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Entretien d'un père avec ses enfants

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Après une décision aussi nette, aussi précise de l'homme le plus éclairé de notre clergé, je demeurai stupéfait et tremblant, songeant en moi-même à ce que je devenais, à ce que vous deveniez, mes enfants, s'il me fût arrivé de brûler le testament, comme j'en avais été tenté dix fois; d'être ensuite tourmenté de scrupules, et d'aller consulter le père Bouin. J'aurais restitué; oh! j'aurais restitué; rien n'est plus sûr, et vous étiez ruinés.

MA SŒUR

Mais, mon père, il fallut, après cela, s'en revenir au presbytère, et annoncer à cette troupe d'indigents qu'il n'y avait rien là qui leur appartînt, et qu'ils pouvaient s'en retourner comme ils étaient venus. Avec l'âme compatissante que vous avez, comment en eûtes-vous le courage?

MON PÈRE

Ma foi, je n'en sais rien. Dans le premier moment, je pensai à me départir de ma procuration, et à me remplacer par un homme de loi; mais un homme de loi en eût usé dans toute la rigueur, pris et chassé par les épaules ces pauvres gens dont je pouvais peut-être alléger l'infortune. Je retournai donc le même jour à Thivet. Mon absence subite, et les précautions que j'avais prises en partant, avaient inquiété; l'air de tristesse avec lequel je reparus, inquiéta bien davantage. Cependant je me contraignis, je dissimulai de mon mieux.

MOI

C'est-à-dire assez mal.

MON PÈRE

Je commençai par mettre à couvert tous les effets précieux. J'assemblai dans la maison un certain nombre d'habitants, qui me prêteraient main-forte, en cas de besoin. J'ouvris la cave et les greniers que j'abandonnai à ces malheureux, les invitant à boire, à manger, et à partager entre eux le vin, le blé et toutes les autres provisions de bouche.

L'ABBÉ

Mais, mon père!..

MON PÈRE

Je le sais, cela ne leur appartenait pas plus que le reste.

MOI

Allons donc, l'abbé, tu nous interromps.

MON PÈRE

Ensuite, pâle comme la mort, tremblant sur mes jambes, ouvrant la bouche, et ne trouvant aucune parole, m'asseyant, me relevant, commençant une phrase, et ne pouvant l'achever, pleurant; tous ces gens effrayés m'environnant, s'écriant autour de moi: «Eh bien! mon cher monsieur, qu'est-ce qu'il y a? – Qu'est-ce qu'il y a? repris-je… Un testament, un testament qui vous déshérite.» Ce peu de mots me coûta tant à dire, que je me sentis presque défaillir.

MA SŒUR

Je conçois cela.

MON PÈRE

Quelle scène, quelle scène, mes enfants, que celle qui suivit! Je frémis de la rappeler. Il me semble que j'entends encore les cris de la douleur, de la fureur, de la rage, le hurlement des imprécations… Ici, mon père portait ses mains sur ses yeux, sur ses oreilles… Ces femmes, disait-il, ces femmes, je les vois; les unes se roulaient à terre, s'arrachaient les cheveux, se déchiraient les joues et les mamelles; les autres écumaient, tenaient leurs enfants par les pieds, prêtes à leur écacher la tête contre le pavé, si on les eût laissé faire; les hommes saisissaient, renversaient, cassaient tout ce qui leur tombait sous les mains; ils menaçaient de mettre le feu à la maison; d'autres, en rugissant, grattaient la terre avec leurs ongles, comme s'ils y eussent cherché le cadavre du curé pour le déchirer; et, tout au travers de ce tumulte, c'étaient les cris aigus des enfants qui partageaient, sans savoir pourquoi, le désespoir de leurs parents, qui s'attachaient à leurs vêtements, et qui en étaient inhumainement repoussés. Je ne crois pas avoir jamais autant souffert de ma vie.

Cependant j'avais écrit au légataire de Paris, je l'instruisais de tout et je le pressais de faire diligence, le seul moyen de prévenir quelque accident qu'il ne serait pas en mon pouvoir d'empêcher.

J'avais un peu calmé les malheureux par l'espérance dont je me flattais, en effet, d'obtenir du légataire une renonciation complète à ses droits ou de l'amener à quelque traitement favorable; et je les avais dispersés dans les chaumières les plus éloignées du village.

Le Frémin de Paris arriva; je le regardai fixement et je lui trouvai une physionomie dure qui ne promettait rien de bon.

MOI

De grands sourcils noirs et touffus, des yeux couverts et petits, une large bouche, un peu de travers, un teint basané et criblé de petite vérole?

MON PÈRE

C'est cela. Il n'avait pas mis plus de trente heures à faire ses soixante lieues. Je commençai par lui montrer les misérables dont j'avais à plaider la cause. Ils étaient tous debout devant lui, en silence; les femmes pleuraient; les hommes, appuyés sur leurs bâtons, la tête nue, avaient la main dans leurs bonnets. Le Frémin, assis, les yeux fermés, la tête penchée et le menton appuyé sur sa poitrine, ne les regardait pas. Je parlai en leur faveur de toute ma force; je ne sais où l'on prend ce qu'on dit en pareil cas. Je lui fis toucher au doigt combien il était incertain que cette succession lui fût légitimement acquise; je le conjurai par son opulence, par la misère qu'il avait sous les yeux; je crois même que je me jetai à ses pieds; je n'en pus tirer une obole. Il me répondit qu'il n'entrait point dans toutes ces considérations; qu'il y avait un testament; que l'histoire de ce testament lui était indifférente, et qu'il aimait mieux s'en rapporter à ma conduite qu'à mes discours. D'indignation, je lui jetai les clefs au nez; il les ramassa, s'empara de tout; et je m'en revins si troublé, si peiné, si changé, que votre mère, qui vivait encore, crut qu'il m'était arrivé quelque grand malheur… Ah! mes enfants! quel homme que ce Frémin!

Après ce récit, nous tombâmes dans le silence, chacun rêvant à sa manière sur cette singulière aventure. Il vint quelques visites; un ecclésiastique, dont je ne me rappelle pas le nom: c'était un gros prieur, qui se connaissait mieux en bon vin qu'en morale, et qui avait plus feuilleté le Moyen de parvenir que les Conférences de Grenoble; un homme de justice, notaire et lieutenant de police, appelé Dubois; et, peu de temps après, un ouvrier qui demandait à parler à mon père. On le fit entrer, et avec lui un ancien ingénieur de la province, qui vivait retiré et qui cultivait les mathématiques, qu'il avait autrefois professées; c'était un des voisins de l'ouvrier, l'ouvrier était chapelier.

Le premier mot du chapelier fut de faire entendre à mon père que l'auditoire était un peu nombreux pour ce qu'il avait à lui dire. Tout le monde se leva, et il ne resta que le prieur, l'homme de loi, le géomètre et moi, que le chapelier retint.

«Monsieur Diderot, dit-il à mon père, après avoir regardé autour de l'appartement s'il ne pouvait être entendu, c'est votre probité et vos lumières qui m'amènent chez vous; et je ne suis pas fâché d'y rencontrer ces autres messieurs dont je ne suis peut-être pas connu, mais que je connais tous. Un prêtre, un homme de loi, un savant, un philosophe et un homme de bien! Ce serait grand hasard, si je ne trouvais pas dans des personnes d'état si différent, et toutes également justes et éclairées, le conseil dont j'ai besoin.»

Le chapelier ajouta ensuite: «Promettez-moi d'abord de garder le secret sur mon affaire, quel que soit le parti que je juge à propos de suivre.»

On le lui promit, et il continua.

«Je n'ai point d'enfants, je n'en ai point eu de ma dernière femme, que j'ai perdue il y a environ quinze jours. Depuis ce temps, je ne vis pas; je ne saurais ni boire, ni manger, ni travailler, ni dormir. Je me lève, je m'habille, je sors et je rôde par la ville dévoré d'un souci profond. J'ai gardé ma femme malade pendant dix-huit ans; tous les services qui ont dépendu de moi et que sa triste situation exigeait, je les lui ai rendus. Les dépenses que j'ai faites pour elle ont consommé le produit de notre petit revenu et de mon travail, m'ont laissé chargé de dettes; et je me trouverais, à sa mort, épuisé de fatigues, le temps de mes jeunes années perdu; je ne serais, en un mot, pas plus avancé que le premier jour de mon établissement, si j'observais les lois et si je laissais aller à des collatéraux éloignés la portion qui leur revient de ce qu'elle m'avait apporté en dot: c'était un trousseau bien conditionné; car son père et sa mère, qui aimaient beaucoup leur fille, firent pour elle tout ce qu'ils purent, plus qu'ils ne purent; de belles et bonnes nippes en quantité, qui sont restées toutes neuves; car la pauvre femme n'a pas eu le temps de s'en servir; et vingt mille francs en argent, provenus du remboursement d'un contrat constitué sur M. Michelin, lieutenant du procureur général. À peine la défunte a-t-elle eu les yeux fermés, que j'ai soustrait et les nippes et l'argent. Messieurs, vous savez actuellement mon affaire. Ai-je bien fait? Ai-je mal fait? Ma conscience n'est pas en repos. Il me semble que j'entends là quelque chose qui me dit: Tu as volé, tu as volé; rends, rends. Qu'en pensez-vous? Songez, messieurs, que ma femme m'a emporté, en s'en allant, tout ce que j'ai gagné pendant vingt ans; que je ne suis presque plus en état de travailler; que je suis endetté, et que si je restitue, il ne me reste que l'hôpital, si ce n'est aujourd'hui, ce sera demain. Parlez, messieurs, j'attends votre décision. Faut-il restituer et s'en aller à l'hôpital?