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Le Cabinet des Fées

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AURORE ET AIMÉE

Il y avait une fois une dame qui avait deux filles. L'aînée, qui se nommait Aurore, était belle comme le jour, et elle avait un assez bon caractère. 203 La seconde, qui se nommait Aimée, était bien aussi belle que sa soeur, mais elle était maligne, 204 et n'avait de l'esprit que pour faire du mal. La mère avait été aussi fort belle, mais elle commençait à n'être plus jeune, et cela lui donnait beaucoup de chagrin. Aurore avait seize ans, et Aimée n'en avait que douze; aussi la mère, qui craignait de paraître vieille, quitta le pays, où tout le monde la connaissait, et envoya sa fille aînée à la campagne, parce qu'elle ne voulait pas qu'on sût qu'elle avait une fille si âgée. Elle garda la plus jeune auprès d'elle, et fut dans une autre ville; et elle disait à tout le monde qu'Aimée n'avait que dix ans. Cependant, comme elle craignait qu'on ne découvrit la tromperie, elle envoya Aurore dans un pays bien loin, et celui qui la conduisait la laissa dans un grand bois, où elle s'était endormie en se reposant. Quand Aurore se réveilla, et qu'elle se vit toute seule dans ce bois, elle se mit à pleurer. Il était presque nuit; et s'étant levée, elle chercha à sortir de cette forêt; mais, au lieu de trouver son chemin, elle s'égara encore davantage. 205 Enfin, elle vit bien loin une lumière, et, étant allée de ce côté-là, elle trouva une petite maison. Aurore frappa à la porte, et une bergère vint lui ouvrir, et lui demanda ce qu'elle voulait. Ma bonne mère, lui dit Aurore, je vous prie, par charité, de me donner la permission de coucher dans votre maison; car si je reste dans le bois, je serai mangée des loups. De tout mon coeur, ma belle fille, lui répondit la bergère; mais dites-moi, pourquoi êtes-vous dans ce bois si tard? Aurore lui raconta son histoire, et lui dit: Ne suis-je pas bien malheureuse d'avoir une mère si cruelle? et ne vaudrait-il pas mieux 206 que je fusse morte en venant au monde que de vivre pour être ainsi maltraitée? Qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu pour être si misérable? Ma chère enfant, répliqua la bergère, il ne faut jamais murmurer contre Dieu; il est tout-puissant, il est sage, il vous aime, et vous devez croire qu'il n'a permis votre malheur que pour votre bien. Confiez-vous en lui, et mettez-vous bien dans la tête que Dieu protége les bons, et que les choses fâcheuses qui leur arrivent ne sont pas malheurs: demeurez avec moi, je vous servirai de mère, et je vous aimerai comme ma fille. Aurore consentit à cette proposition; et le lendemain, la bergère lui dit: Je vais vous donner un petit troupeau à conduire; mais j'ai peur que vous ne vous ennuyiez, ma belle fille; ainsi, prenez une quenouille, et vous filerez, cela vous amusera. Ma mère, répondit Aurore, je suis une fille de qualité, ainsi je ne sais pas travailler. Prenez donc un livre, lui dit la bergère. Je n'aime pas la lecture, lui répondit Aurore en rougissant. C'est qu'elle était honteuse d'avouer à la fée qu'elle ne savait pas lire comme il faut. Il fallut pourtant avouer la vérité: et elle dit à la bergère qu'elle n'avait jamais voulu apprendre à lire quand elle était petite, et qu'elle n'en avait pas eu le temps quand elle était devenue grande. Vous aviez donc de grandes affaires, lui dit la bergère. Oui, ma mère, répondit Aurore. J'allais me promener tous les matins avec mes bonnes amies; après dîner je me coiffais; le soir je restais à notre assemblée, et puis j'allais à l'opéra, à la comédie, et la nuit j'allais au bal. Véritablement, dit la bergère, vous aviez de grandes occupations, et, sans doute, vous ne vous ennuyiez pas. Je vous demande pardon, ma mère, répondit Aurore. Quand j'étais un quart d'heure toute seule, ce qui m'arrivait quelquefois, je m'ennuyais à mourir; mais quand nous allions à la campagne, c'était bien pire; je passais toute la journée à me coiffer et à me décoiffer, 207 pour m'amuser. Vous n'étiez donc pas heureuse à la campagne? dit la bergère. Je ne l'étais pas à la ville non plus, répondit Aurore. Si je jouais, je perdais mon argent; si j'étais dans une assemblée, je voyais mes compagnes mieux habillées que moi, et cela me chagrinait beaucoup; si j'allais au bal, je n'étais occupée qu'à chercher des défauts à celles qui dansaient mieux que moi; enfin, je n'ai jamais passé un jour sans avoir du chagrin. Ne vous plaignez donc plus de la Providence, lui dit la bergère; en vous conduisant dans cette solitude, elle vous à ôté plus de chagrins que de plaisirs; mais ce n'est pas tout Vous auriez été par la suite encore plus malheureuse; car enfin, on n'est pas toujours jeune: le temps du bal et de la comédie passe; quand on devient vieille, et qu'on veut toujours être dans les assemblées, les jeunes gens se moquent; d'ailleurs, on ne peut plus danser, on n'oserait plus se coiffer; if faut donc s'ennuyer à mourir, et être fort malheureuse. Mais, ma bonne mère, dit Aurore, on ne peut pourtant pas rester seule; la journée paraît longue comme un an quand on n'a pas compagnie. Je vous demande pardon, ma chère, répondit la bergère: je suis seule ici, et les années me paraissent courtes comme les jours. Si vous voulez, je vous apprendrai le secret de ne vous ennuyer jamais. Je le veux bien, dit Aurore; vous pouvez me gouverner comme vous le jugerez à propos, je veux vous obéir. La bergère, profitant de la bonne volonté d'Aurore, lui écrivit sur un papier tout ce qu'elle devait faire. Toute la journée était partagée entre la prière, la lecture, le travail et la promenade. Il n'y avait pas d'horloge dans ce bois, et Aurore ne savait pas qu'elle heure il était; mais la bergère connaissait l'heure par le soleil: elle dit à Aurore de venir dîner. Ma mère, dit cette belle fille à la bergère, vous dînez de bonne heure, il n'y a pas longtemps que nous sommes levées. Il est pourtant deux heures, reprit la bergère en souriant, et nous sommes levées depuis cinq heures; mais, ma fille, quand on s'occupe utilement, le temps passe bien vite, et jamais on ne s'ennuie. Aurore, charmée de ne plus sentir l'ennui, s'appliqua de tout son coeur à la lecture et au travail; et elle se trouvait mille fois plus heureuse au milieu de ses occupations champêtres qu'à la ville. Je vois bien, disait-elle à la bergère, que Dieu fait tout pour notre bien. Si ma mère n'avait pas été injuste et cruelle à mon égard, je serais restée dans mon ignorance, et la vanité, l'oisiveté, le désir de plaire, m'auraient rendue méchante et malheureuse. Il y avait un an qu'Aurore était chez la bergère, lorsque le frère du roi vint chasser dans le bois où elle gardait ses moutons. Il se nommait Ingénu, et c'était le meilleur prince du monde; mais le roi, son frère, qui s'appelait Fourbin, ne lui ressemblait pas, car il n'avait de plaisir qu'à tromper ses voisins, et à maltraiter ses sujets. Ingénu fut charmé de la beauté d'Aurore, et lui dit qu'il se croirait fort heureux si elle voulait l'épouser. Aurore le trouvait fort aimable; mais elle savait qu'une fille qui est sage n'écoute point les hommes qui leur tiennent de pareils discours. Monsieur, dit-elle à Ingénu, si ce que vous me dites est vrai, vous irez trouver ma mère, qui est une bergère; elle demeure dans cette petite maison que vous voyez tout là bas: si elle veut bien que vous soyez mon mari, je le voudrai bien aussi; car elle est si sage et si raisonnable, que je ne lui désobéis jamais. Ma belle fille, reprit Ingénu, j'irai de tout mon coeur vous demander à votre mère; mais je ne voudrais pas vous épouser malgré vous: si elle consent que vous soyez ma femme, cela peut-être vous donnera du chagrin, et j'aimerais mieux mourir que de vous causer de la peine. Un homme qui pense comme cela a de la vertu, dit Aurore, et une fille ne peut être malheureuse avec un homme vertueux. Ingénu quitta Aurore, et fut trouver la bergère, qui connaissait sa vertu, et qui consentit de bon coeur à son mariage: il lui promit de revenir dans trois jours pour voir Aurore avec elle, et partit le plus content du monde, après lui avoir donné sa bague pour gage. 208 Cependant Aurore avait beaucoup d'impatience de retourner à la petite maison; Ingénu lui avait paru si aimable, qu'elle craignait que celle qu'elle appellait sa mère ne l'eût rebuté; mais la bergère lui dit: Ce n'est pas parce qu'Ingénu est prince que j'ai consenti à votre mariage avec lui; mais parce qu'il est le plus honnête homme du monde. Aurore attendait avec quelque impatience le retour du prince; mais le second jour après son départ, comme elle ramenait son troupeau, elle se laissa tomber si malheureusement dans un buisson, qu'elle se déchira tout le visage. Elle se regarda bien vite dans un ruisseau, et elle se fit peur; 209 car le sang lui coulait de tous les côtés. Ne suis-je pas bien malheureuse? dit-elle à la bergère en rentrant dans la maison; Ingénu viendra demain matin, et il ne m'aimera plus, tant il me trouvera horrible. La bergère lui dit en souriant: Puisque le bon Dieu a permis que vous soyez tombée, sans doute que c'est pour votre bien; car vous savez qu'il vous aime, et qu'il sait mieux que vous ce qui vous est bon. Aurore reconnut sa faute, car c'en est une de murmurer contre la Providence, et elle dit en elle-même: Si le Prince Ingénu ne veut plus m'épouser parce que je ne suis plus belle, apparemment que j'aurais été malheureuse avec lui. Cependant la bergère lui lava le visage, et lui arracha plusieurs épines qui étaient enfoncées dedans. Le lendemain matin, Aurore était effroyable; car son visage était horriblement enflé, et on ne lui voyait pas les yeux. Sur les dix heures du matin, on entendit un carrosse s'arrêter devant la porte; mais, au lieu d'Ingénu, on en vit descendre le roi Fourbin: un des courtisans qui étaient à la chasse avec le prince avait dit au roi que son frère avait rencontré la plus belle fille du monde, et qu'il voulait l'épouser. Vous êtes bien hardi de vouloir vous marier sans ma permission, dit Fourbin à son frère: pour vous punir, je veux épouser cette fille, si elle est aussi belle qu'on le dit. Fourbin en entrant chez la bergère, lui demanda où était sa fille. La voici, répondit la bergère en montrant Aurore. Quoi! ce monstre-là? dit le roi. Et n'avez-vous point une autre fille, à laquelle mon frère a donné la bague? La voici à mon doigt, répondit Aurore. A ces mots, le roi fit un grand éclat de rire, et dit: Je ne croyais pas mon frère de si mauvais goût; mais je suis charmé de pouvoir le punir. En même temps, il commanda à la bergère de mettre un voile sur la tête d'Aurore; et ayant envoyé chercher le prince Ingénu, il lui dit: Mon frère, puisque vous aimez la belle Aurore, je veux que vous l'épousiez tout à l'heure. Et moi, je ne veux tromper personne, dit Aurore en arrachant son voile. Regardez mon visage, Ingénu: je suis devenue bien horrible depuis trois jours; voulez-vous encore m'épouser? Vous paraissez plus aimable que jamais à mes yeux, dit le prince; car je reconnais que vous êtes plus vertueuse encore que je ne croyais. En même temps il lui donna la main: et Fourbin riait de tout son coeur. Il commanda donc qu'ils fussent mariés sur-le-champ; mais ensuite il dit à Ingénu: Comme je n'aime pas les monstres, vous pouvez demeurer avec votre femme dans cette cabane; je vous défends de l'amener à la cour. En même temps, il remonta dans son carrosse, et laissa Ingénu transporté de joie. Eh bien, dit la bergère à Aurore, croyez-vous encore être malheureuse d'avoir tombé? Sans cet accident, le roi serait devenu amoureux de vous, et si vous n'aviez pas voulu l'épouser, il eût fait mourir Ingénu. Vous avez raison, ma mère, reprit Aurore; mais pourtant je suis devenue laide à faire peur, et je crains que le prince n'ait du regret de m'avoir épousée. Non, je vous assure, reprit Ingénu: on s'accoutume au visage d'une laide, mais on ne peut s'accoutumer à un mauvais caractère. Je suis charmée de vos sentiments, dit la bergère; mais Aurore sera encore belle, j'ai une eau qui guérira son visage. Effectivement, au bout de trois jours, le visage d'Aurore devint comme auparavant; mais le Prince la pria de porter toujours son voile; car il avait peur que son méchant frère ne l'enlevât s'il la voyait. Cependant Fourbin, qui voulait se marier, fit partir plusieurs peintres pour lui apporter les portraits des plus belles filles. Il fut enchanté de celui d'Aimée, soeur d'Aurore, et l'ayant fait venir à sa cour, il l'épousa. Aurore eut beaucoup d'inquiétude quand elle sut que sa soeur était reine; elle n'osait plus sortir; car elle savait combien cette soeur était méchante, et combien elle la haïssait. Au bout d'un an, Aurore eut un fils qu'on nomma Beaujour, et elle l'aimait uniquement. Ce petit prince, lorsqu'il commença à parler, montra tant d'esprit, qu'il faisait tout le plaisir de ses parents. Un jour, qu'il était devant la porte avec sa mère, elle s'endormit, et quand elle se réveilla, elle ne trouva plus son fils. Elle jetta de grands cris, et courut par toute la forêt pour le chercher. La bergère avait beau la faire souvenir qu'il n'arrive rien que pour notre bien, elle eut toutes les peines du monde à la consoler; mais le lendemain, elle fut contrainte d'avouer que la bergère avait raison. Fourbin et sa femme, enragés de n'avoir point d'enfants, envoyèrent des soldats pour tuer leur neveu; et voyant qu'on ne pouvait le trouver, ils mirent Ingénu, sa femme et la bergère dans une barque, et les firent exposer sur la mer, afin qu'on n'entendit jamais parler d'eux. Pour cette fois, Aurore crut qu'elle devait se croire fort malheureuse; mais la bergère lui répétait toujours que Dieu faisait tout pour le mieux. Comme il faisait un très-beau temps, la barque vogua tranquillement pendant trois jours, et aborda à une ville qui était sur le bord de la mer. Le roi de cette ville avait une grande guerre, et les ennemis l'assiégèrent le lendemain. Ingénu, qui avait du courage, demanda quelques troupes au roi; il fit plusieurs sorties 210, et il eut le bonheur de tuer l'ennemi qui assiégeait la ville. Les soldats, ayant perdu leur commandant, s'enfuirent, et le roi qui était assiégé, n'ayant point d'enfants, adopta Ingénu pour son fils, afin de lui marquer sa reconnaissance. Quatre ans après, on apprit que Fourbin était mort de chagrin d'avoir épousé une méchante femme; et le peuple, qui la haïssait, la chassa honteusement, et envoya des ambassadeurs à Ingénu pour lui offrir la couronne. Il s'embarqua avec sa femme et la bergère; mais une grande tempête étant survenue, ils firent naufrage, et se trouvèrent dans une île déserte. Aurore, devenue sage par tout ce qui lui était arrivé, ne s'affligea point, et pensa que c'était pour leur bien que Dieu avait permis ce naufrage: ils mirent un grand bâton sur le rivage, et le tablier blanc de la bergère au haut de ce bâton, afin d'avertir des vaisseaux qui passeraient par là de venir à leur secours. Sur le soir, ils virent venir une femme qui portait un petit enfant, et Aurore ne l'eut pas plus tôt regardé, qu'elle reconnut son fils Beaujour. Elle demanda à cette femme où elle avait pris cet enfant; et elle lui répondit que son mari, qui était un corsaire, l'avait enlevé; mais qu'ayant fait naufrage proche de cette île, elle s'était sauvée avec l'enfant qu'elle tenait alors dans ses bras. Deux jours après, des vaisseaux qui cherchaient les corps d'Ingénu et d'Aurore, qu'on croyait avoir péri, virent ce linge blanc, et, étant venus dans l'île, ils menèrent leur roi et sa famille dans leur royaume. Et quelques accidents qu'il arrivât à Aurore, elle ne murmura jamais, parce qu'elle savait par son expérience que les choses qui nous paraissent des malheurs sont souvent la cause de notre félicité.

 

LA VEUVE ET SES DEUX FILLES

Il y avait une veuve assez bonne femme qui avait deux filles, toutes deux fort aimables; l'aînée se nommait Blanche, la seconde Vermeille. On leur avait donné ces noms parce qu'elles avaient, l'une, le plus beau teint du monde, et la seconde, des joues et des lèvres vermeilles comme du corail. Un jour la bonne femme étant près de sa porte, à filer, vit une pauvre vieille qui avait bien de la peine à se trainer 211 avec son bâton. "Vous êtes bien fatiguée, dit la bonne femme à la vieille; asseyez-vous un moment pour vous reposer." Et aussitôt elle dit à ses filles de donner une chaise à cette femme. Elles se levèrent toutes les deux; mais Vermeille couru plus fort 212 que sa soeur, et apporta la chaise. "Voulez-vous boire un coup? 213 dit la bonne femme à la vieille. De tout mon coeur, répondit-elle; il me semble même que je mangerais bien un morceau, 214 si vous pouviez me donner quelque chose pour me ragoûter. 215 Je vous donnerai tout ce qui est en mon pouvoir, dit la bonne femme; mais comme je suis pauvre, ce ne sera pas grand chose." En même temps elle dit à ses filles de servir la bonne vieille, qui se mit à table; et la bonne femme commanda à l'aînée d'aller cueillir quelques prunes sur un prunier qu'elle avait planté elle-même, et qu'elle aimait beaucoup. Blanche, au lieu d'obéir de bonne grâce à sa mère, murmura contre cet ordre, et dit en elle-même: "Ce n'est pas pour cette vieille gourmande que j'ai eu tant de soin de mon prunier." Elle n'osa pourtant pas refuser quelques prunes; mais elle les donna de mauvaise grâce et à contre-coeur. 216 "Et vous, Vermeille, dit la bonne femme à la seconde de ses filles, vous n'avez pas de fruit à donner à cette bonne dame, car vos raisins ne sont pas mûrs. Il est vrai, dit Vermeille; mais j'entends ma poule qui chante, elle vient de pondre un oeuf, et si madame veut l'avaler tout chaud, je le lui offre de tout mon coeur." En même temps, sans attendre la réponse de la vieille, elle courut chercher son oeuf; mais dans le moment qu'elle le présentait à cette femme, elle disparut, et l'on vit à sa place une belle dame, qui dit à la mère: "Je vais récompenser vos deux filles selon leur mérite. L'aînée deviendra une grande reine, et la seconde une fermière." Et en même temps, ayant frappé la maison de son bâton, elle disparut, et l'on vit dans la place une jolie ferme. "Voilà votre partage, dit-elle à Vermeille. Je sais que je vous donne à chacune ce que vous aimez le mieux." La fée s'éloigna en disant ces paroles; et la mère aussi bien que les deux filles restèrent fort étonnées. Elles entrèrent dans la ferme, et furent charmées de la propreté des meubles. Les chaises n'étaient que de bois: mais elles étaient si propres, qu'on s'y voyait comme dans un miroir. Les lits étaient de toile blanche comme la neige. Il y avait dans les étables vingt moutons, autant de brebis, quatre boeufs, quatre vaches; et dans la cour toutes sortes d'animaux, comme des poules, des canards, des pigeons et autres. Il y avait aussi un joli jardin, rempli de fleurs et de fruits. Blanche voyait sans jalousie le don qu'on avait fait à sa soeur, et elle n'était occupée que du plaisir qu'elle aurait à être reine. Tout d'un coup elle entendit passer des chasseurs, et, étant allée sur la porte pour les voir, elle parut si belle aux yeux du roi, qu'il résolut de l'épouser. Blanche étant devenue reine, dit à sa soeur Vermeille: "Je ne veux pas que vous soyez fermière; venez avec moi, ma soeur, je vous ferai épouser un grand seigneur. – Je vous suis bien obligée, ma soeur, répondit Vermeille; je suis accoutumée à la campagne, et je veux y rester." La reine Blanche partit donc, et elle était si contente, qu'elle passa plusieurs nuits sans dormir. Les premiers mois, elle fut si occupée de ses beaux habits, des bals, des comédies, qu'elle ne pensait à autre chose. Mais bientôt elle s'accoutuma à tout cela, et rien ne la divertissait plus; au contraire, elle eut de grands chagrins: toutes les dames de la cour lui rendaient de grands respects quand elles étaient devant elle, mais elle savait qu'elles ne l'aimaient pas, et qu'elles disaient: "Voyez cette petite paysanne, comme elle fait la grande dame! Le roi a le coeur bien bas, 217 d'avoir pris une telle femme." Ce discours fit faire des réflexions au roi. Il pensa qu'il avait eu tort d'épouser Blanche. Quand on vit que le roi n'aimait plus sa femme, on commença à ne lui rendre aucun devoir. 218 Elle était très-malheureuse, car elle n'avait pas une seule bonne amie à qui elle pût conter ses chagrins. Elle voyait que c'était la mode à la cour de trahir ses amis par intérêt, de faire bonne mine à ceux que l'on haïssait, et de mentir à tout moment. Il fallait être sérieuse, parce qu'on lui disait qu'une reine doit avoir un air grave et majestueux. Elle avait un médecin auprès d'elle, qui examinait tout ce qu'elle mangeait, et lui ôtait toutes les choses qu'elle aimait. On ne mettait point de sel dans ses bouillons; on lui défendait de se promener quand elle en avait envie; en un mot, elle était contredite depuis le matin jusqu'au soir. On donna des gouvernantes à ses enfants, qui les élevaient tout de travers, 219 sans qu'elle eût la liberté d'y trouver à redire. 220 La pauvre Blanche se mourait de chagrin, et elle devint si maigre, qu'elle faisait pitié à tout le monde. Elle n'avait pas vu sa soeur depuis trois ans qu'elle était reine, parce qu'elle pensait qu'une personne de son rang serait déshonorée d'aller rendre visite à une fermière; mais, se voyant accablée de mélancolie, elle résolut d'aller passer quelques jours à la campagne, pour se désennuyer. 221 Elle en demanda la permission au roi, qui la lui accorda de bon coeur, parce qu'il pensait qu'il serait débarrassé d'elle pendant quelque temps. Elle arriva sur le soir à la ferme de Vermeille, et elle vit de loin, devant la porte, une troupe de bergers et de bergères qui dansaient et se divertissaient de tout leur coeur. "Hélas! dit la reine en soupirant, où est le temps que je me divertissais comme ces pauvres gens? personne n'y trouvait à redire." D'abord qu'elle parut, sa soeur accourut pour l'embrasser. Elle avait un air si content, elle était si fort engraissée, que la reine ne put s'empêcher de pleurer en la regardant. Vermeille avait épousé un jeune paysan qui n'avait pas de fortune; mais il se souvenait toujours que sa femme lui avait donné tout ce qu'il avait, et il cherchait, par ses manières complaisantes, à lui en marquer sa reconnaissance. Vermeille n'avait pas beaucoup de domestiques, mais ils l'aimaient comme s'ils eussent été ses enfants, parce qu'elle les traitait bien. Tous ses voisins l'aimaient aussi, et chacun s'empressait à lui en donner des preuves. Elle n'avait pas beaucoup d'argent, mais elle n'en avait pas besoin; car elle recueillait dans ses terres du blé, du vin et de l'huile. Ses troupeaux lui fournissaient du lait, dont elle faisait du beurre et du fromage. Elle filait la laine de ses moutons pour se faire des habits, aussi bien qu'à son mari et à deux enfants qu'elle avait. Ils se portaient à merveille, et le soir, quand le temps du travail était passé, ils se divertissaient à toutes sortes de jeux. "Hélas! s'écria la reine, la fée m'a fait un mauvais présent en me donnant une couronne. On ne trouve point la joie dans les palais magnifiques, mais dans les occupations innocentes de la campagne." A peine eut-elle dit ces paroles, que la fée parut: "Je n'ai pas prétendu vous récompenser en vous faisant reine, lui dit la fée, mais vous punir, parce que vous m'avez donné vos prunes à contre-coeur. Pour être heureux, il faut, comme votre soeur, ne posséder que les choses nécessaires, et n'en point souhaiter davantage. – Ah! Madame, s'écria Blanche, vous vous êtes assez vengée, finissez mon malheur. Il est fini, reprit la fée. Le roi, qui ne vous aime plus, vient d'épouser une autre femme, et demain ses officiers viendront vous ordonner, de sa part, de ne point retourner à son palais." Cela arriva comme la fée l'avait prédit. Blanche passa le reste de ses jours avec sa soeur Vermeille, avec toutes sortes de contentements et de plaisirs, et elle ne pensa jamais à la cour que pour remercier la fée de l'avoir ramenée dans son village.

 
203Assez bon caractère, pretty good disposition.
204maligne, mischievous.
205elle s'égara, davantage, the more she lost herself.
206Ne vaudrait-il pas mieux, would it not be better.
207A me coiffer et à me décoiffer, in curling and uncurling my locks.
208Pour gage, as a pledge.
209Elle se fit peur, she was afraid of herself.
210Il fit plusieurs sorties, he made several sallies.
211A se traîner, to creep along.
212plus fort, faster.
213Boire un coup, to drink something.
214un morceau, a bit.
215pour me ragoûter, to refresh me.
216à contre-coeur, reluctantly.
217A le coeur bien bas, is very low-minded.
218à ne lui rendre aucun devoir, to pay her no respect.
219Tout de travers, in the wrong way.
220d'y trouver à redire, to find fault.
221pour se désennuyer, to recreate herself.

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