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Le Cabinet des Fées

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Avenant demeura un peu étourdi de cette proposition: il rêva quelque temps, et puis il dit: "Eh bien, madame, je combattrai Galifron; je crois que je serai vaincu; mais je mourrai en brave homme." La princesse resta bien étonnée: elle lui dit mille choses pour l'empêcher de faire cette entreprise. Cela ne servit de rien: il se retira pour aller chercher des armes et tout ce qu'il lui fallait. Quand il eut ce qu'il voulait, il remit le petit Cabriole dans son panier, il monta sur son beau cheval, et fut dans le pays de Galifron. Il demandait de ses nouvelles à ceux qu'il rencontrait, et chacun lui disait que c'était un vrai démon, dont on n'osait approcher: plus il entendait dire cela, plus il avait peur. Cabriole le rassurait, et lui disait: "Mon cher maître, pendant que vous vous battrez, j'irai lui mordre les jambes; il baissera la tête pour me chasser, et vous le tuerez." Avenant admirait l'esprit du petit chien; mais il savait assez que son secours ne suffirait pas.

Enfin il arriva proche du château de Galifron; tous les chemins étaient couverts d'os et de carcasses d'hommes qu'il avait mangés ou mis en pièces. Il ne l'attendit pas long-temps, qu'il le vit venir à travers un bois. Sa tête passait les plus grands arbres, et il chantait d'une voix épouvantable:

 
Où sont les petits enfants,
Que je les croque à belles dents?
Il m'en faut tant, tant, et tant,
Que le monde n'est suffisant.
 

Aussitôt Avenant se mit à chanter sur le même air:

 
Approche: voici Avenant,
Qui t'arrachera les dents.
Bien qu'il ne soit pas de plus grands,
Pour te battre il est suffisant.
 

Les rimes n'étaient pas bien régulières, mais il fit la chanson fort vite, et c'est même un miracle qu'il ne la fit pas plus mal; car il avait horriblement peur. Quand Galifron entendit ces paroles, il regarda de tous côtés, et il aperçut Avenant l'épée à la main, qui lui dit deux ou trois injures pour l'irriter. Il n'en fallut pas tant, il se mit dans une colère effroyable; et, prenant une massue toute de fer, il aurait assommé du premier coup le gentil Avenant, sans un corbeau qui vint se mettre sur le haut de sa tête, et avec son bec lui donna si juste dans les yeux, qu'il les creva; son sang coulait sur son visage, il était comme un désespéré, frappant de tous côtés. Avenant l'évitait et lui portait de grands coups d'épée qu'il enfonçait jusqu'à la garde, et qui lui faisaient mille blessures, par où il perdit tant de sang, qu'il tomba. Aussitôt Avenant lui coupa la tête, bien ravi d'avoir été si heureux; et le corbeau, qui s'était perché sur un arbre, lui dit: "Je n'ai pas oublié le service que vous me rendîtes en tuant l'aigle qui me poursuivait; je vous promis de m'en acquitter, je crois l'avoir fait aujourd'hui. – C'est moi qui vous dois tout, monsieur da Corbeau, répliqua Avenant; je demeure votre serviteur." Il monta aussitôt à cheval, chargé de l'épouvantable tête de Galifron.

Quand il arriva dans la ville, tout le monde le suivait, et criait: "Voici le brave Avenant, qui vient de tuer le monstre;" de sorte que la princesse, qui entendit bien du bruit, et qui tremblait qu'on ne lui vint apprendre la mort d'Avenant, n'osait demander ce qui lui était arrivé; mais elle vit entrer Avenant avec la tête du géant, qui ne laissa pas de lui faire encore peur, bien qu'il n'y est plus rien à craindre. "Madame, lui dit-il, votre ennemi est mort; j'espère que vous ne refuserez plus le roi mon maître. – Ah! si fait, dit la Belle aux Cheveux d'Or, je le refuserai si vous ne trouvez moyen, avant mon départ, de m'apporter de l'eau de la grotte ténébreuse. Il y a proche d'ici une grotte profonde qui a bien six lieues de tour; on trouve à l'entrée deux dragons qui empêchent qu'on n'y entre; ils ont du feu dans la gueule et dans les yeux; puis, lorsqu'on est dans la grotte, on trouve un grand trou dans lequel il faut descendre: il est plein de crapauds, de couleuvres et de serpents. Au fond de ce trou, il y a une petite cave où coule la fontaine de beauté et de santé: c'est de cette eau que je veux absolument. Tout ce qu'on en lave devient merveilleux; si l'on est belle, on demeure toujours belle; si on est laide, on devient belle; si l'on est jeune, on reste jeune; si l'on est vieille, on devient jeune. Vous jugez bien, Avenant, que je ne quitterai pas mon royaume sans en emporter."

-Madame, lui dit-il, vous êtes si belle, que cette eau vous est bien inutile; mais je suis un malheureux ambassadeur dont vous voulez la mort: je vais vous aller chercher ce que vous désirez, avec la certitude de n'en pouvoir revenir. La Belle aux Cheveux d'Or ne changea point de dessein, et Avenant partit avec le petit chien Cabriole, pour aller à la grotte ténébreuse chercher de l'eau de beauté. Tous ceux qu'il rencontrait sur le chemin disaient: "C'est une pitié de voir un garçon si aimable s'aller perdre de gaieté de coeur; il va seul à la grotte, et quand il irait lui centième, 245 il n'en pourrait venir à bout Pourquoi la princesse ne veut-elle que des choses impossibles?" Il continuait de marcher, et ne disait pas un mot; mais il était bien triste.

Il arriva vers le haut d'une montagne, où il s'assit pour se reposer un peu, et il laissa paître son cheval et courir Cabriole après des mouches. Il savait que la grotte ténébreuse n'était pas loin de là, il regardait s'il ne la verrait point; enfin il aperçut un vilain rocher noir comme de l'encre, d'où sortait une grosse fumée, et au bout d'un moment un des dragons qui jetait du feu par les yeux et par la gueule: il avait le corps jaune et vert, des griffes et une longue queue qui faisait plus de cent tours. Cabriole vit tout cela; il ne savait où se cacher, tant il avait peur.

Avenant, tout résolu de mourir, tira son épée, et descendit avec une fiole que la Belle aux Cheveux d'Or lui avait donnée pour la remplir de l'eau de beauté. Il dit à son petit chien Cabriole: "C'est fait de moi! je ne pourrai jamais avoir de cette eau qui est gardée par des dragons: quand je serai mort, remplis la fiole de mon sang, et la porte à la princesse, pour qu'elle voie ce qu'elle me coûte; et puis va trouver le roi mon maître, et lui conte mon malheur." Comme il parlait ainsi, il entendit qu'on l'appelait: "Avenant, Avenant!" Il dit: "Qui m'appelle?" et il vit un hibou dans le trou d'un vieux arbre, qui lui dit: "Vous m'avez retire du filet des chasseurs où j'étais pris, et vous me sauvâtes la vie; je vous promis que je vous le revaudrais; en voici le temps. Donnez-moi votre fiole: je sais tous les chemins de la grotte ténébreuse, je vais vous quérir l'eau de beauté." Dame! 246 qui fut bien aise? je vous le laisse à penser. Avenant lui donna vite sa fiole, et le hibou entra sans nul empêchement dans la grotte. En moins d'un quart d'heure, il revint rapporter la bouteille bien bouchée. Avenant fut ravi, le remercia de tout son coeur; et remontant la montagne, il prit le chemin de la ville bien joyeux.

Il alla droit au palais; il présenta la fiole à la Belle aux Cheveux d'Or, qui n'eut plus rien à dire: elle remercia Avenant, et donna ordre à tout ce qu'il lui fallait pour partir; puis elle se mit en voyage avec lui. Elle le trouvait bien aimable, et elle lui disait quelquefois: "Si vous aviez voulu, je vous aurais fait roi; nous ne serions point partis de mon royaume." Mais il répondit: "Je ne voudrais pas faire un si grand déplaisir à mon maître pour tous les royaumes de la terre, quoique je vous trouve plus belle que le soleil."

Enfin, ils arrivèrent à la grande ville du roi, qui, sachant que la Belle aux Cheveux d'Or venait, alla au-devant d'elle, et lui fit les plus beaux présents du monde. Il l'épousa avec tant de réjouissances, que l'on ne parlait d'autre chose; mais la Belle aux Cheveux d'Or, qui aimait Avenant dans le fond de son coeur, n'était bien aise que quand elle le voyait, et elle le louait toujours. "Je ne serais point venue sans Avenant, disait-elle au roi; il a fallu qu'il ait fait des choses impossibles pour mon service: vous lui devez être obligé; il m'a donné de l'eau de beauté, je ne vieillirai jamais, je serai toujours belle."

Les envieux qui écoutaient la reine dirent au roi: "Vous n'êtes point jaloux, et vous avez sujet de l'être: la reine aime si fort Avenant, qu'elle en perd le boire et le manger; elle ne fait que parler de lui, et des obligations que vous lui avez, comme si tel autre que vous auriez envoyé n'en eût pas fait autant." Le roi dit: "Vraiment, je m'en avise; qu'on aille le mettre dans la tour avec les fers aux pieds et aux mains." L'on prit Avenant, et, pour sa récompense d'avoir si bien servi le roi, on l'enferma dans la tour avec les fers aux pieds et aux mains. Il ne voyait personne que le geôlier, qui lui jetait un morceau de pain noir par un trou; et de l'eau dans une écuelle de terre. Pourtant son petit chien Cabriole ne le quittait point, il le consolait, et venait lui dire toutes les nouvelles.

Quand la Belle aux Cheveux d'Or sut sa disgrâce, elle se jeta aux pieds du roi, et, toute en pleurs, elle le pria de faire sortir Avenant de prison. Mais plus elle le priait, plus il se fâchait; songeant, c'est qu'elle l'aime; et il n'en voulut rien faire; elle n'en parla plus: elle était bien triste.

 

Le roi s'avisa qu'elle ne le trouvait peut-être pas assez beau; il eut envie de se frotter le visage avec de l'eau de beauté, afin que la reine l'aimât plus qu'elle ne faisait. Cette eau était dans la fiole sur le bord de la cheminée de la chambre de la reine: elle l'avait mise là pour la regarder plus souvent: mais une de ses femmes de chambre, voulant tuer une araignée avec un balai, jeta par malheur la fiole par terre, qui se cassa, et toute l'eau fut perdue. Elle balaya vitement, et, ne sachant que faire, elle se souvint qu'elle avait vu dans le cabinet du roi une fiole toute semblable, pleine d'eau claire comme était l'eau de beauté; elle la prit adroitement sans rien dire, et la porta sur la cheminée de la reine.

L'eau qui était dans le cabinet du roi servait à faire mourir les princes et les grands seigneurs quand ils étaient criminels; au lieu de leur couper la tête ou de les pendre, on leur frottait le visage de cette eau: ils s'endormaient, et ne se réveillaient plus. Un soir donc, le roi prit la fiole, et se frotta bien le visage; puis il s'endormit et mourut. Le petit chien Cabriole l'apprit des premiers, et ne manqua pas de l'aller dire à Avenant, qui lui dit d'aller trouver la Belle aux Cheveux d'Or, et de la faire souvenir du pauvre prisonnier.

Cabriole se glissa doucement dans la presse; car il y avait grand bruit à la cour pour la mort du roi. Il dit à la reine: "Madame, n'oubliez pas le pauvre Avenant." Elle se souvint aussitôt des peines qu'il avait souffertes à cause d'elle et de sa grande fidélité. Elle sortit sans parler à personne, et fut droit à la tour, où elle ôta elle-même les fers des pieds et des mains d'Avenant; et, lui mettant une couronne d'or sur la tête, et le manteau royal sur ses épaules, elle lui dit: "Venez, aimable Avenant, je vous fais roi, et vous prends pour mon époux." Il se jeta à ses pieds et la remercia. Chacun fut ravi de l'avoir pour maître. Il se fit la plus belle noce du monde, et la Belle aux Cheveux d'Or vécut longtemps avec le bel Avenant, tous deux heureux et satisfaits.

MORALITÉ
 
Si par hasard un malheureux
Te demande ton assistance,
Ne lui refuse point un secours généreux:
Un bienfait tôt ou tard reçoit sa récompense.
Quand Avenant, avec tant de bonté,
Servait carpe et corbeau; quand jusqu'au hibou même
Sans être rebuté de sa laideur extrême,
Il conservait la liberté:
Aurait-on pu jamais le croire,
Que ces animaux quelque jour
Le conduiraient au comble de la gloire,
Lorsqu'il voudrait du roi servir le tendre amour?
Malgré tous les attraits d'une beauté charmante,
Qui commençait pour lui de sentir des désirs,
Il conserve à son maître, étouffant ses soupirs,
Une fidélité constante.
Toutefois, sans raison, il se voit accusé:
Mais quand à son bonheur il paraît plus d'obstacle,
Le ciel lui devait un miracle,
Qu'à la vertu jamais le ciel n'a refusé.
 

LE PRINCE CHÉRI

Il y avait une fois un roi qui était si honnête homme que ses sujets l'appelaient le Roi bon. Un jour qu'il était à la chasse, un petit lapin que les chiens allaient tuer se jeta dans ses bras. Le roi caressa ce petit lapin et dit: Puisqu'il s'est mis sous ma protection, je ne veux pas qu'on lui fasse du mal. Il porta ce petit lapin dans son palais, et il lui fit donner une jolie petite maison, et de bonnes herbes à manger. La nuit, quand il fut seul dans sa chambre, il vit paraître une belle dame: elle n'avait point d'habits d'or et d'argent; mais sa robe était blanche comme la neige; et au lieu de coiffure, elle avait une couronne de roses blanches sur la tête. Le bon roi fut bien étonné de voir cette dame; car sa porte était fermée, et il ne savait pas comment elle était entrée. Elle lui dit: Je suis la fée Candide; je passais dans le bois pendant que vous chassiez; et j'ai voulu savoir si vous étiez bon, comme tout le monde le dit. Pour cela, j'ai pris la figure d'un petit lapin, et je me suis sauvée dans vos bras; car je sais que ceux qui ont de la pitié pour les bêtes en ont encore plus pour les hommes; et si vous m'aviez refusé votre secours, j'aurais cru que vous étiez méchant. Je viens vous remercier du bien que vous m'avez fait, et vous assurer que je serai toujours de vos amies. Vous n'avez qu'à me demander tout ce que vous voudrez, je vous promets de vous l'accorder.

Madame, dit le bon roi, puisque vous êtes une fée, vous devez savoir tout ce que je souhaite. Je n'ai qu'un fils, que j'aime beaucoup, et pour cela, on l'a nommé le prince Chéri: si vous avez quelque bonté pour moi, devenez la bonne amie de mon fils. De bon coeur, lui dit la fée; je puis rendre votre fils le plus beau prince du monde, ou le plus riche, ou le plus puissant; choisissez ce que vous voudrez pour lui. Je ne désire rien de tout cela pour mon fils, répondit le bon roi; mais je vous serai bien obligé si vous voulez le rendre le meilleur de tous les princes. Que lui servirait-il d'être beau, riche, d'avoir tous les royaumes du monde, s'il était méchant? Vous savez bien qu'il serait malheureux, et qu'il n'y a que la vertu qui puisse le rendre content. Vous avez bien raison, lui dit Candide; mais il n'est pas en mon pouvoir de rendre le prince Chéri honnête homme malgré lui; il faut qu'il travaille lui-même à devenir vertueux. Tout ce que je puis vous promettre, c'est de lui donner de bons conseils, de le reprendre de ses fautes, et de le punir, s'il ne veut pas se corriger et se punir lui-même.

Le bon roi fut fort content de cette promesse, et il mourut peu de temps après. Le prince Chéri pleura beaucoup son père, car il l'aimait de tout son coeur, et il aurait donné tous ses royaumes, son or, et son argent, pour le sauver: mais cela n'était pas possible. Deux jours après la mort du bon roi, Chéri étant couché, Candide lui apparut. J'ai promis à votre père, lui dit-elle, d'être de vos amies, et pour tenir ma parole, je viens vous faire un présent. En même temps elle mit au doigt de Chéri une petite bague d'or, et lui dit: Gardez bien cette bague, elle est plus précieuse que les diamants: toutes les fois que vous ferez une mauvaise action, elle vous piquera le doigt; mais si, malgré sa piqûre, vous continuez cette mauvaise action, vous perdrez mon amitié, et je deviendrai votre ennemie. En finissant ces paroles, Candide disparut, et laissa Chéri fort étonné. Il fut quelque temps si sage, que la bague ne le piquait point du tout; et cela le rendait si content, qu'on ajouta au nom de Chéri, qu'il portait, celui d'Heureux. Quelques temps après, il alla à la chasse, et il ne prit rien, ce qui le mit de mauvaise humeur: il lui sembla alors que sa bague lui pressait un peu le doigt; mais comme elle ne le piquait pas, il n'y fit pas beaucoup d'attention. En rentrant dans sa chambre, sa petite chienne Bibi vint à lui en sautant pour le caresser: il lui dit: Retire-toi; je ne suis plus d'humeur de recevoir tes caresses. La pauvre petite chienne, qui ne l'entendait pas, le tirait par son habit pour l'obliger à la regarder au moins. Cela impatienta Chéri, qui lui donna un grand coup de pied. Dans le moment la bague le piqua, comme si c'eût été une épingle: il fut bien étonné, et s'assit tout honteux dans un coin de sa chambre. Il disait en lui-même: Je crois que la fée se moque de moi; quel grand mal ai-je fait pour donner un coup de pied à un animal qui m'importune? à quoi me sert d'être maître d'un grand empire, puisque je n'ai pas la liberté de battre mon chien?

Je ne me moque pas de vous, dit une voix qui répondait à la pensée de Chéri; vous avez fait trois fautes, au lieu d'une. Vous avez été de mauvaise humeur parce que vous n'aimez pas à être contredit, et que vous croyez que les bêtes et les hommes sont faits pour obéir. Vous vous êtes mis en colère, ce qui est fort mal: et puis, vous avez été cruel à un pauvre animal qui ne méritait pas d'être maltraité. Je sais que vous êtes beaucoup au-dessus d'un chien; mais si c'était une chose raisonnable et permise, que les grands pussent maltraiter tout ce qui est au-dessous d'eux, je pourrais à ce moment vous battre, vous tuer; puisqu'une fée est plus qu'un homme. L'avantage d'être maître d'un grand empire ne consiste pas à pouvoir faire le mal qu'on veut, mais tout le bien qu'on peut. Chéri avoua sa faute, et promit de se corriger; mais il ne tint pas sa parole. Il avait été élevé par une sotte nourrice, qui l'avait gâté quand il était petit. S'il voulait avoir une chose, il n'avait qu'à pleurer, se dépiter, frapper du pied; cette femme lui donnait tout ce qu'il demandait, et cela l'avait rendu opiniâtre. Elle lui dit aussi, depuis le matin jusqu'au soir, qu'il serait roi un jour, et que les rois étaient fort heureux, parce que tous les hommes devaient leur obéir, les respecter, et qu'on ne pouvait pas les empêcher de faire ce qu'ils voulaient. Quand Chéri avait été grand garçon et raisonnable, il avait bien reconnu qu'il n'y avait rien de si vilain que d'être fier, orgueilleux, opiniâtre. Il avait fait quelques efforts pour se corriger; mais il avait pris la mauvaise habitude de tous ces défauts; et une mauvaise habitude est bien difficile à détruire. Ce n'est pas qu'il eût naturellement le coeur méchant. Il pleurait de dépit quand il avait fait une faute, et il disait: Je suis bien malheureux d'avoir à combattre tous les jours contre ma colère et mon orgueil; si on m'avait corrigé quand j'étais jeune, je n'aurais pas tant de peine aujourd'hui. Sa bague le piquait bien souvent; quelquefois il s'arrêtait tout court; d'autres fois il continuait, et ce qu'il y avait de singulier, c'est qu'elle ne le piquait qu'un peu pour une légère faute; mais quand il était méchant, le sang sortait de son doigt. A la fin cela l'impatienta, et voulant être mauvais tout à son aise, il jeta sa bague. Il se crut le plus heureux de tous les hommes quand il se fut débarrassé de ses piqûres. Il s'abandonna à toutes les sottises qui lui venaient dans l'esprit; en sorte qu'il devint très-méchant, et que personne ne pouvait plus le souffrir.

Un jour que Chéri était à la promenade, il vit une fille qui était si belle, qu'il résolut de l'épouser. Elle se nommait Zélie, et elle était aussi sage que belle. Chéri crut que Zélie se croirait fort heureuse de devenir une grande reine; mais cette fille lui dit avec beaucoup de liberté: Sire, je ne suis qu'une bergère, je n'ai point de fortune; mais malgré cela, je ne vous épouserai jamais. Est-ce que je vous déplais? lui demanda Chéri un peu ému. Non, mon prince, lui répondait Zélie. Je vous trouve tel que vous êtes, c'est-à-dire fort beau; mais que me serviraient votre beauté, vos richesses, les beaux habits, les carrosses magnifiques que vous me donneriez, si les mauvaises actions que je vous verrais faire chaque jour me forçaient à vous mépriser et à vous haïr? Chéri se mit fort en colère contre Zélie, et commanda à ses officiers de la conduire de force dans son palais. Il fut occupé toute la journée du mépris que cette fille lui avait montré; mais comme il l'aimait, il ne pouvait se résoudre à la maltraiter. Parmi les favoris de Chéri, il y avait son frère de lait, 247 auquel il avait donné toute sa confiance: cet homme, qui avait les inclinations aussi basses que sa naissance, flattait les passions de son maître, et lui donnait de fort mauvais conseils. Comme il vit Chéri fort triste, il lui demanda le sujet 248 de son chagrin: le prince lui ayant répondu qu'il ne pouvait souffrir le mépris de Zélie, et qu'il était résolu de se corriger de ses défauts, puisqu'il fallait être vertueux pour lui plaire, ce méchant homme lui dit: Vous êtes bien bon, de vouloir vous gêner pour une petite fille; si j'étais à votre place, ajouta-t-il, je la forcerais bien à m'obéir. Souvenez-vous que vous êtes roi, et qu'il serait honteux de vous soumettre aux volontés d'une bergère, qui serait trop heureuse d'être reçue parmi vos esclaves. Faites-la jeûner au pain et à l'eau; mettez-la dans une prison, et si elle continue à ne vouloir pas vous épouser, faites-la mourir dans les tourments, pour apprendre aux autres à céder à vos volontés. Vous serez déshonoré si l'on sait qu'une fille vous résiste; et tous vos sujets oublieront qu'ils ne sont au monde que pour vous servir. Mais, dit Chéri, ne serais-je pas déshonoré, si je fais mourir une innocente? car, enfin, Zélie n'est coupable d'aucun crime. On n'est point innocent quand on refuse d'exécuter vos volontés, reprit le confident: mais je suppose que si vous commettiez une injustice, il vaut bien mieux qu'on vous en accuse que d'apprendre qu'il est quelquefois permis de vous manquer de respect et de vous contredire. Le courtisan prenait Chéri par son faible; 249 et la crainte de voir diminuer son autorité fit tant d'impression sur le roi, qu'il étouffa le bon mouvement qui lui avait donné envie de se corriger. Il résolut d'aller le soir même dans la chambre de la bergère, et de la maltraiter 250 si elle continuait à refuser de l'épouser. Le frère de lait de Chéri, qui craignait encore quelques bons mouvements, rassembla trois jeunes seigneurs, aussi méchants que lui, pour faire la débauche 251 avec le roi; ils soupèrent ensemble, et ils eurent soin d'achever de troubler le raison de ce pauvre prince en le faisant boire beaucoup. Pendant le souper ils excitèrent sa colère contre Zélie, et lui firent tant de honte de la faiblesse qu'il avait eue pour elle, qu'il se leva comme un furieux, en jurant qu'il allait la faire obéir, ou qu'il la ferait vendre le lendemain comme une esclave.

 

Chéri étant entré dans la chambre où était cette fille, fut bien surpris de ne la pas trouver; car il avait la clef dans sa poche. Il était dans une colère épouvantable, et jurait de se venger sur tous ceux qu'il soupçonnerait d'avoir aidé Zélie à s'échapper. Ses confidents, l'entendant parler ainsi, résolurent de profiter de sa colère pour perdre un seigneur, qui avait été gouverneur de Chéri. Cet honnête homme avait pris quelquefois la liberté d'avertir le roi de ses défauts; car il l'aimait comme si c'eût été son fils. D'abord Chéri le remerciait; ensuite il s'impatienta d'être contredit, et puis il pensa que c'était par esprit de contradiction que son gouverneur lui trouvait des défauts, pendant que tout le monde lui donnait des louanges. Il lui commanda donc de se retirer de la cour; mais, malgré cet ordre, il disait de temps en temps que c'était un honnête homme, qu'il ne l'aimait plus, mais qu'il l'estimait, malgré lui-même. Les confidents craignaient toujours qu'il ne prît fantaisie au roi de rappeler son gouverneur, et ils crurent avoir trouvé une occasion favorable pour se débarrasser de lui. Ils firent entendre au roi que Suliman (c'était le nom de ce digne homme) s'était vanté de rendre la liberté à Zélie: trois hommes corrompus par des présents dirent qu'ils avaient ouï tenir ce discours à Suliman; et le prince, transporté de colère, commanda à son frère de lait d'envoyer des soldats pour lui amener son gouverneur, enchaîné comme un criminel. Après avoir donné ces ordres, Chéri se retira dans sa chambre: mais, à peine fut-il entré, que la terre trembla; il se fit un grand coup de tonnerre, et Candide parut à ses yeux. J'avais promis à votre père, lui dit-elle d'un ton sévère, de vous donner des conseils, et de vous punir si vous refusiez de les suivre: vous les avez méprisés ces conseils: vous n'avez conservé que la figure d'homme, et vos crimes vous ont changé en un monstre, l'horreur du ciel et de la terre. Il est temps que j'achève de satisfaire à ma promesse en vous punissant. Je vous condamne à devenir semblable aux bêtes, dont vous avez pris les inclinations. Vous vous êtes rendu semblable au lion par la colère, au loup par la gourmandise, au serpent en déchirant celui qui avait été votre second père, au taureau par votre brutalité. Portez dans votre nouvelle figure le caractère de tous ces animaux. A peine la fée avait-elle achevé ces paroles, que Chéri se vit avec horreur tel qu'elle l'avait souhaité. Il avait la tête d'un lion, les cornes d'un taureau, les pieds d'un loup, et la queue d'une vipère. En même temps, il se trouva dans une grande forêt, sur le bord d'une fontaine, où il vit son horrible figure, et il entendit une voix qui lui dit: Regarde attentivement l'état où tu t'es réduit par tes crimes. Ton âme est devenue mille fois plus affreuse que ton corps. Chéri reconnut la voix de Candide, et dans sa fureur, il se retourna, pour s'élancer sur elle, et la dévorer, s'il lui eût été possible; mais il ne vit personne, et la même voix lui dit: Je me moque de ta faiblesse et de ta rage. Je vais confondre ton orgueil en te mettant sous la puissance de tes propres sujets.

Chéri pensa qu'en s'éloignant de cette fontaine, il trouverait du remède à ces maux, puisqu'il n'aurait point devant les yeux sa laideur et sa difformité: il s'avançait donc dans le bois; mais à peine y eut-il fait quelques pas, qu'il tomba dans un trou, qu'on avait fait pour prendre les ours: en même temps, des chasseurs qui étaient cachés sur des arbres descendirent, et, l'ayant enchaîné, le conduisirent dans la ville capitale de son royaume. Pendant le chemin, au lieu de reconnaître qu'il s'était attiré ce châtiment par sa faute, il maudissait la fée, il mordait ses chaînes, et s'abandonnait à la rage. Lorsqu'il approcha de la ville où on le conduisait, il vit de grandes réjouissances; et les chasseurs ayant demandé ce qui était arrivé de nouveau, on leur dit que le prince Chéri, qui ne se plaisait qu'à tourmenter son peuple, avait été écrasé dans sa chambre par un coup de tonnerre; car on le croyait ainsi. Les dieux, ajouta-t-on, n'ont pu supporter l'excès de ses méchancetés, ils en ont délivré la terre. Quatre seigneurs, complices de ces crimes, croyaient en profiter et partager son empire entre eux: mais, le peuple, qui savait que c'étaient leurs mauvais conseils qui avaient gâté le roi, les a mis en pièces, et a été offrir la couronne à Suliman, que le méchant Chéri voulait faire mourir. Ce digne seigneur vient d'être couronné, et nous célébrons ce jour comme celui de la délivrance du royaume; car il est vertueux, et va ramener parmi nous la paix et l'abondance. Chéri soupirait de rage en écoutant ce discours; mais ce fut bien pis lorsqu'il arriva dans la grande place qui était devant son palais. Il vit Suliman sur un trône superbe, et tout le peuple qui lui souhaitait une longue vie, pour réparer tout le mal qu'avait fait son prédécesseur. Suliman fit signe de la main pour demander silence, et il dit au peuple: J'ai accepté la couronne que vous m'avez offerte, mais c'est pour la conserver au prince Chéri: il n'est point mort, comme vous le croyez, une fée me l'a révélé, et peut-être qu'un jour vous le reverrez vertueux, comme il était dans ses premières années. Hélas! continua-t-il en versant des larmes, les flatteurs l'avaient séduit. Je connaissais son coeur, il était fait pour la vertu: et sans les discours empoisonnés de ceux qui l'approchaient, il eût été votre père à tous. Détestez ses vices; mais plaignez-le, et prions tous ensemble les dieux qu'ils nous le rendent Pour moi, je m'estimerais trop heureux d'arroser ce trône de mon sang si je pouvais l'y voir remonter avec des dispositions propres à le lui faire remplir dignement.

Les paroles de Suliman allèrent jusqu'au coeur de Chéri. Il connut alors combien l'attachement et la fidélité de cet homme, avaient été sincères, et se reprocha ses crimes pour la première fois. A peine eut-il écouté ce bon mouvement, qu'il sentit calmer la rage dont il était animé: il réfléchit sur tous les crimes de sa vie, et trouva qu'il n'était pas puni aussi rigoureusement qu'il l'avait mérité. Il cessa donc de se débattre dans sa cage de fer, où il était enchaîné, et devint doux comme un mouton. On le conduisit dans une grande maison où l'on gardait tous les monstres et les bêtes féroces, et on l'attacha avec les autres.

Chéri, alors, prit la résolution de commencer à réparer ses fautes, en se montrant bien obéissant à l'homme qui le gardait. Cet homme était un brutal, et quoique le monstre fût fort doux, quand il était de mauvaise humeur, il le battait sans rime ni raison. Un jour que cet homme s'était endormi, un tigre, qui avait rompu sa chaîne, se jeta sur lui pour le dévorer: d'abord Chéri sentit un mouvement de joie, de voir qu'il allait être délivré de son persécuteur; mais aussitôt il condamna ce mouvement, et souhaita d'être libre. Je rendrais, dit-il, le bien pour le mal en sauvant la vie de ce malheureux. A peine eut-il formé ce souhait, qu'il vit sa cage de fer ouverte: il s'élança aux côtés de cet homme, qui s'était réveillé, et qui se défendait contre le tigre. Le gardien se crut perdu lorsqu'il vit le monstre; mais sa crainte fut bientôt changée en joie: ce monstre bienfaisant se jeta sur le tigre, l'étrangla, et se coucha ensuite aux pieds de celui qu'il venait de sauver. Cet homme, pénétré de reconnaissance, voulut se baisser pour caresser le monstre qui lui avait rendu un si grand service; mais il entendit une voix qui disait: Une bonne action ne demeure point sans récompense; et en même temps il ne vit plus qu'un joli chien à ses pieds. Chéri, charmé de sa métamorphose, fit mille caresses à son gardien, qui le prit entre ses bras, et le porta au roi, auquel il raconta cette merveille. La reine voulut avoir le chien, et Chéri se fût trouvé heureux dans sa nouvelle condition, s'il eût pu oublier qu'il était homme et roi. La reine l'accablait de caresses; mais, dans la peur qu'elle avait qu'il ne devînt plus grand qu'il n'était, elle consulta ses médecins, qui lui dirent qu'il ne fallait le nourrir que de pain, et ne lui en donner qu'une certaine quantité. Le pauvre Chéri mourait de faim la moitié de la journée; mais il fallait prendre patience.

245Quand il irait lui centième, should there be one hundred men with him.
246dame! Ah!
247Frère de lait, foster-brother.
248le sujet, the cause.
249Par son faible, by his weak side.
250maltraiter, to abuse.
251pour faire la débauche, for a merry-making.

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