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Le Cabinet des Fées

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–Cela doit vous faire voir qu'il ne faut jamais manquer d'égards pour personne, reprit la fée. Mais, mon prince, pour vous montrer que je n'ai point de rancune, je veux vous faire deux présents. Le premier est ce gobelet; il est fait d'un seul diamant, mais ce n'est pas là ce qui le rend précieux; toutes les fois que vous serez tenté de vous mettre en colère, emplissez ce verre d'eau et le buvez en trois fois, et vous sentirez la passion se calmer pour faire place à la raison. Si vous profitez de ce premier présent, vous vous rendrez digne du second. Je sais que vous aimez la princesse Blanche; elle vous trouve fort aimable, mais elle craint vos emportements, et ne vous épousera qu'à condition que vous ferez usage du gobelet.

Violent, surpris de ce que la fée connaissait si bien ses défauts et ses inclinations, avoua qu'en effet il se croirait fort heureux d'épouser Blanche.

–Mais, ajouta-t-il, il me reste un obstacle à vaincre: quand même je serais assez heureux pour obtenir le consentement de Blanche, je me ferais toujours un scrupule de me remarier, par la crainte de priver ma fille d'une couronne.

–Ce sentiment est beau, dit la fée, il se trouve peu de pères capables de sacrifier leurs inclinations au bonheur de leurs enfants; mais que cela ne vous arrête point. Le roi Mogolan, qui était un de mes amis, vient de mourir sans enfants; et, par mon conseil, il a disposé de sa couronne en faveur de l'Eveillé. Il n'est pas né prince, mais il mérite de le devenir; il aime la princesse Elise, elle est digne d'être la récompense de la fidélité de l'Eveillé; et si son père y consent, je suis sûre qu'elle lui obéira sans répugnance.

Elise rougit à ce discours: il est vrai qu'elle avait trouvé l'Eveillé fort aimable, et qu'elle avait écouté avec plaisir ce qu'on lui avait raconté de sa fidélité pour son maître.

–Madame, dit Violent, nous avons pris l'habitude de nous parler à coeur ouvert. J'estime l'Éveillé; et si l'usage ne me liait pas les mains, je n'aurais pas besoin de lui voir une couronne pour lui donner ma fille; mais les hommes, et surtout les rois, doivent respecter les usages reçus: et ce serait blesser ces usages que de donner ma fille à un simple gentilhomme, elle qui sort d'une des plus anciennes familles du monde, car vous savez bien que depuis trois cents ans nous occupons le trône.

–Mon prince, lui dit la fée, vous ignorez que la famille de l'Éveillé est tout aussi ancienne que la vôtre, puisque vous êtes parents, et que vous sortez des deux frères; encore l'Éveillé doit-il avoir le pas, car il est sorti de l'aîné, et votre père n'était que le cadet.

–Si vous voulez me prouver cela, dit le roi Violent, je jure de donner ma fille à l'Éveillé, quand même les sujets du feu roi Mogolan refuseraient de le reconnaître pour maître.

–Rien de plus facile que de vous prouver l'ancienneté de la maison de l'Éveillé, dit la fée. Il sort d'Elisa, l'aîné des fils de Japhet, fils de Noé, qui s'établit dans le Péloponnèse, et vous sortez du second fils de ce même Japhet.

Il n'y eut personne qui n'eût beaucoup de peine à s'empêcher d'éclater de rire en voyant que la fée se moquait si sérieusement de Violent. Pour lui, la colère commençait à s'emparer de ses sens, lorsque la princesse Blanche, qui était à côté de lui, lui présenta le gobelet de diamant: il le but en trois coups, comme la fée le lui avait commandé; et pendant cet intervalle il pensa en lui-même qu'effectivement tous les hommes étaient réellement égaux dans leur naissance, puisqu'ils sortaient tous de Noé, et qu'il n'y avait de vraie différence entre eux que celle qu'ils y mettaient par leurs vertus. Ayant achevé de vider son verre, il dit à la fée:

–En vérité, madame, je vous ai beaucoup d'obligation, vous venez de me corriger des deux grands défauts, de mon entêtement sur ma noblesse et de l'habitude de me mettre en colère. J'admire la vertu du gobelet dont vous m'avez fait présent; à mesure que je buvais, j'ai senti ma colère se calmer, et les réflexions que j'ai faites dans l'intervalle des trois coups que j'ai bus ont achevé de me rendre raisonnable.

–Je ne veux pas vous tromper, lui dit la fée; il n'y a aucune vertu dans le gobelet dont je vous ai fait présent, que vous trouvez si beau, et je veux apprendre à toute la compagnie en quoi consiste le sortilége de cette eau bue en trois coups. Un homme raisonnable ne se mettrait jamais en colère si cette passion ne le surprenait pas et lui laissait le temps de réfléchir: or, en se donnant la peine de faire remplir ce gobelet d'eau, en le buvant en trois fois, on prend du temps, les sens se calment, les réflexions viennent, et lorsque cette cérémonie est achevée, la raison a eu le temps de prendre le dessus sur la passion.

–En vérité, lui dit Violent, j'en ai plus appris aujourd'hui que pendant le reste de ma vie. Heureux Tity! vous deviendrez le plus grand prince du monde avec une telle protectrice; mais je vous conjure d'employer le pouvoir que vous avez sur l'esprit de madame à la faire souvenir qu'elle m'a promis d'être de mes amies.

–Je m'en souviens trop bien pour l'oublier, dit la fée, et je vous en ai déjà donné des preuves; je continuerai à le faire tant que vous serez docile, et j'espère que ce sera jusqu'à la fin de votre vie. Aujourd'hui ne pensons plus qu'à nous divertir, pour célébrer votre mariage, et celui de la princesse Elise.

En même temps, on avertit Tity que les officiers qu'il avait chargés d'acheter toutes les terres et les maisons qui environnaient celle de Biby demandaient à lui parler. Il commanda qu'on les fît entrer, et ils lui montrèrent le dessin de l'ouvrage qu'ils voulaient faire en cette petite maison. Ils y avaient ajouté un grand jardin et un beau parc qui aurait été parfait s'ils eussent pu abattre une maisonnette qui se trouvait au beau milieu d'une des allées de ce parc, et qui en gâtait la symétrie.

–Et pourquoi n'avez-vous pas ôté cette bicoque? dit le roi Violent en parlant aux officiers et aux architectes.

–Seigneur, lui répondirent-ils, notre roi nous avait défendu de faire violence à qui que ce fût; et il s'est trouvé un homme qui n'a jamais voulu vendre sa maison, quoique nous ayons offert de la lui payer quatre fois plus qu'elle ne vaut.

–Si ce coquin-là était mon sujet, je le ferais pendre, dit Violent.

–Vous videriez votre gobelet auparavant, dit la fée.

–Je crois que le gobelet ne saurait lui sauver la vie, répondit Violent, car enfin n'est-il pas horrible qu'un roi ne soit pas maître dans ses États, et qu'il soit contraint d'abandonner un ouvrage qu'il souhaite d'achever, par l'obstination d'un faquin qui devrait s'estimer trop heureux de faire sa fortune en obligeant son maître, sans le forcer à employer la rigueur ou à abandonner son dessein?

–Je ne ferai ni l'un ni l'autre, dit Tity en riant, et je prétends que cette maison soit le plus bel ornement de mon parc.

–Oh! je vous en défie, dit Violent; elle est tellement placée, qu'elle ne peut servir qu'à le gâter.

–Voici ce que je ferai, dit Tity; elle sera environnée d'une muraille assez haute pour empêcher cette homme d'entrer dans mon parc, mais pas assez pour lui en ôter la vue; car il ne serait pas juste de l'enfermer comme dans une prison; cette muraille continuera des deux côtés, et l'on y lira ces paroles écrites en lettres d'or: Un roi qui fit bâtir ce parc aima mieux lui laisser ce défaut que de devenir injuste à l'égard d'un de ses sujets en lui ravissant l'héritage de ses pères, sur lequel il n'avait d'autre droit que celui de la force.

–Tout ce que je vois me confond, dit Violent; j'avoue que je n'avais pas même l'idée des vertus héroïques qui font les grands hommes. Oui, Tity, cette muraille fera l'ornement de votre parc, et la belle action que vous faites en l'élevant sera l'ornement de votre vie. Mais, madame, d'où vient que Tity se porte naturellement aux grandes vertus dont je n'ai pas même l'idée, comme je vous l'ai dit?

–Grand roi, lui répondit la fée, Tity, élevé par des parents qui ne pouvaient pas le souffrir, a toujours été contredit depuis qu'il est au monde; il s'est accoutumé, par conséquent, à soumettre sa volonté à celle d'autrui dans toutes les choses indifférentes. Comme il n'avait aucun pouvoir dans le royaume pendant la vie de son père, qu'il ne pouvait accorder aucune grâce, qu'on savait que le roi avait envie de le déshériter, les flatteurs n'ont pas daigné le gâter, parce qu'ils ne croyaient pas avoir rien à craindre ni à espérer de lui: ils l'ont abandonné aux honnêtes gens que le seul devoir attachait à sa personne; et, dans leur compagnie, il a appris qu'un roi, qui est le maître absolu de faire le bien, doit avoir les mains liées lorsqu'il est question de faire le mal; qu'il commande à des hommes libres, et non à des esclaves; que les peuples ne se sont soumis à leurs égaux, en leur donnant la couronne, que pour se donner des pères à eux-mêmes, des protecteurs aux lois, un refuge aux pauvres et aux opprimés. Vous n'avez jamais entendu ces grandes vérités; devenu roi dès l'âge de douze ans, les gouverneurs à qui l'on avait confié votre éducation n'ont pensé qu'à faire leur fortune en gagnant vos bonnes grâces. Ils ont appelé votre orgueil noble fierté, vos emportements des vivacités excusables; en un mot, ils ont fait jusqu'à ce jour votre malheur et celui de vos propres sujets, que vous avez regardés et traités en esclaves parce que vous pensiez qu'ils n'étaient au monde que pour servir à vos caprices; au lieu que, dans la vérité, vous n'y êtes que pour servir à les protéger et à les défendre.

Violent convint des vérités que lui disait la fée: instruit de ses devoirs, il s'appliqua à se vaincre pour les remplir, et il fut encouragé dans ses bonnes résolutions par l'exemple de Tity et de l'Éveillé, qui conservèrent sur le trône les vertus qu'ils y avaient apportées.

LA GRENOUILLE BIENFAISANTE

Il était une fois un roi qui soutenait depuis longtemps une guerre contre ses voisins: après plusieurs batailles, on mit le siége devant sa ville capitale; il craignit pour la reine et il la pria de se retirer dans un château qu'il avait fait fortifier et où il n'était jamais allé qu'une fois. La reine employa les prières et les larmes pour lui persuader de la laisser auprès de lui; elle voulait partager sa fortune, et jeta les hauts cris lorsqu'il la mit dans son chariot pour la faire partir. Cependant il ordonna à ses gardes de l'accompagner, et lui promit de se dérober le plus secrètement qu'il pourrait pour l'aller voir: c'était une espérance dont il la flattait, car le château était fort éloigné, environné d'une épaisse forêt, et à moins d'en savoir bien les routes l'on n'y pouvait arriver.

 

La reine partit très-attendrie de laisser son mari dans les périls de la guerre. On la conduisait à petites journées, de crainte qu'elle ne fût malade de la fatigue d'un si long voyage; enfin elle arriva dans son château, bien inquiète et bien chagrine. Après qu'elle se fut assez reposée, elle voulut se promener aux environs, et elle ne trouvait rien qui pût la divertir; elle jetait les yeux de tous côtés: elle voyait de grands déserts qui lui donnaient plus de chagrins que de plaisirs; elle les regardait tristement, et disait quelquefois:

–Quelle comparaison du séjour où je suis à celui où j'ai été toute ma vie! si j'y reste encore longtemps, il faut que je meure: à qui parler dans ces lieux solitaires? avec qui puis-je soulager mes inquiétudes? et qu'ai-je fait au roi pour m'avoir exilée? Il semble qu'il veuille me faire ressentir toute l'amertume de son absence, lorsqu'il me relègue dans un château si désagréable.

C'est ainsi qu'elle se plaignait. Et quoiqu'il lui écrivît tous les jours, et qu'il lui donnât de fort bonnes nouvelles du siége, elle s'affligeait de plus en plus, et prit la résolution de s'en retourner auprès du roi; mais comme les officiers qu'il lui avait donnés avaient ordre de ne la ramener que lorsqu'il lui enverrait un courrier exprès, elle ne témoigna point ce qu'elle méditait, et se fit faire un petit char, où il n'y avait place que pour elle, disant qu'elle voulait aller quelquefois à la chasse. Elle conduisait elle-même les chevaux, et suivait les chiens de si près, que les veneurs allaient moins vite qu'elle; par ce moyen elle se rendait maîtresse de son char, et de s'en aller quand elle voudrait. Il n'y avait qu'une difficulté, c'est qu'elle ne savait point les routes de la forêt; mais elle se flatta que les dieux la conduiraient à bon port; et après leur avoir fait quelques petits sacrifices, elle dit qu'elle voulait qu'on fît une grande chasse, et que tout le monde y vînt, qu'elle monterait dans son char, que chacun irait par différentes routes pour ne laisser aucunes retraites, aux bêtes sauvages. Ainsi l'on se partagea. La jeune reine, qui croyait bientôt revoir son époux, avait pris un habit très-avantageux, sa capeline était couverte de plumes de différentes couleurs, sa veste toute garnie de pierreries; et sa beauté, qui n'avait rien de commun, la faisait paraître une seconde Diane.

Dans le temps qu'on était le plus occupé du plaisir de la chasse elle lâcha la bride à ses chevaux, et les anima de la voix et de quelques coups de fouet; après avoir marché assez vite, ils prirent le galop, et ensuite le mors aux dents; le chariot semblait traîné par les vents, les yeux auraient eu peine à le suivre; la pauvre reine se repentit, mais trop tard, de sa témérité.

–Qu'ai-je prétendu? disait-elle; me pouvait-il convenir de conduire toute seule des chevaux si fiers et si peu dociles? Hélas! que va-t-il m'arriver? Ah! si le roi me croyait exposée au péril où je suis, que deviendrait-il, lui qui m'aime si chèrement, et qui ne m'a éloignée de sa ville capitale que pour me mettre en plus grande sûreté?

L'air retentissait de ses douloureuses plaintes; elle invoquait les dieux, elle appelait les fées à son secours, et les dieux et les fées l'avaient abandonnée: le chariot fut renversé, elle n'eut pas la force de se jeter assez promptement à terre, son pied demeura pris entre la roue et l'essieu. Il est aisé de croire qu'il ne fallait pas moins qu'un miracle pour la sauver après un si terrible accident.

Elle resta enfin étendue sur la terre au pied d'un arbre; elle n'avait ni pouls ni voix, son visage était tout couvert de sang. Elle était demeurée longtemps en cet état; lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle vit auprès d'elle une femme d'une grandeur gigantesque, couverte seulement de la peau d'un lion, ses bras étaient nus, ses cheveux noués ensemble avec une peau sèche de serpent, dont la tête pendait sur ses épaules, une massue de pierre à la main, qui lui servait de canne pour s'appuyer, et un carquois plein de flèches au côté. Une figure si extraordinaire persuada la reine qu'elle était morte, car elle ne croyait pas qu'après de si grands accidents elle dût vivre encore, et parlant tout bas:

–Je ne suis point surprise, dit-elle, qu'on ait tant de peine à se résoudre à la mort, ce qu'on voit en l'autre monde est bien affreux!

La géante qui l'écoutait ne put s'empêcher de rire de l'opinion où elle était d'être morte:

–Reprends tes esprits, lui dit-elle, sache que tu es encore au nombre des vivants; mais ton sort ne sera guère moins triste. Je suis la fée Lionne, qui demeure proche d'ici; il faut que tu viennes passer ta vie avec moi.

La reine la regarda tristement, et lui dit:

–Si vous vouliez, madame Lionne, me ramener dans mon château et prescrire au roi ce qu'il vous donnera pour ma rançon, il m'aime si chèrement qu'il ne refuserait pas même la moitié de son royaume.

–Non, lui dit-elle, je suis suffisamment riche; je m'ennuyais depuis quelque temps d'être seule, tu as de l'esprit, peut-être que tu me divertiras.

En achevant ces paroles, elle prit la figure d'une lionne, et chargeant la reine sur son dos, elle l'emporta au fond de sa terrible grotte; dès qu'elle y fut, elle la guérit avec une liqueur dont elle la frotta.

Quelle surprise et quelle douleur pour la reine de se voir dans cet affreux séjour! L'on y descendait par dix mille marches, qui conduisaient jusqu'au centre de la terre, où se trouvait un grand lac de vif-argent couvert de monstres dont les différentes figures auraient épouvanté une reine moins timide. Quelques racines sèches et des marrons d'Inde, c'est tout ce qui s'offrait pour soulager la faim des infortunés qui tombaient entre les mains de la fée Lionne.

Sitôt que la reine se trouva en état de travailler, la fée lui dit qu'elle pouvait se faire une cabane, parce qu'elle resterait toute sa vie avec elle. A ces mots, cette princesse n'eut pas la force de retenir ses larmes:

–Hé! que vous ai-je fait, s'écria-t-elle, pour me garder ici? Si la fin de ma vie, que je sens approcher, vous cause quelque plaisir, donnez-moi la mort, c'est tout ce que j'ose espérer de votre pitié; mais ne me condamnez point à passer une longue et déplorable vie sans mon époux.

La Lionne se moqua de sa douleur, et lui dit qu'elle lui conseillait d'essuyer ses pleurs, et d'essayer de lui plaire; que si elle prenait une autre conduite, elle serait la plus malheureuse personne du monde.

–Que faut-il donc faire, répliqua la reine, pour toucher votre coeur?

–J'aime, lui dit-elle, les pâtés de mouches; je veux que vous trouviez le moyen d'en avoir assez pour m'en faire un très-grand et très-excellent.

–Mais, lui dit la reine, je n'en vois point ici! quand il y en aurait, il ne fait pas assez clair pour les attraper; et quand je les attraperais, je n'ai jamais fait de pâtisserie: de sorte que vous me donnez des ordres que je ne puis exécuter.

–N'importe, dit l'impitoyable Lionne, je veux ce que je veux.

La reine ne répliqua rien; elle pensa qu'en dépit de la cruelle fée, elle n'avait qu'une vie à perdre, et en l'état où elle était, que pouvait-elle craindre? Au lieu donc d'aller chercher des mouches, elle s'assit sous un if, pour y pleurer tout à son aise.

Elle aurait ainsi pleuré longtemps, si elle n'avait pas entendu au-dessus de sa tête le triste croassement d'un corbeau. Elle leva les yeux, et à la faveur du peu de lumière qui éclairait le rivage, elle vit en effet un gros corbeau qui tenait une grenouille, bien intentionné de la croquer.

–Encore que rien ne se présente ici pour me soulager, dit-elle, je ne veux pas négliger de sauver une pauvre grenouille, qui est aussi affligée en son espèce que je le suis dans la mienne.

Elle se servit du premier bâton qu'elle trouva sous sa main, et fit quitter prise au corbeau. La grenouille tomba, resta quelque temps étourdie, et reprenant ensuite ses esprits grenouilliques:

–Belle reine, lui dit-elle, vous êtes la seule personne bienfaisante que j'aie vue en ces lieux, depuis que la curiosité m'y a conduite.

–Par qu'elle merveille parlez-vous, petite grenouille, répondit la reine, et qui sont les personnes que vous voyez ici? car je n'en ai encore aperçu aucune.

Tous les monstres dont ce lac est couvert, reprit Grenouillette, ont été dans le monde, les uns sur le trône, les autres dans la confidence de leurs souverains; le destin les envoie ici pour quelque temps, sans qu'aucuns de ceux qui y viennent retournent meilleurs et se corrigent.

–Je comprends bien, dit la reine, que plusieurs méchants ensemble n'aident pas à s'amender; mais à votre égard, ma commère la grenouille, que faites-vous ici?

–La curiosité m'a fait entreprendre d'y venir, répliqua-t-elle; je suis demi-fée, mon pouvoir est borné en de certaines choses et fort étendu en d'autres: si la fée Lionne me reconnaissait dans ses États, elle me tuerait.

–Comment est-il possible, lui dit la reine, que, fée ou demi-fée, un corbeau ait été prêt à vous manger?

–Deux mots vous le feront comprendre, répondit la grenouille: lorsque j'ai mon petit chaperon de roses sur ma tête, dans lequel consiste ma plus grande vertu, je ne crains rien; mais malheureusement je l'avais laissé dans le marécage, quand ce maudit corbeau est venu fondre sur moi. J'avoue, madame, que sans vous je ne serais plus; et puisque je vous dois la vie, si je peux quelque chose pour le soulagement de la vôtre, vous pouvez m'ordonner tout ce qu'il vous plaira.

–Hélas! ma chère grenouille, dit la reine, la mauvaise fée qui me retient captive veut que je lui fasse un pâté de mouches; il n'y en a point ici; quand il y en aurait, on n'y voit pas assez clair pour les attraper; et je cours grand risque de mourir sous ses coups.

–Laissez-moi faire, dit la grenouille, avant qu'il soit peu je vous en fournirai.

Elle se frotta aussitôt de sucre, et plus de six mille grenouilles de ses amies en firent autant: elle fut ensuite dans un endroit rempli de mouches; la méchante fée en avait là un magasin, exprès pour tourmenter de certains malheureux. Dès qu'elles sentirent le sucre, elles s'y attachèrent. Et les officieuses grenouilles revinrent au grand galop où la reine était. Il n'a jamais été une telle capture de mouches, ni un meilleur pâté que celui qu'elle fit à la fée Lionne. Quand elle le lui présenta, elle en fut très-surprise: ne comprenant point par quelle adresse elle avait pu les attraper.

La reine étant exposée à toutes les intempéries de l'air, qui était empoisonné, coupa quelques cyprès pour commencer à bâtir sa maisonnette. La grenouille vint lui offrir généreusement ses services, et se mettant à la tête de toutes celles qui avaient été quérir les mouches, elles aidèrent à la reine à élever un petit bâtiment, le plus joli du monde; mais elle y fut à peine couchée, que les monstres du lac, jaloux de son repos, vinrent la tourmenter par le plus horrible charivari que l'on eût entendu jusqu'alors. Elle se leva tout effrayée et s'enfuit; c'est ce que les monstres demandaient. Un dragon, jadis tyran d'un des plus beaux royaumes de l'univers, en prit possession.

La pauvre reine affligée voulut s'en plaindre, mais vraiment on se moqua bien d'elle; les monstres la huèrent, et la fée Lionne lui dit que si à l'avenir elle l'étourdissait de ses lamentations elle la rouerait de coups. Il fallut se taire et recourir à la grenouille, qui était bien la meilleure personne du monde. Elles pleurèrent ensemble; car, aussitôt qu'elle avait son chaperon de roses, elle était capable de rire et de pleurer tout comme un autre.

–J'ai, lui dit-elle, une si grande amitié pour vous que je veux recommencer votre bâtiment, quand tous les monstres du lac devraient s'en désespérer.

Elle coupa sur-le-champ du bois, et le petit palais rustique de la reine se trouva fait en si peu de temps qu'elle s'y retira la même nuit.

La grenouille attentive à tout ce qui était nécessaire à la reine, lui fit un lit de serpolet et de thym sauvage. Lorsque la méchante fée sut que la reine ne couchait plus par terre, elle l'envoya querir:

 

–Quels sont donc les hommes ou les dieux qui vous protégent? lui dit-elle. Cette terre, toujours arrosée d'une pluie de soufre et de feu, n'a jamais rien produit qui vaille une feuille de sauge; j'apprends malgré cela que les herbes odoriférantes croissent sous vos pas!

–J'en ignore la cause, madame, lui dit la reine.

–L'envie me prend, dit la fée, d'avoir un bouquet des fleurs les plus rares; essayez votre fortune; si vous y manquez, vous ne manquerez pas de coups; car j'en donne souvent, et je les donne toujours à merveille.

La reine se prit à pleurer; de telles menaces ne lui convenaient guère, et l'impossibilité de trouver des fleurs la mettait au désespoir.

Elle s'en retourna dans sa maisonnette; son amie la grenouille y vint:

–Que vous êtes triste! dit-elle à la reine.

–Hélas! ma chère commère, qui ne le serait? La fée veut un bouquet des plus belles fleurs; où les trouverai-je? Vous voyez celles qui naissent ici; il y va cependant de ma vie, si je ne la satisfais.

–Aimable princesse, dit gracieusement la grenouille, il faut tâcher de vous tirer de l'embarras où vous êtes: il y a ici une chauve-souris, qui est la seule avec qui j'ai lié commerce; c'est une bonne créature, elle va plus vite que moi; je lui donnerai mon chaperon de feuilles de roses; avec ce secours elle vous trouvera des fleurs.

La reine lui fit une profonde révérence; car il n'y avait pas moyen d'embrasser Grenouillette.

Celle-ci alla aussitôt parler à la chauve-souris et, quelques heures après, elle revint cachant sous ses ailes des fleurs admirables. La reine les porta bien vite à la mauvaise fée, qui demeura encore plus surprise qu'elle ne l'eût été: ne pouvant comprendre par quel miracle la reine était si bien servie.

Cette princesse rêvait incessamment aux moyens de pouvoir s'échapper. Elle communiqua son envie à la bonne grenouille, qui lui dit:

–Madame, permettez-moi, avant toutes choses, de consulter mon petit chaperon et nous agirons ensuite selon ses conseils.

Elle le prit; l'ayant mis sur un fétu, elle brûla devant quelques brins de genièvre, des câpres, et deux petits pois verts; elle coassa cinq fois; puis la cérémonie finie, remettant le chaperon de roses, elle commença à parler comme un oracle.

–Le destin, maître de tout, dit-elle, vous défend de sortir de ces lieux; vous y aurez une princesse plus belle que la mère des Amours: ne vous mettez point en peine du reste, le temps seul peut vous soulager.

La reine baissa les yeux, quelques larmes en tombèrent, et elle prit la résolution de croire son amie.

Mais il est temps de parler du roi. Pendant que ses ennemis le tenaient assiégé dans sa ville capitale, il ne pouvait envoyer sans cesse des courriers à la reine: cependant ayant fait plusieurs sorties, il les obligea de se retirer; et il ressentit bien moins le bonheur de cet événement, par rapport à lui, qu'à sa chère reine, qu'il pouvait aller querir sans crainte. Il ignorait son désastre; aucun de ses officiers n'avait osé l'en aller avertir. Ils avaient trouvé dans la forêt le chariot en pièces, les chevaux échappés, et toute la parure d'amazone qu'elle avait mise pour l'aller trouver.

Comme ils ne doutèrent point de sa mort, et qu'ils crurent qu'elle avait été dévorée, il ne fut question entre eux que de persuader au roi qu'elle était morte subitement. A ces funestes nouvelles, il pensa mourir lui-même de douleur; cheveux arrachés, larmes répandues, cris pitoyables, sanglots, soupirs, et autres menus droits du veuvage, rien ne fut épargné en cette occasion.

Après avoir passé plusieurs jours sans voir personne, et sans vouloir être vu, il retourna dans sa grande ville, traînant après lui un long deuil, qu'il portait mieux dans le coeur que dans ses habits. Tous les ambassadeurs des rois ses voisins vinrent le complimenter; et après les cérémonies qui sont inséparables de ces sortes de catastrophes il s'attacha à donner du repos à ses sujets, en les exemptant de guerre et leur procurant un grand commerce.

La reine ignorait toutes ces choses: le temps vint que; le ciel lui donna une petite princesse, aussi belle que Grenouillette l'avait prédit; elles la nommèrent Moufette; et la reine, avec bien de la peine, obtint permission de la fée Lionne de la nourrir; car elle avait grande envie de la manger, tant elle était barbare et féroce.

Moufette, la merveille de nos jours, avait déjà six mois, et la reine en la regardant avec une tendresse mêlée de pitié disait sans cesse:

–Ah! si le roi ton père te voyait, ma pauvre petite, qu'il aurait de joie, que tu lui serais chère! Mais peut-être dans ce moment même il commence à m'oublier: il nous croit ensevelies pour jamais dans les horreurs de la mort; peut-être, dis-je, qu'une autre occupe dans son coeur la place qu'il m'y avait donnée!

Ces tristes réflexions lui coûtaient bien des larmes; la grenouille, qui l'aimait de bonne foi, la voyant pleurer ainsi, lui dit un jour:

–Si vous voulez, madame, j'irai trouver le roi votre époux; le voyage est long; je chemine lentement; mais enfin, un peu plus tôt ou un peu plus tard, j'espère arriver. Cette proposition ne pouvait être plus agréablement reçue qu'elle ne le fut; la reine joignit ses mains et les fit même joindre à Moufette, pour marquer à madame la grenouille l'obligation qu'elle lui aurait d'entreprendre un tel voyage. Elle l'assura que le roi n'en serait pas ingrat.

–Mais, continua-t-elle, de quelle utilité lui pourra être de me savoir dans ce triste séjour, il lui sera impossible de m'en retirer?

–Madame, reprit la grenouille, il faut laisser ce soin aux dieux et faire de notre côté ce qui dépend de nous.

Aussitôt elles se dirent adieu: la reine écrivit au roi, avec son propre sang, sur un petit morceau de linge, car elle n'avait ni encre ni papier. Elle le priait de croire en toutes choses la vertueuse grenouille qui l'allait informer de ses nouvelles.

Elle fut un an et quatre jours à monter les dix mille marches qu'il y avait depuis la plaine noire, où elle laissait la reine, jusqu'au monde, et elle demeura une autre année à faire faire son équipage; car elle était trop fière pour vouloir paraître dans une grande cour comme une méchante grenouillette de marécage. Elle fit faire une litière assez grande pour mettre commodément deux oeufs; elle était couverte toute d'écaille de tortue en dehors, doublée de peau de jeune lézards; elle avait cinquante filles d'honneur; c'étaient de ces petites reines vertes qui sautillent dans les prés; chacune était montée sur un escargot, avec une selle à l'anglaise, la jambe sur Pardon, d'un air merveilleux; plusieurs rats d'eau, vêtus en pages, précédaient les limaçons auxquels elle avait confié la garde de sa personne: enfin rien n'a jamais été si joli, surtout son chaperon de roses vermeilles, toujours fraîches et épanouies, lui seyait le mieux du monde. Elle était un peu coquette de son métier; cela l'avait obligée de mettre du rouge et des mouches: l'on dit même qu'elle était fardée, comme sent la plupart des dames de ces pays-là; mais la chose approfondie, l'on a trouvé que c'étaient ses ennemis qui en parlaient ainsi.

Elle demeura sept ans à faire son voyage, pendant lesquels la pauvre reine souffrit des maux et des peines inexprimables; et sans la belle Moufette, qui la consolait, elle serait morte cent et cent fois. Cette merveilleuse petite créature n'ouvrait pas la bouche et ne disait pas un mot qu'elle ne charmât sa mère, il n'était pas jusqu'à la fée Lionne qu'elle n'eût apprivoisée; et enfin, au bout de six ans que la reine avait passes dans cet horrible séjour, elle voulut bien la mener à la chasse, à condition que tout ce qu'elle tuerait serait pour elle.

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