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Le Cabinet des Fées

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Un jour, qu'on venait de lui donner son petit pain pour déjeûner, il lui prit fantaisie d'aller le manger dans le jardin du palais; il le prit dans sa gueule, et marcha vers un canal qu'il connaissait, et qui était un peu éloigné: mais il ne trouva plus ce canal, et vit à la place une grande maison, dont les dehors brillaient d'or et de pierreries. Il y voyait entrer une grande quantité d'hommes et de femmes magnifiquement habillés; on chantait, on dansait dans cette maison, on y faisait bonne chère, mais tous ceux qui en sortaient étaient pâles, maigres, couverts de plaies, et presque tous nus, car leurs habits étaient déchirés par lambeaux. Quelques-uns tombaient morts en sortant, sans avoir la force de se traîner plus loin; d'autres s'éloignaient avec beaucoup de peine; d'autres restaient couchés contre terre, mourant de faim; ils demandaient un morceau de pain à ceux qui entraient dans cette maison; mais ils ne les regardaient pas seulement. Chéri s'approcha d'une jeune fille, qui tâchait d'arracher des herbes pour les manger: touché de compassion, le prince dit en lui-même: J'ai bon appétit, mais je ne mourrai pas de faim jusqu'au temps de mon dîner; si je sacrifiais mon déjeûner à cette pauvre créature, peut-être lui sauverais-je la vie. Il résolut de suivre ce bon mouvement, et mit son pain dans la main de cette fille, qui le porta à sa bouche avec avidité. Elle parut bientôt entièrement remise, et Chéri, ravi de joie de l'avoir secourue si à propos, pensait à retourner au palais, lorsqu'il entendit de grands cris; c'était Zélie entre les mains de quatre hommes, qui l'entraînaient vers cette belle maison, où ils la forcèrent d'entrer. Chéri regretta alors sa figure de monstre, qui lui aurait donné les moyens de secourir Zélie; mais, faible chien, il ne put qu'aboyer contre ses ravisseurs, et s'efforça de les suivre. On le chassa à coups de pied, et il résolut de ne point quitter ce lieu, pour savoir ce que deviendrait Zélie. Il se reprochait les malheurs de cette belle fille. Hélas! disait-il en lui-même, je suis irrité contre ceux qui l'enlèvent; n'ai-je pas commis le même crime? et si la justice des dieux n'avait prévenu mon attentat, ne l'aurais-je pas traitée avec autant d'indignité?

Les réflexions de Chéri furent interrompues par un bruit qui se faisait au-dessus de sa tête. Il vit qu'on ouvrait une fenêtre, et sa joie fut extrême lorsqu'il aperçut Zélie qui jetait par cette fenêtre un plat plein de viandes si bien apprêtées qu'elles donnaient appétit à voir. On referma la fenêtre aussitôt, et Chéri, qui n'avait pas mangé de toute la journée, crut qu'il devait profiter de l'occasion. Il allait donc manger de ces viandes, lorsque la jeune fille à laquelle il avait donné son pain jeta un cri, et l'ayant pris dans ses bras: Pauvre petit animal, lui dit-elle, ne touche point à ces viandes: cette maison est le palais de la volupté, tout ce qui en sort est empoisonné. En même temps, Chéri entendit une voix qui disait: Tu vois qu'une bonne action ne demeure point sans récompense. Et aussitôt il fut changé en un beau petit pigeon blanc. Il se souvint que cette couleur était celle de Candide, et commença à espérer qu'elle pourrait enfin lui rendre ses bonnes grâces. Il voulut d'abord s'approcher de Zélie, et, s'étant élevé en l'air, il vola tout autour de la maison, et vit avec joie qu'il y avait une fenêtre ouverte: mais il eut beau parcourir toute la maison, il n'y trouva point Zélie, et, désespéré de sa perte, il résolut de ne point s'arrêter qu'il ne l'eût rencontrée. Il vola pendant plusieurs jours, et étant entré dans un désert, il vit une caverne, de laquelle il s'approcha. Quelle fut sa joie! Zélie y était assise à côté d'un vénérable ermite, et prenait avec lui un frugal repas. Chéri, transporté, vola sur l'épaule de cette charmante bergère, et exprimait, par ses caresses, le plaisir qu'il avait de la voir. Zélie, charmée de la douceur de ce petit animal, le flattait doucement avec la main: et quoiqu'elle crût qu'il ne pouvait l'entendre, elle lui dit qu'elle acceptait le don qu'il lui faisait de lui-même, et qu'elle l'aimerait toujours. Qu'avez vous fait, Zélie? lui dit l'ermite; vous venez d'engager votre foi. Oui, charmante bergère, lui dit Chéri, qui reprit à ce moment sa forme naturelle, la fin de ma métamorphose était attachée au consentement que vous donneriez à notre union. Vous m'avez promis de m'aimer toujours, confirmez mon bonheur, ou je vais conjurer la fée Candide, ma protectrice, de me rendre la figure sous laquelle j'ai eu le bonheur de vous plaire. Vous n'avez point à craindre son inconstance lui dit Candide, qui, quittant la forme de l'ermite, sous laquelle elle s'était cachée, parut à leurs yeux telle qu'elle était en effet. Zélie vous aima aussitôt qu'elle vous vit; mais vos vices la contraignirent à vous cacher le penchant que vous lui aviez inspiré. Le changement de votre coeur lui donne la liberté de se livrer à toute sa tendresse. Vous allez vivre heureux, puisque votre union sera fondée sur la vertu.

Chéri et Zélie s'étaient jetés aux pieds de Candide. Le prince ne pouvait se laisser de la remercier de ses bontés, et Zélie, enchantée d'apprendre que le Prince détestait ses égarements, lui confirmait l'aveu de sa tendresse. Levez-vous, mes enfants, leur dit la fée, je vais vous transporter dans votre palais, pour rendre à Chéri une couronne de laquelle ses vices l'avaient rendu indigne. A peine eut-elle cessé de parler, qu'ils se trouvèrent dans la chambre de Suliman, qui, charmé de revoir son cher maître devenu vertueux, lui abandonna le trône, et resta le plus fidèle de ses sujets. Chéri régna longtemps avec Zélie, et on dit qu'il s'appliqua tellement à ses devoirs, que la bague qu'il avait reprise ne le piqua pas une seule fois jusqu'au sang.

FATAL ET FORTUNÉ

Il y avait une fois une reine qui eut deux petits garçons parfaitement beaux. Une fée, qui était bonne amie de la reine, avait été priée d'être la marraine de ces princes, et de leur faire quelque don.

–Je doue l'aîné, dit-elle, de toutes sortes de malheurs jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans, et je le nomme Fatal.

A ces paroles, la reine jeta de grands cris! et conjura la fée de changer ce don.

–Vous ne savez ce que vous demandez, dit-elle à la reine; s'il n'est pas malheureux, il sera méchant.

La reine n'osa rien dire, mais elle pria la fée de lui laisser choisir un don pour son second fils.

–Peut-être choisirez-vous tout de travers, répondit la fée; mais n'importe, je veux bien lui accorder ce que vous me demanderez pour lui.

–Je souhaite, dit la reine, qu'il réussisse toujours dans tout ce qu'il entreprendra; c'est le moyen de le rendre parfait.

–Vous pourriez vous tromper, dit la fée; ainsi je ne lui accorde ce don que jusqu'à vingt-cinq ans.

On donna des nourrices aux deux petits princes; mais, dès le troisième jour, la nourrice du prince aîné eut la fièvre, on lui en donna une autre qui se cassa la jambe en tombant, et, le bruit s'étant répandu que le prince portait malheur à ses nourrices, personne ne voulait plus le nourrir ni s'approcher de lui. Ce pauvre enfant, qui avait faim, criait et ne faisait pourtant pitié à personne. Une grosse paysanne, mère d'un grand nombre d'enfants qu'elle avait beaucoup de peine à nourrir, dit qu'elle aurait soin de lui si on voulait lui donner une grosse somme d'argent. Le roi et la reine donnèrent à la nourrice ce qu'elle demandait, et lui dirent de le porter à son village.

Le second prince, qu'on avait nommé Fortuné, venait, au contraire, à merveille. Ses parents l'aimaient à la folie, et ne pensaient pas seulement à l'aîné. La méchante femme à qui on l'avait donné ne fut pas plutôt chez elle qu'elle lui ôta les beaux langes dont il était enveloppé pour les donner à un de ses fils qui était de l'âge de Fatal; et, ayant enveloppé le pauvre prince dans une mauvaise jupe, elle le porta dans un bois où il y avait des bêtes sauvages, et le mit dans un trou avec trois petits lions pour qu'il fût mangé. Mais la mère de ces lions ne lui fit point de mal, et, au contraire, elle le nourrit ce qui le rendit si fort, qu'il courait tout seul au bout de six mois. Cependant le fils de la nourrice, qu'elle faisait passer pour le prince, mourut, et le roi et la reine le crurent, et Fatal resta dans le bois jusqu'à l'âge de deux ans, où un seigneur de la cour, qui allait à la chasse, fut tout étonné de le trouver au milieu des bêtes. Il en eut pitié, l'emporta dans sa maison, et, ayant appris qu'on cherchait un enfant pour tenir compagnie à Fortuné, il présenta Fatal à la reine. On donna un maître à Fortuné pour lui apprendre à lire, mais on recommanda au maître de ne le point faire pleurer. Le jeune prince, qui avait entendu cela, pleurait toutes les fois qu'il prenait son livre; en sorte qu'à cinq ans il ne connaissait pas ses lettres, au lieu que Fatal lisait parfaitement et savait déjà écrire. Pour faire peur au prince, on commanda au maître de fouetter Fatal toutes les fois que Fortuné manquerait à son devoir. Ainsi Fatal avait beau s'appliquer à être sage, cela ne l'empêchait pas d'être battu; d'ailleurs Fortuné était si volontaire et si méchant, qu'il maltraitait toujours son frère, qu'il ne connaissait pas. Si on lui donnait une pomme, un jouet, Fortuné le lui arrachait des mains: il le faisait taire quand il voulait parler; il l'obligeait à parler quand il voulait se taire. En un mot, c'était un petit martyr dont personne n'avait pitié. Ils vécurent ainsi jusqu'à dix ans, et la reine était fort surprise de l'ignorance de son fils.

–La fée m'a trompée, disait-elle, je croyais que mon fils serait le plus savant de tous les princes, puisque j'ai souhaité qu'il réussît dans tout ce qu'il voudrait entreprendre.

Elle fut consulter la fée sur cela, qui lui dit:

–Madame, il fallait souhaiter à votre fils de la bonne volonté plutôt que des talents; il ne veut qu'être bien méchant, il y réussit, comme vous le voyez.

 

Après avoir dit ces paroles à la reine, elle lui tourna le dos. Cette pauvre princesse, fort affligée, retourna à son palais. Elle voulut gronder Fortuné pour l'obliger à mieux faire; mais, au lieu de lui promettre de se corriger, il dit que si on le chagrinait il se laisserait mourir de faim. Alors la reine, tout effrayée, le prit sur ses genoux, le baisa, lui donna des bonbons, et lui dit qu'il n'étudierait pas de huit jours s'il voulait bien manger comme à son ordinaire. Cependant le prince Fatal était un prodige de science et de douceur; il s'était tellement accoutumé à être contredit, qu'il n'avait point de volonté et ne s'attachait qu'à prévenir les caprices de Fortuné. Mais ce méchant enfant, qui enrageait de le voir plus habile que lui, ne pouvait le souffrir, et les gouverneurs, pour plaire à leur jeune maître, battaient Fatal à tous moments. Enfin ce méchant enfant dit à la reine qu'il ne voulait plus voir Fatal, et qu'il ne mangerait pas qu'on ne l'eût chassé du palais. Voilà donc Fatal dans la rue; et, comme on avait peur de déplaire au prince, personne ne voulut le recevoir. Il passa la nuit sous un arbre, mourant de froid, car c'était en hiver, et n'ayant pour son souper qu'un morceau de pain qu'on lui avait donné par charité. Le lendemain matin, il dit en lui-même:

–Je ne veux pas rester ici à rien faire; je travaillerai pour gagner ma vie, jusqu'à ce que je sois assez grand pour aller à la guerre. Je me souviens d'avoir lu dans les histoires que de simples soldats sont devenus de grands capitaines; peut-être aurai-je le même bonheur si je suis honnête homme. Je n'ai ni père ni mère, mais Dieu est le père des orphelins; il m'a donné une lionne pour nourrice et il ne m'abandonnera pas.

Après avoir dit cela, Fatal se leva, fit sa prière, car il ne manquait jamais à prier Dieu soir et matin; et quand il priait, il avait les yeux baissés, les mains jointes, et il ne tournait pas la tête de côté et d'autre. Un paysan qui passa et qui vit Fatal qui priait Dieu de tout son coeur dit en lui-même:

–Je suis sûr que cet enfant sera un honnête garçon; j'ai envie de le prendre pour garder mes moutons. Dieu me bénira à cause de lui.

Le paysan attendit que Fatal eût fini sa prière, et lui dit:

–Mon petit ami, voulez-vous venir garder mes moutons? Je vous nourrirai et j'aurai soin de vous.

–Je le veux bien, répondit Fatal; et je ferai tout mon possible pour vous bien servir.

Ce paysan était un gros fermier qui avait beaucoup de valets qui le volaient fort souvent; sa femme et ses enfants le volaient aussi. Quand ils virent Fatal, ils furent bien contents.

–C'est un enfant, disaient-ils, il fera tout ce que nous voudrons.

Un jour la femme lui dit:

–Mon ami, mon mari est un avare qui ne me donne jamais d'argent; laisse-moi prendre un mouton, et tu diras que le loup l'a emporté.

–Madame, lui répondit Fatal, je voudrais de tout mon coeur vous rendre ce service, mais j'aimerais mieux mourir que de dire un mensonge et être un voleur.

–Tu n'es qu'un sot, lui dit cette femme; personne ne saura que tu as fait cela.

–Dieu le saura, madame, répondit Fatal, il voit tout ce que nous faisons, et punit les menteurs et ceux qui volent.

Quand la fermière entendit ces paroles, elle se jeta sur lui, lui donna des soufflets et lui arracha les cheveux. Fatal pleurait, et le fermier, l'ayant entendu, demanda à sa femme pourquoi elle battait cet enfant.

–Vraiment, dit-elle, c'est un gourmand; je l'ai vu ce matin manger un pot de crème que je voulais porter au marché.

–Fi! que cela est vilain, d'être gourmand! dit le paysan.

Et tout de suite il appela un valet, et lui commanda de fouetter Fatal. Ce pauvre enfant avait beau dire qu'il n'avait pas mangé la crème, on croyait sa maîtresse plus que lui. Après cela, il sortit dans la campagne avec ses moutons, et la fermière lui dit:

–Eh bien! voulez-vous à cette heure me donner un mouton?

–J'en serais bien fâché, dit Fatal; vous pouvez faire tout ce que vous voudrez contre moi, mais vous ne m'obligerez pas à mentir.

Cette méchante créature, pour se venger, engagea tous les autres domestiques à faire du mal à Fatal. Il restait à la campagne le jour et la nuit, et au lieu de lui donner à manger comme aux autres valets, elle ne lui envoyait que du pain et de l'eau; et quand il revenait, elle l'accusait de tout le mal qui se faisait dans la maison. Il passa un an avec ce fermier; et, quoiqu'il couchât sur la terre et qu'il fût si mal nourri, il devint si fort, qu'on croyait qu'il avait quinze ans, quoiqu'il n'en eût que treize; d'ailleurs il était devenu si patient, qu'il ne se chagrinait plus quand on le grondait mal à propos. Un jour qu'il était à la ferme, il entendit dire qu'un roi voisin avait une grande guerre. Il demanda congé à son maître, et fut à pied dans le royaume de ce prince pour être soldat. Il s'engagea dans la compagnie d'un capitaine qui était un grand seigneur, mais qui ressemblait à un crocheteur tant il était brutal: il jurait, il battait ses soldats, il leur volait la moitié de l'argent que le roi donnait pour les nourrir et les habiller; et sous ce méchant capitaine, Fatal fut encore plus malheureux que chez le fermier. Il s'était engagé pour dix ans, et quoiqu'il vît déserter le plus grand nombre de ses camarades, il ne voulut jamais suivre leur exemple, car il disait:

–J'ai reçu de l'argent pour servir dix ans; je volerais le roi si je manquais à ma parole.

Quoique le capitaine fût un méchant homme et qu'il maltraitât Fatal tout comme les autres, il ne pouvait s'empêcher de l'estimer, parce qu'il voyait qu'il faisait toujours son devoir. Il lui donnait de l'argent pour faire ses commissions, et Fatal avait la clef de sa chambre quand il allait à la campagne ou qu'il dînait avec ses amis. Ce capitaine n'aimait pas la lecture, mais il avait une grande bibliothèque, pour faire croire à ceux qui venaient chez lui qu'il était un homme d'esprit; car dans ce pays-là on pensait qu'un officier qui ne cherche point à s'instruire ne serait jamais qu'un sot et qu'un ignorant. Quand Fatal avait fait son devoir de soldat, au lieu d'aller boire et jouer avec ses camarades, il s'enfermait dans la chambre du capitaine, et tâchait d' apprendre son métier en lisant la vie des grands hommes, et devint capable de commander une armée. Il y avait déjà sept ans qu'il était soldat lorsqu'il fut à la guerre. Son capitaine prit six soldats avec lui pour aller visiter un petit bois; et quand il fut dans ce petit bois, les soldats disaient tout bas:

–Il faut tuer ce méchant homme, qui nous donne des coups de canne et qui nous vole notre pain.

Fatal leur dit qu'il ne fallait pas faire une si mauvaise action; mais, au lieu de l'écouter, ils lui dirent qu'ils le tueraient avec le capitaine, et mirent tous les cinq la lance en arrêt. Fatal se mit à côté de son capitaine, et se battit avec tant de valeur, qu'il tua lui seul quatre de ces soldats. Son capitaine, voyant qu'il lui devait la vie, lui demanda pardon de tout le mal qu'il lui avait fait; et ayant raconté au roi ce qui lui était arrive, Fatal fut fait capitaine, et le roi lui fit une grosse pension. Oh! dame, les soldats n'auraient pas voulu tuer Fatal, car il les aimait comme ses enfants; et, loin de leur voler ce qui leur appartenait, il leur donnait de son propre argent quand ils faisaient leur devoir. Il avait soin d'eux quand ils étaient blessés, et ne les reprenait jamais par mauvaise humeur. Cependant on donna une grande bataille, et celui qui commandait l'armée ayant été tué, tous les officiers et les soldats s'enfuirent; mais Fatal cria tout haut qu'il aimait mieux mourir les armes à la main que de fuir comme un lâche. Ses soldats lui crièrent qu'ils ne voulaient point l'abandonner, et leur bon exemple ayant fait honte aux autres, ils se rangèrent autour de Fatal, et combattirent si bien, qu'ils firent prisonnier le fils du roi ennemi. Le roi fut bien content quand il sut qu'il avait gagné la bataille, et dit à Fatal qu'il le faisait général de toutes ses armées. Il le présenta ensuite à la reine et à la princesse sa fille, qui lui donnèrent leurs mains à baiser. Quand Fatal vit la princesse, il resta immobile. Elle était si belle qu'il l'aima. Et ce fut alors qu'il fut bien malheureux, car il pensait qu'un homme comme lui n'était pas fait pour épouser une grande princesse. Il résolut donc de cacher soigneusement ce sentiment, et tous les jours il souffrait les plus grands tourments; mais ce fut bien pis quand il apprit que Fortuné, ayant vu un portrait de la princesse, qui se nommait Gracieuse, voulait l'épouser, et qu'il envoyait des ambassadeurs pour la demander en mariage. Fatal pensa mourir de chagrin; mais la princesse Gracieuse, qui savait que Fortuné était un prince lâche et méchant, pria si fort le roi son père de ne la point forcer à l'épouser, qu'on répondit à l'ambassadeur que la princesse ne voulait point encore se marier. Fortuné, qui n'avait point encore été contredit, entra en fureur quand on lui eut rapporté la réponse de la princesse; et son père, qui ne pouvait rien lui refuser, déclara la guerre au père de Gracieuse, qui ne s'en embarrassa pas beaucoup, car il disait:

–Tant que j'aurai Fatal à la tête de mon armée, je ne crains pas d'être battu.

Il envoya donc chercher son général, et lui dit de se préparer à faire la guerre; mais Fatal, se jetant à ses pieds, lui dit qu'il était né dans le royaume du père de Fortuné et qu'il ne pouvait pas combattre contre son roi. Le père de Gracieuse se mit fort en colère, et dit à Fatal qu'il le ferait mourir s'il refusait de lui obéir, et qu'au contraire il lui donnerait sa fille en mariage s'il remportait la victoire sur Fortuné. Le pauvre Fatal, qui aimait Gracieuse à la folie, fut bien tenté; mais, à la fin, il se résolut à faire son devoir. Sans rien dire au roi, il quitta la cour et abandonna toutes ses richesses. Cependant Fortuné se mit à la tête de son armée pour aller faire la guerre; mais, au bout de quatre jours, il tomba malade de fatigue, car il était fort délicat, n'avait jamais voulu faire aucun exercice. Le chaud, le froid, tout le rendait malade. Cependant l'ambassadeur, qui voulait faire sa cour à Fortuné lui dit qu'il avait vu à la cour de Gracieuse ce petit garçon qu'il avait chassé de son palais, et qu'on disait que le père de Gracieuse lui avait promis sa fille. Fortuné, à cette nouvelle, se mit dans une grande colère, et aussitôt qu'il fut guéri il partit pour détrôner le père de Gracieuse, et promit une forte somme d'argent à celui qui lui amènerait Fatal. Fortuné remporta de grandes victoires, quoiqu'il ne combattît pas lui-même, car il avait peur d'être tué. Enfin il assiégea la ville capitale de son ennemi, il résolut de faire donner l'assaut. La veille de ce jour, on lui amena Fatal lié avec de grosses chaînes; car un grand nombre de personnes s'étaient mises en chemin pour le chercher. Fortuné charmé de pouvoir se venger, résolut, avant de donner l'assaut, de faire couper la tête à Fatal à la vue des ennemis. Ce jour-là même, il donna un grand festin à ses officiers, parce qu'il célébrait son jour de naissance, ayant justement vingt-cinq ans. Les soldats qui étaient dans la ville, ayant appris que Fatal était pris et qu'on devait dans une heure lui couper la tête, résolurent de mourir ou de le sauver; car ils se souvenaient du bien qu'il leur avait fait pendant qu'il était leur général. Ils demandèrent donc permission au roi de sortir pour combattre, et cette fois ils furent victorieux. Le don de Fortuné avait cessé; comme il voulait s'enfuir, il fut tué. Les soldats victorieux coururent ôter les chaînes à Fatal, et, dans le même moment, on vit paraître en l'air deux chariots brillants de lumière. La fée était dans un de ces chariots, et le père et la mère de Fatal étaient dans l'autre, mais endormis. Ils ne s'éveillèrent qu'au moment où leurs chariots touchaient la terre, et ils furent bien étonnés de se voir au milieu d'une armée. La fée alors, s'adressant à la reine et lui présentant Fatal, lui dit:

–Madame, reconnaissez dans ce héros votre fils aîné; les malheurs qu'il a éprouvés ont corrigé les défauts de son caractère, qui était violent et emporté. Fortuné, au contraire, qui était né avec de bonnes inclinations, a été absolument gâté par la flatterie, et Dieu n'a pas permis qu'il vécût plus longtemps, parce qu'il serait devenu plus méchant chaque jour. Il vient d'être tué; mais, pour vous consoler de sa mort, apprenez qu'il était sur le point de détrôner son père, parce qu'il s'ennuyait de n'être pas roi.

Le roi et la reine furent bien étonnés, et ils embrassèrent de bon coeur Fatal, dont ils avaient entendu parler si avantageusement. La princesse Gracieuse et son père apprirent avec joie l'aventure de Fatal, qui épousa Gracieuse, avec laquelle il vécut fort longtemps dans une parfaite concorde, parce qu'ils s'étaient unis par la vertu.

 

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