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Le Cabinet des Fées

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Le croirais-tu, ma chère, lui dit-elle, mon prince Guerrier est dans cette forêt: c'est lui qui ma m'a chassée depuis deux jours, et qui, m'ayant pris, m'a fait mille caresses. Ah! que le portrait qu'on m'en apporta est peu fidèle! il est cent fois mieux fait: tout le désordre où l'on voit les chasseurs ne dérobe rien à sa bonne mine, et lui conserve des agréments que je ne saurais t'exprimer. Ne suis-je pas bien malheureuse d'être obligée de fuir ce prince, lui qui m'est destiné par mes plus proches, lui qui m'aime et que j'aime? Il faut qu'une méchante fée me prenne en aversion le jour de ma naissance, et trouble tous ceux de ma vie. Elle se prit à pleurer: Giroflée la consola, et lui fit espérer que dans quelque temps ses peines seraient changées en plaisirs.

Le prince revint vers sa chère Biche dès qu'il eut trouvé une fontaine; mais elle n'était plus au lieu où il l'avait laissée. Il la chercha inutilement partout, et sentit autant de chagrin contre elle que si elle avait dû avoir de la raison. Quoi! s'écria-t-il, je n'aurai donc jamais que des sujets de me plaindre de ce sexe trompeur et infidèle? Il retourna chez la bonne vieille, plein de mélancolie: il conta à son confident l'aventure de Bichette, et l'accusa d'ingratitude. Bécafigue ne put s'empêcher de sourire de la colère du prince; il lui conseilla de punir la Biche quand il la rencontrerait. Je ne reste plus ici que pour cela, répondit le prince, ensuite nous partirons pour aller plus loin.

Le jour revint, et avec lui la princesse reprit sa figure de Biche blanche. Elle ne savait à quoi se résoudre, ou d'aller dans les mêmes lieux que le prince parcourait ordinairement, ou de prendre une route opposée pour l'éviter. Elle choisit ce dernier parti, et s'éloigna beaucoup; mais le jeune prince, qui était aussi fin qu'elle, en usa tout de même, croyant bien qu'elle aurait cette petite ruse; de sorte qu'il la découvrit dans le plus épais de la forêt. Elle s'y trouvait en sûreté, lorsqu'elle l'apperçut: aussitôt elle bondit, elle saute par-dessus les buissons; et comme si elle l'eût appréhendé davantage à cause du tour qu'elle lui avait fait le soir, elle fuit plus légère que les vents; mais dans le moment qu'elle traversait un sentier, il la mire si bien, qu'il lui enfonce une flèche dans la jambe. Elle sentit une douleur violente; et n'ayant plus assez de force pour fuir, elle se laissa tomber.

Amour cruel et barbare, où étais tu donc? Quoi! tu laisses blesser une fille incomparable, par son tendre amant? Cette triste catastrophe était inévitable, car la fée de la fontaine y avait attaché la fin de l'aventure. Le prince s'approcha; il eut un sensible regret de voir couler le sang de la Biche: il prit des herbes, il les lia sur sa jambe pour la soulager, et lui fit un nouveau lit de ramée. Il tenait la tête de Bichette appuyée sur ses genoux. N'es-tu pas cause, petite volage, lui disait-il, de ce qui t'est arrivé? que t'avais-je fait hier pour m'abandonner? Il n'en sera pas aujourd'hui de même, je t'emporterai. La Biche ne répondait rien: qu'aurait-elle dit? elle avait tort et ne pouvait parler; car ce n'est pas toujours une conséquence que ceux qui ont tort se taisent. Le prince lui faisait mille caresses. Que je souffre de t'avoir blessée! lui disait-il: tu me haïras, et je veux que tu m'aimes. Il semblait, à l'entendre, qu'un secret génie lui inspirait tout ce qu'il disait à Bichette. Enfin l'heure de revenir chez sa vieille hôtesse approchait: il se chargea de sa chasse, et n'était pas médiocrement embarrassé à la porter, à la mener, et quelquefois à la traîner. Elle n'avait aucune envie d'aller avec lui. Qu'est-ce que je vais devenir? disait-elle. Quoi! je me trouverai tout seule avec ce prince! Ah! mourons plutôt! Elle faisait la pesante et l'accablait, il était tout en eau de tant de fatigue; et quoiqu'il n'y eût pas loin pour se rendre à la petite maison, il sentait bien que sans quelque secours il n'y pourrait arriver. Il fut quérir son fidèle Bécafigue; mais avant que de quitter sa proie, il l'attacha avec plusieurs rubans au pied d'un arbre, dans la crainte qu'elle ne s'enfuît.

Hélas! qui aurait pu penser que la plus belle princesse du monde serait un jour traitée ainsi par un prince qui l'adorait? Elle essaya inutilement d'arracher les rubans, ses efforts les nouèrent plus serrés, et elle était près de s'étrangler avec un noeud coulant qu'il avait malheureusement fait, lorsque Giroflée, lasse d'être toujours enfermée dans sa chambre, sortit pour prendre l'air et passa dans le lieu où était la Biche blanche, qui se débattait. Que devint-elle quand elle apperçut sa chère maîtresse. Elle ne pouvait se hâter assez de la défaire; les rubans étaient noués par différents endroits. Enfin le prince arriva avec Bécafigue, comme elle allait emmener la biche.

Quelque respect que j'aie pour vous, madame, lui dit le prince, permettez-moi de m'opposer au larcin que vous voulez me faire; j'ai blessé cette biche, elle est à moi; je l'aime, je vous supplie de m'en laisser le maître. Seigneur, répliqua civilement Giroflée (car elle était bien faite et gracieuse), la biche que voici est à moi avant que d'être à vous; je renoncerais aussitôt à ma vie qu'à elle; et si vous voulez voir comme elle me connaît, je ne vous demande que de lui donner un peu de liberté. Allons, ma petite blanche, dit-elle, embrassez-moi. Bichette se jeta à son cou. Baisez-moi la joue droite. Elle obéit. Touchez mon coeur. Elle y porta le pied. Soupirez. Elle soupira. Il ne fut plus permis au prince de douter de ce que Giroflée lui disait. Je vous la rends, lui dit-il honnêtement; mais j'avoue que ce n'est pas sans chagrin. Elle s'en alla aussitôt avec sa Biche.

Elles ignoraient que le prince demeurait dans leur maison; il les suivait d'assez loin, et demeura surpris de les voir entrer chez la vieille bonne femme. Il s'y rendit fort peu après elles; et poussé d'un mouvement de curiosité, dont Biche blanche était cause, il lui demanda qui était cette jeune personne; elle répliqua qu'elle ne la connaissait pas, qu'elle l'avait reçue chez elle avec sa biche, qu'elle la payait bien, et qu'elle vivait dans une grande solitude. Bécafigue s'informa en quel lieu était sa chambre; elle lui dit que c'était si proche de la sienne, qu'elle n'était séparée que par une cloison.

Lorsque le prince fut retiré, son confident lui dit qu'il était le plus trompé des hommes, ou que cette fille avait demeuré avec la princesse Désirée, qu'il l'avait vue au palais quand il y était allé en ambassade. Quel funeste souvenir me rappelez-vous! lui dit le prince, et par quel hasard serait-elle ici? C'est ce que j'ignore, Seigneur, ajouta Bécafigue; mais j'ai envie de la voir encore, et puisqu'une simple menuiserie nous sépare, j'y vais faire un trou. Voilà une curiosité bien inutile, dit le prince tristement; car les paroles de Bécafigue avaient renouvelé toutes ses douleurs. En effet, il ouvrit sa fenêtre, qui regardait dans la forêt, et se mit à rêver.

Cependant Bécafigue travaillait, et il eut bientôt fait un assez grand trou pour voir la charmante princesse vêtue d'une robe de brocart d'argent mêlé de quelques fleurs incarnates brodées d'or avec des émeraudes: ses cheveux tombaient par grosses boucles sur la plus belle gorge du monde; son teint brillait des plus vives couleurs, et ses yeux ravissaient. Giroflée était à genoux devant elle, qui lui bandait le bras, dont le sang coulait avec abondance: elles paraissaient toutes deux assez embarrassées de cette blessure. Laisse-moi mourir, disait la princesse, la mort me sera plus douce que la déplorable vie que je mène: quoi! être biche tout le jour! voir celui à qui je suis destinée sans lui parler, sans lui apprendre ma fatale aventure! Hélas! si tu savais tout ce qu'il m'a dit de touchant sous ma métamorphose, quel ton de voix il a, quelles manières nobles et engageantes, tu me plaindrais encore plus que tu ne fais, de n'être point en état de l'éclaircir de ma destinée.

On peut assez juger de l'étonnement de Bécafigue par tout ce qu'il venait de voir et d'entendre; il courut vers le prince, il l'arracha de la fenêtre avec des transports de joie inexprimables. Ah! Seigneur, lui dit-il, ne différez pas de vous approcher de cette cloison! vous verrez le véritable original du portrait qui vous à charmé. Le prince regarda, et reconnut aussitôt sa princesse; il serait mort de plaisir, s'il n'eût craint d'être déçu par quelque enchantement; car enfin, comment accommoder une rencontre si surprenante avec Longue Epine et sa mère, qui étaient renfermées dans le château des trois Pointes, et qui prenaient le nom, l'une de Désirée, et l'autre de sa dame d'honneur?

Cependant sa passion le flattait, l'on a un penchant naturel à se persuader ce que l'on souhaite; et dans une telle occasion, il fallait mourir d'impatience ou s'éclaircir. Il alla sans différer frapper doucement à la porte de la chambre où était la princesse. Giroflée, ne doutant pas que ce ne fût la bonne vieille, et ayant même besoin de son secours pour lui aider à bander le bras de sa maîtresse, se hâta d'ouvrir, et demeura bien surprise de voir le prince, qui vint se jeter aux pieds de Désirée. Les transports qui l'animaient lui permirent si peu de faire un discours suivi, que, quelque soin que j'aie eu de m'informer de ce qu'il lui dit dans ces premiers moments, je n'ai trouvé personne qui m'en ait bien éclairci. La princesse ne s'embarrassa pas moins dans ses réponses; mais l'amour, qui sert souvent d'interprête aux muets, se mit en tiers, et persuada à l'un et à l'autre qu'il ne s'était jamais rien dit de plus spirituel; au moins ne s'était-il jamais rien dit de plus touchant et de plus tendre. Les larmes, les soupirs, les serments, et même quelques souris gracieux, tout en fut. La nuit se passa ainsi, le jour parut sans que Désirée y eût fait aucune réflexion, et elle ne devint plus Biche. Elle s'en aperçut; rien n'était égal à sa joie: le prince lui était trop cher pour différer de la partager avec lui; au même moment elle commença le récit de son histoire, qu'elle fit avec grâce et une éloquence naturelle, qui surpassait celle des plus habiles.

 

Quoi! s'écria-t-il, ma charmante princesse, c'est vous que j'aie blessée sous la figure d'une Biche blanche! Que ferai-je pour expier un si grand crime? suffira-t-il d'en mourir de douleur à vos yeux? Il était tellement affligé, que son déplaisir se voyait peint sur son visage. Désirée en souffrit plus que de sa blessure; elle l'assura que ce n'était presque rien, et qu'elle ne pouvait s'empêcher d'aimer un mal qui lui procurait tant de bien.

La manière dont elle lui parla était si obligeante, qu'il ne put douter de ses bontés. Pour l'éclaircir à son tour de toutes choses, il lui raconta la supercherie que Longue Epine et sa mère avaient faite, ajoutant qu'il fallait se hâter d'envoyer dire au roi son père le bonheur qu'il avait eu de la trouver; parce qu'il allait faire une terrible guerre pour tirer raison de l'affront qu'il croyait avoir reçu. Désirée le pria d'écrire par Bécafigue; il voulait lui obéir lorsqu'un bruit perçant de trompettes, clairons, timbales et tambours se répandit dans la forêt; il leur sembla même qu'ils entendaient passer beaucoup de monde proche de la petite maison. Le prince regarda par la fenêtre, il reconnut plusieurs officiers, ses drapeaux et ses guidons: il leur commanda de s'arrêter et de l'attendre.

Jamais surprise n'a été plus agréable que celle de cette armée: chacun était persuadé que leur prince allait la conduire, et tirer vengeance, du père de Désirée. Le père du prince les menait lui-même malgré son grand âge. Il venait dans une litière de velours en broderie d'or; elle était suivie d'un chariot découvert. Longue Epine y était avec sa mère. Le prince Guerrier ayant vu la litière, y courut, et le roi, lui tendant les bras, l'embrassa avec mille témoignages d'un amour paternel. Et d'où venez-vous, mon cher fils? s'écria-t-il. Est-il possible que vous m'ayez livré à la douleur que votre absence me cause? Seigneur, dit le prince, daignez m'écouter. Le roi aussitôt descendit de sa litière, et se retirant dans un lieu écarté, son fils lui apprit l'heureuse rencontre qu'il avait faite, et la fourberie de Longue Epine.

Le roi, ravi de cette aventure, leva les mains et les yeux au ciel pour lui en rendre grâces; dans ce moment il vit paraître la princesse Désirée, plus belle et plus brillante que tous les astres ensemble. Elle montait un superbe cheval, qui n'allait que par courbettes; cent plumes de différentes couleurs paraient sa tête, et les plus gros diamants du monde avaient été mis à son habit: elle était vêtue en chasseur. Giroflée, qui la suivait, n'était guère moins parée qu'elle. C'étaient là des effets de la protection de Tulipe; elle avait tout conduit avec soin et avec succès. La jolie maison du bois fut faite en faveur de la princesse, et sous la figure d'une vieille, elle l'avait régalée pendant plusieurs jours.

Dès que le prince reconnut ses troupes, et qu'il alla trouver le roi son père, elle entra dans la chambre de Désirée: elle souffla son bras pour guérir sa blessure: elle lui donna ensuite les riches habits sous lesquels elle parut aux yeux du roi, qui demeura si charmé, qu'il avait bien de la peine à la croire une personne mortelle. Il lui dit tout ce qu'on peut imaginer de plus obligeant dans une semblable occasion, et la conjura de ne point différer à ses sujets le plaisir de l'avoir pour reine: Car je suis résolu, continua-t-il, de céder mon royaume au prince Guerrier, afin de le rendre plus digne de vous. Désirée lui répondit avec toute la politesse qu'on devait attendre d'une personne si bien élevée; puis, jetant les yeux sur les deux prisonnières qui étaient dans le chariot, et qui se cachaient le visage de leurs mains, elle eut la générosité de demander leur grâce, et que le même chariot où elles étaient servît à les conduire où elles voudraient aller. Le roi consentit à ce qu'elle souhaitait; ce ne fut pas sans admirer son bon coeur, et sans lui donner de grandes louanges.

On ordonna que l'armée retournerait sur ses pas, le prince monta à cheval pour accompagner sa belle princesse: on les reçut dans la ville capitale avec mille cris de joie; l'on prépara tout pour le jour des noces, qui devint très-solennel, par la présence des six bénignes fées qui aimaient la princesse. Elles lui firent les plus riches présents qui se soient jamais imaginés; entre autres, ce magnifique palais où la reine les avait été voir parut tout d'un coup en l'air, porté par cinquante mille amours, qui le posèrent dans une belle plaine au bord de la rivière: après un tel don, il ne s'en pouvait plus faire de considérable.

Le fidèle Bécafigue pria son maître de parler à Giroflée, et de l'unir avec elle lorsqu'il épouserait la princesse; il le voulut bien; cette aimable fille fut très-aise de trouver un établissement si avantageux en arrivant dans un royaume étranger. La fée Tulipe, qui était encore plus libérale que ses soeurs, lui donna quatre mines d'or dans les Indes, afin que son mari n'eût pas l'avantage de se dire plus riche qu'elle. Les noces du prince durèrent plusieurs mois; chaque jour fournissait une fête nouvelle, et les aventures de Biche blanche ont été chantées par tout le monde.

LA BELLE ET LA BÊTE

Il y avait une fois un marchand qui était extrêmement riche. Il avait six enfants, trois garçons et trois filles; et comme ce marchand était un homme d'esprit, il n'épargna rien pour l'éducation de ses enfants, et leur donna toutes sortes de maîtres. Ses filles étaient très-belles; mais la cadette surtout se faisait admirer, et on ne l'appelait, quand elle était petite, que la belle enfant; en sorte que le nom lui en resta: ce qui donna beaucoup de jalousie à ses soeurs. Cette cadette, qui était plus belle que ses soeurs, était aussi meilleure qu'elles. Les deux aînées avaient beaucoup d'orgueil, parce qu'elles étaient riches; elles faisaient les dames, et ne voulaient pas recevoir les visites des autres filles de marchands; il leur fallait des gens de qualité pour leur compagnie. Elles allaient tous les jours au bal, à la comédie, à la promenade, et se moquaient de leur cadette, qui employait la plus grande partie de son temps à lire de bons livres. Comme on savait que ces filles étaient fort riches, plusieurs gros marchands 222 les demandèrent en mariage; mais les deux aînées répondirent qu'elles ne se marieraient jamais, à moins qu'elles ne trouvassent un duc, ou tout au moins un comte. La Belle (car je vous ai dit que c'était le nom de la plus jeune), la Belle, dis-je, remercia bien honnêtement ceux qui voulaient l'épouser; mais elle leur dit qu'elle était trop jeune, et qu'elle souhaitait de tenir compagnie à son père pendant quelques années. Tout d'un coup, le marchand perdit son bien, et il ne lui resta qu'une petite maison de campagne, bien loin de la ville. Il dit en pleurant à ses enfants qu'il fallait aller demeurer dans cette maison, et qu'en travaillant comme des paysans, ils y pourraient vivre. Ses deux filles aînées répondirent qu'elles ne voulaient pas quitter la ville, et qu'elles avaient plusieurs amants, qui seraient trop heureux de les épouser, quoiqu'elles n'eussent plus de fortune. Les bonnes demoiselles se trompaient; leurs amants ne voulurent plus les regarder quand elles furent pauvres. Comme personne ne les aimait, à cause de leur fierté, on disait: Elles ne méritent pas qu'on les plaigne; nous sommes bien aises de voir leur orgueil abaissé; qu'elles aillent faire les dames en gardant les moutons. Mais, en même temps, toute le monde disait: Pour la Belle, nous sommes bien fâchés de son malheur; c'est une si bonne fille! elle parlait aux pauvres gens avec tant de bonté! elle était si douce, si honnête! Il y eut même plusieurs gentilshommes, qui voulurent l'épouser, quoiqu'elle n'eût pas un sou: mais elle leur dit qu'elle ne pouvait se résoudre à abandonner son pauvre père dans son malheur, et qu'elle le suivrait à la campagne pour le consoler et lui aider à travailler. La pauvre Belle avait été bien affligée d'abord, de perdre sa fortune, mais elle s'était dit à elle-même: Quand je pleurerai bien fort, cela ne me rendra pas mon bien; il faut tâcher d'être heureuse sans fortune. Quand ils furent arrivés à leur maison de campagne, le marchand et ses trois fils s'occupèrent à labourer la terre. La Belle se levait à quatre heures du matin, et se dépêchait de nettoyer la maison, d'apprêter à dîner pour la famille. Elle eut d'abord beaucoup de peine, car elle n'était pas accoutumée à travailler comme une servante; mais au bout de deux mois, elle devint plus forte, et la fatigue lui donna une santé parfaite. Quand elle avait fait son ouvrage, elle lisait, elle jouait du clavecin, ou bien, elle chantait en filant. Ses deux soeurs, au contraire, s'ennuyaient 223 à la mort; elles se levaient à dix heures du matin, se promenaient toute la journée, et s'amusaient à regretter leurs beaux habits et les compagnies. Voyez notre cadette, disaient-elles entre elles; elle a l'âme basse, et est si stupide, qu'elle est contente de sa malheureuse situation. Le bon marchand ne pensait pas comme ses filles. Il savait que la Belle était plus propre 224 que ses soeurs à briller dans les compagnies. Il admirait la vertu de cette jeune fille, et surtout sa patience; car ses soeurs, non contentes de lui laisser faire tout l'ouvrage de la maison, l'insultaient à tout moment.

Il y avait un an que cette famille vivait dans la solitude, lorsque le marchand reçut une lettre, par laquelle on lui mandait, 225 qu'un vaisseau, sur lequel il avait des marchandises, venait d'arriver heureusement. Cette nouvelle pensa tourner la tête à ses deux aînées, qui pensaient qu'à la fin elles pourraient quitter cette campagne, où elles s'ennuyaient tant; et quand elles virent leur père prêt à partir, elles le prièrent de leur apporter des robes, des palatines, des coiffures, et toutes sortes de bagatelles. La Belle ne lui demandait rien; car elle pensait en elle-même que tout l'argent des marchandises ne suffirait pas pour acheter ce que ses soeurs souhaitaient. Tu ne me pries pas de t'acheter quelque chose, lui dit son père. Puisque vous avez la bonté de penser à moi, lui dit-elle, je vous prie de m'apporter une rose, car il n'en vient point ici. Ce n'est pas que la Belle se souciât d'une rose; mais elle ne voulait pas condamner par son exemple la conduite de ses soeurs, qui auraient dit que c'était pour se distinguer qu'elle ne demandait rien. Le bonhomme partit; mais quand il fut arrivé, on lui fit un procès 226 pour ses marchandises; et après avoir eu beaucoup de peine, il revint aussi pauvre qu'il était auparavant. Il n'avait plus que trente milles pour arriver à sa maison, et il se réjouissait déjà du plaisir de voir ses enfants; mais comme il fallait passer un grand bois avant de trouver sa maison, il se perdit. Il neigeait horriblement; le vent était si grand, qu'il le jeta deux fois en bas de son cheval; et la nuit étant venue, il pensa qu'il mourrait de faim ou de froid, ou qu'il serait mangé des loups, qu'il entendait hurler autour de lui. Tout d'un coup, en regardant au bout d'une longue allée d'arbres, il vit une grande lumière, mais qui paraissait bien éloignée. Il marcha de ce côté-là, et vit que cette lumière sortait d'un grand palais, qui était tout illuminé. Le marchand remercia Dieu du secours qu'il lui envoyait, et se hâta d'arriver à ce château; mais il fut bien surpris de ne trouver personne dans les cours. Son cheval, qui le suivait, voyant une grande écurie ouverte, entra dedans, et ayant trouvé du foin et de l'avoine, le pauvre animal, qui mourait de faim, se jeta dessus avec beaucoup d'avidité. Le marchand l'attacha dans l'écurie, et marcha vers la maison, où il ne trouva personne; mais étant entré dans une grande salle, il y trouva un bon feu, et une table chargée de viandes, où il n'y avait qu'un couvert. Comme la pluie et la neige l'avaient mouillé jusqu'aux os, il s'approcha du feu pour se sécher, et disait en lui-même: Le maître de la maison ou ses domestiques me pardonneront la liberté que j'ai prise, et sans doute ils viendront bientôt. Il attendit pendant un temps considérable; mais onze heures ayant sonné sans qu'il vît personne, il ne put résister à la faim, et prit un poulet, qu'il mangea en deux bouchées et en tremblant. Il but aussi quelques coups 227 de vin, et, devenu plus hardi, il sortit de la salle, et traversa plusieurs grands appartements, magnifiquement meublés. A la fin, il trouva une chambre, où il y avait un bon lit, et comme il était minuit passé, et qu'il était las, il prit le parti de fermer la porte et de se coucher.

 

Il était dix heures du matin quand il se leva le lendemain, et il fut bien surpris de trouver un habit fort propre, à la place du sien, qui était tout gâté. Assurément, dit-il en lui-même, ce palais appartient à quelque bonne fée, qui a eu pitié de ma situation. Il regarda par la fenêtre, et ne vit plus de neige, mais des berceaux de fleurs qui enchantaient la vue. Il rentra dans la grande salle où il avait soupé la veille, et vit une petite table où il y avait du chocolat. Je vous remercie, madame la fée, dit-il tout haut, d'avoir eu la bonté de penser à mon déjeuner. Le bonhomme, après avoir pris son chocolat, sortit pour aller chercher son cheval, et comme il passait sous un berceau 228 de roses, il se souvint que la Belle lui en avait demandé, et cueillit une branche, où il y en avait plusieurs. En même temps, il entendit un grand bruit, et vit venir à lui une bête si horrible, qu'il fut tout près de s'évanouir.

Vous êtes bien ingrat! lui dit la bête d'une voix terrible; je vous ai sauvé la vie en vous recevant dans mon château, et, pour ma peine, vous me volez mes roses, que j'aime mieux que toutes choses au monde! Il faut mourir pour réparer cette faute; je ne vous donne qu'un quart d'heure pour demander pardon à Dieu. Le marchand se jeta à genoux, et dit à la bête, en joignant les mains: Monseigneur, pardonnez-moi; je ne croyais pas vous offenser en cueillant une rose pour une de mes filles qui m'en avait demandé. Je ne m'appelle point monseigneur, répondit le monstre, mais la Bête. Je n'aime pas les compliments, moi, je veux qu'on dise ce que l'on pense; ainsi, ne croyez pas me toucher par vos flatteries. Mais vous m'avez dit que vous aviez des filles; je veux bien vous pardonner, à condition qu'une de vos filles vienne volontairement pour mourir à votre place. Ne me raisonnez pas; partez; et si vos filles refusent de mourir pour vous, jurez que vous reviendrez dans trois mois. Le bonhomme n'avait pas dessein de sacrifier une de ses filles à ce vilain monstre; mais il pensa: Au moins, j'aurai le plaisir de les embrasser encore une fois. Il jura donc de revenir, et la Bête lui dit qu'il pouvait partir quand il voudrait. Mais, ajouta-t-elle, je ne veux pas que tu t'en ailles les mains vides. Retourne dans la chambre où tu as couché: tu y trouveras un grand coffre vide; tu peux y mettre tout ce qu'il te plaira, je le ferai porter chez toi. En même temps la Bête se retira; et le bonhomme dit en lui-même: S'il faut que je meure, j'aurai la consolation de laisser du pain à mes pauvres enfants.

Il retourna dans la chambre où il avait couché, et y ayant trouvé une grande quantité de pièces d'or, il en remplit le grand coffre dont la Bête lui avait parlé, le ferma, et ayant repris son cheval, qu'il retrouva dans l'écurie, il sortit de ce palais avec une tristesse égale à la joie qu'il avait lorsqu'il y était entré. Son cheval prit de lui-même une des routes de la forêt, et en peu d'heures le bonhomme arriva dans sa petite maison. Ses enfants se rassemblèrent autour de lui; mais au lieu d'être sensible à leurs caresses, le marchand se mit à pleurer en les regardant. Il tenait à la main la branche de roses, qu'il apportait à la Belle. Il la lui donna, et lui dit: La Belle, prenez ces roses; elles coûteront bien cher à votre malheureux père. Et tout de suite il raconta à sa famille la funeste aventure qui lui était arrivée. A ce récit, ses deux aînées jetèrent de grands cris, et dirent des injures à la Belle, qui ne pleurait point. Voyez ce que produit l'orgueil de cette petite créature, disaient-elles; que ne demandait-elle des ajustements comme nous? Mais non, mademoiselle voulait se distinguer. Elle va causer la mort de notre père, et elle ne pleure pas. Cela serait fort inutile, reprit la Belle; pourquoi pleurerais-je la mort de mon père? il ne périra point. Puisque le monstre veut bien accepter une de ses filles, je veux me livrer à toute sa furie, et je me trouve fort heureuse, puisqu'en mourant, j'aurai la joie de sauver mon père, et de lui prouver ma tendresse. Non, ma soeur, lui dirent ses trois frères, vous ne mourrez pas; nous irons trouver ce monstre, et nous périrons sous ses coups, si nous ne pouvons le tuer. Ne l'espérez pas, mes enfants, leur dit le marchand; la puissance de cette Bête est si grande, qu'il ne me reste aucune espérance de la faire périr. Je suis charmé du bon coeur de la Belle; mais je ne veux pas l'exposer à la mort. Je suis vieux, il ne me reste que peu de temps à vivre; ainsi, je ne perdrai que quelques années de vie, que je ne regrette qu'à cause de vous, mes chers enfants. Je vous assure, mon père, lui dit la Belle, que vous n'irez pas à ce palais sans moi; vous ne pouvez m'empêcher de vous suivre. Quoique je sois jeune, je ne suis pas fort attachée à la vie, et j'aime mieux être dévorée par ce monstre que de mourir du chagrin que me donnerait votre perte. On eut beau dire, la Belle voulut absolument partir pour le beau palais, et ses soeurs en étaient charmées; parce que les vertus de cette cadette leur avaient inspiré beaucoup de jalousie. Le marchand était si occupé de la douleur de perdre sa fille, qu'il ne pensait pas au coffre qu'il avait rempli d'or; mais, aussitôt qu'il se fut enfermé dans sa chambre pour se coucher, il fut bien étonné de le trouver à la ruelle de son lit. Il résolut de ne point dire à ses enfants qu'il était devenu si riche; parce que ses filles auraient voulu retourner à la ville, et qu'il était résolu de mourir dans cette campagne: mais il confia ce secret à la Belle, qui lui apprit qu'il était venu quelques gentilshommes pendant son absence, et qu'il y en avait deux qui aimaient ses soeurs. Elle pria son père de les marier; car elle était si bonne, qu'elle les aimait, et leur pardonnait de tout son coeur le mal qu'elles lui avaient fait. Ces deux méchantes filles se frottèrent les yeux avec un oignon pour pleurer lorsque la Belle partit avec son père; mais ses frères pleuraient tout de bon, 229 aussi bien que le marchand: il n'y avait que la Belle qui ne pleurait point, parce qu'elle ne voulait pas augmenter leur douleur. Le cheval prit la route du palais; et sur le soir, ils l'aperçurent illuminé, comme la première fois. Le cheval fut tout seul à l'écurie, et le bonhomme entra avec sa fille dans la grande salle, où ils trouvèrent une table, magnifiquement servie, avec deux couverts. Le marchand n'avait pas le coeur de manger; mais la Belle, s'efforçant de paraître tranquille, se mit à table, et le servit; puis elle disait en elle-même: La Bête veut m'engraisser avant de me manger, puisqu'elle me fait si bonne chère. Quand ils eurent soupé, ils entendirent un grand bruit, et le marchand dit adieu à sa pauvre fille en pleurant; car il pensait que c'était la Bête. La Belle ne put s'empêcher de frémir en voyant cette horrible figure: mais elle se rassura de son mieux; et le monstre lui ayant demandé si c'était de bon coeur qu'elle était venue, elle lui dit, en tremblant, qu'oui. Vous êtes bien bonne, dit la Bête, et je vous suis bien obligée. Bonhomme partez demain matin, et ne vous avisez jamais de revenir ici. Adieu, la Belle. Adieu, la Bête, répondit-elle. Et tout de suite le monstre se retira. Ah! ma fille! dit le marchand en embrassant la Belle, je suis à demi mort de frayeur. Croyez-moi, laissez-moi ici. Non, mon père, lui dit la Belle avec fermeté, vous partirez demain matin, et vous m'abandonnerez au secours du ciel; peut-être aura-t-il pitié de moi. Ils furent se coucher, et croyaient ne pas dormir de toute la nuit; mais à peine furent-ils dans leurs lits, que leurs yeux se fermèrent. Pendant son sommeil, la Belle vit une dame qui lui dit: Je suis contente de votre bon coeur, la Belle; la bonne action que vous faites en donnant votre vie, pour sauver celle de votre père, ne demeurera point sans récompense. La Belle, en s'éveillant, raconta ce songe à son père; et quoiqu'il le consolât un peu, cela ne l'empêcha pas de jeter de grands cris quand il fallut se séparer de sa chère fille.

222Gros marchands, rich merchants.
223S'ennuyaient, were weary.
224était plus propre, was better fitted.
225Ou lui mandait, he was informed.
226on lui fit un procès, he had a lawsuit.
227Quelques coups, a few glasses.
228un berceau, an arbor.
229Pleuraient tout de bon, wept in reality.

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