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Le Cabinet des Fées

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L'ambassadeur Bécafigue avançait en toute diligence vers la ville capitale où le père de Désirée faisait son séjour; il se jeta aux pieds du roi et de la reine: il versa beaucoup de larmes, et leur dit, dans les termes les plus touchants, que le prince Guerrier mourrait s'ils lui retardaient plus longtemps le plaisir de voir la princesse leur fille; qu'il ne s'en fallait plus que de trois mois qu'elle n'eût quinze ans; qu'il ne lui pouvait rien arriver de fâcheux dans un espace si court; qu'il prenait la liberté de les avertir qu'une si grande crédulité pour de petites fées faisait tort à la majesté royale; enfin il harangua si bien, qu'il eut le don de persuader. On pleura avec lui, se représentant le triste état où le jeune prince était réduit, et puis on lui dit qu'il fallait quelques jours pour se déterminer et lui répondre. Il repartit qu'il ne pouvait donner que quelques heures; que son maître était à l'extrémité; qu'il s'imaginait que la princesse le haïssait, et que c'était elle qui retardait son voyage; on l'assura donc que le soir il saurait ce qu'on pouvait faire.

La reine courut au palais de sa chère fille: elle lui conta tout ce qui se passait. Désirée sentit alors une douleur sans pareille, son coeur se serra, elle s'évanouit; et la reine connut les sentiments qu'elle avait pour le prince. Ne vous affligez point, ma chère enfant, lui dit-elle, vous pouvez tout pour sa guérison; je ne suis inquiète que pour les menaces que la fée de la fontaine fit à votre naissance: je me flatte, madame, répliqua-t-elle, qu'en prenant quelques mesures nous tromperons la méchante fée. Par exemple, ne pourrais-je pas aller dans un carrosse tout fermé où je ne verrais point le jour? on l'ouvrirait la nuit pour nous donner à manger: ainsi j'arriverais heureusement chez le prince Guerrier.

La reine goûta beaucoup cet expédient, elle en fit part au roi, qui l'approuva aussi; de sorte qu'on envoya dire à Bécafigue de venir promptement, et il reçut des assurances certaines que la princesse partirait au plus tôt; qu'ainsi il n'avait qu'à s'en retourner, pour donner cette bonne nouvelle à son maître, et que, pour se hâter davantage, on négligerait de lui faire l'équipage et les riches habits qui convenaient à son rang. L'ambassadeur, transporté de joie, se jeta encore aux pieds de leurs majestés pour les remercier; il partit ensuite sans avoir vu la princesse.

La séparation du roi et de la reine lui aurait semblé insupportable si elle avait été moins prévenue en faveur du prince; mais il est de certains sentiments qui étouffent presque tous les autres. On lui fit un carrosse de velours vert par dehors, orné de grandes plaques d'or, et par dedans de brocart argent et couleur de rose rebrodé. Il n'y avait aucunes glaces, il était fort grand, il fermait mieux qu'une boîte, et un seigneur des premiers du royaume fut chargé des clefs qui ouvraient les serrures qu'on avait mises aux portières.

 
Autour d'elle on voyait les Grâces,
Les Ris, les Plaisirs et les Jeux.
Et les Amours respectueux,
Empressés à suivre ses traces.
Elle avait l'air majestueux,
Avec une douceur céleste.
Elle s'attirait tous les voeux,
Sans conter ici tout le reste.
Elle avait les mêmes attraits
Que fit briller Adélaïde
Quand, l'Hymen lui servant de guide,
Elle vint dans ces lieux pour cimenter la paix.
 

On nomma peu d'officiers pour l'accompagner, afin qu'une nombreuse suite n'embarrassât point; et après lui avoir donné les plus belles pierreries du monde et quelques habits très-riches, après, dis-je, des adieux qui pensèrent faire étouffer le roi, la reine et toute la cour, à force de pleurer, on l'enferma dans le carrosse sombre avec ses dames d'honneur, Longue Epine et Giroflée.

On a peut-être oublié que Longue Epine n'aimait point la princesse Désirée; mais elle aimait fort le prince Guerrier, car elle avait vu son portrait parlant. Le trait qui l'avait blessée était si vif, qu'étant sur le point de partir, elle dit à sa mère qu'elle mourrait si le mariage de la princesse s'accomplissait, et que si elle voulait la conserver, il fallait absolument qu'elle trouvât un moyen de rompre cette affaire. La dame d'honneur lui dit de ne se point affliger, qu'elle tâcherait de remédier à sa peine en la rendant heureuse.

Lorsque la reine envoya sa chère enfant, elle la recommanda au delà de tout ce qu'on peut dire à cette mauvaise femme. Quel dépôt ne vous confié-je pas! lui dit-elle: c'est plus que ma vie. Prenez soin de la santé de ma fille; mais surtout soyez soigneuse d'empêcher qu'elle ne voie le jour, tout serait perdu: vous savez de quels maux elle est menacée, et je suis convenue avec l'ambassadeur du prince Guerrier que, jusqu'à ce qu'elle ait quinze ans, on la mettrait dans un château, où elle ne verra aucune lumière que celles des bougies. La reine combla cette dame de présents, pour l'engager à une plus grande exactitude. Elle lui promit de veiller à la conservation de la princesse, et de lui en rendre bon compte aussitôt qu'elles seraient arrivées.

Ainsi le roi et la reine, se reposant sur ses soins, n'eurent point d'inquiétude pour leur chère fille; cela servit en quelque façon à modérer la douleur que son éloignement leur causait; mais Longue Epine, qui apprenait tous les soirs, par les officiers de la princesse qui ouvraient le carrosse pour lui servir à souper, que l'on approchait de la ville où elles étaient attendues, pressait sa mère d'exécuter son dessein, craignant que le roi ou le prince ne vinssent au-devant d'elle, et qu'il ne fût plus temps; de sorte qu'environ l'heure de midi, où le soleil darde ses rayons avec force, elle coupa tout d'un coup l'impériale du carrosse où elles étaient renfermées, avec un grand couteau fait exprès, qu'elle avait apporté. Alors, pour la première fois, la princesse Désirée vit le jour. A peine l'eut-elle regardé, et poussé un profond soupir, qu'elle se précipita du carrosse sous la forme d'une biche blanche, et se mit à courir jusqu'à la forêt prochaine, où elle s'enfonça dans un lieu sombre, pour y regretter sans témoins la charmante figure qu'elle venait de perdre.

La fée de la fontaine, qui conduisait cette étrange aventure, voyant que tous ceux qui accompagnaient la princesse se mettaient en devoir, les uns de la suivre et les autres d'aller à la ville pour avertir le prince Guerrier du malheur qui venait d'arriver, sembla aussitôt bouleverser la nature; les éclairs et le tonnerre effrayèrent les plus assurés, et par son merveilleux savoir elle transporta tous ces gens fort loin, afin de les éloigner du lieu où leur présence lui déplaisait.

Il ne resta que la dame d'honneur, Longue Epine et Giroflée. Celle-ci courut après sa maîtresse, faisant retentir les bois et les rochers de son nom et de ses plaintes. Les deux autres, ravies d'être en liberté, ne perdirent pas un moment à faire ce qu'elles avaient projeté. Longue Epine mit les plus riches habits de Désirée. Le manteau royal qui avait été fait pour ses noces était d'une richesse sans pareille, et la couronne avait des diamants deux ou trois fois gros comme le poing. Son sceptre était d'un seul rubis; le globe qu'elle tenait de l'autre main, d'une perle plus grosse que la tête; cela était rare et très-lourd à porter: mais il fallait persuader qu'elle était la princesse, et ne rien négliger de tous les ornements royaux.

En cet équipage, Longue Epine, suivie de sa mère, qui portait la queue de son manteau, s'achemine vers la ville. Cette fausse princesse marchait gravement. Elle ne doutait pas que l'on ne vînt les recevoir; et en effet elles n'étaient guère avancées, quand elles aperçurent un gros de cavalerie, et au milieu, deux litières brillantes d'or et de pierrerie, portées par des mulets ornés de longs panaches de plumes vertes (c'était la couleur favorite de la princesse). Le roi, qui était dans l'une, et le prince malade dans l'autre, ne savaient que juger de ces dames qui venaient à eux. Les plus empressés galopèrent vers elles, et jugèrent, par la magnificence de leurs habits, qu'elles devaient être des personnes de distinction. Ils mirent pied à terre, et les abordèrent respectueusement. Obligez-moi de m'apprendre, leur dit Longue Epine; qui est dans ces litières. Mesdames, répliquèrent-ils, c'est le roi et le prince son fils, qui viennent au-devant de la princesse Désirée. Allez, je vous prie, leur dire, continua-t-elle, que la voici; une fée jalouse de mon bonheur a dispersé tous ceux qui m'accompagnaient, par une centaine de coups de tonnerre, d'éclairs et de prodiges surprenants: mais voici ma dame d'honneur, qui est chargée des lettres du roi mon père et de mes pierreries.

Aussitôt ces cavaliers baisèrent le bas de sa robe, et allèrent en diligence annoncer au roi que la princesse approchait. Comment! s'écria-t-il, elle vient à pied en plein jour! Ils lui racontèrent ce qu'elle leur avait dit. Le prince, brûlant d'impatience, les appela, et sans leur faire aucunes questions: Avouez, leur dit-il, que c'est un prodige de beauté, un miracle, une princesse toute accomplie. Ils ne répondirent rien, et surprirent le prince. Pour avoir trop à louer, continua-t-il, vous aimez mieux vous taire? Seigneur, vous l'allez voir, lui dit le plus hardi d'entre eux; apparemment que la fatigue du voyage l'a changée. Le prince demeura surpris; s'il avait été moins faible, il se serait précipité de la litière pour satisfaire son impatience et sa curiosité. Le roi descendit de la sienne, et, s'avançant avec toute la cour, il joignit la fausse princesse: mais aussitôt qu'il eut jeté les yeux sur elle, il poussa un grand cri, et reculant quelques pas: Que vois-je? dit-il. Quelle perfidie! Sire, dit la dame d'honneur en s'avançant hardiment, voici la princesse Désirée, avec les lettres du roi et de la reine; je remets aussi entre vos mains la cassette de pierreries dont ils me chargèrent en partant.

 

Le roi gardait à tout cela un morne silence, et le prince, s'appuyant sur Bécafigue, s'approcha de Longue Epine. O dieux! que devint-il après avoir considéré cette fille, dont la taille extraordinaire faisait peur. Elle était si grande, que les habits de la princesse lui couvraient à peine les genoux. Sa maigreur était affreuse. Son nez, plus crochu que celui d'un perroquet, brillait d'un rouge luisant. Il n'a jamais été de dents plus noires et plus mal rangées. Enfin, elle était aussi laide que Désirée était belle.

Le prince, qui n'était occupé que de la charmante idée de sa princesse, demeura transi et comme immobile à la vue de celle-ci; il n'avait pas la force de proférer une parole, il la regardait avec étonnement, et s'adressant ensuite au roi: Je suis trahi, lui dit-il. Ce merveilleux portrait sur lequel j'engageai ma liberté n'a rien de la personne qu'on nous envoie; l'on a cherché à nous tromper, l'on y a réussi, il m'en coûtera la vie. Comment l'entendez-vous, seigneur? dit Longue Epine: on a cherché à vous tromper? Sachez que vous ne le serez jamais en m'épousant. Son effronterie et sa fierté n'avaient pas d'exemple. La dame d'honneur renchérissait encore par-dessus. Ah! ma belle princesse! s'écriait-elle; où sommes-nous venues? est-ce ainsi que l'on reçoit une personne de votre rang? Quelle inconstance! quel procédé! Le roi votre père en saura bien tirer raison. C'est nous qui nous la ferons faire; répliqua le roi. Il nous avait promis une belle princesse, il nous envoie un squelette, une momie qui fait peur; je ne m'étonne plus qu'il ait gardé ce beau trésor caché pendant quinze ans, il voulait attraper quelque dupe; c'est sur nous que le sort a tombé; mais il n'est pas impossible de s'en venger.

Quels outrages! s'écria la fausse princesse: ne suis-je pas bien malheureuse d'être venue sur la parole de tels gens? Voyez que l'on a grand tort de s'être fait peindre un peu plus belle que l'on est: cela n'arrive-t-il pas tous les jours? Si pour tels inconvénients les princes renvoyaient leurs fiancées, peu se marieraient.

Le roi et le prince, transportés de colère, ne daignèrent pas lui répondre: ils remontèrent chacun dans leur litière; et sans autre cérémonie, un garde du corps mit la princesse en trousse derrière lui, et la dame d'honneur fut traitée de même; on les mena dans la ville, et par ordre du roi elles furent enfermées dans le château des Trois Pointes.

Le prince Guerrier avait été si accablé du coup qui venait de le frapper, que son affliction s'était toute renfermée dans son coeur. Lorsqu'il eut assez de force pour se plaindre, que ne dit-il pas sur sa cruelle destinée! Il était toujours amoureux, et n'avait pour tout objet de sa passion qu'un portrait. Ses espérances ne subsistaient plus; toutes les idées si charmantes qu'il s'était faites sur la princesse Désirée se trouvaient échouées; il aurait mieux aimé mourir que d'épouser celle qu'il prenait pour elle; enfin jamais désespoir n'a été égal au sien. Il ne pouvait plus souffrir la cour, et il résolut, dès que sa santé put le lui permettre, de s'en aller secrètement, et de se rendre dans quelque lieu solitaire pour y passer le reste de sa triste vie.

Il ne communiqua son dessein qu'au fidèle Bécafigue, il était bien persuadé qu'il le suivrait partout, et il le choisit pour parler avec lui plus souvent qu'avec un autre du mauvais tour qu'on lui avait joué. A peine commença-t-il à se porter mieux, qu'il partit, et laissa une grande lettre pour le roi, sur la table de son cabinet, l'assurant qu'aussitôt que son esprit serait un peu tranquillisé, il reviendrait auprès de lui; mais qu'il le suppliait, en attendant, de penser à leur commune vengeance, et de retenir toujours la laide princesse prisonnière.

Il est aisé de juger de la douleur qu'eut le roi lorsqu'il reçut cette lettre. La séparation d'un fils si cher pensa le faire mourir. Pendant que tout le monde était occupé à le consoler, le prince et Bécafigue s'éloignaient, et au bout de trois jours ils se trouvèrent dans une vaste forêt, si sombre par l'épaisseur des arbres, si agréable par la fraîcheur de l'herbe et des ruisseaux qui coulaient de tous côtés, que le prince, fatigué de la longueur du chemin, car il était encore malade, descendit de cheval et se jeta tristement sur la terre, sa main sous sa tête, ne pouvant presque parler, tant il était faible. Seigneur, lui dit Bécafigue, pendant que vous allez vous reposer, je vais chercher quelques fruits pour vous rafraîchir, et reconnaître un peu le lieu où nous sommes. Le prince ne lui répondit rien; il lui témoigna seulement par un signe qu'il le pouvait.

Il y a longtemps que nous avons laissé la Biche au Bois, je veux parler de l'incomparable princesse. Elle pleura en biche désolée lorsqu'elle vit sa figure dans une fontaine qui lui servait de miroir. Quoi! c'est moi, disait-elle; c'est aujourd'hui que je me trouve réduite à subir la plus étrange aventure qui puisse arriver du règne des fées à une innocente princesse telle que je suis! Combien durera ma métamorphose? Où me retirer pour que les lions, les ours et les loups ne me dévorent point? Comment pourrai-je manger de l'herbe? Enfin elle se faisait mille questions, et ressentait la plus cruelle douleur qu'il est possible. Il est vrai que si quelque chose pouvait la consoler, c'est qu'elle était une aussi belle biche qu'elle avait été belle princesse.

La faim pressant Désirée, elle brouta l'herbe de bon appétit, et demeura surprise que cela pût être. Ensuite elle se coucha sur la mousse; la nuit la surprit; elle la passa avec des frayeurs inconcevables. Elle entendait les bêtes féroces proche d'elle; et souvent, oubliant qu'elle était biche, elle essayait de grimper sur un arbre. La clarté du jour la rassura un peu; elle admirait sa beauté; et le soleil lui paraissait quelque chose de si merveilleux, qu'elle ne se lassait point de le regarder: tout ce qu'elle en avait entendu dire lui semblait fort au-dessous de ce qu'elle voyait: c'était l'unique consolation qu'elle pouvait trouver dans un lieu si désert: elle y resta toute seule pendant plusieurs jours.

La fée Tulipe, qui avait toujours aimé cette princesse, ressentait vivement son malheur; mais elle avait un véritable dépit que la reine et elle eussent fait si peu de cas de ses avis; car elle leur dit plusieurs fois que si la princesse partait avant que d'avoir quinze ans, elle s'en trouverait mal. Cependant elle ne voulait point l'abandonner aux furies de la fée de la fontaine, et ce fut elle qui conduisit les pas de Giroflée vers la forêt, afin que cette nouvelle confidente pût la consoler dans sa terrible disgrâce.

Cette belle Biche paissait doucement le long d'un ruisseau, quand Giroflée, qui ne pouvait presque plus marcher, se coucha pour se reposer. Elle rêvait tristement de quel côté elle pourrait aller pour trouver sa chère princesse. Lorsque la Biche l'aperçut, elle franchit tout d'un coup le ruisseau, qui était large et profond; elle vint se jeter sur Giroflée et lui faire mille caresses. Elle en demeura surprise; elle ne savait si les bêtes de ce canton avaient quelque amitié particulière pour les hommes, qui les rendissent humaines, ou si elle la connaissait; car enfin il était fort singulier qu'une biche s'avisât de faire si bien les honneurs de la forêt.

Elle la regarda attentivement, et vit avec une extrême surprise, de grosses larmes qui coulaient de ses yeux: elle ne douta plus que ce ne fût sa chère princesse. Elle prit ses pieds, elle les baisa avec autant de respect et de tendresse qu'elle aurait baisé ses mains. Elle lui parla, et connut que la Biche l'entendait, mais qu'elle ne pouvait lui répondre; les larmes et les soupirs redoublèrent de part et d'autre. Giroflée promit à sa maîtresse qu'elle ne la quitterait point; la Biche lui fit mille petits signes de la tête et des yeux, qui marquaient qu'elle en serait très-aise, et qu'elle la consolerait d'une partie de ses peines.

Elles étaient demeurées presque tout le jour ensemble. Bichette eut peur que sa fidèle Giroflée n'eût besoin de manger: elle la conduisit dans un endroit de la forêt où elle avait remarqué des fruits sauvages, qui ne laissaient pas d'être bons. Elle en prit quantité, car elle mourait de faim; mais après que sa collation fut finie, elle tomba dans une grande inquiétude, ne sachant où elles se retireraient pour dormir; car de rester au milieu de la forêt, exposées à tous les périls qu'elles pouvaient courir, il n'était pas possible de s'y résoudre. N'êtes-vous point effrayée, charmante Biche, lui dit-elle, de passer la nuit ici? La Biche leva les yeux vers le ciel, et soupira. Mais, continua Giroflée, vous avez déjà parcouru une partie de cette vaste solitude: n'y a-t-il point de maisonnettes, un charbonnier, un bûcheron, un ermitage? La Biche marqua, par les mouvements de sa tête, qu'elle n'avait rien vu. O dieux! s'écria Giroflée, je ne serai pas en vie demain: quand j'aurais le bonheur d'éviter les tigres et les ours, je suis certaine que la peur suffit pour me tuer. Et ne croyez pas, au reste, ma chère princesse, que je regrette la vie par rapport à moi, je la regrette par rapport à vous. Hélas! vous laisser dans ces lieux dépourvue de toute consolation! se peut-il rien de plus triste? La petite Biche se prit à pleurer, elle sanglotait presque comme une personne.

Ses larmes touchèrent la fée Tulipe, qui l'aimait tendrement; malgré sa désobéissance, elle avait toujours veillé à sa conversation; et paraissant tout d'un coup: Je ne veux point vous gronder, lui dit-elle; l'état où je vous vois me fait trop de peine. Bichette et Giroflée l'interrompirent en se jetant à ses genoux: la première lui baisait les mains, et la caressait le plus joliment du monde, l'autre la conjurait d'avoir pitié de la princesse, et de lui rendre sa figure naturelle. Cela ne dépend pas de moi, dit Tulipe, celle qui lui fait tant de mal a beaucoup de pouvoir; mais j'accourcirai le temps de sa pénitence, et pour l'adoucir, aussitôt que la nuit laissera sa place au jour, elle quittera sa forme de Biche; mais à peine l'aurore paraîtra-t-elle, qu'il faudra qu'elle la reprenne, et qu'elle coure les plaines et les forêts comme les autres.

C'était déjà beaucoup de cesser d'être Biche pendant la nuit, la princesse témoigna sa joie par des sauts et des bonds qui réjouirent Tulipe. Avancez-vous, leur dit-elle, dans ce petit sentier, vous y trouverez une cabane assez propre pour un endroit champêtre. En achevant ces mots, elle disparut: Giroflée obéit; elle entra avec Bichette dans la route qu'elles voyaient, et trouvèrent une vieille femme assise sur le pas de sa porte, qui achevait un panier d'osier fin. Giroflée la salua. Voudriez-vous, ma bonne mère, lui dit-elle, me retirer avec ma Biche? Il me faudrait une petite chambre: Oui, ma belle fille, répondit-elle, je vous donnerai volontiers une retraite ici: entrez avec votre Biche. Elle les mena aussitôt dans une chambre très-jolie, toute boisée de merisier; il y avait deux petits lits de toile blanche, des draps fins, et tout paraissait si simple et si propre, que la princesse a dit depuis qu'elle n'avait rien trouvé de plus à son gré.

Dès que la nuit fut entièrement venue, Désirée cessa d'être Biche: elle embrassa cent fois sa chère Giroflée; elle la remercia de l'affection qui l'engageait à suivre sa fortune, et lui promit qu'elle rendrait la sienne très-heureuse dès que sa pénitence serait finie.

La vieille vint frapper doucement à leur porte, et, sans entrer, elle donna des fruits excellents à Giroflée, dont la princesse mangea avec grand appétit; ensuite elles se couchèrent; et sitôt que le jour parut, Désirée étant devenue Biche, se mit à gratter à la porte, afin que Giroflée lui ouvrit. Elles se témoignèrent un sensible regret de se séparer, quoique ce ne fût pas pour long-temps, et Bichette s'étant élancée dans le plus épais du bois, elle commença d'y courir à son ordinaire.

J'ai déjà dit que le prince Guerrier s'était arrêté dans la forêt, et que Bécafigue la parcourait pour trouver quelques fruits. Il était assez tard lorsqu'il se rendit à la maisonnette de la bonne vieille dont j'ai parlé. Il lui parla civilement, et lui demanda les choses dont il avait besoin pour son maître. Elle se hâta d'emplir une corbeille et la lui donna: Je crains, dit-elle, que si vous passez le nuit ici sans retraite, il ne vous arrive quelque accident: je vous en offre une bien pauvre, mais au moins elle met à l'abri des lions. Il la remercia, et lui dit qu'il était avec un de ses amis, qu'il allait lui proposer de venir chez elle. En effet, il sut si bien persuader le prince, qu'il se laissa conduire chez cette bonne femme. Elle était encore à sa porte, et, sans faire aucun bruit, elle les mena dans une chambre semblable à celle que la princesse occupait, si proche l'une de l'autre, qu'elles n'étaient séparées que par une cloison.

 

Le prince passa la nuit avec ses inquiétudes ordinaires: dès que les premiers rayons du soleil eurent brillé à ses fenêtres, il se leva; et pour divertir sa tristesse, il sortit dans la forêt, disant à Bécafigue de ne point venir avec lui. Il marcha longtemps sans tenir aucune route certaine: enfin il arriva dans un lieu assez spacieux, couvert d'arbres et de mousses. Aussitôt une Biche en partit. Il ne put s'empêcher de la suivre: son penchant dominant était pour la chasse: mais il n'était plus si vif depuis la passion qu'il avait dans le coeur. Malgré cela, il poursuivit la pauvre Biche, et de temps en temps il lui décochait des traits qui la faisaient mourir de peur, quoiqu'elle n'en fût pas blessée: car son amie Tulipe la garantissait, et il ne fallait pas moins que la main secourable d'une fée pour la préserver de périr sous des coups si justes. On n'a jamais été si lasse que l'était la princesse des Biches: l'exercice qu'elle faisait lui était bien nouveau. Enfin elle se détourna à un sentier si heureusement, que le dangereux chasseur, la perdant de vue, et se trouvant lui-même extrêmement fatigué, ne s'obstina pas à la suivre.

Le jour s'étant passé de cette manière, la Biche vit avec joie l'heure de se retirer; elle tourna ses pas vers la maison où Giroflée l'attendait impatiemment. Dès qu'elle fut dans sa chambre, elle se jeta sur le lit, haletante: elle était toute en nage. Giroflée lui fit mille caresses. Elle mourait d'envie de savoir ce qui lui était arrivé. L'heure de se débichonner étant arrivé, la belle princesse reprit sa forme ordinaire, jetant les bras au cou de sa favorite. Hélas! lui dit-elle, je croyais n'avoir à craindre que la fée de la fontaine et les cruels hôtes des forêts: mais j'ai été poursuive aujourd'hui par un jeune chasseur, que j'ai vu à peine, tant j'étais pressée de fuir: mille traits décochés après moi me menaçaient d'une mort inévitable; j'ignore encore par quel bonheur j'ai pu m'en sauver. Il ne faut plus sortir, ma princesse, répliqua Giroflée: passez dans cette chambre le temps fatal de votre pénitence; j'irai dans la ville la plus proche acheter des livres pour vous divertir; nous lirons les contes nouveaux que l'on a faits sur les fées, nous ferons des vers et des chansons. Tais-toi, ma chère fille, reprit la princesse, la charmante idée du prince Guerrier suffit pour m'occuper agréablement; mais le même pouvoir qui me réduit pendant le jour à la triste condition de Biche me force malgré moi de faire ce qu'elles font; je cours, je saute et je mange l'herbe comme elles: dans ce temps-là une chambre me serait insupportable. Elle était si harassée de la chasse, qu'elle demanda promptement à manger: ensuite ses beaux yeux se fermèrent jusqu'au lever de l'aurore. Dès qu'elle l'aperçut, la métamorphose ordinaire se fit, et elle retourna dans la forêt.

Le prince, de son côté, était venu sur le soir rejoindre son favori. J'ai passé le temps, lui dit-il, à courir après la plus belle Biche que j'aie jamais vue; elle m'a trompé cent fois avec une adresse merveilleuse; j'ai tiré si juste, que je ne comprends point comment elle a évité mes coups: aussitôt qu'il sera jour, j'irai la chercher encore, et ne la manquerai point. En effet, ce jeune prince, qui voulait éloigner de son coeur une idée qu'il croyait chimérique, n'étant pas fâché que la passion de la chasse l'occupât, se rendit de bonne heure dans le même endroit où il avait trouvé la Biche; mais elle se garda bien d'y aller, craignant une aventure semblable à celle qu'elle avait eue. Il jeta les yeux de tous côtés, il marcha longtemps; et comme il s'était échauffé, il fut ravi de trouver des pommes dont la couleur lui fit plaisir: il en cueillit, il en mangea, et presque aussitôt il s'endormit d'un profond sommeil; il se jetta sur l'herbe fraîche, sous des arbres où mille oiseaux semblaient s'être donné rendez-vous.

Dans le temps qu'il dormait, notre craintive Biche, avide des lieux écartés, passa dans celui où il était. Si elle l'avait aperçu plus tôt, elle l'aurait fui; mais elle se trouva si proche de lui, qu'elle ne put s'empêcher de le regarder, et son assoupissement la rassura si bien, qu'elle se donna le loisir de considérer tous ses traits. Ô dieux! que devint-elle quand elle le reconnut! Son esprit était trop rempli de sa charmante idée pour l'avoir perdue en si peu de temps. Amour, amour, que veux-tu donc? faut-il que Bichette, s'expose à perdre la vie par les mains de son amant? Oui, elle s'y expose, il n'y a plus moyen de songer à sa sûreté. Elle se coucha à quelques pas de lui, et ses yeux, ravis de la voir, ne pouvaient s'en détourner un moment: elle soupirait, elle poussait de petits gémissements: enfin, devenant plus hardie, elle s'approcha encore davantage, elle le touchait lorsqu'il s'éveilla.

Sa surprise parut extrême; il reconnut la même Biche qui lui avait donné tant d'exercice, et qu'il avait cherchée longtemps; mais la trouver si familière, lui paraissait une chose rare. Elle n'attendit pas qu'il eût essayé de la prendre, elle s'enfuit de toute sa force, et il la suivit de toute la sienne. De temps en temps ils s'arrêtaient pour reprendre haleine; car la belle Biche était encore lasse d'avoir couru la veille, et le prince ne l'était pas moins qu'elle: mais ce qui ralentissait le plus la fuite de Bichette, hélas! faut-il le dire? c'était la peine de s'éloigner de celui qui l'avait plus blessée par son mérite que par les traits qu'il tirait sur elle. Il la voyait très-souvent qui tournait la tête sur lui, comme pour lui demander s'il voulait qu'elle pérît sous ses coups; et lorsqu'il était sur le point de la joindre, elle faisait de nouveaux efforts pour se sauver. Ah! si tu pouvais m'entendre, petite Biche, lui criait-il, tu ne m'éviterais pas. Je t'aime, je te veux nourrir. Tu es charmante: j'aurai soin de toi. L'air emportait ses paroles, elles n'allaient point jusqu'à elle.

Enfin, après avoir fait tout le tour de la forêt, notre Biche, ne pouvant plus courir, ralentit ses pas, et le prince, redoublant les siens, la joignit avec une joie dont il ne croyait plus être capable; il vit bien qu'elle avait perdu toutes ses forces; elle était couchée comme une pauvre petite bête demi-morte, et elle n'attendait que de voir finir sa vie par les mains de son vainqueur: mais, au lieu de lui être cruel, il se mit à la caresser. Belle Biche, lui dit-il, n'aie point de peur; je veux t'emmener avec moi, et que tu me suives partout. Il coupa exprès des branches d'arbre, il les plia adroitement, il les couvrit de mousses, il y jeta des roses dont quelques buissons étaient chargés. Ensuite il prit la Biche entre ses bras, il appuya sa tête sur son cou, et vint la coucher doucement sur ces ramées; puis il s'assit auprès d'elle, cherchant de temps en temps des herbes fines, qu'il lui présentait, et qu'elle mangeait dans sa main.

Le prince continuait de lui parler, quoiqu'il fût persuadé qu'elle ne l'entendait pas: cependant, quelque plaisir qu'elle eût de le voir, elle s'inquiétait, parce que la nuit s'approchait. Que serait-ce, disait-elle en elle-même, s'il me voyait changer tout d'un coup de forme? il serait effrayé et me fuirait; ou, s'il ne me fuyait pas, que n'aurais-je pas à craindre ainsi seule dans une forêt? Elle ne faisait que penser de quelle manière elle pourrait se sauver, lorsqu'il lui en fournit le moyen; car, ayant peur qu'elle n'eût besoin de boire, il alla voir où il pourrait trouver quelque ruisseau, afin de l'y conduire: pendant qu'il cherchait, elle se déroba promptement, et vint à la maisonnette où Giroflée l'attendait. Elle se jeta encore sur son lit; la nuit vint, sa métamorphose cessa, elle lui apprit son aventure.

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