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Le Cabinet des Fées

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LA BICHE AU BOIS

Il était une fois un roi et une reine dont l'union était parfaite: ils s'aimaient tendrement, et leurs sujets les adoraient; mais, par malheur, ils étaient sans héritier.



Il y avait plusieurs fontaines dans un grand bois où l'on allait boire; elles étaient entourées de marbre et de porphyre, car chacun se piquait de les embellir. Un jour que la reine était assise au bord de la fontaine, elle dit à toutes ses dames de s'éloigner et de la laisser seule; puis elle commença ses plaintes ordinaires: "Ne suis-je pas bien malheureuse, dit-elle, de n'avoir point d'enfants!"



Comme elle parlait ainsi, elle remarqua que l'eau de la fontaine s'agitait; puis une grosse écrevisse parut, et lui dit: "Grande reine, vous aurez enfin ce que vous désirez. Je vous avertis qu'il y a ici proche un palais superbe que les fées ont bâti: mais il est impossible de le trouver, parce qu'il est environné de nuées fort épaisses que l'oeil d'une personne mortelle ne peut pénétrer; cependant, comme je suis votre très-humble servante, si vous voulez vous fier à la conduite d'une pauvre écrevisse, je m'offre de vous y mener."



La reine l'écoutait sans l'interrompre, la nouveauté de voir parler une écrevisse l'ayant fort surprise; elle lui dit qu'elle accepterait avec plaisir ses offres, mais qu'elle ne savait pas aller en reculant comme elle. L'écrevisse sourit, et sur-le-champ elle prit la figure d'une belle petite vieille. "Hé bien, madame, lui dit-elle, n'allons pas à reculons, j'y consens; mais surtout regardez-moi comme une de vos amies, je ne souhaite que ce qui peut vous être avantageux."



Elle sortit de la fontaine sans être mouillée; ses habits étaient blancs, doublés de cramoisi, et ses cheveux gris tous renoués de rubans verts. Il ne s'est guère vu de vieille dont l'air fût plus galant; elle salua la reine, et elle en fut embrassée; et sans tarder davantage, elle la conduisit dans une route du bois qui surprit cette princesse: car, encore qu'elle y fût venue mille et mille fois, elle n'était jamais entrée dans celle-là. Comment y serait-elle entrée? c'était le chemin des fées pour aller à la fontaine: il était ordinairement fermé de ronces et d'épines; mais quand la reine et sa conductrice parurent, aussitôt les rosiers poussèrent des roses, les jasmins et les orangers entrelacèrent leurs branches pour faire un berceau couvert de feuilles et de fleurs; la terre fut couverte de violettes; mille oiseaux différents chantaient à l'envi sur les arbres.



La reine n'était pas encore revenue de sa surprise, lorsque ses yeux furent frappés par l'éclat sans pareil d'un palais tout de diamants: les murs et les toits, les plafonds, les planchers, les degrés, les balcons, jusqu'aux terrasses, tout était de diamants. Dans l'excès de son admiration, elle ne put s'empêcher de pousser un grand cri et de demander à la galante vieille qui l'accompagnait, si ce qu'elle voyait était un songe ou une réalité. "Rien n'est plus réel, madame," répliqua-t-elle. Aussitôt les portes du palais s'ouvrirent, il en sortit six fées; mais quelles fées! les plus belles et les plus magnifiques qui aient jamais paru dans leur empire. Elles vinrent toutes faire une profonde révérence à la reine, et chacune lui présenta une fleur de pierreries pour lui faire un bouquet; il y avait une rose, une tulipe, une anémone, une ancolie, une oeillet et une grenade. "Madame, lui dirent-elles, nous ne pouvons pas vous donner une plus grande marque de notre considération qu'en vous permettant de nous venir voir ici; mais nous sommes bien aises de vous annoncer que vous aurez une belle princesse, que vous nommerez Désirée: car l'on doit avouer qu'il y a longtemps que vous la désirez. Ne manquez pas, aussitôt qu'elle sera au monde, de nous appeler, parce que nous voulons la douer de toutes sortes de bonnes qualités; vous n'aurez qu'à prendre le bouquet que nous vous donnons, et nommer chaque fleur en pensant à nous: soyez certaine qu'aussitôt nous serons dans votre chambre."



La reine, transportée de joie, se jeta à leur cou, et les embrassades durèrent plus d'une grosse demi-heure. Après cela, elles prièrent la reine d'entrer dans leur palais, dont on ne peut faire une assez belle description; elles avaient pris pour le bâtir l'architecte du soleil: il avait fait en petit ce que celui du soleil est en grand. La reine, qui n'en soutenait l'éclat qu'avec peine, fermait à tous moments les yeux. Elles la conduisirent dans leur jardin; il n'a jamais été de si beaux fruits: les abricots étaient plus gros que la tête, et l'on ne pouvait manger une cerise sans la couper en quatre, d'un goût si exquis, qu'après que la reine en eut mangé elle ne voulut de sa vie en manger d'autres. Il y avait un verger tout d'arbres factices qui ne laissaient pas d'avoir vie, et de croître comme les autres.



De dire tous les transports de la reine, combien elle parla de la petite princesse Désirée, combien elle remercia les aimables personnes qui lui annonçaient une si agréable nouvelle, c'est ce que je n'entreprendrai point; mais, enfin, il n'y eut aucuns termes de tendresse et de reconnaissance oubliés. La fée de la fontaine y trouva toute la part qu'elle méritait. La reine demeura jusqu'au soir dans le palais. Elle aimait la musique, on lui fit entendre des voix qui lui parurent célestes; on la chargea de présents; et après avoir remercié ces grandes dames, elle revint avec la fée de la fontaine.



Toute la maison était fort en peine d'elle: on la cherchait avec beaucoup d'inquiétude, on ne pouvait imaginer en quel lieu elle était; ils craignaient même que quelques étrangers audacieux ne l'eussent enlevée, car elle avait de la beauté et de la jeunesse: de sorte que chacun témoigna une joie extrême de son retour; et comme elle ressentait de son côté une satisfaction infinie des bonnes espérances qu'on venait de lui donner, elle avait une conversation agréable et brillante qui charmait tout le monde.



La fée de la fontaine la quitta proche de chez elle; les compliments et les caresses redoublèrent à leur séparation.



La reine partit, et eut une princesse qu'elle nomma Désirée: aussitôt elle prit le bouquet qu'elle avait reçu; elle nomma toutes les fleurs l'une après l'autre, et sur-le-champ on vit arriver les fées. Chacune avait son chariot de différente manière: l'un était d'ébène, tiré par des pigeons blancs; d'autres d'ivoire, que de petits corbeaux traînaient; d'autres encore de cèdre et de canambou. C'était là leur équipage d'alliance et de paix: car lorsqu'elles étaient fâchées, ce n'étaient que des dragons volants, que des couleuvres qui jetaient le feu par la gueule et par les yeux; que lions, que léopards, que panthères, sur lesquels elles se transportaient d'un bout du monde à l'autre, en moins de temps qu'il n'en faut pour dire bonjour ou bonsoir; mais cette fois-ci, elles étaient de la meilleure humeur possible.



La reine les vit entrer dans sa chambre avec un air gai et majestueux; leurs nains et leurs naines les suivaient, tous chargés de présents. Après qu'elles eurent embrassé la reine, et baisé la petite princesse, elles déployèrent sa layette, dont la toile était si fine et si bonne, qu'on pouvait s'en servir cent ans sans l'user: les fées la filaient à leurs heures de loisir. Pour les dentelles, elles surpassaient encore ce que j'ai dit de la toile: toute l'histoire du monde y était représentée, soit à l'aiguille, ou au fuseau. Après cela, elles montrèrent les langes et les couvertures qu'elles avaient brodées exprès; l'on y voyait représentés mille jeux différents auxquels les enfants s'amusent: depuis qu'il y a des brodeurs et des brodeuses, il ne s'est rien vu de si merveilleux. Mais quand le berceau parut, la reine s'écria d'admiration; car il surpassait encore tout ce qu'elle avait vu jusqu'alors. Il était d'un bois si rare, qu'il coûtait cent mille écus la livre. Quatre petits Amours le soutenaient; c'était quatre chefs-d'oeuvre, où l'art avait tellement surpassé la matière, quoiqu'elle fût de diamants et de rubis, que l'on n'en peut assez parler. Ces petits Amours avaient été animés par les fées, de sorte que lorsque l'enfant criait, ils le berçaient et l'endormaient; cela était d'une commodité merveilleuse pour les nourrices.



Les fées prirent elles-mêmes la petite princesse sur leurs genoux, et lui donnèrent plus de cent baisers: elle était déjà si belle, qu'on ne pouvait la voir sans l'aimer. Il ne fut plus question que de douer l'enfant; les fées s'empressèrent de le faire: l'une le doua de vertu, et l'autre d'esprit; la troisième, d'une beauté miraculeuse; celle d'après, d'une heureuse fortune; la cinquième lui désira une longue santé; et la dernière, qu'elle fît bien toutes les choses qu'elle entreprendrait.



La reine, ravie, les remerciait mille et mille fois des faveurs qu'elles venaient de faire à la petite princesse, lorsque l'on vit entrer dans la chambre une si grosse écrevisse, que la porte fut à peine assez large pour qu'elle pût passer. "Ha! trop ingrate reine, dit l'écrevisse, vous n'avez donc pas daigné vous souvenir de moi? Est-il possible que vous ayez sitôt oublié la fée de la fontaine, et les bons offices que je vous ai rendus en vous menant chez mes soeurs? Quoi! vous les avez toutes appelées, je suis la seule que vous négligez. Il est certain que j'en avais un pressentiment, et c'est ce qui m'obligea de prendre la figure d'une écrevisse lorsque je vous parlai pour la première fois, voulant marquer pour là que votre amitié, au lieu d'avancer, reculerait."



La reine, inconsolable de la faute qu'elle avait faite, l'interrompit, et lui demanda pardon. Elle lui dit qu'elle avait cru nommer sa fleur comme celle des autres; que c'était le bouquet de pierreries qui l'avait trompée; qu'elle n'était pas capable d'oublier les obligations qu'elle lui avait; qu'elle la suppliait de ne lui point ôter son amitié, et particulièrement d'être favorable à la princesse. Toutes les fées, qui craignaient qu'elle ne la douât de misères et d'infortunes, secondèrent la reine pour l'adoucir. "Ma chère soeur, lui disaient-elles, que votre altesse ne soit point fâchée contre une reine qui n'a jamais eu dessein de vous déplaire: quittez, de grâce, cette figure d'écrevisse, faites que nous vous voyions avec tous vos charmes."

 



J'ai déjà dit que la fée de la fontaine était assez coquette; les louanges que ses soeurs lui donnèrent l'adoucirent un peu. "Hé bien, dit-elle, je ne ferai pas à Désirée tout le mal que j'avais résolu; car assurément j'avais envie de la perdre, et rien n'aurait pu m'en empêcher. Cependant, je veux bien vous avertir que, si elle voit le jour avant l'âge de quinze ans, elle aura lieu de s'en repentir, il lui en coûtera peut-être la vie." Les pleurs de la reine, et les prières des illustres fées, ne changèrent point l'arrêt qu'elle venait de prononcer. Elle se retira à reculons; car elle n'avait pas voulu quitter sa robe d'écrevisse.



Dès qu'elle fut éloignée de la chambre, la triste reine demanda aux fées un moyen pour préserver sa fille des maux qui la menaçaient. Elles tinrent aussitôt conseil; et enfin, après avoir agité plusieurs avis différents, elles s'arrêtèrent à celui-ci: qu'il fallait bâtir un palais sans portes ni fenêtres, y faire une entrée souterraine, et nourrir la princesse dans ce lieu jusqu'à l'âge fatal où elle était menacée.



Trois coups de baguette commencèrent et finirent ce grand édifice. Il était de marbre blanc et vert par dehors; les plafonds et les planchers de diamants et d'émeraudes qui formaient des fleurs, des oiseaux, et mille choses agréables. Tout était tapissé de velours de différentes couleurs, brodé de la main des fées; et comme elles étaient savantes dans l'histoire, elles s'étaient fait un plaisir de tracer les plus belles et les plus remarquables: l'avenir n'y était pas moins présent que le passé; les actions héroïques du plus grand roi du monde remplissaient plusieurs tentures.





Ici du démon de la Thrace

Il a le port victorieux,

Les éclairs redoublés qui partent de ses yeux

Marquent sa belliqueuse audace.

Là, plus tranquille et plus serein,

Il gouverne la France dans une paix profonde,

Il fait voir par ses lois, que le reste du monde

Lui doit envier son destin.

Par les peintres les plus habiles,

Il y paraissait peint avec ces divers traits;

Redoubtable en prenant des villes,

Généreux en faisant la paix.



Ces sages fées avaient imaginé ce moyen pour apprendre plus aisément à la jeune princesse les divers événements de la vie des héros et des autres hommes.



L'on ne voyait chez elle que par la lumière des bougies; mais il y en avait une si grande quantité, qu'elles faisaient un jour perpétuel. Tous les maîtres dont elle avait besoin pour se rendre parfaite furent conduits en ce lieu: son esprit, sa vivacité et son adresse prévenaient presque toujours ce qu'ils voulaient lui enseigner; et chacun d'eux demeurait dans une admiration continuelle des choses surprenantes qu'elle disait, dans un âge où les autres savent à peine nommer leur nourrice; aussi n'est-on pas doué par les fées pour demeurer ignorante et stupide.



Si son esprit charmait tous ceux qui l'approchaient, sa beauté n'avait pas des effets moins puissants; elle ravissait les plus insensibles, et la reine sa mère ne l'aurait jamais quittée de vue si son devoir ne l'avait pas attachée auprès du roi. Les bonnes fées venaient voir la princesse de temps en temps; elles lui apportaient des raretés sans pareilles, des habits si bien entendus, si riches et si galants, qu'ils semblaient avoir été faits pour la noce d'une jeune princesse, qui n'est pas moins aimable que celle dont je parle. Mais entre toutes les fées qui la chérissaient; Tulipe l'aimait davantage, et recommandait plus soigneusement à la reine de ne lui pas laisser voir le jour avant qu'elle eût quinze ans. "Notre soeur de la fontaine est vindicative, lui disait-elle: quelque intérêt que nous prenions à cette enfant, elle lui fera du mal, si elle peut; ainsi, madame, vous ne sauriez être trop vigilante là-dessus." La reine lui promettait de veiller sans cesse à une affaire si importante. Mais comme sa chère fille approchait du temps où elle devait sortir de ce château, elle la fit peindre; son portrait fut porté dans les plus grandes cours de l'univers. A sa vue il n'y eut aucun prince qui se défendît de l'admirer; mais il y en eut un qui en fut si touché, qu'il ne pouvait plus s'en séparer. Il le mit dans son cabinet, il s'enfermait avec lui; et lui parlant comme s'il eût été sensible, qu'il eût pu l'entendre, il lui disait les choses du monde les plus passionnées.



Le roi, qui ne voyait presque plus son fils, s'informa de ses occupations, et de ce qui pouvait l'empêcher de paraître aussi gai qu'à son ordinaire. Quelques courtisans, trop empressés de parler, car il y en a plusieurs de ce caractère, lui dirent qu'il était à craindre que le prince ne perdît l'esprit, parce qu'il demeurait des jours entiers enfermé dans son cabinet, où l'on entendait qu'il parlait seul comme s'il eût été avec quelqu'un.



Le roi reçut cet avis avec inquiétude. "Est-il possible, disait-il à ses confidents, que mon fils perde la raison? il en a toujours tant marqué. Vous savez l'admiration qu'on a eue pour lui jusqu'à présent, et je ne trouve encore rien d'égaré dans ses yeux, il me paraît seulement plus triste; il faut que je l'entretienne, je démêlerai peut-être de quelle sorte de folie il est attaqué."



En effet, il l'envoya quérir; il commanda qu'on se retirât; et après plusieurs choses auxquelles il n'avait pas une grande attention, et auxquelles aussi il répondit assez mal, le roi lui demanda ce qu'il pouvait avoir pour que son humeur et sa personne fussent si changées. Le prince, croyant ce moment favorable, se jeta à ses pieds. "Vous avez résolu, lui dit-il, de me faire épouser la princesse Noire: vous trouverez des avantages dans son alliance, que je ne puis vous promettre dans celle de la princesse Désirée; mais, seigneur, je trouve des charmes dans celle-ci, que je ne rencontrerai point dans l'autre. – Et où les avez-vous vus? dit le roi. – Les portraits de l'une et de l'autre m'ont été apportés, répliqua le prince Guerrier (c'est ainsi qu'on le nommait depuis qu'il avait gagné trois grandes batailles); je vous avoue que j'ai pris une si forte passion pour la princesse Désirée, que, si vous ne retirez les paroles que vous avez données à la Noire, il faut que je meure, heureux de cesser de vivre, en perdant l'espérance d'être à celle que j'aime."



"C'est donc avec son portrait, reprit gravement le roi, que vous prenez en gré de faire des conversations qui vous rendent ridicule à tous les courtisans; ils vous croient insensé, et si vous saviez ce qui m'est revenu là-dessus, vous auriez honte de marquer tant de faiblesse. – Je ne puis me reprocher une si belle flamme, répondit-il; lorsque vous aurez vu le portrait de cette charmante princesse, vous approuverez ce que je sens pour elle. – Allez donc le quérir tout à l'heure, dit le roi, avec un air d'impatience qui faisait assez connaître son chagrin;" le prince en aurait eu de la peine, s'il n'avait pas été certain que rien au monde ne pouvait égaler la beauté de Désirée. Il courut dans son cabinet, et revint chez le roi; il demeura presque aussi enchanté que son fils. "Ha! dit-il, mon cher Guerrier, je consens à ce que vous souhaitez, je rajeunirai lorsque j'aurai une si aimable princesse à ma cour; je vais dépêcher sur-le-champ des ambassadeurs à celle de la Noire, pour retirer ma parole: quand je devrais avoir une rude guerre contre elle, j'aime mieux m'y résoudre."



Le prince baisa respectueusement les mains de son père, et lui embrassa plus d'une fois les genoux. Il avait tant de joie, qu'on le reconnaissait à peine; il pressa le roi de dépêcher des ambassadeurs non-seulement à la Noire, mais aussi à la Désirée, et il souhaita qu'il choisît pour cette dernière l'homme le plus capable et le plus riche, parce qu'il fallait paraître dans une occasion si célèbre, et persuader ce qu'il désirait. Le roi jeta les yeux sur Bécafigue; c'était un jeune seigneur très-éloquent, qui avait cent millions de rente. Il aimait passionnément le prince Guerrier; il fit, pour lui plaire, le plus grand équipage et la plus belle livrée qu'il pût imaginer. Sa diligence fut extrême: car l'amour du prince augmentait chaque jour, et sans cesse il le conjurait de partir. "Songez, lui disait-il confidemment, qu'il y va de ma vie, que je perds l'esprit lorsque je pense que le père de cette princesse peut prendre des engagements avec quelque autre, sans vouloir le rompre en ma faveur, et que je la perdrais pour jamais." Bécafigue le rassurait afin de gagner du temps, car il était bien-aise que sa dépense lui fit honneur. Il mena quatre-vingts carrosses tout brillants d'or et de diamants; la miniature la mieux finie n'approche pas de celle qui les ornait; il y avait cinquante autres carrosses; vingt-quatre mille pages à cheval, plus magnifiques que des princes; et le reste de ce grand cortége ne se démentait en rien.



Lorsque l'ambassadeur prit son audience de congé du prince, il l'embrassa étroitement. "Souvenez-vous, mon cher Bécafigue lui dit-il, que ma vie dépend du mariage que vous allez négocier; n'oubliez rien pour persuader, et amenez l'aimable princesse que j'adore." Il le chargea aussitôt de mille présents, où la galanterie égalait la magnificence: ce n'était que devises amoureuses, gravées sur des cachets de diamants; des montres dans des escarboucles, chargées des chiffres de Désirée; des bracelets de rubis taillés en coeur: enfin, que n'avait-il pas imaginé pour lui plaire.



L'ambassadeur portait le portrait de ce jeune prince, qui avait été peint par un homme si savant, qu'il parlait et faisait de petits compliments pleins d'esprit. A la vérité, il ne répondait pas à tout ce qu'on lui disait; mais il ne s'en fallait guère. Bécafigue promit au prince de ne rien négliger pour sa satisfaction, et il ajouta qu'il portait tant d'argent, que si on lui refusait la princesse il trouverait le moyen de gagner quelqu'une de ses femmes, et de l'enlever. Ah! s'écria le prince, je ne puis m'y résoudre, elle serait offensée d'un procédé si peu respectueux. Bécafigue ne répondit rien là-dessus, et partit.



Le bruit de son voyage prévint son arrivée; le roi et la reine en furent ravis, ils estimaient beaucoup son maître, et savaient les grandes actions du prince Guerrier: mais ce qu'ils connaissaient encore mieux, c'était son mérite personnel, de sorte que quand ils auraient cherché dans tout l'univers un mari pour leur fille, ils n'auraient su en trouver un plus digne d'elle. On prépara un palais pour loger Bécafigue, et l'on donna tous les ordres nécessaires pour que la cour parût dans la dernière magnificence.



Le roi et la reine avaient résolu que l'ambassadeur verrait Désirée; mais la fée Tulipe vint trouver la reine, et lui dit: gardez-vous bien, madame, de mener Bécafigue chez notre enfant, c'est ainsi qu'elle nommait la princesse; il ne faut pas qu'il la voie sitôt, et ne consentez point à l'envoyer chez le roi, qui la demande, qu'elle n'ait passé quinze ans; car je suis assurée que si elle part plutôt, il lui arrivera quelque malheur. La reine embrassant la bonne Tulipe, elle lui promit de suivre ses conseils, et sur-le-champ elles allèrent voir la princesse.



L'ambassadeur arriva: son équipage demeura vingt-trois heures à passer, car il avait six cent mille mulets, dont les clochettes et les fers étaient d'or, leurs couvertures de velours et de brocart en broderie de perle; c'était un embarras sans pareil dans les rues: tout le monde était accouru pour le voir. Le roi et la reine allèrent au-devant de lui, tant ils étaient aises de sa venue. Il est inutile de parler de la harangue qu'il fit, et des cérémonies qui se passèrent de part et d'autre, on peut assez les imaginer; mais lorsqu'il demanda à saluer la princesse, il demeura bien surpris que cette grâce lui fût déniée. Si nous vous refusons, lui dit le roi, seigneur Bécafigue, une chose qui paraît si juste, ce n'est point par un caprice qui nous soit particulier; il faut vous raconter l'étrange aventure de notre fille, afin que vous y preniez part.



Une fée, au moment de sa naissance, la prit en aversion, et la menaça d'une très-grande infortune si elle voyait le jour avant l'âge de quinze ans; nous la tenons dans un palais où les plus beaux appartements sont sous terre. Comme nous étions dans la résolution de vous y mener, la fée Tulipe nous a prescrit de n'en rien faire. Eh! quoi, sire, répliqua l'ambassadeur, aurai-je le chagrin de m'en retourner sans elle? Vous l'accordez au roi mon maître pour son fils, elle est attendue avec mille impatiences: est-il possible que vous vous arrêtiez à des bagatelles comme sont les prédictions des fées? Voilà le portrait du prince Guerrier, que j'ai ordre de lui présenter; il est si ressemblant, que je crois le voir lui-même lorsque je le regarde. Il le déploya aussitôt; le portrait, qui n'était instruit que pour parler à la princesse, dit: Belle Désirée, vous ne pouvez imaginer avec quelle ardeur je vous attends: venez bientôt dans notre cour, l'orner des grâces qui vous rendent incomparable. Le portrait ne dit plus rien; le roi et la reine demeurèrent si surpris, qu'ils prièrent Bécafigue de le leur donner, pour le porter à la princesse; il en fut ravi, et le remit entre leurs mains.

 



La reine n'avait point parlé jusqu'alors à sa fille de ce qui se passait; elle avait même défendu aux dames qui étaient auprès d'elle de lui rien dire de l'arrivée de l'ambassadeur; elles ne lui avaient pas obéi, et la princesse savait qu'il s'agissait d'un grand mariage; mais elle était si prudente, qu'elle n'en avait rien témoigné à sa mère. Quand elle lui montra le portrait du prince, qui parlait, et qui lui fit un compliment aussi tendre que galant, elle en fut fort surprise; car elle n'avait rien vu d'égal à cela, et la bonne mine du prince, l'air d'esprit, la régularité de ses traits, ne l'étonnaient pas moins que ce que disait le portrait. Seriez-vous fâchée, lui dit la reine en riant, d'avoir un époux qui ressemblât à ce prince? Madame, répliqua-t-elle, ce n'est point à moi à faire un choix; ainsi je serai toujours contente de celui que vous me destinerez. Mais enfin, ajouta la reine, si le sort tombait sur lui, ne vous estimeriez-vous pas heureuse? Elle rougit, baissa les yeux, et ne répondit rien. La reine la prit entre ses bras, et la baisa plusieurs fois: elle ne put s'empêcher de verser des larmes lorsqu'elle pensa qu'elle était sur le point de la perdre; car il ne s'en fallait plus que trois mois qu'elle n'eût quinze ans; et, cachant son déplaisir, elle lui déclara tout ce qui la regardait dans l'ambassade du célèbre Bécafigue; elle lui donna même les raretés qu'il avait apportées pour lui présenter. Elle les admira; elle loua avec beaucoup de goût ce qu'il y avait de plus curieux; mais de temps en temps ses regards s'échappaient pour s'attacher sur le portrait du prince, avec un plaisir qui lui avait été inconnu jusqu'alors.



L'ambassadeur, voyant qu'il faisait des instances inutiles pour qu'on lui donnât la princesse, et qu'on se contentait de la lui promettre, mais si solennellement, qu'il n'y avait pas lieu d'en douter, demeura peu auprès du roi, et retourna en poste rendre compte à ses maîtres de sa négociation.



Quand le prince sut qu'il ne pouvait espérer sa chère Désirée de plus de trois mois, il fit des plaintes qui affligèrent toute la cour; il ne dormait plus, il ne mangeait point: il devint triste et rêveur, la vivacité de son teint se changea en couleur de soucis; il demeurait des jours entiers couché sur un canapé dans son cabinet, à regarder le portrait de sa princesse: il lui écrivait à tous moments, et présentait les lettres à ce portrait, comme s'il eût été capable de les lire. Enfin ses forces diminuèrent peu à peu, il tomba dangereusement malade; et pour en deviner la cause, il ne fallait ni médecins ni docteurs.



Le roi se désespérait: il aimait son fils plus tendrement que jamais père n'a aimé le sien. Il se trouvait sur le point de le perdre: quelle douleur pour un père! Il ne voyait aucuns remèdes qui pussent guérir le prince: il souhaitait Désirée, sans elle il fallait mourir. Il prit donc la résolution, dans une si grande extrémité, d'aller trouver le roi et la reine, qui l'avaient promise, pour les conjurer d'avoir pitié de l'état où le prince était réduit, et de ne plus différer un mariage qui ne se ferait jamais s'ils voulaient obstinément attendre que la princesse eût quinze ans.



Cette démarche était extraordinaire; mais elle l'aurait été bien d'avantage s'il eût laissé périr un fils si aimable et si cher. Cependant il se trouva une difficulté qui était insurmontable: c'est que son grand âge ne lui permettait que d'aller en litière, et cette voiture s'accordait mal avec l'impatience de son fils; de sorte qu'il envoya en poste le fidèle Bécafigue, et il écrivit les lettres du monde les plus touchantes, pour engager le roi et la reine à ce qu'il souhaitait.



Pendant ce temps, Désirée n'avait guère moins de plaisir à voir le portrait du prince qu'il en avait à regarder le sien. Elle allait

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