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Ils eurent à cette occasion une picoterie sur mon propos un jour pendant qu'ils étaient à table, qui pensa mettre toute la famille en tumulte. Ils se trouvaient être tous à table, à l'exception du père; pour moi, j'étais malade, et dans ma chambre; au commencement de la conversation, la vieille dame qui m'avait envoyé d'un plat à manger, pria sa servante de monter me demander si j'en voulais davantage; mais la servante redescendit lui dire que je n'avais pas mangé la moitié de ce qu'elle m'avait envoyé déjà.

– Hélas! dit la vieille dame, la pauvre fille! Je crains bien qu'elle ne se remette jamais.

– Mais, dit le frère aîné, comment Mme Betty pourrait-elle se remettre, puisqu'on dit qu'elle est amoureuse?

– Je n'en crois rien, dit la vieille dame.

– Pour moi, dit la sœur aînée, je ne sais qu'en dire; on a fait un tel vacarme sur ce qu'elle était si jolie et si charmante, et je ne sais quoi, et tout cela devant elle, que la tête de la péronnelle, je crois, en a été tournée, et qui sait de quoi elle peut être possédée après de telles façons? pour ma part, je ne sais qu'en penser.

– Pourtant, ma sœur, il faut reconnaître qu'elle est très jolie, dit le frère aîné.

– Oui certes, et infiniment plus jolie que toi, ma sœur, dit Robin, et voilà ce qui te mortifie.

– Bon, bon, là n'est pas la question, dit sa sœur; la fille n'est pas laide, et elle le sait bien; on n'a pas besoin de le lui répéter pour la rendre vaniteuse.

– Nous ne disons pas qu'elle est vaniteuse, repart le frère aîné, mais qu'elle est amoureuse; peut-être qu'elle est amoureuse de soi-même: il paraît que mes sœurs ont cette opinion.

– Je voudrais bien qu'elle fût amoureuse de moi, dit Robin, je la tuerais vite de peine.

– Que veux-tu dire par là, fils? dit la vieille dame; comment peux-tu parler ainsi?

– Mais, madame, dit encore Robin fort honnêtement, pensez-vous que je laisserais la pauvre fille mourir d'amour, et pour moi, qu'elle a si près de sa main pour le prendre?

– Fi, mon frère, dit la sœur puînée, comment peux-tu parler ainsi? Voudrais-tu donc prendre une créature qui ne possède pas quatre sous vaillants au monde?

– De grâce, mon enfant, dit Robin, la beauté est une dot et la bonne humeur en plus est une double dot; je te souhaiterais pour la tienne le demi-fonds qu'elle a des deux.

De sorte qu'il lui ferma la bouche du coup.

– Je découvre, dit la sœur aînée, que si Betty n'est pas amoureuse, mon frère l'est; je m'étonne qu'il ne s'en soit pas ouvert à Betty: je gage qu'elle ne dira pas NON.

– Celles qui cèdent quand elles sont priées, dit Robin, sont à un pas devant celles qui ne sont jamais priées de céder, et à deux pas devant celles qui cèdent avant que d'être priées, et voilà une réponse pour toi, ma sœur.

Ceci enflamma la sœur, et elle s'enleva de colère et dit que les choses en étaient venues à un point tel qu'il était temps que la donzelle (c'était moi) fût mise hors de la famille, et qu'excepté qu'elle n'était point en état d'être jetée à la porte, elle espérait que son père et sa mère n'y manqueraient pas, sitôt qu'on pourrait la transporter.

Robin répliqua que c'était l'affaire du maître et de la maîtresse de la maison, qui n'avaient pas de leçons à recevoir d'une personne d'aussi peu de jugement que sa sœur aînée.

Tout cela courut beaucoup plus loin: la sœur gronda, Robin moqua et railla, mais la pauvre Betty y perdit extrêmement de terrain dans la famille. On me le raconta et je pleurai de tout cœur, et la vieille dame monta me voir, quelqu'un lui ayant dit à quel point je m'en tourmentais. Je me plaignis à elle qu'il était bien dur que les docteurs donnassent sur moi un tel jugement pour lequel ils n'avaient point de cause, et que c'était encore plus dur si on considérait la situation où je me trouvais dans la famille; que j'espérais n'avoir rien fait pour diminuer son estime pour moi ou donner aucune occasion à ce chamaillis entre ses fils et ses filles, et que j'avais plus grand besoin de penser à ma bière que d'être en amour, et la suppliai de ne pas me laisser souffrir en son opinion pour les erreurs de quiconque, excepté les miennes.

Elle fut sensible à la justesse de ce que je disais, mais me dit que puisqu'il y avait eu une telle clameur entre eux, et que son fils cadet jacassait de ce train, elle me priait d'avoir assez confiance en elle pour lui répondre bien sincèrement à une seule question. Je lui dis que je le ferais et avec la plus extrême simplicité et sincérité. Eh bien, alors, la question était: Y avait-il eu quelque chose entre son fils Robert et moi? Je lui dis avec toutes les protestations de sincérité que je pus faire et bien pouvais-je les faire, qu'il n'y avait rien et qu'il n'y avait jamais rien eu; je lui dis que M. Robert avait plaisanté et jacassé, comme elle savait que c'était sa manière, et que j'avais toujours pris ses paroles à la façon que je supposais qu'il les entendait, pour un étrange discours en l'air sans aucune signification, et lui assurai qu'il n'avait pas passé la moindre syllabe de ce qu'elle voulait dire entre nous, et que ceux qui l'avaient insinué m'avaient fait beaucoup de tort à moi et n'avaient rendu aucun service à M. Robert.

La vieille dame fût pleinement satisfaite et me baisa, me consola et me parla gaiement, me recommanda d'avoir bien soin de ma santé et de ne me laisser manquer de rien, et ainsi prit congé; mais quand elle redescendit, elle trouva le frère avec ses sœurs aux prises; elles étaient irritées jusqu'à la fureur, parce qu'il leur reprochait d'être vilaines, de n'avoir jamais eu de galants, de n'avoir jamais été priées d'amour, et d'avoir l'effronterie presque de le faire les premières, et mille choses semblables; il leur opposait, en raillant, Mme Betty, comme elle était jolie, comme elle avait bon caractère, comme elle chantait mieux qu'elles deux et dansait mieux, et combien elle était mieux faite, en quoi faisant il n'omettait pas de chose déplaisante qui pût les vexer. La vieille dame descendit au beau milieu de la querelle et, pour l'arrêter, leur dit la conversation qu'elle avait eue avec moi et comment j'avais répondu qu'il n'y avait rien entre M. Robert et moi.

– Elle a tort là-dessus, dit Robin, car s'il n'y avait pas tant de choses entre nous, nous serions plus près l'un de l'autre que nous ne le sommes; je lui ai dit que je l'aimais extraordinairement, dit-il, mais je n'ai jamais pu faire croire à la friponne que je parlais sérieusement.

– Et je ne sais comment tu l'aurais pu, dit sa mère, il n'y a pas de personne de bon sens qui puisse te croire sérieux de parler ainsi à une pauvre fille dont tu connais si bien la position. Mais, de grâce, mon fils, ajoute-t-elle, puisque tu nous dis que tu n'as pu lui faire croire que tu parlais sérieusement, qu'en devons-nous croire, nous? Car tu cours tellement à l'aventure dans tes discours, que personne ne sait si tu es sérieux ou si tu plaisantes; mais puisque je découvre que la fille, de ton propre aveu, a répondu sincèrement, je voudrais que tu le fisses aussi, en me disant sérieusement pour que je sois fixée: Y a-t-il quelque chose là-dessous ou non? Es-tu sérieux ou non? Es-tu égaré, en vérité, ou non? C'est une question grave, et je voudrais bien que nous fussions satisfaites sur ce point.

– Par ma foi, madame, dit Robin, il ne sert de rien dorer la chose ou d'en faire plus de mensonges: je suis sérieux autant qu'un homme qui s'en va se faire pendre. Si Mme Betty voulait dire qu'elle m'aime et qu'elle veut bien m'épouser, je la prendrais demain matin à jeun, et je dirais: «Je la tiens», au lieu de manger mon déjeuner.

– Alors, dit la mère, j'ai un fils de perdu – et elle le dit d'un ton bien lugubre, comme une qui en fût très affligée.

– J'espère que non, madame, dit Robin: il n'y a pas d'homme perdu si une honnête femme le retrouve.

– Mais, mon enfant, dit la vieille dame, c'est une mendiante!

– Mais alors, madame, elle a d'autant plus besoin de charité, dit Robin; je l'ôterai de dessus les bras de la paroisse, et elle et moi nous irons mendier ensemble.

– C'est mal de plaisanter avec ces choses, dit la mère.

– Je ne plaidante pas, madame, dit Robin: nous viendrons implorer votre pardon, madame, et votre bénédiction, madame, et celle de mon père.

– Tout ceci est hors de propos, fils, dit la mère; si tu es sérieux, tu es perdu.

– J'ai bien peur que non, dit-il, car j'ai vraiment peur qu'elle ne veuille pas me prendre; après toutes les criailleries de mes sœurs, je crois que je ne parviendrai jamais à l'y persuader.

– Voilà bien d'une belle histoire, elle n'est pas déjà partie si loin; Mme Betty n'est point une sotte, dit la plus jeune sœur, penses-tu qu'elle a appris à dire NON mieux que le reste du monde?

– Non, madame Bel-Esprit, dit Robin, en effet, Mme Betty n'est point une sotte, mais Mme Betty peut être engagée d'une autre manière, et alors quoi?

– Pour cela, dit la sœur aînée, nous ne pouvons rien en dire, mais à qui donc serait-elle engagée? Elle ne sort jamais; il faut bien que ce soit entre vous.

– Je n'ai rien à répondre là-dessus, dit Robin, j'ai été suffisamment examiné; voici mon frère, s'il faut bien que ce soit entre nous, entreprenez-le à son tour.

Ceci piqua le frère aîné au vif, et il en conclut que Robin avait découvert quelque chose, toutefois il se garda de paraître troublé:

– De grâce, dit-il, ne va donc pas faire passer tes histoires à mon compte; je ne trafique pas de ces sortes de marchandises; je n'ai rien à dire à aucune Mme Betty dans la paroisse.

Et, là-dessus, il se leva et décampa.

– Non, dit la sœur aînée, je me fais forte de répondre pour mon frère, il connaît mieux le monde.

Ainsi se termina ce discours, qui laissait le frère aîné confondu; il conclut que son frère avait tout entièrement découvert, et se mit à douter si j'y avais ou non pris part; mais, malgré toute sa subtilité, il ne put parvenir à me joindre; enfin, il tomba dans un tel embarras, qu'il en pensa désespérer et résolut qu'il me verrait quoiqu'il en advînt. En effet, il s'y prit de façon qu'un jour, après dîner, guettant sa sœur aînée jusqu'à ce qu'il la vît monter l'escalier, il court après elle.

 

– Écoute, ma sœur, dit-il, où donc est cette femme malade? Est-ce qu'on ne peut pas la voir?

– Si, dit la sœur, je crois que oui; mais laisse-moi d'abord entrer un instant, et puis je te le dirai.

Ainsi elle courut jusqu'à ma porte et m'avertit, puis elle lui cria:

– Mon frère, dit-elle, tu peux rentrer s'il te plaît.

Si bien qu'il entra, semblant perdu dans la même sorte de fantaisie:

– Eh bien, dit-il à la porte, en entrant, où est donc cette personne malade qui est amoureuse? Comment vous trouvez-vous, madame Betty?

J'aurais voulu me lever de ma chaise, mais j'étais si faible que je ne le pus pendant un bon moment; et il le vit bien, et sa sœur aussi, et elle dit:

– Allons, n'essayez pas de vous lever, mon frère ne désire aucune espèce de cérémonie, surtout maintenant que vous êtes si faible.

– Non, non, madame Betty, je vous en prie, restez assise tranquillement, dit-il, – et puis s'assied sur une chaise, droit en face de moi, où il parut être extraordinairement gai.

Il nous tint une quantité de discours vagues, à sa sœur et à moi; parfois à propos d'une chose, parfois à propos d'une autre, à seule fin de l'amuser, et puis de temps en temps revenait à la vieille histoire.

– Pauvre madame Betty, dit-il, c'est une triste chose que d'être amoureuse; voyez, cela vous a bien tristement affaiblie.

Enfin je parlai un peu.

– Je suis heureuse de vous voir si gai, monsieur, dis-je, mais je crois que le docteur aurait pu trouver mieux à faire que de s'amuser aux dépens de ses patients; si je n'avais eu d'autre maladie, je me serais trop bien souvenue du proverbe pour avoir souffert qu'il me rendît visite.

– Quel proverbe? dit-il; quoi?

 
Quand amour est en l'âme,
Le docteur est un âne.
 

Est-ce que c'est celui-là, madame Betty?

Je souris et ne dis rien.

– Oui-dà! dit-il, je crois que l'effet a bien prouvé que la cause est d'amour; car il semble que le docteur vous ait rendu bien peu de service; vous vous remettez très lentement, je soupçonne quelque chose là-dessous, madame; je soupçonne que vous soyez malade du mal des incurables.

Je souris et dis: «Non, vraiment, monsieur, ce n'est point du tout ma maladie.»

Nous eûmes abondance de tels discours, et parfois d'autres qui n'avaient pas plus de signification; d'aventure il me demanda de leur chanter une chanson; sur quoi je souris et dis que mes jours de chansons étaient passés. Enfin il me demanda si je voulais qu'il me jouât de la flûte; sa sœur dit qu'elle croyait que ma tête ne pourrait le supporter; je m'inclinai et dis:

– Je vous prie, madame, ne vous y opposez pas; j'aime beaucoup la flûte.

Alors sa sœur dit: «Eh bien, joue alors, mon frère.» Sur quoi il tira de sa poche la clef de son cabinet:

– Chère sœur, dit-il, je suis bien paresseux; je te prie d'aller jusque-là me chercher ma flûte; elle est dans tel tiroir (nommant un endroit où il était sûr qu'elle n'était point, afin qu'elle pût mettre un peu de temps à la recherche).

Sitôt qu'elle fut partie, il me raconta toute l'histoire du discours de son frère à mon sujet, et de son inquiétude qui était la cause de l'invention qu'il avait faite de cette visite. Je l'assurai que je n'avais jamais ouvert la bouche, soit à son frère, soit à personne d'autre; je lui dis l'horrible perplexité où j'étais; que mon amour pour lui, et la proposition qu'il m'avait faite d'oublier cette affection et de la transporter sur un autre, m'avaient abattue; et que j'avais mille fois souhaité de mourir plutôt que de guérir et d'avoir à lutter avec les mêmes circonstances qu'avant; j'ajoutai que je prévoyais qu'aussitôt remise je devrais quitter la famille, et que, pour ce qui était d'épouser son frère, j'en abhorrais la pensée, après ce qui s'était passé entre nous, et qu'il pouvait demeurer persuadé que je ne reverrais jamais son frère à ce sujet. Que s'il voulait briser tous ses vœux et ses serments et ses engagements envers moi, que cela fut entre sa conscience et lui-même; mais il ne serait jamais capable de dire que moi, qu'il avait persuadée de se nommer sa femme, et qui lui avais donné la liberté de faire usage de moi comme d'une femme, je ne lui avais pas été fidèle comme doit l'être une femme, quoi qu'il pût être envers moi.

Il allait répondre et avait dit qu'il était fâché de ne pouvoir me persuader, et il allait en dire davantage, mais il entendit sa sœur qui revenait, et je l'entendis aussi bien; et pourtant je m'arrachai ces quelques mots en réponse, qu'on ne pourrait jamais me persuader d'aimer un frère et d'épouser l'autre. Il secoua la tête et dit: «Alors je suis perdu.» Et sur ce point sa sœur entra dans la chambre et lui dit qu'elle ne pouvait trouver la flûte. «Eh bien, dit-il gaiement, cette paresse ne sert de rien», puis se lève et s'en va lui-même pour la chercher, mais revient aussi les mains vides, non qu'il n'eût pu la trouver, mais il n'avait nulle envie de jouer; et d'ailleurs le message qu'il avait donné à sa sœur avait trouvé son objet d'autre manière; car il désirait seulement me parler, ce qu'il avait fait, quoique non pas grandement à sa satisfaction.

Il se passa, peu de semaines après, que je pus aller et venir dans la maison, comme avant, et commençai à me sentir plus forte; mais je continuai d'être mélancolique et renfermée, ce qui surprit toute la famille, excepté celui qui en savait la raison; toutefois ce fut longtemps avant qu'il y prît garde, et moi, aussi répugnante à parler que lui, je me conduisis avec tout autant de respect, mais jamais ne proposai de dire un mot en particulier en quelque manière que ce fût; et ce manège dura seize ou dix-sept semaines; de sorte qu'attendant chaque jour d'être renvoyée de la famille, par suite du déplaisir qu'ils avaient pris sur un autre chef en quoi je n'avais point de faute, je n'attendais rien de plus de ce gentilhomme, après tous ses vœux solennels, que ma perte et mon abandon.

À la fin je fis moi-même à la famille une ouverture au sujet de mon départ; car un jour que la vieille dame me parlait sérieusement de ma position et de la pesanteur que la maladie avait laissée sur mes esprits:

– Je crains, Betty, me dit la vieille dame, que ce que je vous ai confié au sujet de mon fils n'ait eu sur vous quelque influence et que vous ne soyez mélancolique à son propos; voulez-vous, je vous prie, me dire ce qu'il en est, si toutefois ce n'est point trop de liberté? car pour Robin, il ne fait que se moquer et plaisanter quand je lui en parle.

– Mais, en vérité, madame, dis-je, l'affaire en est où je ne voudrais pas qu'elle fût, et je serai entièrement sincère avec vous, quoi qu'il m'en advienne. Monsieur Robert m'a plusieurs fois proposé le mariage, ce que je n'avais aucune raison d'attendre, regardant ma pauvre condition; mais je lui ai toujours résisté, et cela peut-être avec des termes plus positifs qu'il ne me convenait, eu égard au respect que je devrais avoir pour toute branche de votre famille; mais, dis-je, madame, je n'aurais jamais pu oublier à ce point les obligations que je vous ai, et à toute votre maison, et souffrir de consentir à une chose que je savais devoir vous être nécessairement fort désobligeante, et je lui ai dit positivement que jamais je n'entretiendrais une pensée de cette sorte, à moins d'avoir votre consentement, et aussi celui de son père, à qui j'étais liée par tant d'invincibles obligations.

– Et ceci est-il possible, madame Betty? dit la vieille dame. Alors vous avez été bien plus juste envers nous que nous ne l'avons été pour vous; car nous vous avons tous regardée comme une espèce de piège dressé contre mon fils; et j'avais à vous faire une proposition au sujet de votre départ, qui était causé par cette crainte; mais je n'en avais pas fait encore mention, parce que je redoutais de trop vous affliger et de vous abattre de nouveau; car nous avons encore de l'estime pour vous, quoique non pas au point de la laisser tourner à la ruine de mon fils; mais s'il en est comme vous dites, nous vous avons tous fait grand tort.

– Pour ce qui est de la vérité de ce que j'avance, madame, dis-je, je vous en remets à votre fils lui-même: s'il veut me faire quelque justice, il vous dira l'histoire tout justement comme je l'ai dite.

Voilà la vieille dame partie chez ses filles, et leur raconte toute l'histoire justement comme je la lui avais dite, et vous pensez bien qu'elles en furent surprises comme je croyais qu'elles le seraient; l'une dit qu'elle ne l'aurait jamais cru; l'autre, que Robin était un sot; une autre dit qu'elle n'en croyait pas un mot, et qu'elle gagerait que Robin raconterait l'histoire d'autre façon; mais la vieille dame, résolue à aller au fond des choses, avant que je pusse avoir la moindre occasion de faire connaître à son fils ce qui s'était passé, résolut aussi de parler à son fils sur-le-champ, et le fit chercher, car il n'était allé qu'à la maison d'un avocat, en ville, et, sur le message, revint aussitôt.

Dès qu'il arriva, car elles étaient toutes ensemble:

– Assieds-toi, Robin, dit la vieille dame, il faut que je cause un peu avec toi.

– De tout mon cœur, madame, dit Robin, l'air très gai; j'espère qu'il s'agit d'une honnête femme pour moi, car je suis bien en peine là-dessus.

– Comment cela peut-il être? dit sa mère: n'as-tu pas dit que tu étais résolu à prendre Mme Betty?

– Tout juste, madame, dit Robin, mais il y a quelqu'un qui interdit les bans.

– Interdit les bans? qui cela peut-il être?

– Point d'autre que Mme Betty elle-même, dit Robin.

– Comment, dit sa mère, lui as-tu donc posé la question?

– Oui vraiment, madame, dit Robin, je l'ai attaquée en forme cinq fois depuis qu'elle a été malade, et j'ai été repoussé; la friponne est si ferme qu'elle ne veut ni capituler ni céder à aucuns termes, sinon tels que je ne puis effectivement accorder.

– Explique-toi, dit la mère, car je suis surprise, je ne te comprends pas; j'espère que tu ne parles pas sérieusement.

– Mais, madame, dit-il, le cas est assez clair en ce qui me concerne: il s'explique de lui-même; elle ne veut pas de moi – voilà ce qu'elle dit – n'est-ce pas assez clair? Je crois que c'est clair, vraiment, et suffisamment pénible aussi.

– Oui, mais, dit la mère, tu parles de conditions que tu ne peux accorder; quoi? Veut-elle un contrat? Ce que tu lui apporteras doit être selon sa dot; qu'est-ce qu'elle t'apporte?

– Oh! pour la fortune, dit Robin, elle est assez riche; je suis satisfait sur ce point; mais c'est moi qui ne suis pas capable d'accomplir ses conditions, et elle est décidée de ne pas me prendre avant qu'elles soient remplies.

Ici les sœurs interrompirent.

– Madame, dit la sœur puînée, il est impossible d'être sérieux avec lui; il ne répondra jamais directement à rien; vous feriez mieux de le laisser en repos, et de n'en plus parler; vous savez assez comment disposer d'elle pour la mettre hors de son chemin.

Robin fut un peu échauffé par l'impertinence de sa sœur, mais il la joignit en un moment.

– Il y a deux sortes de personnes, madame, dit-il, en se tournant vers sa mère, avec lesquelles il est impossible de discuter: c'est une sage et une sotte; il est un peu dur pour moi d'avoir à lutter à la fois contre les deux.

La plus jeune sœur s'entremit ensuite.

– Nous devons être bien sottes, en effet, dit-elle, dans l'opinion de mon frère, pour qu'il pense nous faire croire qu'il a sérieusement demandé à Mme Betty de l'épouser et qu'elle l'a refusé.

– «Tu répondras, et tu ne répondras point», a dit Salomon, répliqua son frère; quand ton frère a dit qu'il ne lui avait pas demandé moins de cinq fois, et qu'elle l'avait fermement refusé, il me semble qu'une plus jeune sœur n'a pas à douter de sa véracité, quand sa mère ne l'a point fait.

– C'est que ma mère, vois-tu, n'a pas bien compris, dit la seconde sœur.

– Il y a quelque différence, dit Robin, entre demander une explication et me dire qu'elle ne me croit pas.

– Eh bien, mais, fils, dit la vieille dame, si tu es disposé à nous laisser pénétrer dans ce mystère, quelles étaient donc ces conditions si dures?

– Oui, madame, dit Robin, je l'eusse fait dès longtemps, si ces fâcheuses ici ne m'avaient harcelé par manière d'interruption. Les conditions sont que je vous amène, vous et mon père, à y consentir, sans quoi elle proteste qu'elle ne me verra plus jamais à ce propos; et ce sont des conditions, comme je l'ai dit, que je suppose que je ne pourrai jamais remplir; j'espère que mes ardentes sœurs sont satisfaites maintenant, et qu'elles vont un peu rougir.

 

Cette réponse fut surprenante pour elles toutes, quoique moins pour la mère, à cause de ce que je lui avais dit; pour les filles, elles demeurèrent muettes longtemps; mais la mère dit, avec quelque passion:

– Eh bien, j'avais déjà entendu ceci, mais je ne pouvais le croire; mais s'il en est ainsi, nous avons toutes fait tort à Betty, et elle s'est conduite mieux que je ne l'espérais.

– Oui, vraiment, dit la sœur aînée, s'il en est ainsi, elle a fort bien agi, en vérité.

– Il faut bien avouer, dit la mère, que ce n'est point sa faute à elle s'il a été assez sot pour se le mettre dans l'esprit; mais de lui avoir rendu une telle réponse montre plus de respect pour nous que je ne saurais l'exprimer; j'en estimerai la fille davantage, tant que je la connaîtrai.

– Mais non pas moi, dit Robin, à moins que vous donniez votre consentement.

– Pour cela, j'y réfléchirai encore, dit la mère; je t'assure que, s'il n'y avait pas bien d'autres objections, la conduite qu'elle a eue m'amènerait fort loin sur le chemin du consentement.

– Je voudrais bien qu'elle vous amenât jusqu'au bout, dit Robin: si vous aviez autant souci de me rendre heureux que de me rendre riche, vous consentiriez bientôt.

– Mais voyons, Robin, dit la mère encore, es-tu réellement sérieux? as-tu vraiment envie de l'avoir?

– Réellement, madame, dit Robin, je trouve dur que vous me questionniez encore sur ce chapitre; je ne dis pas que je l'aurai: comment pourrais-je me résoudre là-dessus puisque vous voyez bien que je ne pourrai l'avoir sans votre consentement? mais je dis ceci, et je suis sérieux, que je ne prendrai personne d'autre, si je me puis aider: «Betty ou personne», – voilà ma devise! et le choix entre les deux est aux soins de votre cœur, madame, pourvu seulement que mes sœurs ici, qui ont si bon naturel, ne prennent point part au vote.

Tout ceci était affreux pour moi, car la mère commençait à céder, et Robin la serrait de près. D'autre part, elle tint conseil avec son fils aîné, et il usa de tous les arguments du monde pour lui persuader de consentir, alléguant l'amour passionné que son frère me portait, et le généreux respect que j'avais montré pour la famille en refusant mes avantages sur un délicat point d'honneur, et mille choses semblables. Et quant au père, c'était un homme tout tracassé par les affaires publiques, occupé à faire valoir son argent, bien rarement chez lui, fort soucieux de ses affaires, et qui laissait toutes ces choses aux soins de sa femme.

Vous pouvez facilement penser que le secret étant, comme ils croyaient, découvert, il n'était plus si difficile ni si dangereux pour le frère aîné, que personne ne soupçonnait de rien, d'avoir accès plus libre jusqu'à moi; oui, et même sa mère lui proposa de causer avec Mme Betty, ce qui était justement ce qu'il désirait:

– Il se peut, fils, dit-elle, que tu aies plus de clartés en cette affaire que je n'en ai, et tu jugeras si elle a montré la résolution que dit Robin, ou non.

Il ne pouvait rien souhaiter de mieux, et, feignant de céder au désir de sa mère, elle m'amena vers lui dans la propre chambre où elle couchait, me dit que son fils avait affaire avec moi à sa requête, puis nous laissa ensemble, et il ferma la porte sur elle.

Il revint vers moi, me prit dans ses bras et me baisa très tendrement, mais me dit que les choses en étaient venues à leur crise, et que j'avais pouvoir de me rendre heureuse ou infortunée ma vie durant; que si je ne pouvais m'accorder à son désir, nous serions tous deux perdus. Puis il me dit toute l'histoire passée entre Robin, comme il l'appelait, sa mère, ses sœurs et lui-même.

– Et maintenant, ma chère enfant, dit-il, considérez ce que ce serait que d'épouser un gentilhomme de bonne famille, de belle fortune, avec le consentement de toute la maison, pour jouir de tout ce que le monde vous peut offrir; imaginez, d'autre part, que vous serez plongée dans la noire condition d'une femme qui a perdu sa bonne renommée; et quoique je resterai votre ami privé tant que je vivrai, toutefois, ainsi que je serais toujours soupçonné, ainsi craindrez-vous de me voir, et moi de vous reconnaître.

Il ne me laissa pas le temps de répondre, mais poursuivit ainsi:

– Ce qui s'est passé entre nous, mon enfant, tant que nous serons d'accord, peut être enterré et oublié; je resterai toujours votre ami sincère, sans nulle inclination à une intimité plus voisine quand vous deviendrez ma sœur; je vous supplie d'y réfléchir et de ne point vous opposer vous-même à votre salut et à votre prospérité: et, afin de vous assurer de ma sincérité, ajoute-t-il, je vous offre ici cinq cents livres en manière d'excuse pour les libertés que j'ai prises avec vous, et que nous regarderons, si vous voulez, comme quelques folies de nos vies passées dont il faut espérer que nous pourrons nous repentir.

Je ne puis pas dire qu'aucune de ces paroles m'eût assez émue pour me donner une pensée décisive, jusqu'enfin il me dit très clairement que si je refusais, il avait le regret d'ajouter qu'il ne saurait continuer avec moi sur le même pied qu'auparavant; que bien qu'il m'aimât autant que jamais, et que je lui donnasse tout l'agrément du monde, le sentiment de la vertu ne l'avait pas abandonné au point qu'il souffrît de coucher avec une femme à qui son frère faisait sa cour pour l'épouser; que s'il prenait congé de moi sur un refus, quoi qu'il pût faire pour ne me laisser manquer de rien, s'étant engagé d'abord à m'entretenir, pourtant je ne devais point être surprise s'il était forcé de me dire qu'il ne pouvait se permettre de me revoir, et qu'en vérité je ne pouvais l'espérer.

J'écoutai cette dernière partie avec quelques signes de surprise et de trouble, et je me retins à grand'peine de pâmer, car vraiment je l'aimais jusqu'à l'extravagance; mais il vit mon trouble, et m'engagea à réfléchir sérieusement, m'assura que c'était la seule manière de préserver notre mutuelle affection; que dans cette situation nous pourrions nous aimer en amis, avec la plus extrême passion, et avec un amour d'une parfaite pureté, libres de nos justes remords, libres des soupçons d'autres personnes; qu'il me serait toujours reconnaissant du bonheur qu'il me devait; qu'il serait mon débiteur tant qu'il vivrait, et qu'il payerait sa dette tant qu'il lui resterait le souffle.

Ainsi, il m'amena, en somme, à une espèce d'hésitation, où je me représentais tous les dangers avec des figures vives, encore forcées par mon imagination; je me voyais jetée seule dans l'immensité du monde, pauvre fille perdue, car je n'étais rien de moins, et peut-être que je serais exposée comme telle; avec bien peu d'argent pour me maintenir, sans ami, sans connaissance au monde entier, sinon en cette ville où je ne pouvais prétendre rester. Tout cela me terrifiait au dernier point, et il prenait garde à toutes occasions de me peindre ces choses avec les plus sinistres couleurs; d'autre part, il ne manquait pas de me mettre devant les yeux la vie facile et prospère que j'allais mener.

Il répondit à toutes les objections que je pouvais faire, et qui étaient tirées de son affection et de ses anciennes promesses, en me montrant la nécessité où nous étions de prendre d'autres mesures; et, quant à ses serments de mariage, le cours naturel des choses, dit-il, y avait mis fin par la grande probabilité qu'il y avait que je serais la femme de son frère avant le temps auquel se rapportaient toutes ses promesses.

Ainsi, en somme, je puis le dire, il me raisonna contre toute raison et conquit tous mes arguments, et je commençai à apercevoir le danger où j'étais et où je n'avais pas songé d'abord, qui était d'être laissée là par les deux frères, et abandonnée seule au monde pour trouver le moyen de vivre.