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Le Cabinet des Fées

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Lorsqu'il fut parti, la Belle s'assit dans la grande salle, et se mit à pleurer aussi; mais comme elle avait beaucoup de courage, elle se recommanda à Dieu, et résolut de ne se point chagriner, pour le peu de temps qu'elle avait à vivre; car elle croyait fermement que la Bête la mangerait le soir. Elle résolut de se promener en attendant, et de visiter ce beau château. Elle ne pouvait s'empêcher d'en admirer la beauté. Mais elle fut bien surprise de trouver une porte sur laquelle il y avait écrit: Appartement de la Belle. Elle ouvrit cette porte avec précipitation, et elle fut éblouie de la magnificence qui y régnait: mais ce qui frappa le plus sa vue, ce fut une grande bibliothèque, un clavecin, et plusieurs livres de musique. On ne veut pas que je m'ennuie, dit-elle tout bas; elle pensa ensuite: Si je n'avais qu'un jour à demeurer ici, on ne m'aurait pas fait une telle provision. Cette pensée ranima son courage. Elle ouvrit la bibliothèque, et vit un livre où il y avait écrit en lettres d'or: souhaitez, commandez; vous êtes ici la reine et la maîtresse. Hélas! dit-elle en soupirant, je ne souhaite rien que de revoir mon pauvre père, et de savoir ce qu'il fait à présent. Elle avait dit cela en elle-même: quelle fut sa surprise, en jetant ses yeux sur un grand miroir, d'y voir sa maison, où son père arrivait avec un visage extrêmement triste. Ses soeurs venaient au-devant de lui; et malgré les grimaces qu'elles faisaient pour paraître affligées, la joie qu'elles avaient de la perte de leur soeur paraissait sur leur visage. Un moment après, tout cela disparut, et la Belle ne put s'empêcher de penser que la Bête était bien complaisante, et qu'elle n'avait rien à craindre d'elle. A midi, elle trouva la table mise; et pendant son dîner, elle entendit un excellent concert, quoiqu'elle ne vît personne. Le soir, comme elle allait se mettre à table, elle entendit le bruit que faisait la Bête, et ne put s'empêcher de frémir. La Belle, lui dit ce monstre, voulez-vous bien que je vous voie souper? Vous êtes le maître, répondit la Belle en tremblant. Non, répondit la Bête, il n'y a ici de maîtresse que vous. Vous n'avez qu'à me dire de m'en aller, si je vous ennuie; je sortirai tout de suite. Dites-moi, n'est-ce pas que vous me trouvez bien laid? Cela est vrai, dit la Belle, car je ne sais pas mentir, mais je crois que vous êtes fort bon. Vous avez raison, dit le monstre; mais, outre que je suis laid, je n'ai point d'esprit: je sais bien que je ne suis qu'une Bête. On n'est pas Bête, reprit la Belle, quand on croit n'avoir point d'esprit: un sot n'a jamais su cela. Mangez donc, la Belle, lui dit le monstre, et tâchez de ne vous point ennuyer dans votre maison; car tout ceci est à vous; et j'aurais du chagrin si vous n'étiez pas contente. Vous avez bien de la bonté, dit la Belle. Je vous avoue que je suis bien contente de votre coeur; quand j'y pense, vous ne me paraissez plus si laid. Oh! dame, oui, répondit la Bête, j'ai le coeur bon; mais je suis un monstre. Il y a bien des hommes qui sont plus monstres que vous, dit la Belle; et je vous aime mieux avec votre figure que ceux qui avec la figure d'hommes cachent un coeur faux, corrompu, ingrat. Si j'avais de l'esprit, reprit la Bête, je vous ferais un grand compliment pour vous remercier; mais je suis un stupide, et tout ce que je puis vous dire, c'est que je vous suis bien obligé.

La belle soupa de bon appétit. Elle n'avait presque plus peur du monstre; mais elle manqua mourir de frayeur lorsqu'il lui dit: La Belle, voulez-vous être ma femme? Elle fut quelque temps sans répondre; elle avait peur d'exciter la colère du monstre en le refusant: elle lui dit pourtant en tremblant: Non, la Bête. Dans le moment, ce pauvre monstre voulut soupirer, et il fit un sifflement si épouvantable, que tout le palais en retentit: mais Belle fut bientôt rassurée; car la Bête, lui ayant dit tristement: Adieu donc, la Belle, sortit de la chambre, en se retournant de temps en temps pour la regarder encore. La Belle se voyant seule, sentit une grande compassion pour cette pauvre Bête: Hélas, disait-elle, c'est bien dommage 230 qu'elle soit si laide, elle est si bonne!

La Belle passa trois mois dans ce palais avec assez de tranquillité. Tous les soirs, la Bête lui rendait visite, l'entretenait pendant le souper avec assez de bon sens, mais jamais avec ce qu'on appelle esprit dans le monde. Chaque jour, la Belle découvrait de nouvelles bontés dans ce monstre. L'habitude de le voir l'avait accoutumée à sa laideur; et, loin de craindre le moment de sa visite, elle regardait souvent à sa montre pour voir s'il était bientôt neuf heures; car la Bête ne manquait jamais de venir à cette heure-là. Il n'y avait qu'une chose qui faisait de la peine à la Belle, c'est que le monstre, avant de se coucher, lui demandait toujours si elle voulait être sa femme, et paraissait pénétré de douleur lorsqu'elle lui disait que non. Elle lui dit un jour: Vous me chagrinez, la Bête; je voudrais pouvoir vous épouser, mais je suis trop sincère pour vous faire croire que cela arrivera jamais. Je serai toujours votre amie, tâchez de vous contenter de cela. Il le faut bien, 231 reprit la Bête; je me rends justice. Je sais que je suis bien horrible; mais je vous aime beaucoup; cependant je suis trop heureux de ce que vous voulez bien rester ici; promettez-moi que vous ne me quitterez jamais. La Belle rougit à ces paroles. Elle avait vu dans son miroir que son père était malade de chagrin de l'avoir perdue, et elle souhaitait de le revoir. Je pourrais bien vous promettre, dit-elle à la Bête, de ne vous jamais quitter tout à fait; mais j'ai tant d'envie de revoir mon père, que je mourrai de douleur si vous me refusez ce plaisir. J'aime mieux mourir moi-même, dit ce monstre, que de vous donner du chagrin. Je vous enverrai chez votre père; vous y resterez, et votre pauvre Bête en mourra de douleur. Non, lui dit la Belle en pleurant, je vous aime trop pour vouloir causer votre mort. Je vous promets de revenir dans huit jours. Vous m'avez fait voir que mes soeurs sont mariées, et que mes frères sont partis pour l'armée. Mon père est tout seul, souffrez que je reste chez lui une semaine. Vous y serez demain au matin, dit la Bête; mais souvenez-vous de votre promesse. Vous n'aurez qu'à mettre votre bague sur une table en vous couchant, quand vous voudrez revenir. Adieu, la Belle. La Bête soupira selon sa coutume en disant ces mots, et la Belle se coucha tout triste de la voir affligée. Quand elle se réveilla le matin, elle se trouva dans la maison de son père; et ayant sonné une clochette qui était à côté de son lit, elle vit venir la servante, qui fit un grand cri en la voyant. Le bonhomme accourut à ce cri, et manqua 232 mourir de joie en revoyant sa chère fille; et ils se tinrent embrassés plus d'un quart d'heure. La Belle, après les premiers transports, pensa qu'elle n'avait point d'habits pour se lever; mais la servante lui dit qu'elle venait de trouver dans la chambre voisine un grand coffre plein de robes toutes d'or, garnies de diamants. La Belle remercia la bonne Bête de ses attentions; elle prit la moins riche de ces robes, et dit à la servante de serrer les autres, dont elle voulait faire présent à ses soeurs: mais à peine eut-elle prononcé ces paroles, que le coffre disparut. Son père lui dit que la Bête voulait qu'elle gardât tout cela pour elle, et aussitôt les robes et le coffre revinrent à la même place. La Belle s'habilla; et pendant ce temps, on fut avertir ses soeurs, qui accoururent avec leurs maris. Elles étaient toutes deux fort malheureuses. L'aînée avait épousé un gentilhomme beau comme l'amour; mais il était si amoureux de sa propre figure, qu'il n'était occupé que de cela depuis le matin jusqu'au soir, et méprisait la beauté de sa femme. La seconde avait épousé un homme qui avait beaucoup d'esprit; mais il ne s'en servait que pour faire enrager tout le monde, et sa femme toute la première. Les soeurs de la Belle manquèrent mourir de douleur quand elles la virent habillée comme une princesse, et plus belle que le jour. Elle eut beau les caresser, rien ne put étouffer leur jalousie, qui augmenta beaucoup quand elle leur eut conté combien elle était heureuse. Ces deux jalouses descendirent dans le jardin, pour y pleurer tout à leur aise, et elles se disaient: Pourquoi cette petite créature est-elle plus heureuse que nous? Ne sommes-nous pas plus aimables qu'elle? Ma soeur, dit l'aînée, il me vient une pensée; tâchons de l'arrêter ici plus de huit jours sa sotte Bête se mettra en colère de ce qu'elle lui aura manqué de parole, et peut-être qu'elle la dévorera. Vous avez raison, ma soeur, répondit l'autre. Pour cela, il lui faut faire de grandes caresses. Et ayant pris cette résolution, elles remontèrent, et firent tant d'amitié à leur soeur, que la Belle en pleura de joie. Quand les huit jours furent passés, les deux soeurs s'arrachèrent les cheveux, et firent tant les affligées de son départ, qu'elle promit de rester encore huit jours.

 

Cependant la Belle se reprochait le chagrin qu'elle allait donner à sa pauvre Bête, qu'elle aimait de tout son coeur, et elle s'ennuyait de ne la plus voir. La dixième nuit qu'elle passa chez son père, elle rêva qu'elle était dans le jardin du palais, et qu'elle voyait la Bête, couchée sur l'herbe, et prête à mourir, qui lui reprochait son ingratitude. La Belle se réveilla en sursaut, 233 et versa des larmes. Ne suis-je pas bien méchante, disait-elle, de donner du chagrin à une Bête qui a pour moi tant de complaisance? Est-ce sa faute si elle est si laide, et si elle a peu d'esprit? Elle est bonne, cela vaut mieux que tout le reste. Pourquoi n'ai-je pas voulu l'épouser? Je serais plus heureuse avec elle que mes soeurs avec leurs maris. Ce n'est ni la beauté ni l'esprit d'un mari qui rendent une femme contente: c'est la bonté du caractère, la vertu, la complaisance: et la Bête a toutes ces bonnes qualités. Je n'ai point d'amour pour elle; mais j'ai de l'estime, de l'amitié, et de la reconnaissance. Allons, il ne faut pas la rendre malheureuse; je me reprocherais toute ma vie mon ingratitude. A ces mots, Belle se lève, met sa bague sur la table, et revient se coucher. A peine fut-elle dans son lit, qu'elle s'endormit, et quand elle se réveilla le matin, elle vit avec joie qu'elle était dans le palais de la Bête. Elle s'habilla magnifiquement pour lui plaire, et s'ennuya à mourir toute la journée, en attendant neuf heures du soir; mais l'horloge eut beau sonner, la Bête ne parut point. La Belle, alors, craignit d'avoir cause sa mort. Elle courut tout le palais en jetant de grands cris; elle était au désespoir. Après avoir cherché partout, elle se souvint de son rêve, et courut dans le jardin vers le canal, où elle l'avait vue en dormant. Elle trouva la pauvre Bête étendu, sans connaissance, et elle crut qu'elle était morte. Elle se jeta sur son corps, sans avoir horreur de sa figure; et sentant que son coeur battait encore, elle prit de l'eau dans le canal, et lui en jeta sur la tête. La Bête ouvrit les yeux, et dit à la Belle: Vous avez oublié votre promesse: le chagrin de vous avoir perdue m'a fait résoudre à me laisser mourir de faim; mais je meurs content, puisque j'ai le plaisir de vous revoir encore une fois. Non, ma chère Bête, vous ne mourrez point, lui dit la Belle; vous vivrez pour devenir mon époux; dès ce moment je vous donne ma main, et je jure que je ne serai qu'à vous. Hélas! je croyais n'avoir que de l'amitié pour vous, mais la douleur que je sens me fait voir que je ne pourrais vivre sans vous voir. A peine la Belle eut-elle prononcé ces paroles, qu'elle vit le château brillant de lumière: les feux d'artifice, la musique, tout lui annonçait une fête; mais toutes ces beautés n'arrêtèrent point sa vue: elle se retourna vers sa chère Bête, dont le danger la faisait frémir. Quelle fut sa surprise! la Bête avait disparu, et elle ne vit plus à ses pieds qu'un prince plus beau que l'Amour, qui la remerciait d'avoir fini son enchantement. Quoique ce prince méritât toute son attention, elle ne put s'empêcher de lui demander où était la Bête. Vous la voyez à vos pieds, lui dit le prince. Une méchante fée m'avait condamné à rester sous cette figure jusqu'à ce qu'une belle fille consentît à m'épouser, et elle m'avait défendu de faire paraître mon esprit. Ainsi, il n'y avait que vous dans le monde assez bonne pour vous laisser toucher à la bonté de mon caractère: et en vous offrant ma couronne, je ne puis m'acquitter des obligations que je vous ai. La Belle, agréablement surprise, donna la main à ce beau prince pour se relever. Ils allèrent ensemble au château, et la Belle manqua mourir de joie en trouvant dans la grand salle son père et toute sa famille, que la belle dame qui lui était apparue en songe avait transportés au château. Belle, lui dit cette dame, qui était une grande fée, venez recevoir la récompense de votre bon choix; vous avez préféré la vertu à la beauté et à l'esprit, vous méritez de trouver toutes ces qualités réunies en une même personne. Vous allez devenir une grande reine: j'espère que le trône ne détruira pas vos vertus. Pour vous, mesdemoiselles, dit la fée aux deux soeurs de la Belle, je connais votre coeur, et toute la malice qu'il enferme. Devenez deux statues; mais conservez toute votre raison sous la pierre qui vous enveloppera. Vous demeurerez à la porte du palais de votre soeur, et je ne vous impose point d'autre peine que d'être témoins de son bonheur. Vous ne pourrez revenir dans votre premier état qu'au moment où vous reconnaîtrez vos fautes; mais j'ai bien peur que vous ne restiez toujours statues. On se corrige de l'orgueil, de la colère, de la gourmandise et de la paresse: mais c'est une espèce de miracle que la conversion d'un coeur méchant et envieux. Dans le moment la fée donna un coup de baguette, qui transporta tous ceux qui étaient dans cette salle dans le royaume du prince. Ses sujets le revirent avec joie: et il épousa la Belle, qui vécut avec lui fort long-temps, et dans un bonheur parfait, parce qu'il était fondé sur la vertu.

LA BELLE AUX CHEVEUX D'OR

Il y avait une fois la fille d'un roi qui était si belle, qu'il n'y avait rien de si beau au monde; et à cause qu'elle était si belle, on la nommait la Belle aux Cheveux d'Or: car ses cheveux étaient plus fins que de l'or, et blonds par merveille, tout frisés, qui lui tombaient jusque sur les pieds. Elle allait toujours couverte de ses cheveux bouclés, avec une couronne de fleurs sur la tête et des habits, brodés de diamants et de perles; tant y a 234 qu'on ne pouvait la voir sans l'aimer.

Il y avait un jeune roi de ses voisins qui n'était point marié, et qui était bien fait et bien riche. Quand il eut appris tout ce qu'on disait de la Belle aux Cheveux d'Or, bien qu'il ne l'eût point encore vue, il se prit à l'aimer si fort, qu'il en perdait le boire et le manger 235, et il se résolut de lui envoyer un ambassadeur pour la demander en mariage. Il fit faire un carrosse magnifique à son ambassadeur; il lui donna plus de cent chevaux et cent laquais, et lui recommanda bien de lui amener la princesse.

Quand il eut pris congé 236 du roi et qu'il fut parti, toute la cour ne parlait d'autre chose; et le roi, qui ne doutait pas que la Belle aux Cheveux d'Or ne consentît à ce qu'il souhaitait, lui faisait déjà faire de belles robes et des meubles admirables. Pendant que les ouvriers étaient occupés à travailler, l'ambassadeur, arrivé chez la Belle aux Cheveux d'Or, lui fit son petit message; mais, soit qu'elle ne fût pas ce jour-là de bonne humeur, ou que le compliment ne lui semblât pas à son gré, elle répondit à l'ambassadeur qu'elle remerciait le roi, et qu'elle n'avait point envie de se marier.

L'ambassadeur partit de la cour de cette princesse, bien triste de ne la pas amener avec lui; il rapporta tous les présents qu'il lui avait portés de la part du roi: car elle était fort sage, et savait bien qu'il ne faut pas que les filles reçoivent rien des garçons; aussi elle ne voulut jamais accepter les beaux diamants et le reste; et pour ne pas mécontenter le roi, elle prit seulement un quarteron 237 d'épingles d'Angleterre.

Quand l'ambassadeur arriva à la grande ville du roi, où il était attendu si impatiemment, chacun s'affligea de ce qu'il n'amenait point la Belle aux Cheveux d'Or, et le roi se prit à pleurer comme un enfant: on le consolait sans en pouvoir venir à bout.

Il y avait un jeune garçon à la cour qui était beau comme le soleil, et le mieux fait de tout le royaume: à cause de sa bonne grâce et de son esprit, on le nommait Avenant. Tout le monde l'aimait, hors les envieux, qui étaient fâchés que le roi lui fît du bien, et qu'il lui confiât tous les jours ses affaires.

Avenant se trouva avec des personnes qui parlaient du retour de l'ambassadeur, et qui disaient qu'il n'avait rien fait qui vaille; il leur dit, sans y prendre trop garde: "Si le roi m'avait envoyé vers la Belle aux Cheveux d'Or, je suis certain qu'elle serait venue avec moi." Tout aussitôt ces méchantes gens vont dire au roi: "Sire, vous ne savez pas ce que dit Avenant? Que si vous l'aviez envoyé chez la Belle aux Cheveux d'Or, il l'aurait ramenée. Considérez bien sa malice, il prétend être plus beau que vous, et qu'elle l'aurait tant aimé, qu'elle l'aurait suivi partout." Voilà le roi que se met en colère, en colère tant et tant, qu'il était hors de lui. 238 "Ha, ha! dit-il, ce joli mignon se moque de mon malheur, et il se prise plus que moi; allons, qu'on le mette dans ma grosse tour, et qu'il y meure de faim!"

Les gardes du roi furent chez Avenant, qui ne pensait plus à ce qu'il avait dit; ils le traînèrent en prison, et lui firent mille maux 239. Ce pauvre garçon n'avait qu'un peu de paille pour se coucher; et il serait mort, sans une petite fontaine qui coulait dans le pied de la tour, dont il buvait un peu pour se rafraîchir: car la faim lui avait bien séché la bouche.

Un jour qu'il n'en pouvait plus, il disait en soupirant: "De quoi se plaint le roi? il n'a point de sujet qui lui soit plus fidèle que moi; je ne l'ai jamais offensé." Le roi, par hasard, passait proche de la tour; et quand il entendit la voix de celui qu'il avait tant aimé, il s'arrêta pour l'écouter, malgré ceux qui étaient avec lui, qui haïssaient Avenant, et qui disaient au roi: "A quoi vous amusez-vous, sire? ne savez-vous pas que c'est un fripon?" Le roi répondit: "Laissez-moi là, je veux l'écouter." Ayant ouï ses plaintes, les larmes lui en vinrent aux yeux; il ouvrit la porte de la tour, et l'appela. Avenant vint tout triste se mettre à genoux devant lui, et baisa ses pieds: "Que vous ai-je fait, sire, lui dit-il, pour me traiter si rudement? – Tu t'es moqué de moi et de mon ambassadeur, dit le roi. Tu as dit que si je t'avais envoyé chez la Belle aux Cheveux d'Or, tu l'aurais bien amenée. – Il est vrai, sire, répondit Avenant, que je lui aurais si bien fait connaître vos grandes qualités, que je suis persuadé qu'elle n'aurait pu s'en défendre; et en cela je n'ai rien dit qui ne vous dût être agréable." Le roi trouva qu'effectivement il n'avait point de tort; il regarda de travers ceux qui lui avaient dit du mal de son favori, et il l'emmena avec lui, se repentant bien de la peine qu'il lui avait faite.

Après l'avoir fait souper à merveille, il l'appela dans son cabinet, et lui dit; "Avenant, j'aime toujours la Belle aux Cheveux d'Or, ses refus ne m'ont point rebuté; mais je ne sais comment m'y prendre pour qu'elle veuille m'épouser: j'ai envie de t'y envoyer pour voir si tu pourras réussir." Avenant répliqua qu'il était disposé à lui obéir en toute chose, qu'il partirait dès le lendemain. "Oh! dit le roi, je veux te donner un grand équipage. – Cela n'est point nécessaire, répondit-il; il ne me faut qu'un bon cheval, avec des lettres de votre part." Le roi l'embrassa; car il était ravi de le voir sitôt prêt.

 

Ce fut un lundi matin qu'il prit congé du roi et de ses amis, pour aller à son ambassade tout seul, sans pompe et sans bruit. Il ne faisait que rêver aux moyens d'engager la Belle aux Cheveux d'Or à épouser le roi. Il avait une écritoire dans sa poche; et quand il lui venait quelque belle pensée à mettre dans sa harangue, il descendait de cheval, et s'asseyait sous des arbres pour écrire, afin de ne rien oublier. Un matin qu'il était parti à la petite pointe du jour, en passant dans une grande prairie, il lui vint une pensée fort jolie; il mit pied à terre; 240 et se plaça contre des saules et des peupliers, qui étaient plantés le long d'une petite rivière qui coulait au bord du pré. Après qu'il eut écrit, il regarda de tous côtés, charmé de se trouver en un si bel endroit. Il aperçut sur l'herbe une grosse carpe dorée, qui bâillait et qui n'en pouvait plus, 241 car, ayant voulu attraper de petits moucherons, elle avait sauté si haut hors de l'eau, qu'elle s'était élancée sur l'herbe, où elle était prête à mourir. Avenant en eut pitié; et quoiqu'il fût jour maigre, 242 et qu'il eût pu l'emporter pour son dîner, il fut la prendre, et la remit doucement dans la rivière. Dès que ma commère la carpe sent la fraîcheur de l'eau, elle commence à se réjouir et se laisse couler jusqu'au fond; puis revenant toute gaillarde au bord de la rivière: "Avenant, dit-elle, je vous remercie du plaisir que vous venez de me faire; sans vous je serais morte, et vous m'avez sauvée; je vous le revaudrai." 243 Après ce petit compliment, elle s'enfonça dans l'eau, et Avenant demeura bien surpris de l'esprit et de la grande civilité de la carpe.

Un autre jour qu'il continuait son voyage, il vit un corbeau bien embarrassé: ce pauvre oiseau était poursuivi par un gros aigle (grand mangeur de corbeaux); il était près de l'attraper, et il l'aurait avalé comme une lentille, si Avenant n'eût eu compassion du malheur de cet oiseau. "Voilà, dit-il, comme les plus forts oppriment les plus faibles: quelle raison a l'aigle de manger le corbeau?" Il prend son arc, qu'il portait toujours, et une flèche; puis mirant bien 244 l'aigle, croc, il lui décoche la flèche dans le corps, et le perce de part en part; il tombe mort, et le corbeau ravi vint se percher sur un arbre: "Avenant, lui dit-il, vous êtes bien généreux de m'avoir secouru, moi qui ne suis qu'un misérable corbeau; mais je n'en demeurerai point ingrat, je vous le revaudrai."

Avenant admira le bon esprit du corbeau, et continua son chemin. En entrant dans un grand bois, si matin qu'il ne voyait qu'à peine à se conduire, il entendit un hibou qui criait en hibou désespéré. "Ouais! dit-il, voilà un hibou bien affligé; il pourrait s'être laissé prendre dans quelque filet." Il chercha de tous côtés, et enfin il trouva de grands filets que des oiseleurs avaient tendus la nuit pour attraper les oisillons. Quelle pitié! dit-il; les hommes ne sont faits que pour s'entre-tourmenter, ou pour persécuter de pauvres animaux, qui ne leur font ni tort ni dommage. Il tira son couteau, et coupa les cordelettes. Le hibou prit l'essor; mais revenant à tire-d'aile: "Avenant, dit-il, il n'est pas nécessaire que je vous fasse une longue harangue pour vous faire comprendre l'obligation que je vous ai; elle parle assez d'elle-même: les chasseurs allaient venir, j'étais pris, j'étais mort sans votre secours; j'ai le coeur reconnaissant, je vous le revaudrai."

Voilà les trois plus considérables aventures qui arrivèrent à Avenant dans son voyage. Il était si pressé d'arriver, qu'il ne tarda pas à se rendre au palais de la Belle aux Cheveux d'Or. Tout y était admirable; l'on y voyait les diamants entassés comme des pierres, les beaux habits, le bonbon, l'argent, c'étaient des choses merveilleuses; et il pensait en lui-même que, si elle quittait tout cela pour venir chez le roi son maître, il faudrait qu'il jouât bien de bonheur. Il prit un habit de brocart, des plumes incarnates et blanches; il se peigna, se poudra, se lava le visage; il mit une riche écharpe toute brodée à son cou, avec un petit panier, et dedans un beau petit chien, qu'il avait acheté en passant à Bologne. Avenant était si bien fait, si aimable, il faisait toutes choses avec tant de grâce, que lorsqu'il se présenta à la porte du palais, tous les gardes lui firent une grande révérence; et l'on courut dire à la Belle aux Cheveux d'Or qu'Avenant, ambassadeur du roi son plus proche voisin, demandait à la voir.

Sur ce nom d'Avenant, la princesse dit: "Cela me porte bonne signification; je gagerais qu'il est joli, et qu'il plaît à tout le monde. – Vraiment oui, madame, lui dirent toutes ses filles d'honneur: nous l'avons vu du grenier où nous accommodions votre filasse; et tant qu'il a demeuré sous les fenêtres, nous n'avons pu rien faire. – Voilà qui est beau, répliqua la Belle aux Cheveux d'Or, de vous amuser à regarder les garçons. Çà, que l'on me donne ma grande robe de satin bleu brodée, et que l'on éparpille bien mes blonds cheveux; que l'on me fasse des guirlandes de fleurs nouvelles; que l'on me donne mes souliers hauts et mon éventail; que l'on balaie ma chambre et mon trône: car je veux qu'il dise partout que je suis vraiment la Belle aux Cheveux d'Or."

Voilà toutes ses femmes qui s'empressaient de la parer comme une reine; elles étaient si hâtées, qu'elles s'entrecognaient et n'avançaient guère. Enfin la princesse passa dans sa galerie aux grands miroirs, pour voir si rien ne lui manquait; et puis elle monta sur son trône d'or, d'ivoire et d'ébène, qui sentait comme baume; et elle commanda à ses filles de prendre des instruments, et de chanter tout doucement pour n'étourdir personne.

L'on conduisit Avenant dans la salle d'audience; il demeura si transporté d'admiration, qu'il a dit depuis bien des fois qu'il ne pouvait presque parler: néanmoins il prit courage, et fit sa harangue à merveille; il pria la princesse qu'il n'eût pas le déplaisir de s'en retourner sans elle. "Gentil Avenant, lui dit-elle, toutes les raisons que vous venez de me conter sont fort bonnes, et je vous assure que je serais bien aise de vous favoriser plus qu'un autre. Mais il faut que vous sachiez qu'il y a un mois que je fus me promener sur la rivière avec toutes mes dames; et comme l'on me servit ma collation, en ôtant mon gant je tirai de mon doigt une bague, qui tomba par malheur dans la rivière: je la chérissais plus que mon royaume. Je vous laisse juger de quelle affliction cette perte fut suivie. J'ai fait serment de n'écouter jamais aucune proposition de mariage, que l'ambassadeur qui me proposera un époux ne me rapporte ma bague. Voyez à présent ce que vous avez à faire là-dessus; car quand vous me parleriez quinze jours et quinze nuits, vous ne me persuaderiez pas de changer de sentiment."

Avenant demeura bien étonné de cette réponse; il lui fit une profonde révérence, et la pria de recevoir le petit chien, le panier et l'écharpe; mais elle lui répliqua qu'elle ne voulait point de présents, et qu'il songeât à ce qu'elle venait de lui dire.

Quand il fut retourné chez lui, il se coucha sans souper: et son petit chien, qui s'appelait Cabriole, ne voulut pas souper non plus: il vint se mettre auprès de lui. – Tant que la nuit fut longue, Avenant ne cessa point de soupirer. "Où puis-je prendre une bague tombée depuis un mois dans une grande rivière? disait-il: c'est toute folie de l'entreprendre. La princesse ne m'a dit cela que pour me mettre dans l'impossibilité de lui obéir." Il soupirait et s'affligeait très-fort. Cabriole, qui l'écoutait, lui dit: "Mon cher maître, je vous prie, ne désespérez point de votre bonne fortune: vous êtes trop aimable pour n'être pas heureux. Allons, dès qu'il fera jour, au bord de la rivière." Avenant lui donna deux petits coups de la main, et ne répondit rien; mais, tout accablé de tristesse, il s'endormit.

Cabriole, voyant le jour, cabriola tant, qu'il l'éveilla, et lui dit: "Mon maître, habillez-vous, et sortons." Avenant le voulut bien. Il se lève, s'habille, et descend dans le jardin, et du jardin il va insensiblement au bord de la rivière, où il se promenait son chapeau sur ses yeux et ses bras croisés l'un sur l'autre, ne pensant qu'à son départ; quand tout d'un coup il entendit qu'on l'appelait: "Avenant, Avenant!" Il regarde de tous côtés et ne voit personne; il crut rêver. Il continue sa promenade; on le rappelle: "Avenant, Avenant! – Qui m'appelle?" dit-il. Cabriole, qui était fort petit, et qui regardait de près dans l'eau, lui répliqua: "Ne me croyez jamais, si ce n'est une carpe dorée que j'aperçois." Aussitôt la grosse carpe paraît, et lui dit: "Vous m'avez sauvé la vie dans le pré des Aliziers, où je serais restée sans vous; je vous promis de vous le revaloir. Tenez, cher Avenant, voici la bague de la Belle aux Cheveux d'Or." Il se baissa, et la prit dans la gueule de ma commère la carpe, qu'il remercia mille fois.

Au lieu de retourner chez lui, il fut droit au palais avec le petit Cabriole, qui était bien aise d'avoir fait venir son maître au bord de l'eau. L'on alla dire à la princesse qu'il demandait à la voir: "Hélas! dit-elle, le pauvre garçon, il vient prendre congé de moi; il a considéré que ce que je veux est impossible, et il va le dire à son maître." L'on fit entrer Avenant, qui lui présenta sa bague, et lui dit: "Madame la princesse, voilà votre commandement fait; vous plaît-il recevoir le roi mon maître pour époux?" Quand elle vit sa bague où il ne manquait rien, elle resta si étonnée, si étonnée, qu'elle croyait rêver. "Vraiment, dit-elle, gracieux Avenant, il faut que vous soyez favorisé de quelque fée, car naturellement cela n'est pas possible." – Madame, dit-il, je n'en connais aucune, mais j'avais bien envie de vous obéir. – Puisque vous avez si bonne volonté, continua-t-elle, il faut que vous me rendiez un autre service, sans lequel je ne me marierai jamais. Il y a un prince, qui n'est pas éloigné d'ici, appelé Galifron, lequel s'était mis dans l'esprit de m'épouser. Il me fit déclarer son dessein avec des menaces épouvantables, que si je le refusais il désolerait mon royaume. Mais jugez si je pouvais l'accepter: c'est un géant qui est plus haut qu'une haute tour; il mange un homme comme un singe mange un marron. Quand il va à la campagne, il porte dans ses poches de petits canons, dont il se sert au lieu de pistolets; et lorsqu'il parle bien haut, ceux qui sont près de lui deviennent sourds. Je lui mandai que je ne voulais point me marier, et qu'il m'excusât; cependant il n'a point laissé de me persécuter; il tue tous mes sujets, et avant toutes choses il faut vous battre contre lui, et m'apporter sa tête.

230C'est bien dommage, it is a great pity.
231il le faut bien, this must be so.
232Manqua, was near.
233Se réveilla en sursaut, started out in her sleep.
234Tant y a, so much so.
235qu'il en perdait le boire et le manger, that he did neither eat nor drink.
236pris congé, taken leave.
237un quarteron, a quarter of a pound.
238Hors de lui, beside himself.
239lui firent mille maux, they abused him.
240Il mit pied à terre, he alighted from his horse.
241Qui bâillait et qui n'en pouvait plus, which was exhausted.
242jour maigre, fast-day.
243je vous le revaudrai, I shall remember it.
244mirant bien, aiming well at.

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