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Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I

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«Quelques auteurs, dit-il, prétendent prouver par la chronologie, que c'est un conte inventé à plaisir; mais cette histoire est si célèbre, qu'on ne saurait la rejeter sous prétexte qu'elle ne s'accorde pas avec certaines tables chronologiques que mille gens essaient de corriger, sans jamais pouvoir concilier les contradictions dont elles sont remplies.»

Plutarque a eu d'autant plus raison d'insister sur la vérité du fait cité par Hérodote, que si ce dernier, postérieur d'un siècle seulement à Crésus et à Solon, eût osé réciter sans fondement cette anecdote, dans les lectures publiques et solennelles qu'il fit de son ouvrage aux jeux olympiques et à Athènes, mille réclamations se seraient élevées contre lui, et Plutarque lui-même, qui a écrit un traité210 pour dénigrer Hérodote, n'aurait pas manqué d'en recueillir quelqu'une au lieu de l'appuyer comme il fait ici.

Si la chronique des marbres de Paros nous fût parvenue saine et entière, nous aurions pu y reconnaître que les dissonances en question remontaient jusqu'au-delà de l'an 272 avant notre ère, époque de sa composition; et cela nous paraît probable, puisque cette chronique porte des erreurs analogues et manifestes sur d'autres dates connues, telles que l'avénement de Darius, l'expulsion des Pisitratides, qu'elle distingue de celle d'Hippias, etc. Mais comme tout ce qui est relatif à Kyrus, à Crésus et même à Alyattes, est effacé dans l'original, et a été substitué par les éditeurs anglais, l'on n'en peut rien conclure, si ce n'est que, sous prétexte de compléter et de corriger un monument fruste, l'on est parvenu à en faire un monument apocryphe, de très-peu de mérité et d'utilité.

Nos chronologistes modernes n'ont donc réellement aucun témoignage valable à opposer ni à substituer à celui d'Hérodote; et s'il reste ici quelque difficulté, c'est de concevoir comment des savants aussi renommés que les Scaliger, les Petau, les Usserius, ont lu cet historien avec tant de négligence ou de prévention, qu'ils n'aient pas saisi le nœud de cette énigme; comment surtout le traducteur Larcher, qui à chaque page de ses notes réprimande et même injurie quiconque n'est pas de son avis, a manié toutes ces idées sans les combiner, sans apercevoir leur résultat; et cela lorsqu'une phrase entre autres déclare en propres termes, que le temps qui s'écoula depuis la consultation d'Apollon jusqu'à la ruine de Crésus, fut de TROIS ANS! Voici ce passage vraiment frappant et péremptoire:

§ XC. «(Après avoir retiré Crésus du bûcher qui devait le consumer) demandez-moi, lui dit Kyrus, ce qui vous plaira, et vous l'obtiendrez. Seigneur, répondit Crésus, la plus grande faveur serait de me permettre d'envoyer au dieu des Grecs les fers que voici, et de lui demander s'il lui est permis de tromper ainsi.»

§ XCI. Les Lydiens, députés par Crésus, étant arrivés à Delphes, et ayant exécuté ses ordres, (la Pythie répondit en substance): «Il est impossible, même à un dieu, d'éviter le sort marqué par les Destins: Crésus est puni du crime de son 5e ancêtre211… Apollon a mis tout en usage pour détourner de Crésus le malheur de Sardes; mais il ne lui a pas été possible de fléchir les Parques… Tout ce qu'elles ont accordé à ses prières, il en a gratifié ce prince; il a reculé de trois ans la prise de Sardes: que Crésus sache donc qu'il a été fait prisonnier trois ans plus tard qu'il n'était porté par les Destins…»

D'où datent ces trois ans? bien évidemment de l'époque des consultations, et surtout des magnifiques présents de Crésus; par conséquent de l'an 560, comme nous l'avons vu. Et puisque Sardes, prise en l'an 557, devait l'être 3 ans plus tôt par le Mulet perse (Kyrus), instrument du Destin, il est évident qu'il s'agit de l'an 560, avant lequel Kyrus ne régnait pas en Médie.

L'on voit que tout devient de la plus grande clarté; et quoique Larcher nous assure212 que jamais l'on ne viendra à bout de résoudre les difficultés relatives à Solon, et à tout ce qui touche Crésus, nous allons montrer que toutes se résolvent par le même texte d'Hérodote, et par la clef qu'il nous a fournie. Faisons-en l'épreuve sur Solon.

Solon

Deux écrivains nous ont transmis la vie de cet homme célèbre; l'un est Plutarque, qui, selon son usage, s'est appliqué à classer les faits dans leur ordre naturel, afin de produire l'instruction morale et l'intérêt dramatique vers lesquels il tend; l'autre est Diogène de Laërte dont les chapitres ressemblent à des tiroirs de chiffonnière, où ce compilateur paresseux et sans esprit a jeté les notes de ses lectures, pour les rassembler ensuite et les coudre sans ordre et sans discussion d'autorités et de temps. Par ce motif, il n'est lui-même qu'une autorité subalterne, dont on ne peut user qu'avec défiance et précaution.

Il est de fait certain et non contesté, que Solon fut archonte ou magistrat d'Athènes, et qu'il établit ses lois en l'an 594 (3e année de la 46e olympiade). L'on sent que pour s'élever à un si haut degré de crédit dans une ville où il n'était pas né, il dut être déja un homme d'un certain âge. En admettant les 80 ans de vie que lui donne Diogène, et en plaçant sa mort sous l'archontat d'Hégesistrate (l'an 558), selon l'autorité précise de Phanias d'Ephèse, cité par Plutarque, Solon était né en 638, et âgé de 45 ans lorsqu'il fut archonte: le sage Barthélémy et le savant de Sainte-Croix, dont Larcher ne récusera pas le jugement, sont de cet avis213. Né dans l'île de Salamine, d'une famille de marchands, Solon se livra lui-même, au négoce, et fit long-temps le cabotage dans l'Archipel et sur les côtes de l'Asie mineure. Ce fut dans ces voyages multipliés que son esprit vif et droit, observant en chaque lieu l'action réciproque des tempéraments, des habitudes et des lois, conçut l'idée d'un système approprié au peuple mobile d'Athènes, qu'il préférait, et chez lequel il s'était établi, comme Lycurgue avait approprié le sien au peuple sérieux et morose de Sparte. Ce fut dans les derniers de ses cabotages qu'il dut visiter Thalès à Milet; car Plutarque place ensuite la guerre de Salamine, puis l'accroissement du crédit de Solon et son archontat; en sorte que ses exhortations à Thalès pour l'engager à se marier, et la fausse nouvelle que celui-ci lui fit donner de la mort de son fils déja pubère, pourraient dater, sans invraisemblance, des années 599 à 661. Son archontat fut, comme nous l'avons dit, en 594. Deux ans après (en 592), parut à Athènes le célèbre Anacharsis, sous l'archonte Eucrate (Diog. de Laërte, in Anacharsi): et cette date non contestée réfute l'opinion de ceux qui veulent qu'immédiatement après son archontat, Solon ait fait son voyage de 10 ans, dans lequel il alla en Égypte, où régnait Amasis, qui ne régna qu'en 570; puis en Lydie, où il vit Crésus: comme si, outre l'inconvenance des temps, il n'était pas contraire à toute vraisemblance que ce législateur eût livré aux caprices d'un peuple léger, et aux secousses des factions, l'arbre frêle et délicat qu'il venait de planter, et qui ne pouvait s'enraciner qu'avec le temps. Solon resta à Athènes pour expliquer et soutenir ses lois. Il continua ses opérations de commerce pour frayer, dit Plutarque, aux dépenses de sa vie dissipée; l'on sent que chez un tel peuple, la maison de Solon, pour soutenir son crédit, dut être ouverte à tout le monde. Plusieurs années après, c'est-à-dire vers l'an 580, Susarion donna les premières représentations de comédie, et Thespis, qui de l'aveu des auteurs214, donna les siennes peu de temps ensuite, n'a pu tarder plus que l'an 576. Par conséquent Solon put alors réprimander ses concitoyens au sujet de ces pièces licencieuses dont il prévoyait les effets. Ennuyé enfin, comme il arrive quand on vieillit, et fatigué des importunités des consultants et des disputeurs de ce temps-là, il entreprit vers la fin de l'an 574, ou le début de 573, son voyage de dix ans.—Il dut procéder lentement de lieu à lieu, de contrée à contrée, comme font tous les observateurs en matière de lois et de morale; il n'arriva qu'en 571 ou même en 570 en Égypte, où il resta assez long-temps, et il y vit Amasis commencer son règne (570). En quittant l'Égypte il dut revenir en Cypre par Crète ou par la côte de Phénicie: de Cypre il entra dans l'Asie mineure, et enfin il termina par Sardes, où il vit Crésus en 564 ou 563, avant la mort d'Atys. Là, instruit facilement de ce qui se passait à Athènes, il jugea qu'il était temps d'y rentrer pour s'opposer au choc de trois factions qui troublaient la ville: son parent Pisistrate qui en conduisait une, manœuvra si bien, que malgré les avertissements de Solon, le peuple donna dans le piège assez grossier des blessures de Pisistrate, d'où résulta la 1e usurpation, pendant le second semestre de l'an 560, sous l'archontat de Comias. Solon résista d'abord ouvertement; mais vaincu par la nécessité des circonstances, par la douceur de Pisistrate et par le consentement du plus grand nombre, il consentit à vivre paisiblement en faisant encore des vers; et en rédigeant les écrits des prêtres égyptiens sur l'Atlantide, dont ensuite s'empara Platon; et il mourut sous Hégésistrate, successeur de Comias, l'an 558, selon le témoignage précis de Phanias d'Éphèse. Si Héraclite de Pont le fait revivre encore plusieurs années après, c'est qu'il a suivi le système, erroné de Sosicrate et de ceux qui comme lui retardaient de 12 ans la ruine de Crésus: mais en prolongeant la vie de Solon jusqu'à l'an 545, ces auteurs commettaient l'invraisemblance de le faire archonte à l'âge de 29 ans. Tout ce que Diogène de Laërte rapporte de ses lettres contradictoires, l'une à Crésus et l'autre à Pisistrate, des réponses de Pisistrate et de sa retraite en Cypre, est évidemment controuvé (comme l'avoue Larcher lui-même) par des rhéteurs grecs, qui, selon leur usage, ont brodé sur un canevas devenu agréable au peuple d'Athènes depuis l'expulsion d'Hippias et le meurtre d'Hipparque.

 

Thalès

L'histoire de Thalès compliquée également avec celle de Crésus, s'éclaircit par les mêmes moyens de solution qui vont faire disparaître l'objection que l'on voudrait tirer de l'âge de cet astronome contre l'éclipse de 625.

Diogène de Laërte qui a écrit la vie ou plutôt des notes décousues sur la vie de Thalès, nous indique comme sources principales où il a puisé, les ouvrages d'Hérodote, de Douris et de Démocrite. Il parle successivement de son origine phénicienne, avec des doutes sur sa naissance à Milet ou à Sidon; de sa proclamation comme l'un des sept Sages215, sous l'archonte Damasias (en 582); de sa passion pour l'astronomie; de ses découvertes dans cette branche de science; de ses services civils et patriotiques comme citoyen de Milet, de sa répugnance pour le mariage; de ses maîtres en astronomie (les prêtres égyptiens); du fameux trépied d'or que se renvoyèrent l'un à l'autre les sept Sages dont il était un; des présents que lui adressa Crésus; puis des maximes de sagesse que l'on citait de lui. Or, ajoute brusquement Diogène, «On lit dans les Chroniques d'Apollodore que Thalès naquit l'an 1er de la 35e olympiade (l'an 640), et qu'il mourut à l'âge de 78 ans, ou à l'âge de 90, comme le veut Sosicrate qui place sa mort dans la 58e olympiade (548), et (dit) qu'il vécut au temps de Crésus à qui il promit de faire passer l'Halys sans pont, en détournant le fleuve.»

Voilà, comme l'on voit, deux opinions contradictoires: laquelle préférer? Si nous admettons celle d'Apollodore, Thalès, né en 640, dut mourir en 563 (âgé de 78 ans): mais en 563 le fils de Crésus vivait encore: Astyages n'était pas détrôné, et Crésus ne songeait pas à la guerre qui, 6 ans plus tard, lui fit traverser l'Halys. Apollodore est donc évidemment en erreur, et cette erreur remonte à 140 ans au moins avant Jésus-Christ, puisqu'il fut disciple du grammairien Aristarque d'Alexandrie216, cité pour avoir fleuri sous Ptolomée Philométor, vers la 156e olympiade (154 ans avant Jésus-Christ).

Si nous admettons l'opinion de Sosicrate, Thalès étant mort dans la 58e olympiade, âgé de 90 ans, c'est-à-dire vers l'année 648, il dut naître vers 738...... Mais nous avons déja vu que Sosicrate se trompait en supposant la guerre de Crésus et la prise de Sardes arrivées dans la 58e olympiade (548); que ce fut au contraire en l'an 558 que Crésus traversa l'Halys; donc les 90 ans de Thalès, en remontant de là, portent sa naissance à l'an 648, et le calcul de Sosicrate ainsi redressé, satisfait à toutes les vraisemblances.

A cette occasion faisons une remarque qui s'applique presque généralement aux philosophes de l'antiquité; savoir, qu'étant nés la plupart dans la classe plébéienne, leur naissance était un fait obscur et non remarqué. Ce n'était que lorsqu'ils devenaient célèbres, que l'on faisait attention à leur âge; et c'était surtout à l'époque de leur mort que cette attention notait la durée de leur vie, et supputait la date de leur naissance. Or, dans le cas présent de Thalès, lié par ses dernières années à la guerre de Crésus contre Cyrus, l'erreur commise à l'égard du fait fondamental a nécessairement causé l'erreur de la conséquence; et si l'on observe que les dates de mort et de naissance d'un homme aussi célèbre que Pythagore, ont été un problème jusqu'à ces derniers temps, l'on sentira que l'insouciance et la négligence des historiens d'une part, de l'autre, l'état de troubles et de révolutions où furent habituellement les États et surtout les petits États de l'antiquité, ont été des obstacles presque insurmontables pour l'exactitude des chronologistes217.

Mais de quel historien Diogène de Laërte et ses auteurs ont-ils emprunté cette circonstance importante de leur récit, «que Thalès conseilla à Crésus de détourner l'Halys?» Nous ne la trouvons encore que dans Hérodote qu'ils suivaient ici pas à pas; cet historien l'affirme-t-il aussi positivement? Voilà ce qui nous paraît pour le moins douteux. Lisons ses paroles.

§ LXXV. Kyrus tenait donc prisonnier Astyages. Crésus irrité à ce sujet contre Kyrus, avait envoyé consulter les oracles pour savoir s'il devait faire la guerre aux Perses. Il lui était venu de Delphes une réponse ambiguë, et.............. là-dessus, il s'était déterminé à entrer sur les terres des Perses. Quand il fut arrivé sur les bords de l'Halys, il le fit, à ce que je crois, passer à son armée, sur les ponts qu'on y voit à présent. Mais s'il en faut croire la plupart des Grecs (Ioniens), Thalès de Milet lui en ouvrit le passage.

Que signifient ces mots, il le fit, à ce que je crois?...... mais s'il en faut croire la plupart des Grecs (Ioniens).... Hérodote avait donc une opinion différente de celle de la plupart des Grecs qui n'était pas celle de la totalité: donc le fait n'était pas avéré et constant: c'était seulement une opinion populaire. Or, comme Hérodote se proposait de lire et qu'il lut réellement son livre à de nombreuses assemblées de Grecs, il n'osa heurter de front l'opinion de la plupart de ses compatriotes vaniteux et jaloux. Il s'est contenté de l'atténuer en exprimant la sienne propre. Comme elle fut très-probablement celle des savants perses et lydiens qu'il avait consultés, elle mérite d'autant plus la préférence, qu'Hérodote semble indiquer les ponts de l'Halys qu'on y voit à présent, comme un monument de cette ancienne époque. D'ailleurs comment admettre la présence d'un vieillard de 90 ans à l'armée, et au camp de Crésus, surtout lorsqu'on lit cet autre passage de Diogène de Laërte, tom. Ier, liv. Ier, pag. 17?

Il est certain que Thalès donna des conseils très-avantageux à sa patrie (Milet); car Crésus ayant sollicité les Milésiens de se joindre à lui contre Kyrus, Thalès s'y opposa, et ce conseil devint le salut de la ville de Milet après la victoire de Cyrus.

 

Après un tel conseil, quel accueil Thalès eût-il reçu de Crésus? Or, le fait cité par Diogène de Laërte, est encore attesté formellement par Hérodote, lorsqu'il dit, § CXLI, «que les Milésiens furent les seuls Ioniens avec lesquels Kyrus fit un traité aux mêmes conditions que leur avait accordées Crésus.»

Le seul moyen conciliatoire serait de supposer que tandis que Thalès, vivant à Milet, donnait à ses concitoyens un conseil salutaire, il envoyait par écrit à Crésus celui de détourner l'Halys; ou plutôt que cet expédient militaire pratiqué en des temps bien antérieurs, par Sémiramis et par les rois de Babylone, dont Thalès dut connaître l'histoire, fut suggéré par ce philosophe au roi de Lydie, dans l'une de ces guerres antérieures, où il passa également l'Halys pour mettre à contribution les riverains de l'Euxin, riches en mines d'or et d'argent.

Si nous devions en croire le traducteur d'Hérodote, nous aurions ici une objection grave contre nos explications; car dans son canon chronologique, à l'an 543, il place un conseil de Thalès aux Ioniens; et il cite pour garant notre commune autorité, Hérodote, lib. Ier, § CLXXI. Nous ouvrons Hérodote, nous lisons le paragraphe cité, et nous ne trouvons rien de semblable, ni même de relatif; seulement au § précédent (CLXX), en parlant du conseil que Bias donna aux Ioniens accablés de maux par les Perses de Kyrus, il dit: «Tel fut le conseil que Bias donna aux Ioniens après qu'ils eurent été réduits en esclavage; mais avant que leur pays eût été subjugué, Thalès de Milet leur en donna un qui était excellent, ce fut d'établir à Téos, au centre de l'Ionie, un conseil général pour toute la nation, sans préjudicier au gouvernement des autres villes, qui n'en auraient pas moins suivi leurs usages particuliers.»

Il est clair que le temps dont il s'agit ici, avant que leur pays eût été subjugué, se rapporte à un temps bien antérieur à l'an 543, et que Larcher a encore raisonné ici selon l'hypothèse de la ruine de Sardes en 545. On pourrait reporter ce conseil de Thalès jusqu'aux dernières années d'Alyattes, où ce prince, ennemi des Milésiens, menaçait d'un asservissement complet tous les Ioniens, dont la plupart étaient déja tributaires; et si l'on observe que ce fut en 582, 9 ans avant la mort d'Alyattes, que Thalès fut déclaré Sage, l'on pensera que ce furent de tels avis qui lui méritèrent cet honneur.

De ce qui précède, l'on peut conclure que Thalès vivait encore lorsque Crésus chercha des alliés contre Kyrus, en 559, et que très-probablement il mourut peu après, supposons l'an 557. En admettant qu'il vécut 90 ans complets, sa naissance peut se reporter jusqu'à l'an 646 ou même 647; et cette date remplit bien l'exigence d'un fait célèbre où Thalès est cité comme acteur; nous voulons parler de l'éclipse de soleil prédite par ce philosophe, laquelle, survenue au fort d'un combat entre les Lydiens et les Mèdes, causa une obscurité si forte, que les combattants mirent bas les armes, et que les deux rois cimentèrent leur réconciliation par le mariage d'Astyages, fils du mède Kyaxarès, avec Aryenis, fille du lydien Alyattes. Une foule de savants, depuis Cicéron et Pline, se sont exercés à trouver l'époque de cet événement; mais ils n'ont pu s'accorder ni entre-eux, ni avec eûx-mêmes.

Larcher présente un tableau curieux de leurs noms et de leurs opinions, dans sa note sur le § LXXIV du premier livre218; parmi les anciens, il cite: 1° Cicéron et Pline, qui assignent l'éclipse à l'an 584 avant J.-C., et il omet Solin qui suit leur avis219; Clément d'Alexandrie, qui interprétant Eudemus, la place vers l'an 580; parmi les modernes, Riccioli, Dodwel, Desvignoles, de Brosses, qui se rangent à l'avis de Pline; Scaliger, qui hésite entre 585 et 583; Usher ou Usserius qui préfère l'an 601; Calvisius, l'an 607. Il omet les astronomes anglais Costard et Stukeley, qui la veulent, avec Bayer, l'an 603;220 enfin lui-même adopte l'opinion de Petau, de Hardouin, Marsham, Bouhier et Corsini, qui ont cru la trouver en 597; mais comme cette dernière opinion n'est pas mieux fondée que les autres, et qu'elle implique également des anachronismes et des discordances, Larcher convient que cette époque n'est pas sûre,221 vu les variantes des auteurs; ainsi rien n'est prouvé, et rien ne pouvait l'être; car de toutes les dates alléguées, pas une ne cadre avec le texte d'Hérodote, à 18 ans près; et parce que ce texte est notre régulateur général et commun, la base unique de tous les raisonnements que l'on a faits et que l'on peut faire, nous allons l'exposer sous les yeux du lecteur, non par fragments détachés, auxquels on fait dire tout ce que l'on veut, mais dans son ensemble; parce qu'alors les faits s'éclairant réciproquement par leur liaison et par leurs circonstances, il en résulte un ordre de temps, et un classement de dates obligatoire et presque forcé, qui exclut toutes les divagations dans lesquelles sont tombés nos prédécesseurs pour n'avoir pas suivi cette méthode.

L'éclipse en question étant arrivée dans le cours du règne de Kyaxarès, roi des Mèdes, au commencement de la sixième année d'une guerre qu'il eut contre Alyattes, roi des Lydiens, sans que l'on sache, en quelle année commença cette guerre, il est nécessaire de rassembler et de classer par ordre successif tous les événements de ce règne; pour cet effet, il faut d'abord remonter jusqu'à la mort de Phraortes, père de Kyaxarès.

210Malignité d'Hérodote.
211C'est absolument la même doctrine théologique que celle des Hébreux..... Je poursuivrai le crime d'Israël jusqu'à la 3e et 4e génération. C'est aussi la théologie de tous les sauvages, et cette identité dérive de ce que l'état sauvage a été l'état primordial de tous les peuples anciens, sans exception.
212Voyez note 73, première édition, et note 75, deuxième édition..... Larcher nous assure aussi dans sa préface, qu'il a commencé par se mettre Hérodote dans la tête; mais l'on voit en suivant sa métaphore, qu'Hérodote a fini par s'en tirer heureusement, et qu'il en est sorti intact comme Jonas..... Ces expressions triviales se mettre dans la tête, Crésus se mettant à rire (note 62), mettre la plume à la main, et autres semblables qui se trouvent dans le livre de Larcher, nous feraient hésiter sur un fait que l'on nous garantit certain: ce fait est que depuis que Larcher fut reçu membre de l'Académie des Inscriptions, jamais aucun de ses écrits ne fut imprimé sans que, par un esprit de corps raisonnable, quelqu'un de ses confrères n'eût rendu à son style hellénique le service de le franciser; mais il est quelquefois arrivé que, fidèle à son propre esprit, Larcher a recorrigé ses correcteurs; et cela explique, tout.... Il nous révèle dans sa note 177 que le savant Barthélemy dut beaucoup à M. de Sainte-Croix, qui a dressé entre autres la table chronologique du jeune Anacharsis..... Qui nous révélera ce que Larcher doit à l'abbé Barthélémy, à M. de Sainte-Croix, à M. Dacier, etc.?
213Voyez la table des époques du jeune Anacharsis, tome 7.
214Voyez les tables de Barthélémy et de Sainte-Croix; Voyage d'Anacharsis, tome VII.
215Lorsque l'on considère à quels hommes les anciens Grecs appliquèrent le nom de Sage (Solon, Pittacus, Périandre même), l'on s'aperçoit qu'ils ne l'entendaient pas dans le sens de nos modernes correcteurs moralistes:—Soyez sage, petit garçon, asseyez-vous, et ne faites pas de bruit; mais dans le sens de habile et savant, c'est-à-dire dans le sens précis du mot oriental kakîm qui a pour racine kakam, gouverner, d'où kakem, gouvernant (soi et les autres avec habileté et science), et par extension kakim, médecin, savant, habile dans les sciences physiques et naturelles: c'est par ces motifs réunis qu'il fut donné à Salomon, dont nous autres occidentaux avons peine à concilier la sagesse avec son harim de 700 femmes. Cette conformité d'idées est digne d'attention chez les anciens. Après ces hommes célèbres, Pythagore, savant pour son temps, et de plus modeste, ne voulut point accepter le titre de Sage; il prit et institua celui d'ami ou amant de la sagesse: philosophos. Il ne se doutait pas qu'un jour ce nom deviendrait un nom odieux, une injure atroce; comme nous l'apprend Larcher, page 231, ligne 8; et cela parce que les incrédules se le sont attribué..... De manière que si les habitués de Bicêtre s'attribuaient, par cas très-possible, le titre d'honnêtes gens, il deviendrait aussi une injure atroce. Avec cette logique, nos dictionnaires tourneront comme nos têtes. En 1787 Larcher nous assurait qu'il était philosophe plus que Voltaire, c'était la mode, personne ne le contraria: en 1802 il proteste qu'il n'est pas philosophe; la mode a changé; personne ne réclame; et il se fâche; A qui en veut-il? Qu'a de commun la philosophie avec ses notes? Puisse-t-il nous donner une troisième édition en 1817!
216En remarquant qu'il y eut deux Damasias archontes, et que le premier le fut en 640, ne serait-ce pas quelque équivoque de cette date qui aurait induit Apollodore en erreur?
217Il est très-probable que relativement à Pittacus, l'opinion de Lucien et de Suidas s'est formée par les mêmes moyens, la vie de ce sage ayant été mêlée à celle de Crésus; dans tous les cas l'avis de ces auteurs n'est pas une autorité équivalente aux citations très-expresses de Diogène qui articule positivement que Pittacus mourut âgé de plus de 70 ans, accablé de vieillesse et sous l'archontat d'Aristomènes, l'an 3 de la 52e olympiade (570). Au compte de Suidas, c'est 82 (né en 652): Lucien aura calculé ses 100 ans en le supposant mort l'an 552.
218Voyez tome I, note 190 de la première édition, page 308 et note 204 de la deuxième édition, page 331.
219Solin., pag. 25: bello quod gestum est olympiade 49 (584) inter Alyattem et Astyagem, anno post Ilium 604.
220Transact. philos.; année 1753, pages 17 et 221.
221Voyez à ce sujet la note 72, page 223 de la première édition; et note 75, § XXX de la deuxième, page 236, second alinéa.