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Le Cabinet des Fées

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Quelle joie pour la pauvre reine de revoir le soleil! Elle en avait si fort perdu l'habitude, qu'elle en pensa devenir aveugle. Pour Moufette, elle était si adroite, qu'à cinq ou six ans, rien n'échappait aux coups qu'elle tirait; par ce moyen, la mère et la fille adoucissaient un peu la férocité de la fée.

Grenouille chemina par monts et par vaux, de jour et de nuit; enfin elle arriva proche de la ville capitale où le roi faisait son séjour; elle demeura surprise de ne voir partout que des danses et des festins; on riait, on chantait, et plus elle approchait de la ville, plus elle trouvait de joie et de jubilation. Son équipage marécageux surprenait tout le monde: chacun la suivait, et la foule devint si grande lorsqu'elle entra dans la ville, qu'elle eut beaucoup de peine à parvenir jusqu'au palais; c'est en ce lieu que tout était dans la magnificence. Le roi, veuf depuis neuf ans, s'était enfin laissé fléchir aux prières de ses sujets; il allait se marier à une princesse moins belle, à la vérité, que sa femme, mais qui ne laissait pas d'être fort agréable.

La bonne grenouille étant descendue de sa litière entra chez le roi, suivie de tout son cortège. Elle n'eut pas besoin de demander audience; le monarque, sa fiancée et tous les princes avaient trop d'envie de savoir le sujet de sa venue pour l'interrompre.

–Sire, dit-elle, je ne sais si la nouvelle que je vous apporte vous donnera de la joie ou de la peine, les noces que vous êtes sur le point de faire me persuadent votre infidélité pour la reine…

–Son souvenir m'est toujours cher, dit le roi en versant quelques larmes qu'il ne put retenir; mais il faut que vous sachiez, gentille grenouille, que les rois ne font pas toujours ce qu'ils veulent: il y a neuf ans que mes sujets me pressent de me remarier, je leur dois des héritiers, ainsi j'ai jeté les yeux sur cette jeune princesse, qui me parait toute charmante.

–Je ne vous conseille pas de l'épouser, car la polygamie est un cas pendable; la reine n'est point morte, voici une lettre, écrite de son sang, dont elle m'a chargée: vous avez une petite princesse, Moufette, qui est plus belle que tous les cieux ensemble.

Le roi prit le chiffon où la reine avait griffonné quelques mots, il le baisa, il l'arrosa de ses larmes, il le fit voir à toute l'assemblée, disant qu'il reconnaissait fort bien le caractère de sa femme: il fit mille questions à la grenouille, auxquelles elle répondit avec autant d'esprit que de vivacité. La princesse fiancée et les ambassadeurs chargés de voir célèbrer faisaient très-laide grimace.

–Comment, sire, dit le plus célèbre d'entre eux, pouvez-vous, sur les paroles d'une crapaudine comme celle-ci, rompre un hymen si solennel? Cette écume de marécage a l'insolence de venir mentir à votre cour, et goûte le plaisir d'être écoutée!

–Monsieur l'ambassadeur, répliqua la grenouille, sachez que je ne suis point écume de marécage; et puisqu'il faut ici étaler ma science, allons, fées et féos, paraissez!

Toutes les grenouillettes, rats, escargots, lézards, et elle à leur tête, parurent en effet, mais ils n'avaient plus la figure de ces vilains petits animaux: leur taille était haute et majestueuse, leur visage agréable, leurs yeux plus brillants que les étoiles: chacun portait une couronne de pierreries sur sa tête et un manteau royal sur ses épaules, de velours doublé d'hermine, avec une longue queue, que des nains et des naines portaient. En même temps, voici des trompettes, timbales, hautbois et tambours qui percent les nues par leurs sons agréables et guerriers: toutes les fées et les féos commencèrent un ballet si légèrement dansé, que la moindre gambade les élevait jusqu'à la voûte du salon. Le roi attentif et la future reine n'étaient pas moins surpris l'un que l'autre, quand ils virent tout d'un coup ces honorables baladins métamorphosés en fleurs qui ne baladinaient pas moins, jasmins, jonquilles, violettes, oeillets et tubéreuses, que lorsqu'ils étaient pourvus de jambes et de pieds. C'était un parterre animé, dont tous les mouvements réjouissaient autant l'odorat que la vue.

Un instant après, les fleurs disparurent, plusieurs fontaines prirent leurs places; elles s'élevaient rapidement, et retombaient dans un large canal, qui se forma au pied du château; il était couvert de petites galères peintes et dorées, si jolies et si galantes, que la princesse convia ses ambassadeurs d'y entrer avec elle pour s'y promener; ils le voulurent bien, pensant que tout cela n'était qu'un jeu, qui se terminerait enfin par d'heureuses noces.

Dès qu'ils furent embarqués, la galère, le fleuve et toutes les fontaines disparurent; les grenouilles redevinrent grenouilles. Le roi demanda où était sa princesse, la grenouille repartit:

–Sire, vous n'en devez point avoir d'autre que la reine votre épouse! si j'étais moins de ses amies, je ne me mettrais pas en peine du mariage que vous étiez sur le point de faire; mais elle a tant de mérite, et votre fille Moufette est si aimable, que vous ne devez pas perdre un moment à tâcher de les délivrer.

Je vous avoue, madame la grenouille, dit le roi, que si je ne croyais pas ma femme morte, il n'y à rien au monde que je ne fisse pour la revoir.

–Après les merveilles que j'ai faites devant vous, répliqua-t-elle, il me semble que vous devriez être plus persuadé de ce que je vous dis: laissez votre royaume avec de bons ordres, et ne différez pas à partir. Voici une bague qui vous fournira les moyens de voir la reine et de parler à la fée Lionne, quoiqu'elle soit la plus terrible créature qui soit au monde.

Le roi, ne voyant plus la princesse qui lui était destinée, sentit que sa passion pour elle s'affaiblissait fort, et qu'au contraire celle qu'il avait eue pour la reine prenait de nouvelles forces.

Il partit sans vouloir être accompagné de personne, et fit des présents très-considérables à la grenouille.

–Ne vous découragez point, lui dit-elle, vous aurez de terribles difficultés à surmonter, mais j'espère que vous réussirez dans ce que vous souhaitez.

Le roi, consolé par ces promesses, ne prit point d'autres guides que sa bague pour aller trouver sa chère reine. A mesure que Moufette grandissait, sa beauté se perfectionnait si fort que tous les monstres du lac de vif-argent en devinrent amoureux; l'on voyait des dragons d'une figure épouvantable, qui venaient ramper à ses pieds. Bien qu'elle les eût toujours vus, ses beaux yeux ne pouvaient s'y accoutumer; elle fuyait et se cachait entre les bras de sa mère.

–Serons-nous longtemps ici, lui disait-elle, nos malheurs ne finiront-ils point?

La reine lui donnait de bonnes espérances pour la consoler, mais dans le fond elle n'en avait aucune; l'éloignement de la grenouille, son profond silence; tant de temps passé sans avoir aucunes nouvelles du roi, tout cela, dis-je, l'affligeait avec excès.

La fée Lionne s'accoutuma peu à peu à les mener à la chasse; elle était friande, elle aimait le gibier qu'elles lui tuaient; et pour toute récompense elle leur en donnait les pieds ou la tête; mais c'était encore beaucoup de leur permettre de revoir la lumière du jour. Cette fée prenait la figure d'une lionne, la reine et sa fille s'asseyaient sur elle et couraient ainsi les bois.

Le roi, conduit par sa bague, s'étant arrêté dans une forêt, les vit passer comme un trait qu'on décoche; il n'en fut pas aperçu, mais, voulant les suivre, elles disparurent absolument à ses yeux.

Malgré les continuelles peines de la reine, sa beauté ne s'était point altérée: elle lui parut plus belle que jamais. Tous ses feux se rallumèrent; et ne doutant pas que la jeune princesse qui était avec elle ne fût sa chère Moufette, il résolut de périr mille fois plutôt que d'abandonner le dessein de les ravoir.

L'officieuse bague le conduisit dans l'obscur séjour où était la reine depuis tant d'années; il n'était pas médiocrement surpris de descendre jusqu'au fond de la terre, mais tout ce qu'il y vit l'étonna bien davantage. La fée Lionne, qui n'ignorait rien, savait le jour et l'heure qu'il devait arriver: que n'aurait-elle pas fait pour que le destin, d'intelligence avec elle, en eût ordonné autrement! Mais elle résolut au moins de combattre son pouvoir de tout le sien.

Elle bâtit, au milieu du lac de vif-argent, un palais de cristal qui voguait comme l'onde, elle y renferma la pauvre reine et sa fille; ensuite elle harangua tous les monstres qui étaient amoureux de Moufette:

–Vous perdrez cette belle princesse, leur dit-elle, si vous ne vous intéressez avec moi à la défendre contre un chevalier qui vient pour l'enlever.

Les monstres promirent de ne rien négliger de ce qu'ils pouvaient faire; ils entourèrent le palais de cristal, les plus légers se placèrent sur le toit et sur les murs, les autres aux portes, et le reste dans le lac.

Le roi, conseillé par sa fidèle bague, fut d'abord à la caverne de la fée; elle l'attendait sous sa figure de lionne. Dès qu'il parut, elle se jeta sur lui; il mit l'épée à la main avec une valeur qu'elle n'avait point prévue; et comme elle allongeait une de ses pattes pour le terrasser, il la lui coupa à la jointure: c'était justement au coude. Elle poussa un grand cri et tomba: il s'approcha d'elle, il lui mit le genou sur la gorge; il jura par sa foi qu'il l'allait tuer, et, malgré son invulnérable furie, elle ne laissa pas d'avoir peur.

–Que me veux-tu, lui dit-elle, que me demandes-tu?

–Je veux te punir, répliqua-t-il fièrement, d'avoir enlevé ma femme, et je veux t'obliger à me la rendre ou je t'étranglerai tout à l'heure.

–Jette les yeux sur ce lac, dit-elle, vois si elle est en mon pouvoir?

Le roi regarda du côté qu'elle lui montrait; il vit la reine et sa fille dans le château de cristal, qui voguait sans rames et sans gouvernail, comme une galère, sur le vif-argent.

Il pensa mourir de joie et de douleur: il les appela de toute sa force, et il en fut entendu; mais où les joindre? Pendant qu'il en cherchait les moyens, la fée Lionne disparut.

 

Il courait le long des bords du lac: quand il était d'un côté, prêt à joindre le palais transparent, il s'éloignait d'une vitesse épouvantable, et ses espérances étaient ainsi toujours déçues. La reine, qui craignait qu'à la fin il ne se lassât, lui criait de ne point perdre courage, que la fée Lionne voulait le fatiguer, mais qu'un véritable amour ne peut-être rebuté par aucunes difficultés. Là-dessus, elle et Moufette lui tendaient la main, prenaient des manières suppliantes. A cette vue, le roi se sentait pénétré de nouveaux traits; il élevait la voix, il jurait par le Styx et l'Achéron de passer plutôt le reste de sa vie dans ces tristes lieux que d'en partir sans elles.

Il fallait qu'il fût doué d'une grande persévérance, car il passait bien mal son temps. La terre, pleine de ronces et couvertes d'épines, lui servait de lit; il ne mangeait que des fruits sauvages, plus amers que du fiel, et il avait sans cesse des combats à soutenir contre les monstres du lac. Un mari qui tient cette conduite pour revoir sa femme est assurément du temps des fées, et son procédé marque assez l'époque de mon conte.

Trois années s'écoulèrent sans que le roi eût lieu de se promettre aucuns avantages, il était presque désespéré; il prit cent fois la résolution de se jeter dans le lac, et il l'aurait fait s'il avait pu envisager ce dernier coup comme un remède aux peines de la reine et de la princesse. Il courait à son ordinaire, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre lorsqu'un dragon affreux l'appela et lui dit:

–Si vous voulez me jurer par votre couronne et par votre sceptre, par votre manteau royal, par votre femme et votre fille, de me donner un certain morceau à manger dont je suis friand, et que je vous demanderai lorsque j'en aurai envie, je vais vous prendre sur mes ailes et, malgré tous les monstres qui couvrent ce lac et qui gardent le château de cristal, je vous promets que nous retirerons la reine et la princesse Moufette.

–Ah! cher dragon de mon âme! s'écria le roi, je vous jure, et à toute votre dragonienne espèce, que je vous donnerai à manger tant qu'il vous plaira et que je resterai à jamais votre petit serviteur!

–Ne vous engagez pas, répliqua le dragon, si vous n'avez envie de me tenir parole, car il arriverait des malheurs si grands, que vous vous en souviendriez le reste de votre vie.

Le roi redoubla ses protestations; il mourait d'impatience de délivrer sa chère reine. Il monta sur le dos du dragon, comme il aurait fait sur le plus beau cheval du monde; en même temps les monstres vinrent au-devant de lui pour l'arrêter au passage; ils se battent, l'on n'entend que le sifflement aigu des serpents, l'on ne voit que du feu, le soufre et le salpêtre tombent pêle-mêle. Enfin le roi arrive au château; les efforts s'y renouvellent, chauves-souris, hiboux, corbeaux, tout lui en défend l'entrée; mais le dragon, avec ses griffes, ses dents et sa queue, mettait en pièces les plus hardis. La reine, de son côté, qui voyait cette grande bataille, casse ses murs à coups de pied, et des morceaux elle en fait des armes pour aider à son cher époux; ils furent enfin victorieux, ils se joignirent, et l'enchantement s'acheva par un coup de tonnerre qui tomba dans le lac et qui le tarit.

L'officieux dragon était disparu comme tout les autres, et sans que le roi put deviner par quel moyen il avait été transporté dans sa ville capitale; il s'y trouva avec la reine et Moufette, assis dans un salon magnifique, vis-à-vis d'une table délicieusement servie. Il n'a jamais été un étonnement pareil au leur, ni une plus grande joie. Tous leurs sujets accoururent pour voir leur souveraine et la jeune princesse qui, par une suite du prodige, était si superbement vêtue, qu'on avait peine à soutenir l'éclat de ses pierreries.

Il est aisé d'imaginer que tous les plaisirs occupèrent cette belle cour: l'on y faisait des mascarades, des courses de bagues, des tournois qui attiraient les plus grands princes du monde, et les beaux yeux de Moufette les arrêtaient tous. Entre ceux qui parurent les mieux faits et les plus adroits, le prince Moufy emporta partout l'avantage; l'on n'entendait que des applaudissements; chacun l'admirait, et la jeune Moufette, qui avait été jusqu'alors avec les serpents et les dragons du lac, ne put s'empêcher de rendre justice au mérite de Moufy. Il ne se passait aucun jour sans qu'il fît des galanteries nouvelles pour lui plaire, car il l'aimait passionnément; et s'étant mis sur les rangs pour établir ses prétentions, il fit connaître au roi et à la reine que sa principauté était d'une beauté et d'une étendue qui méritaient bien une attention particulière.

Le roi lui dit que Moufette était maîtresse de se choisir un mari, et qu'il ne la voulait contraindre en rien; qu'il travaillât à lui plaire, que c'était l'unique moyen d'être heureux. Le prince fut ravi de cette réponse; il avait connu en plusieurs rencontres qu'il ne lui était pas indifférent, et s'en étant enfin expliqué avec elle, elle lui dit que s'il n'était pas son époux, elle n'en aurait jamais d'autre. Moufy, transporté de joie, se jeta à ses pieds; il la conjura dans les termes les plus tendres de se souvenir de la parole qu'elle lui donnait.

Il courut aussitôt dans l'appartement du roi et de la reine, il leur rendit compte des progrès que son amour avait faits sur Moufette, et les supplia de ne plus différer son bonheur. Ils y consentirent avec plaisir. Le prince Moufy avait de si grandes qualités qu'il semblait être seul digne de posséder la merveilleuse Moufette. Le roi voulut bien les fiancer avant qu'il retournât à Moufy, où il était obligé d'aller donner des ordres pour son mariage; mais il ne serait plutôt jamais parti que de s'en aller sans des assurances certaines d'être heureux à son retour. La princesse Moufette ne put lui dire adieu sans répandre beaucoup de larmes; elle avait je ne sais quels pressentiments qui l'affligeaient; et la reine, voyant le prince accablé de douleur, lui donna le portrait de sa fille, le priant, pour l'amour d'eux tous, que l'entrée qu'il allait ordonner ne fut pas si magnifique, afin qu'il tardât moins à revenir. Il lui dit:

–Madame, je n'ai jamais tant pris de plaisir à vous obéir que j'en aurai dans cette occasion; mon coeur y est trop intéressé pour que je néglige ce qui peut me rendre heureux.

Il partit en poste, et la princesse Moufette, en attendant son retour, s'occupait de la musique et des instruments qu'elle avait appris à toucher depuis quelques mois, et dont elle s'acquittait merveilleusement bien. Un jour qu'elle était dans la chambre de la reine, le roi y entra le visage tout couvert de larmes, et prenant sa fille entre ses bras:

–O mon enfant! s'écria-t-il, ô père infortuné! ô malheureux roi!

Il n'en put dire d'avantage: les soupirs coupèrent le fil de sa voix; la reine et la princesse épouvantées lui demandèrent ce qu'il avait; enfin il leur dit qu'il venait d'arriver un géant d'une grandeur démesurée, qui se disait ambassadeur du dragon du lac, lequel, suivant la promesse qu'il avait exigée du roi pour lui aider à combattre et à vaincre les monstres, venait demander la princesse Moufette, afin de la manger en pâté; qu'il s'était engagé par des serments épouvantables de lui donner tout ce qu'il voudrait, et en ce temps-la l'on ne savait pas manquer à sa parole.

La reine, entendant ces tristes nouvelles, poussa des cris affreux; elle serra la princesse entre ses bras:

–L'on m'arrachera plutôt la vie, dit-elle, que de me résoudre à livrer ma fille à ce monstre; qu'il prenne notre royaume et tout ce que nous possédons. Père dénaturé, pourriez-vous donner les mains à une si grande barbarie? Quoi! mon enfant serait mis en pâté! Ah! je n'en peux soutenir la pensée: envoyez-moi ce barbare ambassadeur; peut-être que mon affliction le touchera.

Le roi ne répliqua rien; il fut parler au géant, l'amena ensuite à la reine, qui se jeta à ses pieds. Elle et sa fille le conjurèrent d'avoir pitié d'elles, et de persuader au dragon de prendre tout ce qu'elles avaient et de sauver la vie à Moufette; mais il leur répondit que cela ne dépendait point du tout de lui, et que le dragon était trop opiniâtre et trop friand; que lorsqu'il avait en tête de manger quelque bon morceau, tous les dieux ensemble ne lui en ôteraient pas l'envie; qu'il leur conseillait en ami de faire la chose de bonne grâce, parce qu'il en pourrait arriver de plus grands malheurs. A ces mots la reine s'évanouit, et la princesse en aurait fait autant s'il n'eût fallu qu'elle secourût sa mère.

Ces tristes nouvelles furent à peine répandues dans le palais que toute la ville les sut; l'on n'entendait que des pleurs et des gémissements, car Moufette était adorée. Le roi ne pouvait se résoudre à la donner au géant; et le géant, qui avait déjà attendu plusieurs jours, commençait à se lasser et menaçait d'une manière terrible. Cependant le roi et la reine disaient:

–Que nous peut-il arriver de pis? Quand le dragon du lac viendrait nous dévorer, nous ne serions pas plus affligés; si l'on met notre Moufette en pâté, nous sommes perdus.

Là-dessus le géant leur dit qu'il avait reçu des nouvelles de son maître, et que, si la princesse voulait épouser un neveu qu'il avait, il consentait à la laisser vivre; qu'au reste ce neveu était beau et bien fait, qu'il était prince, et qu'elle pourrait vivre fort contente avec lui.

Cette proposition adoucit un peu la douleur de Leurs Majestés. La reine parla à la princesse; mais elle la trouva beaucoup plus éloignée de ce mariage que de la mort.

–Je ne suis point capable, lui dit-elle, madame, de conserver ma vie par une infidélité; vous m'avez promise au prince Moufy, je ne serais jamais à d'autre: laissez-moi mourir, la fin de ma vie assurera le repos de la vôtre.

Le roi survint: il dit à sa fille tout ce que la plus forte tendresse peut faire imaginer; elle demeura ferme dans ses sentiments; et pour conclusion, il fut résolu de la conduire sur le haut d'une montagne où le dragon du lac la devait venir prendre.

L'on prépara tout pour ce triste sacrifice; jamais ceux d'Iphigénie et de Psyché n'ont été si lugubres: l'on ne voyait que des habits noirs, des visages pâles et consternés. Quatre cents jeunes filles de la première qualité s'habillèrent de longs habits blancs, et se couronnèrent de cyprès pour l'accompagner; on la portait dans une litière de velours noir découverte, afin que tout le monde vit ce chef-d'oeuvre des dieux; ses cheveux étaient épars sur ses épaules, rattachés de crêpes, et la couronne qu'elle avait sur sa tête était de jasmin mêlé de soucis. Elle ne paraissait touchée que de la douleur du roi et de la reine, qui la suivaient accablés de la plus profonde tristesse. Le géant, armé de toutes pièces, marchait à côté de la litière où était la princesse, et la regardant d'un oeil avide, il semblait qu'il était assuré d'en manger sa part. L'air retentissait de soupirs et de sanglots; le chemin était inondé des larmes que l'on répandait.

–Ah! grenouille, grenouille! s'écriait la reine, vous m'avez bien abandonnée! Hélas! pourquoi me donniez-vous votre secours dans la sombre plaine, puisque vous me le déniez à présent? Que je serais heureuse d'être morte alors! je ne verrais pas aujourd'hui toutes mes espérances déçues! je ne verrais pas, dis-je, ma chère Moufette, sur le point d'être dévorée!

Pendant qu'elle faisait ces plaintes, l'on avançait toujours, quelque lentement qu'on marchât, et enfin l'on se trouva au haut de la fatale montagne. En ce lieu les cris et les regrets redoublèrent d'une telle force, qu'il n'a jamais été rien de si lamentable; le géant convia tout le monde de faire ses adieux et de se retirer. Il fallait bien le faire, car en ce temps-là on était fort simple, et on ne cherchait des remèdes à rien.

Le roi et la reine, s'étant éloignés, montèrent sur une autre montagne avec toute leur cour, parce qu'ils pouvaient voir de là ce qui allait arriver à la princesse; et en effet, ils ne restèrent pas long-temps sans apercevoir en l'air un dragon qui avait près d'une demi-lieue de long. Bien qu'il eût six grandes ailes, il ne pouvait presque voler tant son corps était pesant, tout couvert de grosses écailles bleues et de longs dards enflammés; sa queue faisait cinquante tours et demi; chacune de ses griffes était de la grandeur d'un moulin à vent, et l'on voyait dans sa gueule béante trois rangs de dents aussi longues que celles d'un éléphant.

Mais pendant qu'il s'avançait peu à peu, la chère et fidèle grenouille, montée sur un épervier, vola rapidement vers le prince Moufy. Elle avait son chaperon de roses, et quoiqu'il fût enfermé dans son cabinet, elle y entra sans clef.

 

–Que faites-vous ici, amant infortuné? lui dit-elle. Vous rêvez aux beautés de Moufette, qui est dans ce moment exposée à la plus rigoureuse catastrophe. Voici donc une feuille de rose: en soufflant dessus, j'en fais un cheval rare, comme vous allez voir.

Il parut aussitôt un cheval tout vert; il avait douze pieds et trois têtes: l'une jetait du feu, l'autre des bombes, et l'autre des boulets de canon. Elle lui donna une épée qui avait dix-huit aunes de long, et qui était plus légère qu'une plume; elle le revêtit d'un seul diamant, dans lequel il entra comme dans un habit; et bien qu'il fût plus dur qu'un rocher, il était si maniable qu'il ne le gênait en rien.

–Partez, lui dit-elle, courez, volez à la défense de ce que vous aimez; le cheval vert que je vous donne vous mènera où elle est; quand vous l'aurez délivrée, faites-lui entendre la part que j'y ai.

–Généreuse fée, s'écria le prince, je ne puis à présent vous témoigner toute ma reconnaissance; mais je me déclare pour jamais votre esclave très-fidèle.

Il monta sur le cheval aux trois têtes; aussitôt il se mit à galoper avec ses douze pieds, et faisait plus de diligence que trois des meilleurs chevaux, de sorte qu'il arriva en peu de temps au haut de la montagne, où il vit sa chère princesse toute seule et l'affreux dragon qui s'en approchait lentement. Le cheval vert se mit à jeter du feu, des bombes et des boulets de canon, qui ne surprirent pas médiocrement le monstre; il reçut vingt coups de ces boulets dans la gorge, qui entamèrent un peu les écailles, et les bombes lui crevèrent un oeil. Il devint furieux, et voulut se jeter sur le prince; mais l'épée de dix-huit aunes était d'une si bonne trempe, qu'il la maniait comme il voulait, la lui enfonçant quelquefois jusqu'à la garde, ou s'en servant comme d'un fouet. Le prince n'aurait pas laissé de sentir l'effort de ses griffes sans l'habit de diamant, qui était impénétrable.

Moufette l'avait reconnu de fort loin; car le diamant qui le couvrait était fort brillant et clair, de sorte qu'elle fut saisie de la plus mortelle appréhension dont une femme puisse être capable; mais le roi et la reine commencèrent à sentir dans leur coeur quelques rayons d'espérance; car il était fort extraordinaire de voir un cheval à trois têtes, à douze pieds, qui jetait feu et flamme, et un prince dans un étui de diamant, armé d'une épée formidable, venir dans un moment si nécessaire, et combattre avec tant de valeur. Le roi mit son chapeau sur sa canne, et la reine attacha son mouchoir au bout d'un bâton, pour faire des signes au prince et l'encourager. Toute leur suite en fit autant. En vérité, il n'en avait pas besoin, son coeur tout seul, et le péril où il voyait sa maîtresse, suffisaient pour l'animer.

Quels efforts ne fit-il point! la terre était couverte des dards, des griffes, des cornes, des ailes et des écailles du dragon, son sang coulait par mille endroits, il était tout bleu, et celui du cheval était tout vert; ce qui faisait une nuance singulière sur la terre. Le prince tomba cinq fois, il se releva toujours; il prenait son temps pour remonter sur son cheval, et puis c'étaient des canonnades et des feux grégeois qui n'ont jamais rien eu de semblable. Enfin le dragon perdit ses forces, il tomba, et le prince lui donna un coup dans le ventre qui lui fit une épouvantable blessure; mais ce qu'on aura peine à croire, et qui est pourtant aussi vrai que le reste du conte, c'est qu'il sortit par cette large blessure un prince le plus beau et le plus charmant que l'on ait jamais vu; son habit était de velours bleu à fond d'or, tout brodé de perles; il avait sur la tête un petit morion à la grecque ombragé de plumes blanches. Il accourut les bras ouverts, et embrassant le prince Moufy:

–Que ne vous dois-je pas, mon généreux libérateur! lui dit-il; vous qui venez me délivrer de la plus affreuse prison où jamais un souverain puisse être renfermé: j'y avais été condamné par la fée Lionne; il y a seize ans que j'y languis; et son pouvoir était tel, que malgré ma propre volonté, elle me forçait à dévorer cette adorable princesse: mettez-moi à ses pieds pour que je lui explique mon malheur.

Le prince Moufy, surpris et charmé d'une aventure si étonnante, ne voulut céder en rien aux civilités de ce prince; ils se hâtèrent de joindre la belle Moufette, qui rendait de son côté mille grâces aux dieux pour un bonheur si inespéré. Le roi, la reine, et toute la cour étaient déjà auprès d'elle; chacun parlait à la fois, personne ne s'entendait; l'on pleurait presque autant de joie que l'on avait pleuré de douleur. Enfin, pour que rien ne manquât à la fête, la bonne grenouille parut en l'air montée sur un épervier qui avait des sonnettes d'or aux pieds. Lorsque l'on entendit drelin dindin, chacun leva les yeux; l'on vit briller le chaperon de roses comme un soleil, et la grenouille était aussi belle que l'aurore. La reine s'avança vers elle et la prit par une de ses petites pattes; aussitôt la sage grenouille se métamorphosa, et parut comme une grande reine; son visage était la plus agréable du monde.

–Je viens, s'écria-t-elle, pour couronner la fidélité de la princesse Moufette; elle a mieux aimé exposer sa vie que de changer; cet exemple est rare dans le siècle où nous sommes; mais il le sera bien davantage dans les siècles à venir.

Elle prit aussitôt deux couronnes de myrte qu'elle mit sur la tête des deux amants qui s'aimaient; et frappant trois coups de sa baguette, l'on vit que tous les os du dragon s'élevèrent pour former un arc de triomphe en mémoire de la grande aventure qui venait de se passer.

Ensuite cette belle et nombreuse troupe s'achemina vers la ville, chantant hymen et hyménée avec autant de gaieté qu'ils avaient célébré tristement le sacrifice de la princesse. Ses noces ne furent différées que jusqu'au lendemain; il est aisé de juger de la joie qui les accompagna.

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