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Robinson Crusoe. I

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ROBINSON MARCHAND DE GUIN 4

Nous avancions lentement, et nous ne pûmes aborder avant d'avoir passé le phare de Winterton; la côte s'enfonçait à l'Ouest vers Cromer, de sorte que la terre brisait la violence du vent. Là, nous abordâmes, et, non sans grande difficulté, nous descendîmes touts sains et saufs sur la plage, et allâmes à pied à Yarmouth, où, comme des infortunés, nous fûmes traités avec beaucoup d'humanité, et par les magistrats de la ville, qui nous assignèrent de bons gîtes, et par les marchands et les armateurs, qui nous donnèrent assez d'argent pour nous rendre à Londres ou pour retourner à Hull, suivant que nous le jugerions convenable.

C'est alors que je devais avoir le bon sens de revenir à Hull et de rentrer chez nous; j'aurais été heureux, et mon père, emblème de la parabole de notre Sauveur, eût même tué le veau gras pour moi; car, ayant appris que le vaisseau sur lequel j'étais avait fait naufrage dans la rade d'Yarmouth, il fut long-temps avant d'avoir l'assurance que je n'étais pas mort.

Mais mon mauvais destin m'entraînait avec une obstination irrésistible; et, bien que souvent ma raison et mon bon jugement me criassent de revenir à la maison, je n'avais pas la force de le faire. Je ne saurais ni comment appeler cela, ni vouloir prétendre que ce soit un secret arrêt irrévocable qui nous pousse à être les instruments de notre propre destruction, quoique même nous en ayons la conscience, et que nous nous y précipitions les yeux ouverts; mais, véritablement, si ce n'est quelque décret inévitable me condamnant à une vie de misère et qu'il m'était impossible de braver, quelle chose eût pu m'entraîner contre ma froide raison et les persuasions de mes pensées les plus intimes, et contre les deux avertissements si manifestes que j'avais reçus dans ma première entreprise.

Mon camarade, qui d'abord avait aidé à mon endurcissement, et qui était le fils du capitaine, se trouvait alors plus découragé que moi. La première fois qu'il me parla à Yarmouth, ce qui ne fut pas avant le second ou le troisième jour, car nous étions logés en divers quartiers de la ville; la première fois, dis-je, qu'il s'informa de moi, son ton me parut altéré: il me demanda d'un air mélancolique, en secouant la tête, comment je me portais, et dit à son père qui j'étais, et que j'avais fait ce voyage seulement pour essai, dans le dessein d'en entreprendre d'autres plus lointains. Cet homme se tourna vers moi et, avec un accent de gravité et d'affliction: – «Jeune homme, me dit-il, vous ne devez plus retourner sur mer; vous devez considérer ceci comme une marque certaine et visible que vous n'êtes point appelé à faire un marin.» – «Pourquoi, monsieur? est-ce que vous n'irez plus en mer?» – «Le cas est bien différent, répliqua-t-il: c'est mon métier et mon devoir; au lieu que vous, qui faisiez ce voyage comme essai, voyez quel avant-goût le ciel vous a donné de ce à quoi il faudrait vous attendre si vous persistiez. Peut-être cela n'est-il advenu qu'à cause de vous, semblable à Jonas dans le vaisseau de Tarsis. Qui êtes-vous, je vous prie? et pourquoi vous étiez-vous embarqué?» – Je lui contai en partie mon histoire. Sur la fin il m'interrompit et s'emporta d'une étrange manière. – «Qu'avais-je donc fait, s'écria-t-il, pour mériter d'avoir, à bord un pareil misérable! Je ne voudrais pas pour mille livres sterling remettre le pied sur le même vaisseau que vous!» – C'était, en vérité, comme j'ai dit, un véritable égarement de ses esprits encore troublés par le sentiment de sa perte, et qui dépassait toutes les bornes de son autorité. Toutefois, il me parla ensuite très-gravement, m'exhortant à retourner chez mon père et à ne plus tenter la Providence. Il me dit qu'il devait m'être visible que le bras de Dieu était contre moi; – «enfin, jeune homme, me déclara-t-il, comptez bien que si vous ne vous en retournez, en quelque lieu que vous alliez, vous ne trouverez qu'adversité et désastre jusqu'à ce que les paroles de votre père se vérifient en vous.»

Je lui répondis peu de chose; nous nous séparâmes bientôt après, et je ne le revis plus; quelle route prit-il? je ne sais. Pour moi, ayant quelque argent dans ma poche, je m'en allai, par terre, à Londres. Là, comme sur la route, j'eus plusieurs combats avec moi-même sur le genre de vie que je devais prendre, ne sachant si je devais retourner chez nous ou retourner sur mer.

Quant à mon retour au logis, la honte étouffait les meilleurs mouvements de mon esprit, et lui représentait incessamment combien je serais raillé dans le voisinage et serais confus, non-seulement devant mon père et ma mère, mais devant même qui que ce fût. D'où j'ai depuis souvent pris occasion d'observer combien est sotte et inconséquente la conduite ordinaire des hommes et surtout de la jeunesse, à l'égard de cette raison qui devrait les guider en pareils cas: qu'ils ne sont pas honteux de l'action qui devrait, à bon droit, les faire passer pour insensés, mais qu'ils sont honteux de leur repentance, qui seule peut les faire honorer comme sages.

Toutefois je demeurai quelque temps dans cette situation, ne sachant quel parti prendre, ni quelle carrière embrasser, ni quel genre de vie mener. J'éprouvais toujours une répugnance invincible pour la maison paternelle; et, comme je balançais long-temps, le souvenir de la détresse où j'avais été s'évanouissait, et avec lui mes faibles désirs de retour, jusqu'à ce qu'enfin je les mis tout-à-fait de côté, et cherchai à faire un voyage.

Cette maligne influence qui m'avait premièrement poussé hors de la maison paternelle, qui m'avait suggéré l'idée extravagante et indéterminée de faire fortune, et qui m'avait inculqué si fortement ces fantaisies, que j'étais devenu sourd aux bons avis, aux remontrances, et même aux ordres de mon père; cette même influence, donc, quelle qu'elle fût, me fit concevoir la plus malheureuse de toutes les entreprises, celle de monter à bord d'un vaisseau partant pour la côte d'Afrique, ou, comme nos marins disent vulgairement, pour un voyage de Guinée.

Ce fut un grand malheur pour moi, dans toutes ces aventures, que je ne fisse point, à bord, le service comme un matelot; à la vérité j'aurais travaillé plus rudement que de coutume, mais en même temps je me serais instruit des devoirs et de l'office d'un marin; et, avec le temps, j'aurais pu me rendre apte à faire un pilote ou un lieutenant, sinon un capitaine. Mais ma destinée était toujours de choisir le pire; parce que j'avais de l'argent en poche et de bons vêtements sur le dos, je voulais toujours aller à bord comme un gentleman; aussi je n'eus jamais aucune charge sur un bâtiment et ne sus jamais en remplir aucune.

J'eus la chance, dès mon arrivée à Londres, de tomber en assez bonne compagnie, ce qui n'arrive pas toujours aux jeunes fous libertins et abandonnés comme je l'étais alors, le démon ne tardant pas généralement à leur dresser quelques embûches; mais pour moi il n'en fut pas ainsi. Ma première connaissance fut un capitaine de vaisseau qui, étant allé sur la côte de Guinée avec un très-grand succès, avait résolu d'y retourner; ayant pris goût à ma société, qui alors n'était pas du tout désagréable, et m'ayant entendu parler de mon projet de voir le monde, il me dit: – «Si vous voulez faire le voyage avec moi, vous n'aurez aucune dépense, vous serez mon commensal et mon compagnon; et si vous vouliez emporter quelque chose avec vous, vous jouiriez de touts les avantages que le commerce offrirait, et peut-être y trouveriez-vous quelque profit.

J'acceptai l'offre, et me liant d'étroite amitié avec ce capitaine, qui était un homme franc et honnête, je fis ce voyage avec lui, risquant une petite somme, que par sa probité désintéressée, j'augmentai considérablement; car je n'emportai environ que pour quarante livres sterling de verroteries et de babioles qu'il m'avait conseillé d'acheter. Ces quarante livres sterling, je les avais amassées par l'assistance de quelques-uns de mes parents avec lesquels je correspondais, et qui, je pense, avaient engagé mon père ou au moins ma mère à contribuer d'autant à ma première entreprise.

C'est le seul voyage où je puis dire avoir été heureux dans toutes mes spéculations, et je le dois à l'intégrité et à l'honnêteté de mon ami le capitaine; en outre j'y acquis aussi une suffisante connaissance des mathématiques et des règles de la navigation; j'appris à faire l'estime d'un vaisseau et à prendre la hauteur; bref à entendre quelques-unes des choses qu'un homme de mer doit nécessairement savoir. Autant mon capitaine prenait de plaisir à m'instruire, autant je prenais de plaisir à étudier; et en un mot ce voyage me fit tout à la fois marin et marchand. Pour ma pacotille, je rapportai donc cinq livres neuf onces de poudre d'or, qui me valurent, à mon retour à Londres, à peu près trois cents livres sterling, et me remplirent de pensées ambitieuses qui, plus tard, consommèrent ma ruine.

Néanmoins, j'eus en ce voyage mes disgrâces aussi; je fus surtout continuellement malade et jeté dans une violente calenture5 par la chaleur excessive du climat: notre principal trafic se faisant sur la côte depuis le quinzième degré de latitude septentrionale jusqu'à l'équateur.

 

Je voulais alors me faire marchand de Guinée, et pour mon malheur, mon ami étant mort peu de temps après son arrivée, je résolus d'entreprendre encore ce voyage, et je m'embarquai sur le même navire avec celui qui, la première fois, en avait été le contremaître, et qui alors en avait obtenu le commandement. Jamais traversée ne fut plus déplorable; car bien que je n'emportasse pas tout-à-fait cent livres sterling de ma nouvelle richesse, laissant deux cents livres confiées à la veuve de mon ami, qui fut très-fidèle dépositaire, je ne laissai pas de tomber en de terribles infortunes. Notre vaisseau, cinglant vers les Canaries, ou plutôt entre ces îles et la côte d'Afrique, fut surpris, à l'aube du jour, par un corsaire turc de Sallé, qui nous donna la chasse avec toute la voile qu'il pouvait faire. Pour le parer, nous forçâmes aussi de voiles autant que nos vergues en purent déployer et nos mâts en purent charrier; mais, voyant que le pirate gagnait sur nous, et qu'assurément avant peu d'heures il nous joindrait, nous nous préparâmes au combat. Notre navire avait douze canons et l'écumeur en avait dix-huit.

Environs à trois heures de l'après-midi, il entra dans nos eaux, et nous attaqua par méprise, juste en travers de notre hanche, au lieu de nous enfiler par notre poupe, comme il le voulait. Nous pointâmes huit de nos canons de ce côté, et lui envoyâmes une bordée qui le fit reculer, après avoir répondu à notre feu et avoir fait faire une mousqueterie à près de deux cents hommes qu'il avait à bord. Toutefois, tout notre monde se tenant couvert, pas un de nous n'avait été touché. Il se prépara à nous attaquer derechef, et nous, derechef, à nous défendre; mais cette fois, venant à l'abordage par l'autre flanc. Il jeta soixante hommes sur notre pont, qui aussitôt coupèrent et hachèrent nos agrès. Nous les accablâmes de coups de demi-piques, de coups de mousquets et de grenades d'une si rude manière, que deux fois nous les chassâmes de notre pont. Enfin, pour abréger ce triste endroit de notre histoire, notre vaisseau étant désemparé, trois de nos hommes tués et huit blessés, nous fûmes contraints de nous rendre, et nous fûmes touts conduits prisonniers à Sallé, port appartenant aux Maures.

Là, je reçus des traitements moins affreux que je ne l'avais appréhendé d'abord. Ainsi que le reste de l'équipage, je ne fus point emmené dans le pays à la Cour de l'Empereur; le capitaine du corsaire me garda pour sa part de prise; et, comme j'étais jeune, agile et à sa convenance, il me fit son esclave.

ROBINSON CAPTIF

À ce changement subit decondition, qui, de marchand, me faisait misérable esclave, je fus profondément accablé; je me ressouvins alors du discours prophétique de mon père: que je deviendrais misérable et n'aurais personne pour me secourir; je le crus ainsi tout-à-fait accompli, pensant que je ne pourrais jamais être plus mal, que le bras de Dieu s'était appesanti sur moi, et que j'étais perdu sans ressource. Mais hélas! ce n'était qu'un avant-goût des misères qui devaient me traverser, comme on le verra dans la suite de cette histoire.

Mon nouveau patron ou maître m'avait pris avec lui dans sa maison; j'espérais aussi qu'il me prendrait avec lui quand de nouveau il irait en mer, et que tôt ou tard son sort serait d'être pris par un vaisseau de guerre espagnol ou portugais, et qu'alors je recouvrerais ma liberté; mais cette espérance s'évanouit bientôt, car lorsqu'il retournait en course, il me laissait à terre pour soigner son petit jardin et faire à la maison la besogne ordinaire des esclaves; et quand il revenait de sa croisière, il m'ordonnait de coucher dans sa cabine pour surveiller le navire.

Là, je songeais sans cesse à mon évasion et au moyen que je pourrais employer pour l'effectuer, mais je ne trouvai aucun expédient qui offrit la moindre probabilité, rien qui pût faire supposer ce projet raisonnable; car je n'avais pas une seule personne à qui le communiquer, pour qu'elle s'embarquât avec moi; ni compagnons d'esclavage, ni Anglais, ni Irlandais, ni Écossais. De sorte que pendant deux ans, quoique je me berçasse souvent de ce rêve, je n'entrevis néanmoins jamais la moindre chance favorable de le réaliser.

Au bout de ce temps environ il se présenta une circonstance singulière qui me remit en tête mon ancien projet de faire quelque tentative pour recouvrer ma liberté. Mon patron restant alors plus long-temps que de coutume sans armer son vaisseau, et, à ce que j'appris, faute d'argent, avait habitude, régulièrement deux ou trois fois par semaine, quelquefois plus si le temps était beau, de prendre la pinasse du navire et de s'en aller pêcher dans la rade; pour tirer à la rame il m'emmenait toujours avec lui, ainsi qu'un jeune Maurisque6; nous le divertissions beaucoup, et je me montrais fort adroit à attraper le poisson; si bien qu'il m'envoyait quelquefois avec un Maure de ses parents et le jeune garçon, le Maurisque, comme on l'appelait, pour lui pêcher un plat de poisson.

Une fois, il arriva qu'étant allé à la pêche, un matin, par un grand calme, une brume s'éleva si épaisse que nous perdîmes de vue le rivage, quoique nous n'en fussions pas éloignés d'une demi-lieue. Ramant à l'aventure, nous travaillâmes tout le jour et toute la nuit suivante; et, quand vint le matin, nous nous trouvâmes avoir gagné le large au lieu d'avoir gagné la rive, dont nous étions écartés au moins de deux lieues. Cependant nous l'atteignîmes, à la vérité non sans beaucoup de peine et non sans quelque danger, car dans la matinée le vent commença à souffler assez fort, et nous étions touts mourants de faim.

Or, notre patron, mis en garde par cette aventure, résolut d'avoir plus soin de lui à l'avenir; ayant à sa disposition la chaloupe de notre navire anglais qu'il avait capturé, il se détermina à ne plus aller à la pêche sans une boussole et quelques provisions, et il ordonna au charpentier de son bâtiment, qui était aussi un Anglais esclave, d'y construire dans le milieu une chambre de parade ou cabine semblable à celle d'un canot de plaisance, laissant assez de place derrière pour manier le gouvernail et border les écoutes, et assez de place devant pour qu'une personne ou deux pussent manœuvrer la voile. Cette chaloupe cinglait avec ce que nous appelons une voile d'épaule de mouton7qu'on amurait sur le faîte de la cabine, qui était basse et étroite, et contenait seulement une chambre à coucher pour le patron et un ou deux esclaves, une table à manger, et quelques équipets pour mettre des bouteilles de certaines liqueurs à sa convenance, et surtout son pain, son riz et son café.

Sur cette chaloupe, nous allions fréquemment à la pêche; et comme j'étais très-habile à lui attraper du poisson, il n'y allait jamais sans moi. Or, il advint qu'un jour, ayant projeté de faire une promenade dans ce bateau avec deux ou trois Maures de quelque distinction en cette place, il fit de grands préparatifs, et, la veille, à cet effet, envoya au bateau une plus grande quantité de provisions que de coutume, et me commanda de tenir prêts trois fusils avec de la poudre et du plomb, qui se trouvaient à bord de son vaisseau, parce qu'ils se proposaient le plaisir de la chasse aussi bien que celui de la pêche.

Je préparai toutes choses selon ses ordres, et le lendemain au matin j'attendais dans la chaloupe, lavée et parée avec guidon et flamme au vent, pour la digne réception de ses hôtes, lorsqu'incontinent mon patron vint tout seul à bord, et me dit que ses convives avaient remis la partie, à cause de quelques affaires qui leur étaient survenues. Il m'enjoignit ensuite, suivant l'usage, d'aller sur ce bateau avec le Maure et le jeune garçon pour pêcher quelques poissons, parce que ses amis devaient souper chez lui, me recommandant de revenir à la maison aussitôt que j'aurais fait une bonne capture. Je me mis en devoir d'obéir.

Cette occasion réveilla en mon esprit mes premières idées de liberté; car alorsje me trouvais sur le point d'avoir un petit navire à mon commandement. Mon maître étant parti, je commençai à me munir, non d'ustensiles de pêche, mais de provisions de voyage, quoique je ne susse ni ne considérasse où je devais faire route, pour sortir de ce lieu, tout chemin m'étant bon.

Mon premier soin fut de trouver un prétexte pour engager le Maure à mettre à bord quelque chose pour notre subsistance. Je lui dis qu'il ne fallait pas que nous comptassions manger le pain de notre patron. – Cela est juste, répliqua-t-il; – et il apporta une grande corbeille de rusk ou de biscuit de mer de leur façon et trois jarres d'eau fraîche. Je savais où mon maître avait placé son coffre à liqueurs, qui cela était évident par sa structure, devait provenir d'une prise faite sur les Anglais. J'en transportai les bouteilles dans la chaloupe tandis que le Maure était sur le rivage, comme si elles eussent été mises là auparavant pour notre maître. J'y transportai aussi un gros bloc de cire vierge qui pesait bien environ un demi-quintal, avec un paquet de fil ou ficelle, une hache, une scie et un marteau, qui nous furent touts d'un grand usage dans la suite, surtout le morceau de cire pour faire des chandelles. Puis j'essayai sur le Maure d'une autre tromperie dans laquelle il donna encore innocemment. Son nom était Ismaël, dont les Maures font Muly ou Moléy; ainsi l'appelai-je et lui dis-je: – Moléy, les mousquets de notre patron sont à bord de la chaloupe; ne pourriez-vous pas vous procurer un peu de poudre et de plomb de chasse, afin de tuer, pour nous autres, quelques alcamies,– oiseau semblable à notre courlieu, – car je sais qu'il a laissé à bord du navire les provisions de la soute aux poudres. – Oui, dit-il, j'en apporterai un peu; – et en effet il apporta une grande poche de cuir contenant environ une livre et demie de poudre, plutôt plus que moins, et une autre poche pleine de plomb et de balles, pesant environ six livres, et il mit le tout dans la chaloupe. Pendant ce temps, dans la grande cabine de mon maître, j'avais découvert un peu de poudre dont j'emplis une grosse bouteille qui s'était trouvée presque vide dans le bahut, après avoir transvasé ce qui y restait. Ainsi fournis de toutes choses nécessaires, nous sortîmes du havre pour aller à la pêche. À la forteresse qui est à l'entrée du port on savait qui nous étions, on ne prit point garde à nous. À peine étions-nous un mille en mer, nous amenâmes notre voile et nous nous assîmes pour pêcher. Le vent soufflait Nord-Nord-Est, ce qui était contraire à mon désir; car s'il avait soufflé Sud, j'eusse été certain d'atterrir à la côte d'Espagne, ou au moins d'atteindre la baie de Cadix; mais ma résolution était, vente qui vente, de sortir de cet horrible lieu, et d'abandonner le reste au destin.

Après que nous eûmes pêché long-temps et rien pris; car lorsque j'avais un poisson à mon hameçon, pour qu'on ne pût le voir je ne le tirais point dehors: – Nous ne faisons rien, dis-je au Maure; notre maître n'entend pas être servi comme ça; il nous faut encore remonter plus au large. – Lui, n'y voyant pas malice, y consentit, et se trouvant à la proue, déploya les voiles. Comme je tenais la barre du gouvernail, je conduisis l'embarcation à une lieue au-delà; alors je mis en panne comme si je voulais pêcher et, tandis que le jeune garçon tenait le timon, j'allai à la proue vers le Maure; et, faisant comme si je me baissais pour ramasser quelque chose derrière lui, je le saisis par surprise en passant mon bras entre ses jambes, et je le lançai brusquement hors du bord dans la mer. Il se redressa aussitôt, car il nageait comme un liége, et, m'appelant, il me supplia de le reprendre à bord, et me jura qu'il irait d'un bout à l'autre du monde avec moi. Comme il nageait avec une grande vigueur après la chaloupe et qu'il faisait alors peu de vent, il m'aurait promptement atteint.

 

Sur ce, j'allai dans la cabine, et, prenant une des arquebuses de chasse, je le couchai en joue et lui dis: Je ne vous ai pas fait de mal, et, si vous ne vous obstinez pas, je ne vous en ferai point. Vous nagez bien assez pour regagner la rive; la mer est calme, hâtez-vous d'y aller, je ne vous frapperai point; mais si vous vous approchez du bateau, je vous tire une balle dans la tête, car je suis résolu à recouvrer ma liberté. Alors il revira et nagea vers le rivage. Je ne doute point qu'il ne l'ait atteint facilement, car c'était un excellent nageur.

J'eusse été plus satisfait d'avoir gardé ce Maure et d'avoir noyé le jeune garçon; mais, là, je ne pouvais risquer de me confier à lui. Quand il fut éloigné, je me tournai vers le jeune garçon, appelé Xury, et je lui dis: – Xury, si tu veux m'être fidèle, je ferai de toi un homme; mais si tu ne mets la main sur ta face que tu seras sincère avec moi, – ce qui est jurer par Mahomet et la barbe de son père, – il faut que je te jette aussi dans la mer. Cet enfant me fit un sourire, et me parla si innocemment que je n'aurais pu me défier de lui; puis il fit le serment de m'être fidèle et de me suivre en tout lieux.

Tant que je fus en vue du Maure, qui était à la nage, je portai directement au large, préférant bouliner, afin qu'on pût croire que j'étais allé vers le détroit8, comme en vérité on eût pu le supposer de toute personne dans son bon sens; car aurait-on pu imaginer que nous faisions route au Sud, vers une côte véritablement barbare, où nous étions sûrs que toutes les peuplades de nègres nous entoureraient de leurs canots et nous désoleraient; où nous ne pourrions aller au rivage sans être dévorés par les bêtes sauvages ou par de plus impitoyables sauvages de l'espèce humaine.

Mais aussitôt qu'il fit sombre, je changeai de route, et je gouvernai au Sud-Est, inclinant un peu ma course vers l'Est, pour ne pas m'éloigner de la côte; et, ayant un bon vent, une mer calme et unie, je fis tellement de la voile, que le lendemain, à trois heures de l'après-midi, quand je découvris premièrement la terre, je devais être au moins à cent cinquante milles au Sud de Sallé, tout-à-fait au-delà des États de l'Empereur de Maroc, et même de tout autre roi de par-là, car nous ne vîmes personne.

4Il est probable qu'il y a une erreur dans l'édition de Gallica qui a servi de support à notre travail; il faut probablement lire GUINÉE. (Note du correcteur – ELG.)
5Calenture: Espèce de délire auquel sont sujets les navigateurs qui vont dans la zone torride.
6On appelle Moriscos, en espagnol, les Maures qui embrassèrent le Christianisme, lorsque l'Espagne fut reconquise, et qui depuis en ont été chassés. P. B.
7Shoulder of mutton sail.– Voile aurique.
8Straits mouth.– Détroit de Gibraltar.

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