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Le Cabinet des Fées

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La reine ne savait comment faire, car elle voyait un grand péril à descendre par là; elle cassa un autre oeuf, dont il sortit deux pigeons et un chariot, qui devint en même temps assez grand pour s'y placer commodément; puis les pigeons descendirent légèrement avec la reine, sans qu'il lui arrivât rien de fâcheux. Elle leur dit: "Mes petits amis, si vous vouliez me conduire jusqu'au lieu où le roi Charmant tient sa cour, vous n'obligeriez point une ingrate." Les pigeons, civils et obéissants, ne s'arrêtent ni jour ni nuit qu'ils ne fussent arrivés aux portes de la ville. Florine descendit, et leur donna à chacun un doux baiser, plus estimable qu'une couronne.

Oh! que le coeur lui battait en entrant! Elle se barbouilla le visage pour n'être point connue. Elle demanda aux passants où elle pouvait voir le roi. Quelques-uns se prirent à rire: "Voir le roi! lui dirent-ils; hé, que lui veux-tu, ma mie Souillon? Va, va te décrasser, tu n'as pas les yeux assez bons pour voir un tel monarque." La reine ne répondit rien; elle s'éloigna doucement, et demanda encore à ceux qu'elle rencontra, où elle se pourrait mettre pour voir le roi. "Il doit venir demain au temple avec la princesse Truitonne, lui dit-on; car enfin il consent à l'épouser."

Ciel, quelle nouvelle! Truitonne, l'indigne Truitonne sur le point d'épouser le roi! Florine pensa mourir; elle n'eut plus de force pour parler ni pour marcher: elle se mit sous une porte, assise sur des pierres, bien caché de ses cheveux et de son chapeau de paille. "Infortunée que je suis! disait-elle; je viens ici pour augmenter le triomphe de ma rivale, et me rendre témoin de sa satisfaction! C'était donc à cause d'elle que l'Oiseau Bleu cessa de me venir voir! C'était pour ce petit monstre qu'il faisait la plus cruelle de toutes les infidélités, pendant qu'abîmée dans la douleur je m'inquiétais pour la conservation de sa vie! Le traître avait changé; et, se souvenant moins de moi que s'il ne m'avait jamais vue, il me laissait le soin de m'affliger de sa trop longue absence, sans se soucier de la mienne."

Quand on a beaucoup de chagrin, il est rare d'avoir bon appétit; la reine chercha où se loger, et se coucha sans souper. Elle se leva avec le jour, elle courut au temple; elle n'y entra qu'après avoir essuyé mille rebuffades 121 des gardes et des soldats. Elle vit le trône du roi et celui de Truitonne, qu'on regardait déjà comme la reine. Quelle douleur pour une personne aussi tendre et aussi délicate que Florine! Elle s'approcha du trône de sa rivale; elle se tint debout, appuyée contre un pilier de marbre. Le roi vint le premier, plus beau et plus aimable qu'il eût été de sa vie. Truitonne parut ensuite richement vêtue, et si laide, qu'elle en faisait peur. Elle regarda la reine en fronçant le sourcil: "Qui es-tu, lui dit-elle, pour oser t'approcher de mon excellente figure, et si près de mon trône d'or? – Je me nomme Mie-Souillon, répondit-elle; je viens de loin pour vous vendre des raretés." Elle fouilla aussitôt dans son sac de toile, elle en tira les bracelets d'émeraude que le roi Charmant lui avait donnés. "Ho, ho! dit Truitonne, voilà de jolies verrines! en veux-tu une pièce de cinq sols? – Montrez-les, madame, aux connaisseurs, dit la reine, et puis nous ferons notre marché." Truitonne, qui aimait le roi plus tendrement qu'une telle bête n'en était capable, étant ravi de trouver des occasions de lui parler, s'avança jusqu'à son trône, et lui montra les bracelets, le priant de lui dire son sentiment. A la vue de ces bracelets, il se souvint de ceux qu'il avait donnés à Florine; il pâlit, il soupira, et fut longtemps sans répondre; enfin, craignant qu'on ne s'aperçût de l'état où ses différentes pensées le réduisaient, il se fit un effort, et lui répliqua: "Ces bracelets valent, je crois, autant que mon royaume; je pensais qu'il n'y en avait qu'une paire au monde, mais en voilà de semblables."

Truitonne revint dans son trône, où elle avait moins bonne mine qu'une huître à l'écaille; elle demanda à la reine combien, sans surfaire, elle voulait de ces bracelets? "Vous auriez trop de peine à me les payer, madame, dit-elle; il vaut mieux vous proposer un autre marché: si vous me voulez procurer de coucher une nuit dans le cabinet des échos qui est au palais du roi, je vous donnerai mes émeraudes. – Je le veux bien, Mie-Souillon," dit Truitonne, en riant comme une perdue, et montrant des dents plus longues que les défenses d'un sanglier.

Le roi ne s'informa point d'où venaient ces bracelets, moins par indifférence pour celle qui les présentait, que par un éloignement invincible qu'il sentait pour Truitonne. Or, il est à propos qu'on sache que, pendant qu'il était Oiseau Bleu, il avait conté à la princesse qu'il y avait sous son appartement un cabinet, qu'on appelait le cabinet des échos, qui était si ingénieusement fait, que tout ce qui s'y disait fort bas était entendu du roi lorsqu'il était couché dans sa chambre; et comme Florine voulait lui reprocher son infidélité, elle n'en avait point imaginé de meilleur moyen.

On la mena dans le cabinet par ordre de Truitonne: elle commença ces plaintes et ses regrets. "Le malheur dont je voulais douter n'est que trop certain, cruel Oiseau Bleu! dit-elle: tu m'as oubliée, tu aimes mon indigne rivale! Les bracelets que j'ai reçus de ta déloyale main 122 n'ont pu me rappeler à ton souvenir, tant j'en suis éloignée!" Alors les sanglots interrompirent ses paroles; et quand elle eut assez de force pour parler, elle se plaignit encore, et continua jusqu'au jour. Les valets de chambre l'avaient entendue toute la nuit gémir et soupirer: ils le dirent à Truitonne, qui lui demanda quel tintamarre elle avait fait. La reine lui dit qu'elle dormait si bien, qu'ordinairement elle rêvait et qu'elle parlait très-souvent tout haut. Pour le roi, il ne l'avait point entendue, par une fatalité étrange. C'est que, depuis qu'il avait aimé Florine, il ne pouvait plus dormir; et lorsqu'il se mettait au lit pour prendre quelque repos, on lui donnait de l'opium.

La reine passa une partie du jour dans une étrange inquiétude. "S'il m'a entendue, disait-elle, se peut-il une indifférence plus cruelle? S'il ne m'a pas entendue, que ferai-je pour parvenir à me faire entendre." Il ne se trouvait plus de raretés extraordinaires, car des pierreries sont toujours belles; mais il fallait quelque chose qui piquât le goût de Truitonne: elle eut recours à ses oeufs. Elle en cassa un; aussitôt il en sortit un petit carrosse d'acier poli, garni d'or: il était attelé de six souris vertes, conduites par un raton couleur de rose, et le postillon, qui était aussi de famille ratonière, était gris-de-lin. 123 Il y avait dans ce carrosse quatre marionnettes plus fringantes et plus spirituelles que toutes celles qui paraissent aux foires Saint-Germain et Saint-Laurent; elles faisaient des choses surprenantes, particulièrement deux petites Égyptiennes qui, pour danser la sarabande et les passe-pieds, ne l'auraient pas cédé à Léance.

La reine demeura ravie de ce nouveau chef de l'art nécromancien: elle ne dit mot jusqu'au soir, qui était l'heure que Truitonne allait à la promenade; elle se mit dans une allée, faisant galoper ces souris, qui traînaient le carrosse, les ratons et les marionnettes. Cette nouveauté étonna si fort Truitonne, qu'elle s'écria deux ou trois fois: "Mie-Souillon, Mie-Souillon, veux-tu cinq sols du carrosse et de ton attelage souriquois? – Demandez aux gens de lettres et aux docteurs de ce royaume, dit Florine, ce qu'une telle merveille peut valoir, et je m'en rapporterai à l'estimation du plus savant." Truitonne, qui était absolue en tout, lui répliqua: "Sans m'importuner plus longtemps de ta crasseuse présence, dis-m'en le prix. – Dormir encore dans le cabinet des échos, dit-elle, est tout ce que je demande. – Va, 124 pauvre bête, répliqua Truitonne, tu n'en seras pas refusée;" et se tournant vers ses dames: "Voilà une sotte créature, dit-elle, de retirer si peu d'avantage de ses raretés."

La nuit vint. Florine dit tout ce qu'elle put imaginer de plus tendre, et elle le dit aussi inutilement qu'elle avait déjà fait, parce que le roi ne manquait jamais de prendre son opium. Les valets de chambre disaient entre eux: "Sans doute que cette paysanne est folle: qu'est-ce qu'elle raisonne toute la nuit? – Avec cela, disaient les autres, il ne laisse pas d'y avoir de l'esprit et de la passion dans ce qu'elle conte." Elle attendait impatiemment le jour, pour voir quel effet ses discours auraient produit. "Quoi! ce barbare est devenu sourd à ma voix! disait-elle. Il n'entend plus sa chère Florine! Ah! quelle faiblesse de l'aimer encore! que je mérite bien les marques de mépris qu'il me donne!" Mais elle y pensait inutilement, elle ne pouvait se guérir de sa tendresse. Il n'y avait plus qu'un oeuf dans son sac, dont elle dût espérer du secours; elle le cassa: il en sortit un pâté de six oiseaux qui étaient bardés, cuits, et fort bien apprêtés; avec cela ils chantaient merveilleusement bien, disaient la bonne aventure, 125 et savaient mieux la médecine qu'Esculape. La reine resta charmée d'une chose si admirable; elle alla avec son pâté parlant dans l'antichambre de Truitonne.

 

Comme elle attendait qu'elle passât, un des valets de chambre du roi s'approcha d'elle, et lui dit: "Ma Mie-Souillon, savez-vous bien que si le roi ne prenait pas de l'opium pour dormir, vous l'étourdiriez assurément; car vous jasez la nuit d'une manière surprenante." Florine ne s'étonna plus de ce qu'il ne l'avait pas entendue; elle fouilla dans son sac, et lui dit: "Je crains si peu interrompre le repos du roi, que si vous voulez ne lui point donner d'opium ce soir, en cas que je couche dans ce même cabinet, toutes ces perles et tous ces diamants seront pour vous." Le valet de chambre y consentit, et lui en donna sa parole.

A quelque moment de là Truitonne vient; elle aperçut la reine avec son pâté, qui feignait de le vouloir manger: "Que fais-tu là, Mie-Souillon? lui dit-elle. Madame, répliqua Florine, je mange des astrologues, des musiciens et des médecins." En même temps tous les oiseaux se mettent à chanter plus mélodieusement que des sirènes; puis ils s'écrièrent: "Donnez la pièce blanche, 126 et nous vous dirons votre bonne aventure." Un canard, qui dominait, dit plus haut que les autres: "Can, 127 can, can, je suis médecin, je guéris de tous maux et de toute sorte de folie, hormis de celle d'amour." Truitonne, plus surprise de tant de merveilles qu'elle l'eût été de ces jours, jura: "Par la vertu-chou, 128 voilà un excellent pâté! je le veux avoir; çà, çà, Mie-Souillon, que t'en donnerai-je? – Le prix ordinaire, dit-elle: coucher dans le cabinet des échos, et rien davantage. – Tiens, dit généreusement Truitonne (car elle était de belle humeur par l'acquisition d'un tel pâté), tu en auras une pistole." Florine, plus contente qu'elle l'eût encore été, parce qu'elle espérait que le roi l'entendrait, se retira en la remerciant.

Dès que la nuit parut, elle se fit conduire dans le cabinet, souhaitant avec ardeur que le valet-de-chambre lui tînt parole, et qu'au lieu de donner de l'opium au roi il lui présentât quelque autre chose qui pût le tenir éveillé. Lorsqu'elle crut que chacun s'était endormi, elle commença ses plaintes ordinaires. "A combien de périls me suis-je exposée, disait-elle, pour te chercher, pendant que tu me fuis, et que tu veux épouser Truitonne! Que t'ai-je donc fait, cruel, pour oublier tes serments? Souviens-toi de ta métamorphose, de mes bontés, de nos tendres conversations." Elle les répéta presque toutes, avec une mémoire qui prouvait assez que rien ne lui était plus cher que ce souvenir.

Le roi ne dormait point, et il entendait si distinctement la voix de Florine et toutes ses paroles, qu'il ne pouvait comprendre d'où elles venaient; mais son coeur, pénétré de tendresse, lui rappela si vivement l'idée de son incomparable princesse, qu'il sentit sa séparation avec la même douleur qu'au moment où les couteaux l'avaient blessé sur le cyprès. Il se mit à parler de son côté comme la reine avait fait du sien: "Ah! princesse, dit-il, trop cruelle pour un amant qui vous adorait! est-il possible que vous m'ayez sacrifié à nos communs ennemis!" Florine entendit ce qu'il disait, et ne manqua pas de lui répondre, et de lui apprendre que s'il voulait entretenir la Mie-Souillon, il serait éclairci de tous les mystères qu'il n'avait pu pénétrer jusqu'alors. A ces mots, le roi impatient appela un de ses valets de chambre, et lui demanda s'il ne pouvait point trouver Mie-Souillon et l'amener? Le valet de chambre répliqua que rien n'était plus aisé, parce qu'elle couchait dans le cabinet des échos.

Le roi ne savait qu'imaginer. Quel moyen de croire qu'une si grande reine que Florine fût déguisée en Souillon? Et quel moyen de croire que Mie-Souillon eût la voix de la reine, et sût des secrets si particuliers, à moins que ce ne fût elle-même? Dans cette incertitude il se leva, et, s'habillant avec précipitation, il descendit par un degré dérobé dans le cabinet des échos, dont la reine avait ôté la clef; mais le roi en avait une qui ouvrait toutes les portes du palais.

Il la trouva avec une légère robe de taffetas blanc, qu'elle portait sous ses vilains habits; ses beaux cheveux couvraient ses épaules; elle était couchée sur un lit de repos, et une lampe un peu éloignée ne rendait qu'une lumière sombre. Le roi entra tout d'un coup; et, son amour l'emportant sur son ressentiment, dès qu'il la reconnut il vint se jeter à ses pieds, il mouilla ses mains de ses larmes et pensa mourir de joie, de douleur, et de mille pensées différentes qui lui passèrent en même temps dans l'esprit.

La reine ne demeura pas moins troublée; son coeur se serra, 129 elle pouvait à peine soupirer. Elle regardait fixement le roi sans lui rien dire; et quand elle eut la force de lui parler, elle n'eut pas celle de lui faire des reproches: le plaisir de le revoir lui fit oublier pour quelque temps les sujets de plainte qu'elle croyait avoir. Enfin, ils s'éclaircirent, ils se justifièrent; leur tendresse se réveilla; et tout ce qui les embarrassait, c'était la fée Soussio.

Mais dans ce moment, l'enchanteur, qui aimait le roi, arriva avec une fée fameuse: c'était justement celle qui donna les quatre oeufs à Florine. Après les premiers compliments, l'enchanteur et la fée déclarèrent que, leur pouvoir étant uni en faveur du roi et de la reine, Soussio ne pouvait rien contre eux, et qu'ainsi leur mariage ne recevrait aucun retardement.

Il est aisé de se figurer 130 la joie de ces deux jeunes amants: dès qu'il fut jour on la publia dans tout le palais, et chacun était ravi de voir Florine. Ces nouvelles allèrent jusqu'à Truitonne; elle accourut chez le roi: quelle surprise d'y trouver sa belle rivale! Dès qu'elle voulut ouvrir la bouche pour lui dire des injures, l'enchanteur et la fée parurent, qui la métamorphosèrent en truie, afin qu'il lui restât au moins une partie de son nom et de son naturel grondeur. Elle s'enfuit, toujours grognant, jusques dans la basse-cour, où de longs éclats de rire que l'on fit sur elle achevèrent de la désespérer.

Le roi Charmant et la reine Florine, délivrés d'une personne si odieuse, ne pensèrent plus qu'à la fête de leurs noces; la galanterie et la magnificence y parurent également: il est aisé de juger de leur félicité, après de si longs malheurs.

MORALITÉ
 
Quand Truitonne aspirait à l'hymen de Charmant,
Et que, sans avoir su lui plaire,
Elle voulait former ce triste engagement
Que la mort seule peut défaire,
Qu'elle était imprudente, hélas!
Sans doute elle ignorait qu'un pareil mariage
Devient un funeste esclavage,
Si l'amour ne le forme pas.
Je trouve que Charmant fut sage.
A mon sens, il vaut beaucoup mieux
Être Oiseau Bleu, corbeau, devenir hibou même,
Que d'éprouver la peine extrême
D'avoir ce que l'on hait toujours devant les yeux.
En ces sortes d'hymens notre siècle est fertile:
Les hymens seraient plus heureux,
Si l'on trouvait encor quelque enchanteur habile
Qui voulût s'opposer à ces coupables noeuds,
Et ne jamais souffrir que l'hyménée unisse,
Par intérêt ou par caprice,
Deux coeurs, infortunés s'ils ne s'aiment tous deux.
 

LA BONNE PETITE SOURIS

Il y avait une fois un roi et une reine qui s'aimaient si fort, si fort, qu'ils faisaient la félicité l'un de l'autre. Leurs coeurs et leurs sentiments se trouvaient toujours d'intelligence. Ils allaient tous les jours à la chasse tuer des lièvres et des cerfs. Ils allaient à la pêche prendre des soles et des carpes; au bal danser la bourrée 131 et la pavane, à de grands festins manger du rôt et des dragées; 132 à la comédie et à l'opéra, ils riaient, ils chantaient, ils se faisaient mille pièces 133 pour se divertir: enfin, c'était le plus heureux couple de tous les temps. Leurs sujets suivaient l'exemple du roi et de la reine: ils se divertissaient à l'envi l'un de l'autre. Par toutes ces raisons, l'on appellait ce royaume le pays de Joie.

Il arriva qu'un roi voisin du roi Joyeux vivait tout différemment. Il était ennemi déclaré des plaisirs; il ne demandait que plaies et bosses, 134 il avait une mine refrognée, une grande barbe, les yeux creux; il était maigre et sec, toujours vêtu de noir; ses cheveux étaient hérissés, gras et crasseux. Pour lui plaire, il fallait tuer et assommer les passants; il pendait lui-même les criminels, il se réjouissait à leur faire du mal. Quand une bonne maman aimait bien sa petite fille on son petit garçon, il l'envoyait quérir, et devant elle il lui rompait les bras ou lui tordait le cou. On nommait ce royaume le pays des Larmes.

Le méchant roi entendit parler de la satisfaction du roi Joyeux; il lui porta grande envie, 135 et résolut de faire une grosse armée, et d'aller le battre tout son soûl, 136 jusqu'à ce qu'il fût mort ou bien malade. Il envoya de tous côtés pour amasser du monde et des armes; il faisait faire des canons: chacun tremblait. L'on disait: «Sur qui se jettera le méchant roi, il ne fera point de quartier.»

 

Lorsque tout fut prêt, il s'avança vers le pays du roi Joyeux. A ces mauvaises nouvelles, il se mit promptement en défense; la reine mourait de peur, elle lui disait en pleurant: «Sire, il faut nous enfuir: tâchons d'avoir bien de l'argent, et nous en allons tant que terre nous pourra porter.» Le roi répondait: «Si, madame, j'ai trop de courage, il vaudrait mieux mourir que d'être un poltron.» Il ramassa tous les gens d'armes, dit un tendre adieu à la reine, monta sur un beau cheval et partit.

Quand elle l'eut perdu de vue, elle se mit à pleurer douloureusement; et, joignant ses mains, elle disait: «Hélas, si le roi est tué à la guerre, je serai veuve et prisonnière; le méchant roi me fera dix mille maux.» Cette pensée l'empêchait de manger et de dormir. Il lui écrivait tous les jours; mais un matin qu'elle regardait par-dessus les murailles, elle vit venir un courrier qui courait de toute sa force; elle l'appela: "Ho! courrier, ho! quelle nouvelle? – Le roi est mort, s'écria-t-il, la bataille est perdue, le méchant roi arrivera dans un moment!"

La pauvre reine tomba évanouie; on la porta dans son lit, et toutes ses dames étaient autour d'elle, qui pleuraient, l'une son père, l'autre son fils; elles s'arrachèrent les cheveux, c'était la chose du monde la plus pitoyable.

Voilà que tout d'un coup l'on entend: "Au meurtre, au larron!" C'était le méchant roi qui arrivait avec tous ses malheureux sujets; ils tuaient, pour oui et pour non, ceux qu'ils rencontraient. Il entra tout armé dans la maison du roi, et monta dans la chambre de la reine. Quand elle le vit entrer, elle eut si grand peur, qu'elle s'enfonça dans son lit, et mit la couverture sur sa tête. Il l'appela deux ou trois fois, mais elle ne disait mot; il se fâcha, bien fâché, et dit: "Je crois que tu te moques de moi; sais-tu que je peux t'égorger tout à l'heure?" il la découvrit, lui arracha ses cornettes; ses beaux cheveux tombèrent sur ses épaules; il en fit trois tours à sa main, et la chargea dessus son dos 137 comme un sac de blé; il l'emporta ainsi, et monta sur son grand cheval, qui était tout noir. Elle le priait d'avoir pitié d'elle; il s'en moquait, et lui disait: "Crie, plains-toi, cela me fait rire et me divertit."

Il l'emmena en son pays, et jura pendant tout le chemin qu'il était résolu de la pendre; mais on lui dit que sa santé était faible et qu'il ne devrait pas la traiter ainsi.

Quand il vit cela, il lui vint dans l'esprit que, si elle avait une fille, il la marierait avec son fils; et pour savoir ce qui en était, il envoya quérir une fée qui demeurait, près de son royaume. Étant venue, il la régala mieux qu'il n'avait coutume; ensuite il la mena dans une tour au haut de laquelle la pauvre reine avait une chambre, bien petite et bien pauvrement meublée. Elle était couchée par terre, sur un matelas qui ne valait pas deux sous, où elle pleurait jour et nuit.

La fée, en la voyant, fut attendrie; elle lui fit la révérence, et lui dit tout bas en l'embrassant: "Prenez courage, madame, vos malheurs finiront; j'espère y contribuer." La reine, un peu consolée de ces paroles, la caressait, et la priait d'avoir pitié d'une pauvre princesse qui avait joui d'une grande fortune et qui s'en voyait bien éloignée. Elles parlaient ensemble, quand le méchant roi dit: "Allons, point tant de compliments; je vous ai amenée ici pour me dire si cette esclave aura un garçon ou une fille." La fée répondit: "Elle aura une fille, qui sera la plus belle princesse et la mieux apprise que l'on ait jamais vue." Elle lui souhaita ensuite des biens et des honneurs infinis. "Si elle n'est pas belle et bien apprise, dit le méchant roi, je la pendrai au cou de sa mère, et sa mère à un arbre, sans que rien m'en puisse empêcher." Après cela il sortit avec la fée, et ne regarda pas la bonne reine, qui pleurait amèrement; car elle disait en elle-même: "Hélas! que ferai-je? Si j'ai une belle petite fille, il la donnera à son magot de fils; et si elle est laide, il nous pendra toutes deux. A quelle extrémité suis-je réduite! Ne pourrai-je point la cacher quelque part, afin qu'il ne la vît jamais?"

Le temps que la petite princesse devait venir au monde approchait, et les inquiétudes de la reine augmentaient: elle n'avait personne avec qui se plaindre et se consoler. Le geôlier qui la gardait ne lui donnait que trois pois cuits dans l'eau pour toute la journée, avec un petit morceau de pain noir. Elle devint plus maigre qu'un hareng: elle n'avait plus que la peau et les os.

Un soir qu'elle filait (car le méchant roi, qui était fort avare, la faisait travailler jour et nuit), elle vit entrer par un trou une petite Souris, qui était fort jolie. Elle lui dit: "Hélas! ma mignonne, que viens-tu chercher ici? Je n'ai que trois pois pour toute ma journée; si tu ne veux jeûner, va-t'en." La petite Souris courait deçà, courait delà, dansait, cabriolait comme un petit singe; et la reine prenait un si grand plaisir à la regarder, qu'elle lui donna le seul pois qui restait pour son souper. "Tiens, mignonne, dit-elle, mange, je n'en ai pas davantage, et je te le donne de bon coeur." Dès qu'elle eut fait cela, elle vit sur sa table une perdrix excellente, cuite à merveille, et deux pots de confitures. "En vérité, dit-elle, un bienfait n'est jamais perdu." Elle mangea un peu, mais son appétit était passé à force de jeûner. Elle jetta du bonbon à la Souris, qui le grignota encore; et puis elle se mit à sauter mieux qu'avant le souper.

Le lendemain matin le geôlier apporta de bonne heure les trois pois de la reine, qu'il avait mis dans un grand plat pour se moquer d'elle. La petite Souris vint doucement, et les mangea tous trois, et le pain aussi. Quand la reine voulut dîner, elle ne trouva plus rien. La voilà bien fâchée contre la Souris. "C'est une méchante petite bête, disait-elle; si elle continue, je mourrai de faim." Comme elle voulut couvrir le grand plat qui était vide, elle trouva dedans toutes sortes de bonne choses à manger: elle en fut bien aise, et mangea; mais, en mangeant, il lui vint dans l'esprit que le méchant roi ferait peut-être mourir dans deux ou trois jours son enfant, et elle quitta la table pour pleurer; puis elle disait, en levant les yeux au ciel: "Quoi! n'y a-t-il point quelque moyen de se sauver?" En disant cela, elle vit la petite Souris qui jouait avec de longs brins de paille; elle les prit, et commença de travailler avec. "Si j'ai assez de paille, dit-elle, je ferai une corbeille couverte pour mettre ma petite fille, et je la donnerai par la fenêtre à la première personne charitable qui voudra en avoir le soin."

Elle se mit donc à travailler de bon courage; la paille ne lui manquait point, la souris en traînait toujours par la chambre, où elle continuait de sauter; et aux heures des repas, la reine lui donnait ses trois pois, et trouvait en échange cent sortes de ragoûts. Elle en était bien étonnée; elle songeait sans cesse qui pouvait lui envoyer de si excellentes choses.

La reine regardait un jour à la fenêtre, pour voir de quelle longueur elle ferait la corde dont elle devait attacher la corbeille pour la descendre. Elle aperçut en bas une vieille petite bonne femme qui s'appuyait sur un bâton, et qui lui dit: "Je sais votre peine, madame; si vous voulez, je vous servirai. – Hélas! ma chère amie, lui dit la reine, vous me ferez un grand plaisir; venez tous les soirs au bas de la tour, je vous descendrai mon pauvre enfant; vous le nourrirez, et je tâcherai, si je suis jamais riche, de vous bien payer. – Je ne suis pas intéressée, répondit la vieille, mais je suis friande; il n'y a rien que j'aime tant qu'une souris grassette et dodue. Si vous en trouvez dans votre galetas, tuez-les et me les jetez; je n'en serai point ingrate, votre poupard s'en trouvera bien." 138

La reine, l'entendant, se mit à pleurer sans rien répondre; et la vieille, après avoir un peu attendu, lui demanda pourquoi elle pleurait. "C'est, dit-elle, qu'il ne vient dans ma chambre qu'une seule Souris, qui est si jolie, si joliette, que je ne puis me résoudre à la tuer. – Comment, dit la vieille en colère, vous aimez donc mieux une friponne de petite Souris, qui ronge tout, que votre enfant? Hé bien, madame, vous n'êtes pas à plaindre: restez en si bonne compagnie; j'aurai bien des souris sans vous, je ne m'en soucie guère." Elle s'en alla grondant et marmottant.

Quoique la reine eût un bon repas, et que la Souris vînt danser devant elle, jamais elle ne leva les yeux de terre, où elle les avait attachés, et les larmes coulaient le long de ses joues.

Elle eut cette même nuit une princesse, qui était un miracle de beauté. Au lieu de crier comme les autres enfants, elle riait à sa bonne maman, et lui tendait ses petites menottes, 139 comme si elle eût été bien raisonnable. La reine la caressait et la baisait de tout son coeur, songeant tristement: "Pauvre mignonne, chère enfant! si tu tombes entre les mains du méchant roi, c'est fait de ta vie." 140 Elle l'enferma dans la corbeille, avec un billet attaché sur son maillot, où était écrit: Cette infortunée petite fille a nom Joliette. Et quand elle l'avait laissée un moment sans la regarder, elle ouvrait encore la corbeille, et la trouvait embellie; puis elle la baisait et pleurait plus fort, ne sachant que faire.

Mais voici la petite Souris qui vient, et qui se met dans la corbeille avec Joliette.

"Ah! petite bestiole, dit la reine, que tu me coûtes cher pour te sauver la vie! Peut être que je perdrai ma chère Joliette! Une autre que moi t'aurait tuée, et donnée à la vieille friande; je n'ai pu y consentir." La Souris commence à dire: "Ne vous en repentez point, madame, je ne suis pas si indigne de votre amitié que vous le croyez." La reine mourait de peur d'entendre parler la Souris; mais sa peur augmenta bien, quand elle aperçut que son petit museau prenait la figure d'un visage, que ses pattes devinrent des mains et des pieds, et qu'elle grandit tout d'un coup. Enfin, la reine n'osant presque la regarder, la reconnut pour la fée qui l'était venue voir avec le méchant roi, et qui lui avait fait tant de caresses.

Elle lui dit: "J'ai voulu éprouver votre coeur; j'ai reconnu qu'il est bon, et que vous êtes capable d'amitié. Nous autres fées, qui possédons des trésors et des richesses immenses, nous ne cherchons pour la douceur de la vie que de l'amitié, et nous en trouvons rarement. – Est-il possible, belle dame, dit la reine en l'embrassant, que vous ayez de la peine à trouver des amies, étant si riches, et si puissantes? – Oui, répliqua-t-elle, car on ne nous aime que par intérêt, et cela ne nous touche guère; mais quand vous m'avez aimée en petite Souris, ce n'était pas un motif d'intérêt. J'ai voulu vous éprouver plus fortement, j'ai prise la figure d'une vieille; c'est moi qui vous ai parlé au bas de la tour, et vous m'avez toujours été fidèle." A ces mots elle embrassa la reine; puis elle baisa trois fois le béco vermeil 141 de la petite princesse, et elle lui dit: "Je te doue, ma fille, d'être la consolation de ta mère, et plus riche que ton père; de vivre cent ans toujours belle, sans maladie, sans rides et sans vieillesse." La reine, toute ravie, la remercia, et la pria d'emporter Joliette, et d'en prendre soin, ajoutant qu'elle la lui donnait pour être sa fille.

La fée l'accepta, et la remercia; elle mit la petite dans la corbeille, qu'elle descendit en bas; mais s'étant un peu arrêtée à reprendre sa forme de petite Souris, quand elle descendit après elle par la cordelette, elle ne trouva plus l'enfant; et remontant fort effrayée: "Tout est perdu, dit-elle à la reine, mon ennemie Cancaline vient d'enlever la princesse! Il faut que vous sachiez que c'est une cruelle fée qui me hait; et par malheur, étant mon ancienne, elle a plus de pouvoir que moi. Je ne sais par quel moyen retirer Joliette de ses vilaines griffes."

Quand la reine entendit de si tristes nouvelles, elle pensa mourir de douleur; elle pleura bien fort, et pria sa bonne amie de tâcher de ravoir la petite, à quelque prix que ce fût.

Cependant le roi accourut pour lui demander son enfant; mais elle dit qu'une fée, dont elle ne savait pas le nom, l'était venue prendre par force. Voilà le méchant roi qui frappait du pied, et qui rongeait ses ongles jusqu'au dernier morceau. «Je t'ai promis, dit-il, de te pendre; je vais tenir ma parole tout à l'heure.» En même temps il traîne la pauvre reine dans un bois, grimpe sur un arbre, et l'allait pendre, lorsque la fée se rendit invisible, et, le poussant rudement, elle le fit tomber du haut de l'arbre; il se cassa quatre dents. Pendant qu'on tâchait de les raccommoder, la fée enleva la reine dans son char volant, et elle l'emporta dans un beau château. Elle en prit grand soin; et si elle avait eu la princesse Joliette, elle aurait été contente; mais on ne pouvait découvrir en quel lieu Cancaline l'avait mise, bien que la petite Souris y fit tout son possible.

121Qu'après avoir essuyé mille rebuffades, only after having suffered a thousand rebuffs.
122Déloyale main, perfidious hand.
123gris-de-lin, gridelin.
124Va, done.
125disaient la bonne aventure, told fortunes.
126La pièce blanche, a piece of money.
127can, quack.
128par la vertu-chou, nookers!
129Son coeur serra, her heart was ready to break.
130de se figurer, to imagine.
131La bourrée, a boree (a sort of dance).
132du rôt et des dragées, some roast meat and sugar-plums.
133des pièces, roguish tricks.
134Il ne demandait que plaies et bosses, for him, the more mischief the better sport.
135il lui porta grande envie, he became jealous of him.
136tout son soûl, to his mind's desire.
137Et la chargea dessus son dos, and placed her on his back.
138Votre poupard s'en trouvera bien, your baby shall find much good by it.
139menottes, small hands.
140c'est fait de ta vie, it will be all over with you.
141Le béco vermeil, rosy lips.

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