudrait tomber par là; mais ce symptôme se dissipera comme les autres. Je vous demande en grâce de prêcher l'indulgence à notre chère sœur. Si, par hasard, nous n'occupions que le milieu entre les êtres les plus parfaits et les êtres les plus imparfaits, en regardant avec mépris ceux que la nature a placés au bas de la grande échelle, n'accorderions-nous pas le même droit à ceux qu'elle a placés au premier échelon, et qui sont autant au-dessus de nous que les objets de notre dédain sont au-dessous? Dans une machine où tout est lié, comme il n'y a rien d'inutile, pas même le gros ventre, le gros appétit et les fréquents besoins de Mme Gillet, s'il y a quelque chose d'indifférent et d'abject, c'est une suite de notre ignorance. Quelquefois je m'amuse à attacher tous ces objets sur une toile et à m'en faire un spectacle. Je ne saurais vous dire combien l'imbécillité, l'impertinence, la sottise, les airs de la coquette, les pirouettes du petit-maître, etc., etc., m'amusent sous ce coup d'œil.

Cette jalousie d'ami à ami, de sœur à sœur, de mère à fille, de fille à mère, me passe; je n'y entends rien. Si je connaissais quelque être au monde qui pût, en m'éclipsant à vos yeux, contribuer infiniment mieux que moi à votre bonheur, quel mérite plus grand me resterait-il à ambitionner, après celui d'être ce qu'il serait, sinon de vous le procurer? S'il n'est pas en moi d'être le mieux qu'il est possible pour vous, faut-il que je me prive de l'avantage de vous présenter ce mieux, si je le connais ailleurs? Voilà des raisons que l'amour n'entend pas; mais je ne conçois pas que l'amitié puisse s'y refuser.

 

Mlle Clairon joua mal à la première représentation de Tancrède. Ses fanatiques même en conviennent; mais ils disent qu'elle s'est bien corrigée dans les suivantes. Je n'en sais rien. Nous nous aimons tous de toutes nos forces. Il y a bien peu de gens à qui nous ne nous préférions; il n'y a personne au monde avec qui nous voulussions changer de sort. M. Vialet est comme les autres qui laissent un peu moins percer leur impertinence. Vous êtes à peu près contente de mes lettres, surtout des endroits où je vous dis que je vous aime; tant mieux, je ne m'intéresse qu'à ceux-ci; et comment seraient-ils mal? Le modèle d'après lequel je peins est si bien! Tous nos portraits de la Chevrette ont réussi, excepté celui de Mme d'Épinay. M. Grimm prend cet accident comme un autre. Je vous ai dit que nous avions été peints et dessinés; je lui ai demandé une copie des deux dessins, et je les aurai. Les dix lignes où vous me dites qu'il n'y a rien dans vos lettres valent mieux que toutes les miennes; si je vous avais dit les choses que j'y lis, et que j'eusse eu le bonheur de vous les persuader de moi comme je les crois de vous, je n'aurais plus qu'un souhait à faire: c'est que le temps et ma conduite vous entretinssent à jamais dans cette douce opinion. Le bonheur ou te malheur de votre vie est entre mes mains, dites-vous? Ce n'est pas comme cela; le bonheur de votre vie est entre mes mains; le bonheur de la mienne est entre tes vôtres; c'est un dépôt réciproque confié à d'honnêtes gens. Uranie ne veut donc pas croire que je la haïsse; absolument elle ne le veut pas. J'en ai pourtant bien des raisons, et, quand il n'y aurait que celte de m'humilier souvent aux yeux de la personne que j'aime, c'en serait bien assez pour me faire croire. Pardonnez! qu'avez-vous dit là? Elle n'a pas vu ce mot, j'en suis sûr. Je serais trop fier qu'elle se fut avouée coupable. M. Gaschon a été faire sa cour à Mme de Solignac. M. de Prisye ira. Que j'y aille aussi! ma foi je n'en ai ni te temps, ni la volonté, ni te courage. Quoi qu'en dise Mme de Solignac, il est sûr que je n'ai jamais eu l'honneur de la voir.

Si cependant la maladie durait, si mon voyage était renvoyé à la semaine prochaine, par exempte, je ne répondrais de rien. Je n'aime point tes occasions de balbutier, et balbutie toujours de timidité la première fois que je vois, et puis tout se réduit alors à des phrases d'usage dont on se paye réciproquement. Je n'ai pas un sou de cette monnaie. Adieu, ma tendre amie. Je ne vous recommande plus votre santé; il y a quelqu'un à présent qui en aura soin pour vous. Il y avait avec ma dernière lettre un papier d'agriculture pour madame votre mère; le lui avez-vous remis? Adieu, encore une fois; mon dévouement et mon respect à madame votre mère. Dites à Mme le Gendre… dites-lui que vous m'aimez à la folie, et vous verrez que ce petit mensonge la fera pâlir… Et je ne la haïrais pas!.. Hélas! non…

81C'est le suet du Siège de Calais. Le succès de ce titre, donée par Belloy le 1e février 1765, aura fait renoncer Saurin à son projet. (T.)
82Cette pièce est restée inédite.
83De l'Académie française, où il fut reçu comme homme de cour. On l'appelait Bissy-Pierre, pour le distinguer de son frère qu'on avait nommé Bissy-Thomas, par une plaisante allusion aux deux Corneille, avec lesquels les deux Bissy n'avaient aucune espèce de rapport intellectuel (T.)
84Les Intérêts de la France mal entendus (par Ange Goudar, de Montpellier). Le premier volume, qui traite de l'agriculture et de la population, parut au commencement de 1756; le second, qui traite des finances et du commerce, parut à la fin de la même année, et le troisième, qui traite de la marine et de l'industrie, ne fut public qu'en 1757. (T.)