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Le Cabinet des Fées

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LES TROIS SOUHAITS

Il y avait une fois un homme qui n'était pas fort riche; il se maria, et épousa une jolie femme. Un soir, en hiver, qu'ils étaient auprès de leur feu, ils s'entretenaient du bonheur de leurs voisins, qui étaient plus riches qu'eux.

–Oh! si j'étais la maîtresse d'avoir tout ce que je souhaiterais, dit la femme, je serais bientôt plus heureuse que tous ces gens-là.

–Et moi aussi, dit le mari, je voudrais être au temps des fées, et qu'il s'en trouvât une assez bonne pour m'accorder tout ce que je désirerais; mais malheureusement ces temps-là sont passés, et nous resterons pauvres toute notre vie.

Au même instant ils virent dans leur chambre une très-belle dame, qui leur dit:

–Je suis une fée, je vous promets de vous accorder les trois premières choses que vous souhaiterez; mais, prenez-y garde, après avoir souhaité ces trois choses, je ne vous accorderai plus rien.

La fée ayant disparu, cet homme et cette femme furent très-embarrassés.

–Pour moi, dit la femme, si je suis la maîtresse, je sais bien ce que je souhaiterai. Je ne souhaite pas encore; mais il me semble qu'il n'y a rien de si bon que d'être belle, riche et de qualité.

–Mais, répondit le mari, avec ces choses on peut être malade, chagrin; on peut mourir jeune: il serait plus sage de souhaiter de la santé, de la joie et une longue vie.

–Et à quoi servirait une longue vie, si l'on était pauvre? dit la femme; cela ne servirait qu'à être malheureux plus longtemps. En vérité, la fée aurait dû nous promettre de nous accorder une douzaine de dons; car il y a au moins une douzaine de choses dont j'aurais besoin.

–Cela est vrai, dit le mari; mais prenons du temps. Examinons d'ici à demain matin les trois choses qui nous sont le plus nécessaires, et nous les demanderons ensuite.

–J'y veux penser toute la nuit, dit la femme. En attendant, chauffons-nous; car il fait froid.

En même temps, la femme prit les pincettes et raccommoda le feu; et comme elle vit qu'il y avait beaucoup de charbons bien allumés, elle dit sans y penser:

–Voilà un bon feu; je voudrais avoir une aune de boudin pour notre souper, nous pourrions le faire cuire bien aisément.

[Note:

The last page of LES TROIS SOUHAITS and the first page of BELLOTTE ET LAIDERONNETTE are missing.

La dernière page de LES TROIS SOUHAITS et la première page de BELLOTTE ET LAIDERONNETTE manquent.]

*mença donc à souhaiter de ne plus sortir, et un jour qu'elles étaient priées à une assemblée qui devait finir par un bal, elle dit à sa mère qu'elle avait mal à la tête, et qu'elle souhaitait de rester à la maison. Elle s'y ennuya d'abord à mourir, et, pour passer le temps, elle fut à la bibliothèque de sa mère pour chercher un roman, et fut bien fâchée de ce que sa soeur en avait emporté la clef. Son père avait aussi une bibliothèque; mais c'étaient des livres sérieux, et elle les haïssait beaucoup. Elle fut pourtant forcée d'en prendre un: c'était un recueil de lettres, et en ouvrant le livre elle trouva celle que je vais vous rapporter.

"Vous me demandez d'où vient que la plus grande partie des belles personnes sont extrêmement sottes; je crois pouvoir vous en dire la raison. Ce n'est pas qu'elles aient moins d'esprit que les autres en venant au monde, mais c'est qu'elles négligent de le cultiver. Toutes les femmes ont de la vanité, et elles veulent plaire. Une laide connaît qu'elle ne peut-être aimée à cause de son visage; cela lui donne la pensée de se distinguer par son esprit. Elle étudie donc beaucoup, et elle parvient à devenir aimable malgré la nature. La belle, au contraire, n'a qu'à se montrer pour plaire; sa vanité est satisfaite; comme elle ne réfléchit jamais, elle ne pense pas que sa beauté n'aura qu'un temps; d'ailleurs elle est si occupée de sa parure, du soin de courir les assemblées pour se montrer, pour recevoir des louanges, qu'elle n'aurait pas le temps de cultiver son esprit, quand même elle en connaîtrait la nécessité. Elle devient donc une sotte, tout occupée de puérilités, de chiffons, de spectacle: cela dure jusqu'à trente ans, quarante ans au plus, pourvu que la petite vérole, ou quelque autre maladie, ne vienne pas déranger sa beauté plus tôt. Mais quand on n'est plus jeune, on ne peut plus rien apprendre: ainsi cette belle fille, qui ne l'est plus, reste une sotte pour toute sa vie, quoique la nature lui ait donné autant d'esprit qu'à une autre: au lieu que la laide, qui est devenue fort aimable, se moque des maladies et de la vieillesse, qui ne peuvent rien lui ôter."

Laideronnette, après avoir lu cette lettre, qui semblait avoir été écrite pour elle, résolut de profiter des vérités qu'elle lui avait découvertes. Elle redemande ses maîtres, s'applique à la lecture, fait de bonnes réflexions sur ce qu'elle lit, et en peu de temps devient une fille de mérite. Quand elle était obligée de suivre sa mère dans les compagnies, elle se mettait toujours à côté des personnes en qui elle remarquait de l'esprit et de la raison: elle leur faisait des questions, et retenait toutes les bonnes choses qu'elle leur entendait dire, et à dix-sept ans elle parlait et écrivait si bien, que toutes les personnes de mérite se faisaient un plaisir de la connaître. Les deux soeurs se marièrent le même jour. Bellotte épousa un jeune prince qui était charmant et qui n'avait que vingt-deux ans. Laideronnette épousa le ministre de ce prince; c'était un homme de quarante-cinq ans. Il avait reconnu l'esprit de cette fille, et il l'estimait beaucoup. Bellotte fut fort heureuse pendant trois mois, mais au bout de ce temps, son mari commença à s'accoutumer à sa beauté, et à penser qu'il ne fallait pas renoncer à tout pour sa femme. Il fut à la chasse, et fit d'autres parties de plaisir dont elle n'était pas, ce qui parut fort extraordinaire à Bellotte, car elle s'était persuadée que son mari l'aimerait toujours, et elle se crut la plus malheureuse personne du monde quand elle vit que son amour diminuait. Elle lui en fit des plaintes: il se fâcha; ils se raccommodèrent; mais comme ces plaintes recommençaient tous les jours, le prince se fatigua de l'entendre; en sorte qu'à la fin son mari, qui n'aimait en elle que sa beauté, ne l'aima plus du tout. Le chagrin qu'elle en conçut acheva de gâter son visage, et comme elle ne savait rien, sa conversation était fort ennuyeuse. Les jeunes gens s'ennuyaient avec elle parce qu'elle était triste, les personnes plus âgées et qui avaient du bon sens s'ennuyaient avec elle parce qu'elle était sotte; en sorte qu'elle restait seule presque toute la journée. Ce qui augmentait son désespoir, c'est que sa soeur Laideronnette était la plus heureuse personne du monde. Son mari la consultait sur ses affaires, et lui confiait tout ce qu'il pensait; il se conduisait par ses conseils, et disait partout que sa femme était la meilleure amie qu'il eût au monde. Le prince même, qui était un homme d'esprit, se plaisait dans la conversation de sa belle-soeur, et disait qu'il n'y avait pas moyen de rester une demi-heure sans bâiller avec Bellotte, parce qu'elle ne savait parler que coiffures et ajustements, en quoi il ne connaissait rien. Son dégoût pour sa femme devint tel, qu'il l'envoya à la campagne, où elle eut le temps de s'ennuyer tout à son aise, et où elle serait morte de chagrin si sa soeur Laideronnette n'avait pas eu la charité de l'aller voir le plus souvent qu'elle pouvait. Un jour qu'elle tâchait de la consoler, Bellotte lui dit:

–Mais, ma soeur, d'où vient donc la différence qu'il y a entre vous et moi? Je ne puis m'empêcher de voir que vous avez beaucoup d'esprit, et que je ne suis qu'une sotte; cependant, lorsque nous étions jeunes, on disait que j'en avais pour le moins autant que vous.

Laideronnette alors raconta son aventure à sa soeur, et lui dit:

–Vous êtes très-fâchée contre votre mari, parce qu'il vous a envoyée à la campagne, et cependant cette chose que vous regardez comme le plus grand malheur de votre vie peut faire votre bonheur, si vous le voulez. Vous n'avez pas encore dix-neuf ans, ce serait trop tard pour vous appliquer si vous étiez dans la dissipation de la ville; mais la solitude dans laquelle vous vivez vous laisse tout le temps nécessaire pour cultiver votre esprit. Vous n'en manquez pas, ma chère soeur, mais il faut l'orner par la lecture et les réflexions.

Bellotte trouva d'abord beaucoup de difficultés à suivre les conseils de sa soeur, par l'habitude qu'elle avait contractée de perdre son temps en niaiseries: enfin, à force de se gêner, elle y réussit, et fit des progrès surprenants dans toutes les sciences; et comme la philosophie la consolait de ses malheurs, elle reprit son embonpoint, et devint plus belle qu'elle n'avait jamais été; mais elle ne s'en souciait plus du tout, et ne daignait pas même se regarder dans le miroir. Cependant, son mari avait fait casser son mariage Ce dernier malheur pensa l'accabler, car elle aimait tendrement son mari; mais sa soeur Laideronnette vint à bout de la consoler.

–Ne vous affligez pas, lui dit-elle; je sais le moyen de vous rendre votre mari; suivez seulement mes conseils, et ne vous embarrassez de rien.

Comme le prince avait eu un fils de Bellotte, qui devait être son héritier, il ne se pressa point de prendre une autre femme, et ne pensa qu'à se bien divertir. Il goûtait extrêmement la conversation de Laideronnette, et il lui disait quelquefois qu'il ne se marierait jamais, à moins qu'il ne trouvât une femme qui eût autant d'esprit qu'elle.

–Mais si elle était aussi laide que moi? répondit-elle en riant.

–En vérité, madame, lui dit le prince, cela ne m'arrêterait pas un moment: on s'accoutume à un laid visage; le vôtre ne me paraît plus choquant, par l'habitude que j'ai de vous voir. Quand vous parlez, il ne s'en faut de rien que je ne vous trouve jolie: et puis, à vous dire la vérité, Bellotte m'a dégoûté des belles: toutes les fois que j'en rencontre une, je n'ose lui parler, dans la crainte qu'elle ne me réponde une sottise.

 

Cependant le temps du carnaval arriva, et le prince crut qu'il se divertirait beaucoup s'il pouvait courir le bal sans être connu de personne. Il ne le confia qu'à Laideronnette, et la pria de se masquer avec lui; car, comme elle était sa belle-soeur, personne ne pouvait y trouver à redire, et quand on l'aurait su, cela n'aurait pu nuire à sa réputation. Cependant Laideronnette en demanda la permission à son mari, qui y consentit d'autant plus volontiers qu'il avait lui-même mis cette fantaisie en tête au prince pour faire réussir le dessein qu'il avait de le réconcilier avec Bellotte. Il écrivit à cette princesse abandonnée, de concert avec son épouse, qui marqua en même temps à sa soeur comment le prince devait être habillé.

Dans le milieu du bal, Bellotte vint s'asseoir entre son mari et sa soeur, et commença une conversation extrêmement agréable avec eux. D'abord, le prince crut reconnaître la voix de sa femme; mais elle n'eut pas parlé une demi-heure, qu'il perdit le soupçon qu'il avait eu au commencement. Le reste de la nuit passa si vite, à ce qu'il lui sembla, qu'il se frotta les yeux quand le jour parut, croyant rêver, et demeura charmé de l'esprit de l'inconnue, qu'il ne put jamais engager à se démasquer: tout ce qu'il en put obtenir, c'est qu'elle reviendrait au premier bal avec le même habit. Le prince s'y trouva le premier, et quoique l'inconnue y arrivât un quart d'heure après lui, il l'accusa de paresse, et lui jura qu'il s'était beaucoup impatienté. Il fut encore plus charmé de l'inconnue cette seconde fois que la première, et avoua à Laideronnette qu'il était fou de cette personne.

–J'avoue qu'elle a beaucoup d'esprit, lui répondit sa confidente; mais si vous voulez que je vous dise mon sentiment, je soupçonne qu'elle est encore plus laide que moi. Elle connaît que vous l'aimez, et craint de perdre votre coeur quand vous verrez son visage.

–Ah! madame, dit le prince, que ne peut-elle lire dans mon âme! L'amour qu'elle m'a inspiré est indépendant de ses traits. J'admire les lumières, l'étendue de ses connaissances, la supériorité de son esprit, et la bonté de son coeur.

–Comment pouvez-vous juger de la bonté de son coeur? lui dit Laideronnette.

–Je vais vous le dire, reprit le prince. Quand je lui ai fait remarquer de belles femmes, elle les a louées de bonne foi, et elle m'a fait remarquer avec adresse des beautés qu'elles avaient et qui échappaient à ma vue. Quand j'ai voulu, pour l'éprouver, lui conter les mauvaises histoires qu'on mettait sur le compte de ces femmes, elle a détourné adroitement le discours, ou bien elle m'a interrompu pour me raconter quelque belle action de ces personnes: et enfin, quand j'ai voulu continuer, elle m'a fermé la bouche en disant qu'elle ne pouvait souffrir la médisance. Vous voyez bien, madame, qu'une femme qui n'est point jalouse de celles qui sont belles, une femme qui prend plaisir à dire du bien du prochain, une femme qui ne peut souffrir la médisance, doit être d'un excellent caractère, et ne peut manquer d'avoir un bon coeur. Que me manquera-t-il pour être heureux avec une telle femme, quand même elle serait aussi laide que vous le pensez? Je suis donc résolu à lui déclarer mon nom, et à lui offrir de partager ma puissance.

Effectivement, dans le premier bal, le prince apprit sa qualité à l'inconnue, et lui dit qu'il n'y avait point de bonheur à espérer pour lui s'il n'obtenait pas sa main; mais, malgré ces offres, Bellotte s'obstina à demeurer masquée, ainsi qu'elle en était convenue avec sa soeur. Voilà le prince dans une inquiétude épouvantable. Il pensait, comme Laideronnette, que cette personne si spirituelle devait être un monstre, puisqu'elle avait tant de répugnance à se laisser voir; mais, quoiqu'il se la peignît de la manière du monde la plus désagréable, cela ne diminuait point l'attachement, l'estime et le respect qu'il avait conçus pour son esprit et pour sa vertu. Il fut tout près de tomber malade de chagrin lorsque l'inconnue lui dit:

–Je vous aime, mon prince, et je ne chercherai point à vous le cacher: mais, plus mon amour est grand, plus je crains de vous perdre quand vous me connaîtrez. Vous vous figurez peut-être que j'ai de grands yeux, une petite bouche, de belles dents, un teint de lis et de roses: si par aventure j'allais me trouver avec des yeux louches, une grande bouche, un nez camard, vous me prieriez bien vite de remettre mon masque. D'ailleurs, quand je ne serais pas si horrible, je sais que vous êtes inconstant: vous avez aimé Bellotte à la folie; et cependant vous l'avez abandonnée.

–Ah! madame, lui dit le prince soyez mon juge: j'étais jeune quand j'épousai Bellotte, et je vous avoue que je ne m'étais jamais occupé qu'à la regarder, et point à l'écouter: mais lorsque je fus son mari, et que l'habitude de la voir eut dissipé mon illusion, imaginez-vous si ma situation dut être bien agréable. Quand je me trouvais seul avec ma femme, elle me parlait d'une robe nouvelle qu'elle devait mettre le lendemain, des souliers de celle-ci, des diamants de celle-là. S'il se trouvait à ma table une personne d'esprit, et que l'on voulût parler de quelque chose de raisonnable, Bellotte commençait par bâiller et finissait par s'endormir. Je voulus essayer de l'engager à s'instruire, cela l'impatienta: elle était si ignorante qu'elle me faisait trembler et rougir toutes les fois qu'elle ouvrait la bouche. Encore s'il m'avait été permis de me désennuyer d'un autre côté, j'aurais eu patience; mais ce n'était pas là son compte; elle eût voulu que le sot amour qu'elle m'avait inspiré eut duré toute ma vie et m'eût rendu son esclave. Vous voyez bien qu'elle m'a mis dans la nécessité de faire casser mon mariage.

–J'avoue que vous étiez à plaindre, lui répondit l'inconnue; mais tout ce que vous dites ne me rassure point. Vous dites que vous m'aimez; voyez si vous serez assez hardi pour m'épouser aux yeux de tous vos sujets sans m'avoir vue.

–Je suis le plus heureux de tous les hommes, puisque vous ne demandez que cela, répondit le prince; venez dans mon palais avec Laideronnette, et demain, dès le matin, je ferai assembler mon conseil pour vous épouser à ses yeux.

Le reste de la nuit parut bien long au prince; et avant de quitter le bal, s'étant démasqué, il ordonna à tous les seigneurs de la cour de se rendre dans son palais, et fit avertir ses ministres. Ce fut en leur présence qu'il raconta ce qui lui était arrivé avec l'inconnue; et, après avoir fini son discours, il jura de n'avoir jamais d'autre épouse qu'elle, telle que pût être sa figure. Il n'y eut personne qui ne crût comme le prince que celle qu'il épousait ainsi ne fût horrible à voir. Quelle fut la surprise de tous les assistants lorsque Bellotte, s'étant démasquée, leur fit voir la plus belle personne qu'on pût imaginer! Ce qu'il y eut de plus singulier, c'est que le prince ni les autres ne la reconnurent pas d'abord, tant le repos et la solitude l'avaient embellie; on se disait seulement tout bas que l'autre princesse lui ressemblait en laid. Le prince, extasié d'être trompé si agréablement, ne pouvait parler; mais Laideronnette rompit le silence pour féliciter sa soeur du retour de la tendresse de son époux.

–Quoi! s'écria le roi, cette charmante et spirituelle personne est Bellotte? Par quel enchantement a-t-elle joint aux charmes de sa figure ceux de l'esprit et du caractère qui lui manquaient absolument? Quelque fée favorable a-t-elle fait ce miracle en sa faveur?

–Il n'y à point de miracle, reprit Bellotte; j'avais négligé de cultiver les dons de la nature; mes malheurs, la solitude et les conseils de ma soeur m'ont ouvert les yeux et m'ont engagée à acquérir des grâces à l'épreuve du temps et des maladies.

–Et ces grâces m'ont inspiré un attachement à l'épreuve de l'inconstance, lui dit le prince en l'embrassant. Effectivement il l'aima toute sa vie avec une fidélité qui lui fit oublier ses malheurs passés.

LE PÊCHEUR ET LE VOYAGEUR

Il y avait une fois un homme qui n'avait pour tout bien qu'une pauvre cabane sur le bord d'une petite rivière: il gagnait sa vie à pêcher du poisson, mais comme il y en avait peu dans cette rivière, il ne gagnait pas grand'chose, et ne vivait guère que de pain et d'eau. Cependant il était content dans sa pauvreté, parce qu'il ne souhaitait rien que ce qu'il avait. Un jour il lui prit fantaisie de voir la ville, et il résolut d'y aller le lendemain. Comme il pensait à faire ce voyage, il rencontra un voyageur qui lui demanda s'il y avait bien loin jusqu'à un village pour trouver une maison où il pût coucher.

–Il y a douze milles, répondit le pécheur, et il est bien tard; si vous voulez passer la nuit dans ma cabane, je vous l'offre de bon coeur.

Le voyageur accepta sa proposition, et le pêcheur, qui voulait le régaler, alluma du feu pour faire cuire quelques petits poissons. Pendant qu'il apprêtait le souper, il riait, il chantait et paraissait de fort bonne humeur.

–Que vous êtes heureux, lui dit son hôte, de pouvoir vous divertir! Je donnerais tout ce que je possède au monde pour être aussi gai que vous.

–Eh! qui vous en empêche? dit le pêcheur. Ma joie ne me coûte rien, et je n'ai jamais eu sujet d'être triste. Est-ce que vous avez quelque grand chagrin qui ne vous permet pas de vous réjouir?

–Hélas! reprit le voyageur, tout le monde me croit le plus heureux des hommes. J'étais marchand et je gagnais de grands biens, mais je n'avais pas un moment de repos. Je craignais toujours qu'on me fît banqueroute, que mes marchandises se gâtassent, que les vaisseaux que j'avais sur la mer fissent naufrage; aussi j'ai quitté le commerce pour essayer d'être plus tranquille, et j'ai acheté une charge chez le roi. D'abord j'ai eu le bonheur de plaire au prince; je suis devenu son favori, et je croyais que j'allais être content; mais j'ai connu bientôt que j'étais plutôt l'esclave du prince que son favori. Il fallait renoncer à tout moment à mes inclinations pour suivre les siennes. Il aimait la chasse, et moi le repos: cependant j'étais obligé de courir avec lui les bois toute la journée; je revenais au palais bien fatigué, et avec une grande envie de me coucher. Point du tout, une grande dame donnait un bal, un festin, elle me faisait l'honneur de m'y inviter pour faire sa cour au roi; j'y allais en enrageant; mais l'amitié du prince me consolait un peu. Il y a environ quinze jours qu'il s'est avisé de parler d'un air d'amitié à un des seigneurs de sa cour, il lui à donné deux commissions, et a dit qu'il le croyait un fort honnête homme. Dès ce moment j'ai bien vu que j'étais perdu, et j'ai passé plusieurs nuits sans dormir.

–Mais, dit le pêcheur en interrompant son hôte, est-ce que le roi vous faisait mauvais visage et ne vous aimait plus?

–Pardonnez-moi, répondit cet homme, le roi me faisait plus d'amitié qu'à l'ordinaire, mais pensez donc qu'il ne m'aimait plus tout seul, et que tout le monde disait que ce seigneur allait devenir un second favori. Vous sentez bien que cela est insupportable; aussi ai-je manqué en mourir de chagrin. Je me retirai hier au soir dans ma chambre, tout triste, et quand je fus seul, je me mis à pleurer. Tout d'un coup je vis un homme de haute stature, d'une physionomie fort agréable, qui me dit: "Azaël, j'ai pitié de ta misère: veux-tu devenir tranquille? renonce à l'amour des richesses et au désir des honneurs. – Hélas! seigneur, ai-je dit à cet homme, je le souhaiterais de tout mon coeur, mais comment y réussir? – Quitte la cour, m'a-t-il dit, et marche pendant deux jours par le premier chemin qui s'offrira à ta vue; la folie d'un homme te prépare un spectacle capable de te guérir pour jamais de l'ambition. Quand tu auras marché pendant deux jours, reviens sur tes pas, et je crois fermement qu'il ne tiendra qu'à toi de vivre gai et tranquille." J'ai déjà marché un jour entier pour obéir à cet homme, et je marcherai encore demain; mais j'ai bien de la peine à espérer le repos qu'il a promis.

Le pêcheur ayant écouté cette histoire, ne put s'empêcher d'admirer la folie de cet ambitieux qui faisait dépendre son bonheur des regards et des paroles du prince.

–Je serai charmé de vous revoir et d'apprendre votre guérison, dit-il au voyageur. Achevez votre voyage, et dans deux jours revenez dans ma cabane. Je vais voyager aussi: je n'ai jamais été à la ville, et je m'imagine que je me divertirai beaucoup de tous les fracas qu'il doit y avoir.

–Vous avez là une mauvaise pensée, dit le voyageur, puisque vous êtes heureux à présent, pourquoi cherchez-vous à vous rendre misérable? Votre cabane vous paraît suffisante aujourd'hui; mais quand vous aurez vu les palais des grands, elle vous paraîtra bien petite et bien chétive. Vous êtes content de votre habit parce qu'il vous couvre, mais il vous fera mal au coeur quand vous aurez examiné les superbes vêtements des riches.

 

–Monsieur, dit le pêcheur à son hôte, vous parlez comme un livre; servez-vous de ces belles raisons pour apprendre à ne pas vous fâcher quand on regarde les autres ou qu'on leur parle. Le monde est plein de ces gens qui conseillent les autres pendant qu'ils ne peuvent se gouverner eux-mêmes.

Le voyageur ne répliqua rien, parce qu'il n'est pas honnête de contredire les gens dans leur maison, et le lendemain il continua son voyage pendant que le pêcheur commençait le sien. Au bout de deux jours, le voyageur Azaël, qui n'avait rien rencontré d'extraordinaire, revint à la cabane; il trouva le pêcheur assis devant sa porte, la tête appuyée dans sa main et les yeux fixés contre terre.

–A quoi pensez-vous? lui demanda Azaël.

–Je pense que je suis fort malheureux, répondit le pêcheur. Qu'est-ce que j'ai fait à Dieu pour m'avoir rendu si pauvre, pendant qu'il y a une grande quantité d'hommes si riches et si contents?

Dans ce moment, l'homme qui avait commandé à Azaël de marcher pendant deux jours, et qui était un ange, parut.

–Pourquoi n'as-tu pas suivi les conseils d'Azaël? dit-il au pêcheur. La vue des magnificences de la ville a fait naître chez toi l'avarice et l'ambition; elles en ont chassé la joie et la paix. Modère tes désirs, et tu recouvreras ces précieux avantages.

–Cela vous est bien aisé à dire, reprit le pêcheur; mais cela ne m'est pas possible, et je sens que je serai toujours malheureux, à moins qu'il ne plaise à Dieu de changer ma situation.

–Ce serait pour ta perte, lui dit l'ange. Crois-moi, ne souhaite que ce que tu as.

–Vous avez beau parler, reprit le pêcheur, vous ne m'empêcherez pas de souhaiter une autre situation.

–Dieu exauce quelquefois les voeux de l'ambitieux, répondit l'ange, mais c'est dans sa colère et pour le punir.

–Eh! que vous importe? dit le pêcheur. S'il ne tenait qu'à souhaiter, je ne m'embarrasserais guère de vos menaces.

–Puisque tu veux te perdre, dit l'ange, j'y consens. Tu peux souhaiter trois choses, Dieu te les accordera.

Le pêcheur, transporté de joie, souhaita que sa cabane fût changée en un palais magnifique, et aussitôt son souhait fut accompli. Le pêcheur, après avoir admiré ce palais, souhaita que la petite rivière qui était devant sa porte, fût changée en une grande mer; et aussitôt son souhait fut accompli. Il lui en restait un troisième à faire: il y rêva quelque temps, et ensuite il souhaita que sa petite barque fut changée en un vaisseau superbe chargé d'or et de diamants. Aussitôt qu'il vit le vaisseau, il y courut pour admirer les richesses dont il était devenu le maître; mais à peine y fut-il entré, qu'il s'éleva un grand orage. Le pêcheur voulut revenir au rivage et descendre à terre, mais il n'y avait pas moyen. Ce fut alors qu'il maudit son ambition: regrets inutiles, la mer l'engloutit avec toutes ses richesses. Et l'ange dit à Azaël:

–Que cet exemple te rende sage. La fin de cet homme est presque toujours celle de l'ambitieux. La cour où tu vis présentement est une mer fameuse par les naufrages et les tempêtes; pendant que tu le peux encore, gagne le rivage; tu le souhaiteras un jour, sans pouvoir y parvenir.

Azaël, effrayé, promit d'obéir à l'ange et lui tint parole. Il quitta la cour et vint demeurer à la campagne, où il se maria avec une fille qui avait plus de vertu que de beauté et de fortune. Au lieu de chercher à augmenter ses grandes richesses, il ne s'appliqua plus qu'à en jouir avec modération et à en distribuer le superflu aux pauvres. Il se vit alors heureux et content, et il ne passa aucun jour sans remercier Dieu de l'avoir guéri de l'avarice et de l'ambition, qui avaient jusqu'alors empoisonné tout le bonheur de sa vie.

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