La Querelle d'Homère dans la presse des Lumières

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Z serii: Biblio 17 #225
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Structure et repères

Cet outil méthodologique, qui tente de concilier l’histoire des idées et l’analyse du discours, résulte de notre volonté d’entamer une « lecture horizontale » et d’étudier les dimensions politique, esthétique et épistémologique de la Querelle d’Homère1. À première vue, cette approche paraît pourtant anachronique. Ni l’adjectif « esthétique », ni le mot « épistémologique » ne figurent dans le Dictionnaire universel d’Antoine Furetière, AntoineFuretière, seul le terme « politique2 » s’y trouve. Toutefois, ces trois angles d’attaque nous permettent de perfectionner la problématique générale et d’approfondir nos analyses.

Tout d’abord, nous nous intéresserons à la dimension politique de la querelle. Selon Furetière, AntoineFuretière, l’adjectif politique « concerne le gouvernement, la conduite de la vie3 ». Cette définition résume l’approche de notre première partie dans laquelle nous nous intéresserons à la vie politique dans le sens du gouvernement, sans entrer toutefois dans la discussion de mesures concrètes qui, à l’exception des campagnes militaires, ne figurent pas dans le Nouveau Mercure galant. Inspiré par les recherches d’Andreas Gestrich qui souligne l’importance d’une communication active de la part d’un prince absolu afin de légitimer son pouvoir face à ses sujets4, nous chercherons à découvrir de quelle manière les contributeurs du Nouveau Mercure galant et son responsable se prononcent sur les enjeux socio-politiques de la Querelle d’Homère. Nous voudrons, par conséquent, savoir ce qui distingue un bon d’un mauvais noble, dans quelle mesure la revue, et plus particulièrement sa réception de la querelle, contribuent à l’unification du royaume et ce qui caractérise la bonne glorification du roi, un sujet indissociable de la Querelle des Anciens et des Modernes depuis la lecture du « Siècle de Louis le Grand » à l’Académie française en 16875. Afin de mettre en relief nos résultats, nous nous pencherons également sur le changement de régime après la mort de Louis XIVLouis XIV. Le but en sera de découvrir de quelle façon l’avènement de la Régence se manifeste dans le périodique. Enfin, nous nous intéressons encore à la place des galantes femmes dans le champ littéraire ce qui nous permet d’aborder – au moins, partiellement – les attentes sociales à leur égard.

Ensuite, nous nous tournerons vers la dimension esthétique de la Querelle d’Homère. Au début du XVIIIe siècle, ce mot n’existe pas encore et il serait plus approprié de parler de la critique du goût. Cependant, au moins deux raisons justifient l’emploi anachronique de l’adjectif « esthétique ». D’un côté, selon la 9e édition du Dictionnaire de l’Académie française, il désigne la « science du beau6 » et, par conséquent, renvoie également à la question de savoir ce qu’est la belle littérature, ici dans le sens d’une littérature moralement irréprochable et divertissante. De l’autre, l’adjectif « esthétique » rappelle que la Querelle des Anciens et des Modernes préfigure les travaux de Jean-Baptiste Du Bos, Jean-BaptisteDu Bos ou d’Alexander Baumgarten, AlexanderBaumgarten7 et qu’elle s’inscrit dans un processus historique plus long. C’est là une perspective que nous ne voudrions pas perdre de vue, même si le cadre de nos recherches sera plus restreint : nous commencerons par la critique de l’Iliade et des traductions d’Anne Dacier et d’Houdar de La Motte avant d’étudier des réflexions plus théoriques sur ce qu’est un bon écrivain. Pour conclure cette deuxième partie, nous analyserons des exemples concrets de la littérature galante, comme les nouvelles ou les petites pièces en vers, pour voir dans quelle mesure la revue contribue à propager un idéal des belles-lettres.

Enfin, nous aborderons la dimension épistémologique de la Querelle d’Homère. De nouveau, il s’agit d’un adjectif qui ne figure ni dans le Dictionnaire universel de Furetière, AntoineFuretière, ni dans les éditions du Dictionnaire de l’Académie française de 1694 ou de 1718. Il faut en attendre même la 9e version pour qu’y entrent le substantif « épistémologie » et l’adjective qui en est dérivée. Selon les Immortels, l’« épistémologie » forme l’« [e]xamen critique des principes et méthodes qui gouvernent les sciences8 ». Ainsi, il décrit bien notre approche dans la troisième partie de ce livre : nous voudrons y découvrir l’étendue du triomphe de la méthode cartésienne du fait que même les Anciens reconnaissent les progrès effectués dans certains domaines, comme, par exemple, la médecine. Concrètement, cela signifie que nous nous interrogerons d’abord sur la place accordée aux savoirs hérités de l’Antiquité avant de questionner la notion de « progrès » pour finir sur les limites de la méthode géométrique. D’une certaine manière, ce dernier grand chapitre formera le point culminant de notre étude. En adoptant une nouvelle perspective, nous serons à même de reprendre certaines pistes que nous aurons esquissées dans les parties précédentes et de les approfondir, comme par exemple les rapports entre la culture dans un sens large et la raison d’inspiration cartésienne.

Les textes qui nous permettront de répondre à toutes ces questions sont de deux natures : la littérature de recherche et les textes primaires, tels que le Nouveau Mercure galant qui constitue notre corpus principal.

Premièrement, il faut ajouter quelques précisions techniques à propos de la revue de Le Fèvre de Fontenay qui complètent notre description déjà évoquée de la nature du Nouveau Mercure galant. De nos jours, le périodique est entièrement numérisé. Les 29 livraisons de la revue sont principalement accessibles sur « Gallica », la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France9, ou sur le « Gazetier universel », une « bibliothèque virtuelle de la presse de l’Ancien Régime10 » dont s’occupe Denis Reynaud de l’Université Lumière – Lyon 2. Par conséquent, nous avons souvent accès à plusieurs versions d’une même livraison du Mercure, ce qui nous permet d’éviter les numérisations de mauvaise qualité. Ensuite, il ne faut pas oublier que les Mercures sont constitués d’un grand nombre de contributions différentes qui traitent de la Querelle d’Homère à des degrés divers, ce qui signifie que nous devons justifier le choix de nos textes. Si une contribution fait de la querelle son sujet principal, comme un compte-rendu des Causes de la corruption du goût, Gisela Bock et Margarete Zimmermann le décrivent comme un texte de querelle de premier ordre. En revanche, un texte qui n’évoque qu’indirectement les enjeux de la querelle est considéré comme un texte de querelle de deuxième ordre11 ; un bon exemple en est une nouvelle galante qui met en avant les vertus d’un bon noble. Afin d’esquisser une carte plus complète des discours dans lesquels le Nouveau Mercure galant s’inscrit, nous n’excluons aucun texte de nos études tout en partant – si possible – des textes de querelle de premier ordre. Néanmoins, nous devons admettre que certaines sortes de textes de la revue ne joueront guère un rôle dans nos travaux : nous pensons notamment aux partitions, aux chansons12 ainsi qu’aux annonces, hormis celles des nouveaux livres13.

Deuxièmement, nous tenons à indiquer également quelques chercheurs dont les travaux jouent un rôle important pour nos propres recherches, sans pouvoir évoquer ici tous les auteurs consultés. Notre compréhension générale de la Querelle des Anciens et des Modernes ainsi que de la Querelle d’Homère est principalement fondée sur les recherches de Noémi Hepp14, Marc Fumaroli15 et Larry F. Norman16. Ils nous fournissent les informations qui nous permettent de situer la Querelle d’Homère et d’en comprendre les enjeux. Le grand ouvrage de référence est l’Homère en France au XVIIe siècle d’Hepp et, même s’il date de 1968, il constitue toujours un pilier incontournable qui résume la réception d’Homère au siècle classique. Fumaroli a donc parfaitement raison d’écrire à propos de ce livre qu’« une belle et vaste culture est ici à l’œuvre, une profonde connaissance du XVIIe siècle dans sa riche diversité17 » et qu’il forme un « instrument de travail […] admirable18 ». Tandis qu’Hepp met l’accent sur Homère, Fumaroli lui-même s’intéresse, dans son essai « Les Abeilles et les Araignées », à « la mythique ‘Querelle’ […] [dont il] retrace la genèse et […] éclaire les implications les plus profondes19 ». Cette étude, parue en 2001, forme avec les textes de querelle réunis par Anne-Marie Lecoq et un essai de Jean-Robert Armogathe un livre intitulé La Querelle des Anciens et des Modernes. Celui-ci peut être considéré, selon Jean-Pierre Landry, comme une réponse à Noémi Hepp qui déclare que les Modernes ont remporté la victoire dans la Querelle d’Homère20. Fumaroli, Lecoq et Armogathe parviennent notamment à nuancer le bilan d’Hepp en soulignant que la véritable culture n’est ni ancienne, ni moderne, mais un « va-et-vient permanent entre le passé et le présent21 ». La revalorisation des Anciens se poursuit avec l’ouvrage de Norman pour qui « les vrais modernes, ce sont les Anciens, précurseurs des Lumières et du sensualisme22 ». Dans The Shock of the Ancient, Norman décrit d’abord la distance qui sépare la France galante de l’Antiquité homérique. Ensuite, il explique dans quelle mesure la littérature antique choque les Modernes sur un plan politique, religieux et moral et, enfin, il précise « le passage de la poétique, domaine des règles de fabrication, à celui de l’esthétique naissante23 ». Cette étude nous aide énormément parce que Norman y décrit moins des événements que des idées et des discours.

Tout comme la Querelle d’Homère, le Nouveau Mercure galant constitue un sujet de recherche complexe puisque, tout en faisant partie de l’histoire de la presse, la revue d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay échappe – comme les autres titres de l’Ancien Régime – aux règles du journalisme des XIXe ou XXe siècle. À cela s’ajoute encore une autre difficulté : le Nouveau Mercure galant n’a été guère étudié jusqu’ici. En revanche, nous disposons de quelques études sur le Mercure galant de Jean Donneau de Visé [Devizé], JeanDonneau de Visé24 et sur la presse du XVIIIe siècle qui nous permettent de mieux comprendre le fonctionnement et la nature du périodique d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay. C’est d’ailleurs l’apport principal du Mercure galant de Monique Vincent que Amy Wygant compare à un « guide25 » qui nous permet de découvrir un corpus peu accessible autrement. Si Vincent présente toute la richesse textuelle du Mercure, Christophe Schuwey26 accentue davantage son étude sur le fonctionnement éditorial du périodique de Donneau de Visé [Devizé], JeanDonneau de Visé qu’il décrit plutôt comme un recueil. Étant donné que Schuwey analyse aussi les attentes du public et décrit le Mercure galant comme un « salon de papier27 » ainsi qu’un « espace social virtuel », ses résultats rejoignent ceux de Suzanne Dumouchel qui propose dans Le Journal littéraire une « étude des pratiques culturelles à l’œuvre dans le journal littéraire28 » au XVIIIe siècle. Ainsi favorise-t-elle en avant les lecteurs, leurs pratiques et leurs rapports avec le périodique. Contrairement à Schuwey qui revendique une « démarche endogène29 », Dumouchel est influencée par les sciences de la communication, ce qui est un changement de perspective fructueux puisqu’elle nous permet de bien situer le Nouveau Mercure galant dans la longue histoire des médias30.

 

Par conséquent, nous verrons dans cette étude dans quelle mesure le Nouveau Mercure galant s’inscrit dans les discours anciens et modernes de la Querelle d’Homère, tout en découvrant mieux le périodique d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay souvent ignoré par les chercheurs d’aujourd’hui.

Partie I – Dimension politique

« Les bruits des parlements ne sont plus de saison1. » Ces mots de Jean-Baptiste Colbert, Jean-BaptisteColbert résument bien les premières années du règne personnel de Louis XIVLouis XIV. À partir de 1661, le jeune monarque commence à centraliser le pouvoir : il réduit massivement le droit de remontrance des parlements et change leurs statuts ; ils perdent notamment le droit de s’appeler « cours souveraines » et deviennent des « cours suprêmes ». Ce changement de titre n’est qu’une mesure symbolique, mais éloquente des nouveaux rapports de force qui s’installent et dont bénéficie principalement le roi2. Dans le même temps, la noblesse d’épée perd de l’influence au profit des ministres dotés d’un savoir-faire technique, comme par exemple, Colbert, Jean-BaptisteColbert ou LouvoisLouvois. Par conséquent, mais sans entrer dans la discussion qui entoure la notion d’« absolutisme3 », il faut constater qu’il existe un affaiblissement remarquable d’une partie des institutions traditionnelles dont bénéficient le roi et sa cour. Selon Andreas Gestrich, ce changement structurel entraîne cependant un certain vide de pouvoir et un manque de légitimation que la royauté doit combler. Gestrich évoque à ce titre « un processus permanent de communication entre le roi et ses sujets4 » ; il paraît évident que le Nouveau Mercure galant, comme successeur du Mercure galant de Jean Donneau de Visé [Devizé], JeanDonneau de Visé, continue à y jouer un rôle en tant que revue semi-officielle. Monique Vincent, par exemple, estime que « [l]a dédicace au Roi est à elle seule tout un programme. Elle marque une orientation qui sera réitérée à chaque livraison5 » et Suzanne Dumouchel décrie les différents Mercures du XVIIIe siècle comme des « instrument[s] du pouvoir royal6 ».

Tout comme le Nouveau Mercure galant qui forme donc une revue hautement politique – trait de caractère qui est renforcé par sa périodicité7 –, la Querelle des Anciens et des Modernes a également une dimension politique. Ceci est souligné par les recherches de Marc Fumaroli ou Larry F. Norman qui évoquent, notamment, le problème de la bonne glorification du roi8 ou le comportement digne d’un bon noble exemplaire. Ainsi, au vu de la grande présence de la Querelle d’Homère dans le périodique et de sa mission politique, la question de savoir dans quelle mesure les propos politiques du périodique reflètent la dualité des Anciens et des Modernes qui marque la société française au début du XVIIIe siècle s’impose.

Afin de répondre à cette problématique, plusieurs aspects attirent notre attention. Tout d’abord, nous nous pencherons sur la société d’ordres et notamment sur les héros de l’Iliade. Nous étudierons s’ils constituent toujours des modèles pour les nobles français et quels sont les idéaux du deuxième ordre du royaume. Dans ce sous-chapitre, nous verrons aussi si les contributeurs du périodique s’intéressent à l’état réel, donc précaire, de la noblesse d’épée du royaume ou, au contraire, s’ils développent un discours plutôt abstrait et théorique. Par la suite, nous aborderons encore la question complexe de l’unification du royaume – qui est étroitement liée à celle de la concentration du pouvoir9 – c’est-à-dire que nous étudierons le prestige accordé au français et, en nous fondant sur l’exemple de la Querelle d’Homère, nous analyserons dans quelle mesure un espace public, c’est-à-dire une communauté qui participe d’une manière active à un échange d’opinions et d’idées, existait déjà à l’aube des Lumières10.

Puis, la question hautement politique de la bonne glorification du roi sera discutée. Les différentes manières de chanter les éloges de Louis XIVLouis XIV et de Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans seront mises en avant et principalement le recours ou l’absence des références à l’histoire, notamment au monde gréco-romain. Mais, comme la mort du roi-soleil n’a guère attristé ses sujets11, nous nous interrogerons également sur une possible démarcation du défunt roi : les contributeurs et auteurs du périodique osent-ils dénoncer les dérives de la politique royale malgré l’orientation du Nouveau Mercure galant ? Et, étant donné que le Régent a d’autres convictions et prédilections que Louis XIVLouis XIV, il sera également nécessaire de s’intéresser à sa politique culturelle qui est, par exemple, marquée par le retour de la Comédie-Italienne.

Enfin, la femme et sa position dans le champ littéraire attireront notre attention : la Querelle d’Homère est-elle également une Querelle des Femmes ? Ou encore, quel accueil le Nouveau Mercure galant – en théorie une revue qui s’adresse spécialement aux femmes – accorde-t-il à Anne Dacier, une figure-clé de l’époque du roi-soleil ? Néanmoins, il faut également préciser les limites de ce chapitre : premièrement, il n’y sera question que des femmes nobles ou appartenant aux premières familles de la bourgeoisie naissante, puisque le périodique d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay s’adresse particulièrement à elles depuis sa création12. Et, deuxièmement, selon Gisela Bock et Margarete Zimmermann, un aspect fondamental de la Querelle des Femmes reste la critique du mariage13. Dans le Nouveau Mercure galant, cette problématique est principalement abordée dans les nouvelles galantes qui sont publiées chaque mois dans la revue et qui s’inspirent de l’exemple de la Princesse de Clèves, le grand roman à succès de la deuxième moitié du XVIIe siècle et, par ailleurs, le moment central d’une autre phase de la Querelle des Femmes14. Or, dans la revue, ces textes contribuent également à la propagation du genre romanesque. La critique du mariage ne constitue pas leur unique thème et cela nous amène à évoquer les nouvelles galantes dans le chapitre consacré à la critique du goût. Le but en est de pouvoir présenter une étude complète et non-morcelée de ce genre. Malgré ces restrictions, il s’agit d’un chapitre polyvalent qui pourrait trouver sa place également dans d’autres parties. Si nous avons décidé de l’insérer ici, la raison en est simple : tout en abordant des sujets comme la perfectibilité de la femme, il y est surtout question des attentes sociales à l’égard des femmes que le Nouveau Mercure galant contribue à propager.

Le fil rouge qui traversera toute cette partie restera cependant la dualité entre les Anciens et les Modernes et la question de savoir dans quelle mesure celle-ci se retrouve dans le Nouveau Mercure galant. Cette ligne directrice sera reprise d’une manière plus conséquente dans la conclusion dans laquelle nous établirons un bilan et préciserons également, grâce aux études suivantes d’une façon plus approfondie, la nature du périodique.

1. Questions sociétales : un pouvoir centralisé et fort
1.1 Promotion des institutions monarchiques ou la société d’ordres

Paysans, chevaliers et clercs – la tripartition de la société qui marque le monde occidental depuis le Moyen Âge perdure au XVIIe et au XVIIIe siècle. L’aristocratie constitue toujours l’idéal sociétal de l’époque et les riches membres du Tiers état, par exemple les commerçants les plus prospères, rêvent d’obtenir des titres de noblesse1. De même, la vieille aristocratie d’épée doit faire preuve d’une certaine capacité d’adaptation et d’intégration tout en perdant son influence politique et en assistant à la montée de la noblesse de robe qui regroupe les éléments les plus doués du Tiers état2. Un développement qui reflète le besoin toujours grandissant d’experts maîtrisant les nouvelles découvertes et innovations techniques3. Cependant, face à ce bouleversement, la vieille noblesse de sang n’abdique pas. Au contraire, selon Frédérique Leferme-Falguières, elle se défend et entretient la « fiction de son utilité et de son savoir-faire militaires4 », par exemple en mettant en valeur la « promotion de nouveaux chevaliers […], l’une des cérémonies les plus importantes de la cour5 ». Cette mise en avant d’un monde d’hier reste un argument central de la noblesse qui devra défendre ses privilèges pendant tout le XVIIIe siècle. Par exemple, dans les remontrances de 1776, dans lesquelles les représentants du deuxième ordre au Parlement de Paris rejettent les réformes fiscales d’Anne Robert Jacques Turgot, Anne Robert JacquesTurgot, ce motif se retrouve également :

Ainsi les descendants de ces anciens chevaliers qui ont placé ou soutenu la couronne sur la tête des aïeux de Votre Majesté, les lignées pauvres et vertueuses qui, depuis tant de siècles, ont prodigué leur sang pour l’accroissement et la défense de la monarchie, ont négligé le soin de leur propre fortune et l’ont souvent consommée, pour se livrer tout entier au soin dont le bien public est l’objet6.

Certes, il s’agit d’un plaidoyer ardent en faveur des privilèges du deuxième ordre, mais, l’argument central n’est guère novateur : la noblesse donne tout pour servir son roi et les allusions aux « anciens chevaliers » ainsi qu’à la « défense de la monarchie » soulignent autant le courage des nobles d’épée que la nature militaire de ce service qui, à en croire les auteurs de ce manifeste, demande de nombreux sacrifices7.

Par conséquent, les révoltes contre les monarchies européennes de la deuxième moitié du XVIIe siècle, comme la conspiration de Lauréamont menée par le chevalier Louis de Rohan-Guémené, Louis deRohan-Guémené et démasquée en 16748 ou la Glorieuse Révolution en Angleterre en 1688 et 1689, sont habilement omises et les autorités veulent les chasser de la mémoire collective. Ces agissements ne constituent simplement pas des exemples recommandables. Ainsi, il n’est guère surprenant de voir la réaction de Charles Perrault, CharlesPerrault face à la dispute opposant AchilleAchille à AgamemnonAgamemnon, le roi le plus important de Grèce au temps de l’Iliade et donc le commandant en chef des forces grecques pendant la guerre de Troie. Dans le Parallèle des Anciens et des Modernes, Perrault, CharlesPerrault fait dire à l’Abbé qui est son porte-parole :

Je suis offensé d’entendre AchilleAchille qui traite AgamemnonAgamemnon d’yvrogne & d’impudent, qui l’appelle sac-à-vin, & et visage de chien. Il n’est pas possible que des Roys & de grands Capitaines ayent jamais esté assez brutaux pour en user ainsi ; ou si cela est arrivé quelquefois, ce sont des mœurs trop indécentes, pour estre representées dans un Poëme, […] AchilleAchille […] me paroist mal entendu […] se moquant des loix, & croyant avoir droit de s’emparer de tout par la force des armes9.

 

Pour Larry F. Norman, c’est évident : tout en écrivant « AgamemnonAgamemnon », Perrault, CharlesPerrault pense à Louis XIVLouis XIV et le comportement indigne d’AchilleAchille est à même de réveiller des souvenirs douloureux d’un passé récent ; pour un lecteur de l’époque, le recours à la « force des armes » peut pointer vers les révoltes évoquées ci-dessus. Et Norman insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une surinterprétation de la part de Perrault, CharlesPerrault qui semble connaître les textes de Thomas Hobbes, ThomasHobbes10. Dans le Léviathan, celui-ci reproche également aux auteurs grecs et romains de constituer une menace pour la monarchie ; c’est la raison pour laquelle Hobbes, ThomasHobbes demande aux autorités de restreindre massivement la circulation de ces livres dangereux11. Un point de vue que partagent d’ailleurs quelques contributeurs au Nouveau Mercure galant, comme Jean-Antoine Du Cerceau, Jean-AntoineDu Cerceau ou l’abbé Jean-François de Pons, Jean-François de [M. P.]Pons12.

Pour le moment, en revanche, il paraît primordial de se concentrer sur le comportement d’AchilleAchille et d’autres héros. Si on suit le raisonnement de Norman et de Perrault, CharlesPerrault, l’Iliade d’Homère choque car elle détruit la fiction chevaleresque chère à la noblesse et car elle peut inciter les nobles à la révolte : de ce fait, la question de savoir comment le Nouveau Mercure galant d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay traite ce passage de l’Iliade s’impose.