Za darmo

Le Fils de Coralie: Comédie en quatre actes en prose

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

SCÈNE VI

BONCHAMP, GODEFROY
BONCHAMP

Veux-tu que je te dise mon opinion?

GODEFROY

Sur quoi?

BONCHAMP

Sur madame Dubois. Je ne serais pas étonné qu'elle fût, non la tante, mais la mère de Daniel.

GODEFROY

La mère de Daniel! Qu'est-ce que tu me chantes là?

BONCHAMP

C'est le seul moyen d'expliquer son trouble, ses hésitations, lorsque je lui demandais tout à l'heure certaines pièces que je crois nécessaires.

GODEFROY

La mère de Daniel!

BONCHAMP

Vas-tu prendre les choses au tragique? Tu savais Daniel enfant naturel, seulement tu le croyais orphelin. Il se trouve que sa mère existe: voilà toute la différence entre ce qui est et ce qui était. En somme, la pauvre femme n'a pas osé nous avouer la vérité et je ne saurais lui en vouloir.

GODEFROY, tombant assis

Tu me renverses!

BONCHAMP

C'est que tu es facile à renverser.

GODEFROY, se relevant

La mère de Daniel!

BONCHAMP

Quand tu répéteras cela jusqu'à demain? Mme Dubois est, après tout, une femme intelligente, distinguée; mais sa tendresse pour Daniel, c'est de la tendresse maternelle.

LE DOMESTIQUE, entrant

M. de Montjoie, M. Morisseau.

GODEFROY

Il y a un moyen bien simple de recueillir des renseignements. M. de Montjoie la connaît, je crois, à ce que m'a dit Édith, ou du moins ils ont un ami commun.

BONCHAMP

Ah!

GODEFROY

Faites entrer.

BONCHAMP, à part et préoccupé

Un ami commun?

SCÈNE VII

Les Mêmes, MONTJOIE, CLAUDE MORISSEAU
CLAUDE

J'allais travailler en forêt, lorsque j'ai rencontré M. de Montjoie qui venait vous faire visite, je suis entré avec lui. (A Godefroy.) A propos, j'irai demain à votre ferme de Cos. Oui, vous avez là une très belle basse-cour: elle m'inspire, je veux écrire une symphonie d'après les vrais principes de notre école symboliste, car la musique sera symboliste ou elle ne sera pas.

MONTJOIE

Moi je viens vous faire mes adieux.

GODEFROY

Vous partez?

MONTJOIE

Demain ou après-demain au plus tard.

BONCHAMP

Est-ce que votre absence se prolongera?

MONTJOIE

Je ne sais au juste. Peut-être mon goût de voyage me reprendra-t-il. Quand on est seul dans la vie, comme moi, peu importe qu'on soit ici ou là, à droite ou à gauche.

CLAUDE

Décidément, depuis hier vous êtes sous une influence de tristesse.

MONTJOIE

Moi?

CLAUDE

Oh! je m'en suis bien aperçu quand nous sommes revenus ensemble. Est-ce la vue de madame Dubois qui a réveillé les souvenirs de votre passion d'autrefois?

MONTJOIE

Monsieur Morisseau!

BONCHAMP

Hein?

CLAUDE

Je ne commets pas d'indiscrétion, que je sache? Imaginez-vous que la tante du capitaine Daniel ressemble à s'y méprendre à Coralie, cette femme que notre ami M. de Montjoie a tant aimée.

GODEFROY

Vraiment?

BONCHAMP, se rapprochant

Ah!

MONTJOIE

Monsieur Morisseau…

CLAUDE

Vous ne nierez pas que cette ressemblance vous ait frappé. Moi je l'ai trouvée sans hésiter. Le coup d'œil de l'artiste! (A Bonchamp.) C'est vraiment extraordinaire. Les mêmes yeux profonds et étranges, le même nez, la même bouche. Une seule différence: Coralie était blonde, et madame Dubois est brune. (A Montjoie.) Vous ne direz pas le contraire.

MONTJOIE

Non pas, mais ce sont des souvenirs pour le moins inutiles à évoquer.

BONCHAMP, avec intention

Vous les évoquiez vous-même hier encore. Mais, j'y pense, vous avez causé longuement avec madame Dubois. Vous avez un ami commun, paraît-il?

MONTJOIE

En effet, et nous nous sommes trouvés tout de suite en pays de connaissance.

BONCHAMP, bas, à Godefroy

Emmène cet imbécile de Morisseau, et laisse-moi seul avec M. de Montjoie.

GODEFROY

Mais…

BONCHAMP

Fais ce que je te dis.

GODEFROY

Enfin… (A Claude.) Vous allez en forêt? Je vais faire un tour avec vous.

CLAUDE

Tiens!.. c'est une idée! (A Montjoie.) Je vous reverrai avant votre départ?

MONTJOIE

Je sors avec vous.

GODEFROY, vivement

Mais non, attendez donc un peu. Ma fille et ma sœur ne tarderont pas à revenir. Elles seront charmées de vous voir. A tout à l'heure!

Il sort avec Claude

SCÈNE VIII

BONCHAMP, MONTJOIE
Un moment de silence
BONCHAMP, brusquement à Montjoie

Monsieur, vous êtes un galant homme; il me répugnerait de vous mentir. Je vais donc droit au but. Vous connaissez madame Dubois; vous l'avez sûrement vue déjà avant de vous rencontrer ici avec elle. Je n'en veux pour preuve que votre long entretien d'hier. Or, je soupçonne quelque chose de grave. Le capitaine Daniel a avoué à mon ami Godefroy qu'il était enfant naturel, Godefroy a passé par là-dessus et il a bien fait. Mais le capitaine se croit orphelin; en cela il se trompe. Sa mère vit, sa mère c'est madame Dubois.

MONTJOIE

Vous m'apprenez là, monsieur, des choses que je n'ai pas le droit de connaître, et…

BONCHAMP

Certains secrets peuvent toujours être confiés à certains hommes; j'ajoute qu'il dépend de vous de sauver cette maison d'une catastrophe peut-être; c'est un service que j'attends de vous: car vous êtes notre ami, n'est-ce pas?

MONTJOIE

J'espère que vous me faites l'honneur de n'en pas douter.

BONCHAMP

Non. Je reprends. Tout à l'heure Godefroy et moi nous avons discuté avec madame Dubois les clauses du contrat de mariage. Si certains points sont restés trop obscurs, d'autres sont devenus trop clairs; elle a parlé plusieurs fois de sa sœur, de la mère de son neveu. Elle a donc cherché à nous tromper sur un point; elle peut chercher à nous tromper aussi sur le reste. Et voici que l'on me parle soudainement d'une ressemblance extraordinaire qui existe entre madame Dubois et cette fille nommée Coralie; voici que vous, l'ancien amant de Coralie, vous qui ne connaissiez pas madame Dubois, vous causez longuement avec elle… Eh bien!.. c'est absurde, soit!.. mais je me dis: «Est-ce que par hasard madame Dubois et Coralie ne seraient point la même et unique personne?»

MONTJOIE, froidement

Je l'ignore, monsieur; puis, tout cela ne me regarde pas.

BONCHAMP

Ou j'ai raison, ou j'ai tort dans mon soupçon. Si j'ai tort, dites-le-moi; si j'ai raison, souvenez-vous de l'accueil qu'on vous a fait en cette maison, et décidez, dans votre conscience, si vous devez vous taire ou parler.

MONTJOIE

Monsieur…

BONCHAMP

Un mot tranchera la question; donnez-moi votre parole d'honneur que madame Dubois n'est pas Coralie, et je me tiens pour satisfait. (Montjoie se tait.) Votre silence répond, prenez garde!

MONTJOIE

Vous vous trompez, monsieur: je me tais parce que je n'ai rien à vous apprendre. Si vous n'étiez pas l'ami de M. Godefroy, le parrain de mademoiselle Édith, je m'étonnerais du droit que vous prenez de faire cette inquisition dans ma vie passée. Vous semblez m'encourager à remplir un devoir. Permettez-moi de vous dire que je n'ai besoin de personne pour connaître le mien. Au surplus, brisons là, monsieur.

BONCHAMP

Ainsi vous refusez de répondre?

MONTJOIE

Mais je n'ai rien à vous dire.

SCÈNE IX

Les Mêmes, CORALIE
CORALIE, entrant, une lettre à la main

Voici les renseignements que vous m'avez demandés. (Elle s'arrête en apercevant Montjoie. – Un silence. Montjoie s'incline profondément devant elle et sort. – A part.) A-t-il parlé?

SCÈNE X

CORALIE, BONCHAMP
BONCHAMP, à part

Il faut pourtant que je sache…

CORALIE, inquiète

C'est moi qui fais fuir monsieur de Montjoie?

BONCHAMP, à part

C'est le seul moyen.

CORALIE

Je vous disais donc que je vous apporte…

BONCHAMP

Inutile, madame.

CORALIE

Ah!

BONCHAMP

M. de Montjoie m'a tout dit.

CORALIE

Le misérable!

BONCHAMP

J'ai menti pour la première fois de ma vie: M. de Montjoie n'a rien dit; c'est moi qui ai tout deviné. (Coralie tombe anéantie sur un fauteuil. Bonchamp reprend très doucement.) Vous comprenez qu'Édith ne peut pas épouser le fils riche de Coralie. Et cependant il faut éviter que Daniel découvre tout. Il va revenir tout à l'heure de sa promenade avec ma filleule et Mlle Césarine. Préparez-le à cette rupture. Moi, de mon côté, je tâcherai d'obtenir de Godefroy qu'il reste calme. Ça ne sera point facile. Dans une petite ville un mariage manqué, c'est une grosse affaire. Il verra sa fille compromise; il s'emportera d'abord, quitte à le regretter après. (Coralie se tait toujours; elle reste immobile. – A part.) Pauvre femme! (Haut.) Vous souffrez beaucoup?

 
CORALIE

Oh! oui, je souffre… Cette nuit, pendant que mon fils me croyait endormie, je suis sortie de ma chambre, j'ai traversé le jardin, j'ai ouvert la petite porte, j'ai erré par les rues comme une folle. Le hasard a voulu que je sois arrivée sur le pont. L'idée de la mort a effleuré mon cerveau. L'eau du fleuve m'attirait; je n'avais qu'à fermer les yeux, à me laisser glisser, et ce serait fini… Non, ce ne serait pas fini… Moi morte, mon passé vivrait encore. Pour la première fois de ma vie, j'ai compris qu'il y a des actes irréparables. Il suffirait que quelqu'un dit: «C'est le fils de Coralie!» pour attacher un écriteau d'infamie sur cet homme d'honneur! Je ne sauvais rien en me noyant; toutes les eaux du fleuve n'auraient pas lavé une heure de ma vie passée!

Elle retombe écrasée, sanglotant la tête entre les mains
BONCHAMP

Je vous plains du plus profond de mon cœur. Vous souffrez infiniment, et, selon moi, la douleur est un anoblissement. Je voudrais vous épargner cette épreuve, mais…

CORALIE

Mais c'est impossible! Je le sens bien. Alors, une prière: au nom de cette pitié que vous me témoignez, que Daniel ne sache rien; qu'il me garde du moins sa tendresse, que je conserve son respect…

Daniel paraît
BONCHAMP

Lui! Du calme…

SCÈNE XI

Les Mêmes, DANIEL
DANIEL, à sa tante

Quelle belle promenade! mais il fait un chaud!.. Édith est au jardin avec sa tante et son père sous la fraîcheur des grands arbres. Est-ce que tu ne veux pas venir avec nous?

CORALIE

Si, mon enfant; tout à l'heure.

DANIEL

Tu es toute pâle: qu'y a-t-il donc?..

Coralie fait un signe suppliant à Bonchamp
BONCHAMP

Vous dites que Godefroy est là?

DANIEL

Oui, monsieur.

BONCHAMP

Je vais le retrouver, j'ai à causer avec lui. Restez, mon cher capitaine. (A part.) Que va penser Godefroy.

Il sort

SCÈNE XII

CORALIE, DANIEL
DANIEL, gaîment

Il faut que je t'embrasse, je suis trop heureux. Comprends-tu? Elle m'aime! Croirais-tu que je me répète ces trois mots à chaque minute, comme si, à chaque minute, je m'apercevais de quelque chose de nouveau?

CORALIE, brusquement

Et moi, m'aimes-tu?

DANIEL

Belle demande!

CORALIE

Ai-je rempli tous mes devoirs envers toi?

DANIEL

Mais pourquoi ces questions?

CORALIE

Réponds-moi ce que tu penses…

DANIEL

C'est sérieux?

CORALIE

Très sérieux.

DANIEL

Je devine… Tu crains que je ne t'oublie pour Édith!.. Tu n'as rien à redouter, ma chérie. Je serais plus qu'un ingrat si je t'oubliais jamais. Il est certaines choses qui ne s'effacent pas… J'ai gardé là (Il met la main sur son cœur.) le passé tout entier. Je me souviens du jour où je tombai malade au collège. Jusqu'alors, je t'avais vue rarement; tu payais ma pension, tu m'envoyais de l'argent: nos rapports se bornaient là. On t'écrivit que j'étais alité: tu arrivas le lendemain. Pendant trois semaines tu m'as veillé avec un dévouement acharné, me disputant à la mort. Que de fois, au sortir de mon délire, je me suis réveillé sur ta poitrine où tu me serrais étroitement comme pour mieux me garder. J'aperçois, dans la pénombre du souvenir, ce long dortoir du collège, avec ses rideaux blancs à franges rouges; et, si ma pensée suit le cours des ans, je te retrouve toujours, bonne, dévouée, vaillante. Tu as exalté mon courage aux heures de succès, tu l'a relevé aux heures de défaillance. Quand la guerre a été déclarée, tu m'as dit: «Pars et fais ton devoir!..» Après la capture de Metz, tu as été la première à m'écrire: «Tu as eu raison de t'évader: retourne te battre!» Et j'oublierais ces dévouements, ces sacrifices et ces héroïsmes-là! Allons donc! tu me juges mal. Plus je suis heureux, et plus je t'aime.

CORALIE, prenant la tête de Daniel entre ses mains et la couvrant de baisers

Oh! mon enfant! mon enfant!

SCÈNE XIII

Les Mêmes, GODEFROY
Godefroy est pâle, très animé
GODEFROY, à part

Bonchamp a raison. Je suis devant le fils…

CORALIE

M. Godefroy!

DANIEL

Qu'y a-t-il donc?

GODEFROY, il fait un geste résolu et va vers Daniel

Monsieur, je viens remplir une triste mission: un mariage entre ma fille et vous n'est plus possible, et je vous prie de me rendre ma parole.

DANIEL

Vous voulez!.. (Se tournant vers Coralie.) Que veut dire?..

CORALIE, faiblement

Ce matin, au sujet de la rédaction de ton contrat de mariage, M. Godefroy, M. Bonchamp et moi, nous nous sommes trouvés en désaccord sur un point très important.

DANIEL

Quel qu'il soit, je te supplie de céder! Tout mon bonheur en dépend.

GODEFROY

Madame votre tante croirait devoir céder que ma résolution ne serait modifiée en rien. Je vous le répète, j'ai le regret de vous redemander ma parole.

DANIEL

Vous me refusez la main d'Édith!

GODEFROY

Oui.

DANIEL

Et rien ne vous fera revenir sur cette décision?

GODEFROY

Rien.

Daniel fait un geste désespéré, il regarde Coralie, qui détourne les yeux, puis, tout à coup, très simplement
DANIEL

Pourquoi?

GODEFROY, avec un geste d'impatience

Mais, monsieur…

DANIEL

Oui, pourquoi? voyons, monsieur, raisonnons froidement. Il faut un prétexte pour changer d'avis si promptement… M'a-t-on calomnié auprès de vous? Je vous adjure de me l'apprendre. Suis-je victime d'une accusation mensongère? Dites-moi laquelle.

GODEFROY

Vous vous trompez; personne ne vous a calomnié, personne ne vous a accusé.

DANIEL, avec fermeté

Alors, vous me forcez à exiger l'explication catégorique que je me bornais à solliciter. Ma dignité est atteinte, car j'estime qu'on ne repousse un homme tel que moi que si son honneur est entaché!

GODEFROY

Je ne dis pas cela, mais…

DANIEL

Vous ne le dites pas, mais vous le pensez! En vérité, je deviens fou! Je vous somme de vous expliquer.

GODEFROY

Ah! vous le prenez sur ce ton!

DANIEL

Sur le ton d'un homme qu'on chasse sans lui dire pourquoi.

GODEFROY

Vous me feriez sortir de mon caractère! Si je ne parle pas, monsieur, c'est que je ne peux parler, c'est qu'il est certaines choses que je voudrais vous taire!

DANIEL

Mais vous ne voyez donc pas que je ne me contiens plus! Vous n'avez plus le droit de garder le silence. Mais répondez-moi donc! C'est une question d'honneur qui me sépare d'Édith?

GODEFROY

Oui.

DANIEL

Une tare sur moi?

GODEFROY

Oui.

DANIEL

Laquelle?

GODEFROY

Interrogez madame: c'est elle qui doit vous répondre.

Il sort

SCÈNE XIV

CORALIE, DANIEL
DANIEL, doucement, presque à voix basse

Ma chérie, est-ce vrai ce qu'a dit cet homme? Est-ce vrai que c'est à toi de m'apprendre, de me révéler…

CORALIE

Oui.

DANIEL

Il ment, n'est-ce pas?.. Il ment… ou on l'a trompé?

CORALIE

Non, tu ne peux pas épouser Édith.

DANIEL

C'est donc vrai! Je suis donc déshonoré! Tu courbes le front, tu ne réponds rien? Je suis déshonoré! moi! Comment? par qui?

CORALIE, d'une voix rauque

Par ta mère.

DANIEL, reculant

Par ma mère…

CORALIE

Je t'ai menti; je ne pouvais faire autrement. Ta mère n'est pas morte en te mettant au monde. Elle a eu une existence honteuse: c'était une fille perdue.

DANIEL, brisé

Ma mère!

CORALIE

Et pour tout te dire en un mot: elle s'appelait Coralie.

DANIEL, d'une voix éclatante

Je suis le fils de Coralie, moi! (Coralie tombe agenouillée, foudroyée, avec un sanglot. – Un silence. – Daniel la regarde.) C'est toi qui es Coralie; c'est toi qui es ma mère.

CORALIE, très bas

Oui.

Daniel éclate en sanglots. Puis il regarde de nouveau Coralie; alors il essuie ses larmes et allant vers elle
DANIEL, très doucement

Tu es ma mère. Relève-toi.

CORALIE

Daniel…

DANIEL, même jeu

Quoi que tu aies fait, je suis forcé de t'absoudre.

CORALIE

Tu ne me maudis pas?

DANIEL, même jeu

Puisque je suis ton fils… Tu n'es pas une femme pour moi, tu es la mère, l'être sacré qui a pris soin de mon enfance, qui m'a élevé, qui m'a aimé, moi qui étais seul au monde. Que d'autres t'accablent; moi je te pardonne. Que d'autres te méprisent, moi je te respecte.

CORALIE

Tu me pardonnes?

DANIEL, gravement

J'oublie.

CORALIE

Oh! mon Daniel! Et je te condamne à la souffrance! Et je brise ton bonheur! Ah! si tu voyais le martyre que j'endure!..

DANIEL

Je le vois, mais sois courageuse comme je suis fort. Tu comprends qu'à partir de cette heure, une existence nouvelle commence pour nous deux. Après ton aveu, je n'ai pas à t'interroger. De ton passé, je ne veux, je ne dois savoir qu'une chose… (Il la regarde en face.) Qui est mon père?

Coralie se tait. Daniel comprend et pousse un cri en cachant sa tête entre ses mains
CORALIE

Je refuse ton pardon! Renie-moi, chasse-moi, je suis une misérable! Il serait odieux que l'existence d'un homme tel que toi fût brisée par une Coralie! Tu crois que je t'ai aimé tout de suite? Ce n'est pas vrai. Je n'ai même pas eu cette vertu. Quand tu es né, je t'ai mis en nourrice, au hasard, comme tu étais venu, et j'allais te voir, une fois, deux fois par an, quand je m'ennuyais, comme j'aurais fait une partie de campagne. Mais tu ne peux pas te rappeler, tu étais trop petit. Tu as grandi, ça me vieillissait, je t'ai mis au collège pour me débarrasser de toi. Un jour on m'a dit que tu étais intelligent. Cela m'a fait plaisir; je t'ai aimé, parce que tu flattais mon orgueil. Je n'ai changé que plus tard, quand je t'ai vu le premier de tous par l'intelligence, par le travail, par le succès. T'imagines-tu par hasard que tu me doives quelque chose? C'est moi qui te dois tout. D'habitude, c'est la mère qui met de nobles sentiments dans l'âme de son fils: c'est toi au contraire qui mettais lentement comme une vague idée d'honneur dans la mienne. En vain je me suis retirée au fond de l'Auvergne. Quelques années de retraite n'effacent pas toute une vie infâme. Tu sais tout: décide. Quand tu m'as pardonnée ce n'est pas ta justice qui a prononcé, c'est ta reconnaissance. Je la répudie, j'en suis indigne. La seule grâce que je te demande, c'est de me maudire, de me renier, de me chasser, et de continuer ta route comme si je n'existais pas!

DANIEL, très doucement

Tu ne me quitteras jamais.

CORALIE

Rien ne te lie à moi.

DANIEL, même jeu

Tu te trompes. Il y a mon sang.

 
CORALIE

Daniel, Daniel, je ne veux pas de ton sacrifice. Je suis le seul obstacle à ton bonheur. Aucun lien légal n'existe entre nous. Si tu dis: «Je ne connais plus cette femme,» tu peux épouser Édith, puisque tu ne portes pas mon nom.

DANIEL, avec une tendresse infinie

C'est vrai, je ne porte pas ton nom; eh bien! je te donne le mien. Tu ne m'as pas reconnu à ma naissance, mais tu es ma mère, tu m'as aimé: je te légitime. Embrasse-moi.

La toile tombe

Inne książki tego autora