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Le Cabinet des Fées

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"Le roi se trouva dans la dernière désolation: il consulta tous les sages de son royaume sur ce qu'il devait faire pour garantir ses sujets des malheurs dont il les voyait accablés. Ils lui conseillèrent d'envoyer chercher par tout le monde les meilleurs médecins et les plus excellents remèdes, et, d'un autre côté, qu'il fallait promettre la vie aux criminels condamnés à la mort, qui voudraient combattre le dragon. Le roi, assez satisfait de cet avis, l'exécuta, et n'en reçut aucune consolation; car la mortalité continuait, et personne n'allait contre le dragon, qui n'en fût dévoré: de sorte qu'il eut recours à une fée dont il était protégé dès sa plus tendre jeunesse. Elle était fort vieille, et ne se levait presque plus; il alla chez elle, il lui fit mille reproches de souffrir que le destin le persécutât, sans le secourir. "Comment voulez-vous que je fasse? lui dit-elle, vous avez irrité mes soeurs; elles ont autant de pouvoir que moi, et rarement nous agissons les unes contre les autres. Songez à les apaiser en leur donnant votre fille, cette petite princesse leur appartient. Vous avez mis la reine dans une étroite prison: que vous a donc fait cette femme si aimable pour la traiter si mal? Résolvez-vous à tenir la parole qu'elle a donnée; je vous assure que vous serez comblé de biens."

"Le roi mon père m'aimait chèrement; mais ne voyant point d'autre moyen de sauver ses royaumes, et de se délivrer du fatal dragon, il dit à son amie qu'il était résolu de la croire, qu'il voulait bien me donner aux fées, puisqu'elle assurait que je serais chérie et traitée en princesse de mon rang; qu'il ferait aussi revenir la reine, et qu'elle n'avait qu'à lui dire à qui il me confierait pour me porter au château de féerie. "Il faut, lui dit-elle, la porter dans son berceau sur la montagne de Fleurs; vous pourrez même rester aux environs, pour être spectateur de la fête qui se passera." Le roi lui dit que dans huit jours il irait avec la reine: qu'elle en avertit ses soeurs les fées, afin qu'elles fissent là-dessus ce qu'elles jugeraient à propos.

"Dès qu'il fut de retour au palais, il envoya quérir la reine, avec autant de tendresse et de pompe qu'il l'avait fait mettre prisonnière avec colère et emportement. Elle était si abattue et si changée, qu'il aurait eu peine à la reconnaître, si son coeur ne l'avait pas assuré que c'était cette même personne qu'il avait tant chérie. Il la pria, les larmes aux yeux, d'oublier les déplaisirs qu'il venait de lui causer, et que ce seraient les derniers qu'elle éprouverait jamais avec lui. Elle répliqua qu'elle se les était attirés par l'imprudence qu'elle avait eue de promettre sa fille aux fées; et que si quelque chose la pouvait rendre excusable, c'était l'état où elle était; enfin il lui déclara qu'il voulait me remettre entre leurs mains. La reine, à son tour, combattit ce dessein: il semblait que quelque fatalité s'en mêlait, et que je devais être toujours un sujet de discorde entre mon père et ma mère. Après qu'elle eut bien gémi et pleuré, sans rien obtenir de ce qu'elle souhaitait (car le roi en voyait trop les funestes conséquences, et nos sujets continuaient de mourir, comme s'ils eussent été coupables des fautes de notre famille), elle consentit à ce qu'il désirait, et l'on prépara tout pour la cérémonie.

"Je fus mise dans un berceau de nacre de perle, orné de tout ce que l'art peut faire imaginer de plus galant. Ce n'étaient que guirlandes de fleurs et festons qui pendaient autour, et les fleurs en étaient de pierreries, dont les différentes couleurs, frappées par le soleil, réfléchissaient des rayons si brillants, qu'on ne les pouvait regarder. La magnificence de mon ajustement surpassait, s'il se peut, celle du berceau: toutes les bandes de mon maillot étaient faites de grosses perles. Vingt-quatre princesses du sang me portaient sur une espèce de brancard fort léger; leurs parures n'avaient rien de commun: mais il ne leur fut pas permis de mettre d'autres couleurs que du blanc, par rapport à mon innocence. Toute la cour m'accompagna, chacun dans son rang.

"Pendant que l'on montait la montagne, on entendit une mélodieuse symphonie qui s'approchait. Enfin les fées parurent, au nombre de trente-six, elles avaient prié leurs bonnes amies de venir avec elles; chacune était assise dans une coquille de perle plus grande que celle où Vénus était lorsqu'elle sortit de la mer; des chevaux marins qui n'allaient guère bien sur terre, les traînaient plus pompeuses que les premières reines de l'univers, mais d'ailleurs vieilles et laides avec excès. Elles portaient une branche d'olivier, pour signifier au roi que sa soumission trouvait grâce devant elles; et lorsqu'elles me tinrent, ce furent des caresses si extraordinaires, qu'il semblait qu'elles ne voulaient plus vivre que pour me rendre heureuse.

"Le dragon qui avait servi à les venger contre mon père venait après elles attaché avec des chaînes de diamants. Elles me prirent entre leurs bras, me firent mille caresses, me douèrent de plusieurs avantages, et commencèrent ensuite le branle des fées. C'est une danse fort gaie; il n'est pas croyable combien ces vieilles dames sautèrent et gambadèrent; puis, le dragon qui avait mangé tant de personnes s'approcha en rampant. Les trois fées à qui ma mère m'avait promise s'assirent dessus, mirent mon berceau au milieu d'elles; et frappant le dragon avec une baguette, il déploya aussitôt ses grandes ailes écaillées, plus fines que du crêpe; elles étaient mêlées de mille couleurs bizarres. Elles se rendirent ainsi à leur château. Ma mère, me voyant en l'air exposée sur ce furieux dragon, ne put s'empêcher de pousser de grands cris. Le roi la consola, par l'assurance que son amie lui avait donnée, qu'il ne m'arriverait aucun accident, et que l'on prendrait le même soin de moi que si j'étais restée dans son propre palais. Elle s'apaisa, bien qu'il lui fût très-douloureux de me perdre pour si longtemps, et d'en être la seule cause; car si elle n'avait pas voulu manger les fruits du jardin, je serais demeurée dans le royaume de mon père, et je n'aurais pas eu tous les déplaisirs qui me restent à vous raconter.

"Sachez donc, fils de roi, que mes gardiennes avaient bâti exprès une tour, dans laquelle on trouvait mille beaux appartements pour toutes les saisons de l'année, des meubles magnifiques, des livres agréables; mais il n'y avait point de porte, et il fallait toujours entrer par les fenêtres qui étaient prodigieusement hautes. L'on trouvait un beau jardin sur la tour, orné de fleurs, de fontaines et de berceaux de verdure, qui garantissaient de la chaleur dans la plus ardente canicule. Ce fut en ce lieu que les fées m'élevèrent avec des soins qui surpassaient tout ce qu'elles avaient promis à la reine. Mes habits étaient des plus à la mode, et si magnifiques, que si quelqu'un m'avait vue, l'on aurait cru que c'était le jour de mes noces. Elles m'apprenaient tout ce qui convenait à mon âge et à ma naissance. Je ne leur donnais pas beaucoup de peine, car il n'y avait guère de choses que je ne comprisse avec une extrême facilité; ma douceur leur était fort agréable; et comme je n'avais jamais rien vu qu'elles, je serais demeurée tranquille dans cette situation le reste de ma vie.

"Elles venaient toujours me voir, montées sur le furieux dragon dont j'ai déjà parlé; elles ne m'entretenaient jamais ni du roi ni de la reine; elles me nommaient leur fille, et je croyais l'être. Personne au monde ne restait avec moi dans la tour qu'un perroquet et un petit chien qu'elles n'avaient donné pour me divertir, car ils étaient doués de raison et parlaient à merveille.

"Un des côtés de la tour était bâti sur un chemin creux, plein d'ornières et d'arbres qui l'embarrassaient; de sorte que je n'y avais aperçu personne depuis qu'on m'avait enfermée. Mais un jour comme j'étais à la fenêtre, causant avec mon perroquet et mon chien, j'entendis quelque bruit. Je regardai de tous côtés, et j'aperçus un jeune chevalier qui s'était arrêté pour écouter notre conversation; je n'en avais jamais vu qu'en peinture. Je ne fus pas fâchée qu'une rencontre inespérée fournît cette occasion; de sorte que, ne me défiant point du danger qui est attaché à la satisfaction de voir un objet aimable, je m'avançai pour le regarder, et plus je le regardais, plus j'y prenais de plaisir. Il me fit une profonde révérence, il attacha ses yeux sur moi, et me parut très en peine de quelle manière il pourrait m'entretenir; car ma fenêtre était fort haute, il craignait d'être entendu, et il savait bien que j'étais dans le château des fées.

"La nuit vint presque tout d'un coup, ou, pour parler plus juste, elle vint sans que nous nous en aperçussions; il sonna deux ou trois fois du cor, et me réjouit de quelques fanfares; puis il partit sans que je pusse même distinguer de quel côté il allait, tant l'obscurité était grande. Je restai très-rêveuse; je ne sentis plus le même plaisir que j'avais toujours pris à causer avec mon perroquet et mon chien. Ils me disaient les plus jolies choses du monde, car des bêtes fées deviennent spirituelles; mais j'étais occupée, et je ne savais point l'art de me contraindre. Perroquet le remarqua; il était fin, il ne témoigna rien de ce qui lui roulait dans la tête.

"Je ne manquai pas de me lever avec le jour. Je courus à ma fenêtre; je demeurai agréablement surprise d'apercevoir au pied de la tour le jeune chevalier. Il avait des habits magnifiques; je me flattai que j'y avais un peu de part, et je ne me trompais point. Il me parla avec une espèce de trompette qui porte la voix; et, par son secours, il me dit qu'ayant été insensible jusqu'alors à toutes les beautés qu'il avait vues il s'était senti tout d'un coup si vivement frappé de la mienne, qu'il ne pouvait comprendre comme quoi il se passerait, sans mourir, de me voir tous les jours de sa vie. Je demeurai très-contente de son compliment, et très-inquiète de n'oser y répondre; car il aurait fallu crier de toute ma force, et me mettre dans le risque d'être mieux entendue encore des fées que de lui. Je tenais quelques fleurs, que je lui jetai; il les reçut comme une insigne faveur, de sorte qu'il les baisa plusieurs fois, et me remercia. Il me demanda ensuite si je trouverais bon qu'il vint tous les jours à la même heure sous mes fenêtres, et que, si je le voulais bien, je lui jetasse quelque chose. J'avais une bague de turquoise, que j'ôtai brusquement de mon doigt, et que je lui jetai avec beaucoup de précipitation, lui faisant signe de s'éloigner en diligence: c'est que j'entendais de l'autre côté la fée Violente qui montait sur son dragon pour m'apporter à déjeuner.

 

"La première chose qu'elle dit en entrant dans ma chambre, ce furent ces mots: "Je sens ici la voix d'un homme; cherche, dragon." Oh! que devins-je! j'étais transie de peur qu'il ne passât par l'autre fenêtre, et qu'il ne suivit le chevalier, pour lequel je m'intéressais déjà beaucoup. "En vérité, dis-je, ma bonne maman (car la vieille fée voulait que je la nommasse ainsi), vous plaisantez quand vous dites que vous sentez la voix d'un homme: est-ce que la voix sent quelque chose? et quand cela serait, quel est le mortel assez téméraire pour hasarder de monter dans cette tour? – Ce que tu dis est vrai, ma fille, répondit-elle; je suis ravi de te voir raisonner si joliment, et je conçois que c'est la haine que j'ai pour tous les hommes qui me persuade quelquefois qu'ils ne sont pas éloignés de moi." Elle me donna mon déjeuner et ma quenouille. "Quand tu auras mangé, ne manque pas de filer; car tu ne fis rien hier, me dit-elle, et mes soeurs se fâcheront." En effet je m'étais si fort occupée de l'inconnu, qu'il m'avait été impossible de filer.

"Dès qu'elle fut partie, je jetai la quenouille d'un petit air mutin, et montai sur la terrasse, pour découvrir de plus loin dans la campagne. J'avais une lunette d'approche excellente; rien ne bornait ma vue; je regardais de tous côtés, lorsque je découvris mon chevalier sur le haut d'une montagne. Il se reposait sous un riche pavillon d'étoffe d'or, et il était entouré d'un fort grosse cour. Je ne doutai point que ce ne fut le fils de quelque roi voisin du palais des fées. Comme je craignais que s'il revenait à la tour il ne fut découvert par le terrible dragon, je vins prendre mon perroquet, et lui dis de voler jusqu'à cette montagne, qu'il y trouverait celui qui m'avait parlé, et qu'il le priât de ma part de ne plus revenir, parce que j'appréhendais la vigilance de mes gardiennes, et qu'elles ne lui fissent un mauvais tour.

"Perroquet s'acquitta de sa commission en perroquet d'esprit. Chacun demeura surpris de la voir venir à tire-d'aile se percher sur l'épaule du prince, et lui parler tout bas à l'oreille. Le prince ressentit de la joie et de la peine de cette ambassade. Le soin que je prenais flattait son coeur; mais les difficultés qui se rencontraient à me parler l'accablaient, sans pouvoir le détourner du dessein qu'il avait formé de me plaire. Il fit cent questions à Perroquet, et Perroquet lui en fit cent à son tour car il était naturellement curieux. Le roi le chargea, d'une bague pour moi, à la place de ma turquoise; c'en était une aussi, mais beaucoup plus belle que la mienne; elle était taillée en coeur avec des diamants. "Il est juste, ajouta-t-il, que je vous traite en ambassadeur: voilà mon portrait que je vous donne, ne le montrez qu'à votre charmante maîtresse." Il lui attacha sous son aile son portrait, et il apporta la bague dans son bec.

"J'attendais le retour de mon petit courrier vert avec une impatience que je n'avais point connue jusqu'alors. Il me dit que celui à qui je l'avais envoyé était un grand roi, qu'il l'avait reçu le mieux du monde, et que je pouvais m'assurer qu'il ne voulait plus vivre que pour moi; qu'encore qu'il y eût beaucoup de péril à venir au bas de ma tour, il était résolu à tout, plutôt que de renoncer à me voir. Ces nouvelles m'intriguèrent fort, je me pris à pleurer. Perroquet et Toutou me consolèrent de leur mieux, car ils m'aimaient tendrement. Puis Perroquet me présenta la bague du prince, et me montra le portrait. J'avoue que je n'ai jamais été si aise que je le fus de pouvoir considérer de près celui que je n'avais vu que de loin. Il me parut encore plus aimable qu'il ne m'avait semblé; il me vint cent pensées dans l'esprit, dont les unes agréables et les autres tristes me donnèrent un air d'inquiétude extraordinaire. Les fées qui vinrent me voir s'en aperçurent. Elles se dirent l'une à l'autre que sans doute je m'ennuyais, et qu'il fallait songer à me trouver un époux de race fée. Elles parlèrent de plusieurs, et s'arrêtèrent sur le petit roi Mignonnet, dont le royaume était à cinq cent mille lieues de leur palais; mais ce n'était pas là une affaire. Perroquet entendit ce beau conseil; il vint m'en rendre compte, et me dit: "Ah! que je vous plains, ma chère maîtresse, si vous devenez la reine Mignonette c'est un magot qui fait peur, j'ai regret de vous le dire; mais, en vérité, le roi qui vous aime ne voudrait pas de lui pour son valet de pied. – Est-ce que tu l'as vu, Perroquet? – Je le crois vraiment, continua-t-il, j'ai été élevé sur une branche avec lui. – Comment sur une branche? repris-je. – Oui, dit-il, c'est qu'ils ont les pieds d'un aigle."

"Un tel récit m'affligea étrangement. Je regardais le charmant portrait du jeune roi, je pensais bien qu'il n'en avait régalé Perroquet que pour me donner lieu de le voir; et quand j'en faisais comparaison avec Migonnet, je n'espérais plus rien de ma vie, et je me résolvais plutôt à mourir qu'à l'épouser.

"Je ne dormis point tant que la nuit dura. Perroquet et Toutou causèrent avec moi. Je m'endormis un peu sur le matin; et comme mon chien avait le nez bon, il sentit que le roi était au pied de la tour. Il éveilla Perroquet. "Je gage, dit-il, que le roi est là-bas." Perroquet répondit: "Tais-toi, babillard; parce que tu as presque toujours les yeux ouverts et l'oreille alerte, tu es fâché du repos des autres. – Mais gageons, dit encore le bon Toutou, je sais bien qu'il y est." Perroquet répliqua: "Et moi, je sais bien qu'il n'y est point: ne lui ai-je pas défendu d'y venir, de la part de notre maîtresse? – Ha vraiment! tu me la donnes belle avec tes défenses, s'écria mon chien: un homme passionné ne consulte que son coeur." Et là-dessus il se mit à lui tirailler si fort les ailes, que Perroquet se fâcha. Je m'éveillai aux cris de l'un et de l'autre; ils me dirent ce qui en faisait le sujet, je courus, ou plutôt je volai à ma fenêtre; je vis le roi qui me tendait les bras, et qui me dit avec sa trompette, qu'il ne pouvait plus vivre sans moi, qu'il me conjurait de trouver les moyens de sortir de ma tour, ou de l'y faire entrer; qu'il attestait tous les dieux et tous les éléments, qu'il m'épouserait aussitôt et que je serais une des plus grandes reines de l'univers.

"Je commandai à Perroquet de lui aller dire, que ce qu'il souhaitait me semblait presque impossible; que cependant, sur la parole qu'il me donnait et les serments qu'il avait faits, j'allais m'appliquer à ce qu'il désirait; que je le conjurais de ne pas venir tous les jours; qu'enfin l'on pourrait s'en apercevoir, et qu'il n'y aurait point de quartier avec les fées.

"Il se retira comblé de joie, par l'espérance dont je le flattais; et je me trouvai dans le plus grand embarras du monde lorsque je fis réflexion à ce que je venais de promettre. Comment sortir de cette tour, où il n'y avait point de portes? et n'avoir pour tout secours que Perroquet et Toutou; être si jeune, si peu expérimentée, si craintive! Je pris donc la résolution de ne point tenter une chose où je ne réussirais jamais, et je l'envoyai dire au roi par Perroquet. Il voulut se tuer à ses yeux; mais enfin il le chargea de me persuader ou de le venir voir mourir, ou de le soulager. "Sire, s'écria l'ambassadeur emplumé, ma maîtresse est suffisamment persuadée, elle ne manque que de pouvoir."

"Quand il me rendit compte de tout ce qui s'était passé, je m'affligeai plus que je l'eusse encore fait. La fée Violente vint, elle me trouva les yeux enflés et rouges; elle dit que j'avais pleuré et que si je ne lui en avouais le sujet elle me brûlerait: car toutes ses menaces étaient toujours terribles. Je répondis, en tremblant, que j'étais lasse de filer, et que j'avais envie de petits filets pour prendre des oisillons qui venaient becqueter les fruits de mon jardin. "Ce que tu souhaites, ma fille, me dit-elle, ne te coûtera plus de larmes: je t'apporterai des cordelettes tant que tu en voudras." Et en effet j'en eus le soir même. Mais elle m'avertit de songer moins à travailler qu'à me faire belle, parce que le roi Migonnet devait arriver dans peu. Je frémis à ces fâcheuses nouvelles, et ne répliquai rien.

"Des qu'elle fut partie, je commençai deux ou trois morceaux de filet; mais à quoi je m'appliquai, ce fut à faire une échelle de corde, qui était très-bien faite, sans en avoir jamais vu. Il est vrai que la fée ne m'en fournissait pas autant qu'il m'en fallait, et sans cesse elle me disait: "Mais, ma fille, ton ouvrage est semblable à celui de Pénélope, il n'avance point, et tu ne te lasses pas de me demander de quoi travailler. – Oh! ma bonne maman, disais-je, vous en parlez bien à votre aise; ne voyez-vous pas que je ne sais comment m'y prendre, et que je brûle tout? Avez-vous peur que je ne vous ruine en ficelle?" Mon air de simplicité la réjouissait, bien qu'elle fût d'une humeur très-désagréable et très-cruelle.

"J'envoyai Perroquet dire au roi de venir un soir sous les fenêtres de la tour, qu'il y trouverait l'échelle, et qu'il saurait le reste quand il serait arrivé. En effet, je l'attachai bien ferme, résolue à me sauver avec lui; mais quand il la vit, sans attendre que je descendisse, il monta avec empressement, et se jeta dans ma chambre comme je préparais tout pour ma fuite.

"Sa vue me donna tant de joie, que j'en oubliai le péril où nous étions. Il me renouvela tous ses serments, et me conjura de ne point différer de le recevoir pour mon époux. Nous prîmes Perroquet et Toutou pour témoins de notre mariage. Jamais noces ne se sont faites, entre des personnes si élevées, avec moins d'éclat et de bruit, et jamais coeurs n'ont été plus contents que les nôtres.

"Le jour n'était pas encore venu quand le roi me quitta. Je lui racontai l'épouvantable dessein des fées de me marier au petit Migonnet; je lui dépeignis sa figure, dont il eut autant d'horreur que moi. A peine fut-il parti, que les heures me semblèrent aussi longues que les années; je courus à la fenêtre, je le suivis des yeux malgré l'obscurité. Mais quel fut mon étonnement de voir en l'air un chariot de feu traîné par des salamandres ailées, qui faisaient une telle diligence, que l'oeil pouvait à peine le suivre! Ce chariot était accompagné de plusieurs gardes montés sur des autruches. Je n'eus pas assez de loisir pour bien considérer le magot qui traversait ainsi les airs; mais je crus aisément que c'était une fée ou un enchanteur.

"Peu après, la fée Violente entra dans ma chambre. "Je t'apporte de bonnes nouvelles, me dit-elle, ton amant est arrivé depuis quelques heures; prépare-toi à le recevoir: voici des habits et des pierreries. – Eh! qui vous a dit, m'écriai-je, que je voulais être mariée? ce n'est point du tout mon intention. Renvoyez le roi Migonnet, je n'en mettrai pas une épingle davantage; qu'il me trouve belle ou laide, je ne suis point pour lui. – Ouais, ouais, dit la fée encore, quelle petite révoltée, quelle tête sans cervelle! je n'entends pas raillerie, et je te… – Que me ferez-vous? répliquai-je, toute rouge des noms qu'elle m'avait donnés? Peut-on être plus tristement nourrie que je le suis, dans une tour, avec un perroquet et un chien, voyant tous les jours plusieurs fois l'horrible figure d'un dragon épouvantable! – Ah! petite ingrate, dit la fée, méritais-tu tant de soins et de peines? je ne l'ai que trop dit à mes soeurs, que nous en aurions une triste récompense." Elle alla les trouver, elle leur raconta notre différend, elles restèrent aussi surprises les unes que les autres.

"Perroquet et Toutou me firent de grandes remonstrances, que si je faisais davantage la mutine ils prévoyaient qu'il m'en arriverait de cuisants déplaisirs. Je me sentais si fière de posséder le coeur d'un grand roi, que je méprisais les fées et les conseils de mes pauvres petits camarades. Je ne m'habillai point, et j'affectai de me coiffer de travers, afin que Migonnet me trouvât désagréable. Notre entrevue se fit sur la terrasse. Il y vint dans son chariot de feu. Jamais depuis qu'il y a des nains il ne s'en est vu un si petit. Il marchait sur ses pieds d'aigle et sur ses genoux tout ensemble, car il n'avait point d'os aux jambes; de sorte qu'il se soutenait sur deux béquilles de diamants. Son manteau royal n'avait qu'une demi-aune de long, et traînait de plus d'un tiers. Sa tête était grosse comme un boisseau, et son nez si grand, qu'il portait dessus une douzaine d'oiseaux, dont le ramage le réjouissait. Il avait une si furieuse barbe, que les serins de Canarie y faisaient leurs nids, et ses oreilles passaient d'un coudée au-dessus de sa tête; mais on s'en apercevait peu, à cause d'une haute couronne pointue qu'il portait pour paraître plus grand. La flamme de son chariot rôtit les fruits, sécha les fleurs, et tarit les fontaines de mon jardin. Il vint à moi, les bras ouverts pour m'embrasser; je me tins fort droite, il fallut que son premier écuyer le haussât. Mais aussitôt qu'il s'approcha, je m'enfuis dans ma chambre, dont je fermai la porte et les fenêtres, de sorte que Migonnet se retira chez les fées, très-indigné contre moi.

 

"Elles lui demandèrent mille fois pardon de ma brusquerie; et pour l'apaiser, car il était redoutable, elles résolurent de l'amener la nuit dans ma chambre pendant que je dormirais, de m'attacher les pieds et les mains, pour me mettre avec lui dans son brûlant chariot, afin qu'il m'emmenât. La chose ainsi arrêtée, elles me grondèrent à peine des brusqueries que j'avais faites. Elles dirent seulement qu'il fallait songer à les réparer. Perroquet et Toutou restèrent surpris d'une si grande douceur. "Savez-vous bien, ma maîtresse, dit mon chien, que le coeur ne m'annonce rien de bon? mesdames les fées sont d'étranges personnes, et surtout Violente." Je me moquai de ses alarmes, et j'attendis mon cher époux avec mille impatiences: il en avait trop de me voir pour tarder; je lui jetai l'échelle de corde, bien résolue à m'en retourner avec lui; il monta légèrement, et me dit des choses si tendres, que je n'ose encore les rappeler à mon souvenir.

"Comme nous parlions ensemble avec la même tranquillité que nous aurions eue dans son palais, nous vîmes enfoncer tout d'un coup les fenêtres de ma chambre. Les fées entrèrent sur leur terrible dragon, Migonnet les suivit dans son chariot de feu, et tous ses gardes avec leurs autruches. Le roi, sans s'effrayer, mit l'épée à la main, et ne songea qu'à me garantir de la plus furieuse aventure qui se soit jamais passée; car enfin, vous le dirai-je, seigneur, ces barbares créatures poussèrent leur dragon sur lui, et à mes yeux il le dévora.

"Désespérée de son malheur et du mien, je me jetai dans la gueule de cet horrible monstre, voulant qu'il m'engloutît, comme il venait d'engloutir tout ce que j'aimais au monde. Il le voulait bien aussi; mais les fées, encore plus cruelles que lui, ne le voulurent pas. "Il faut, s'écrièrent-elles, la réserver à de plus longues peines: une prompte mort est trop douce pour cette indigne créature." Elles me touchèrent, je me vis aussitôt sous la figure d'une chatte blanche; elles me conduisirent dans ce superbe palais qui était à mon père; elles métamorphosèrent tous les seigneurs et toutes les dames du royaume en chats et en chattes; elles en laissèrent à qui on ne voyait que les mains, et me réduisirent dans le déplorable état où vous me trouvâtes, me faisant savoir ma naissance, la mort de mon père, celle de ma mère, et que je ne serais délivrée de ma chatonique figure que par un prince qui ressemblait parfaitement à l'époux qu'elles m'avaient ravi. C'est vous, seigneur, qui avez cette ressemblance, continua-t-elle: mêmes traits, même air, même son de voix; j'en fus frappée aussitôt que je vous vis, j'étais informée de tout ce qui devait arriver, et je le suis encore de tout ce qui arrivera: mes peines vont finir.

"Et les miennes, belle reine, dit le prince en se jetant à ses pieds, seront-elles de longue durée? – Je vous aime plus que ma vie, seigneur: il faut partir pour aller vers votre père; nous verrons ses sentiments pour moi, et s'il consentira à ce que vous désirez."

Elle sortit, le prince lui donna la main, elle monta dans un chariot avec lui: il était beaucoup plus magnifique que ceux qu'il avait eus jusqu'alors. Le reste de l'équipage y répondait à tel point, que tous les fers des chevaux étaient d'émeraudes, et les clous de diamants. Cela ne s'est peut-être jamais vu que cette fois-là. Je ne dis point les agréables conversations que la reine et le prince avaient ensemble: si elle était unique en beauté, elle ne l'était pas moins en esprit, et ce jeune prince était aussi parfait qu'elle; de sorte qu'ils pensaient des choses toutes charmantes.

Lorsqu'ils furent près du château, où les deux frères aînés du prince doivent se trouver, la reine entra dans un petit rocher de cristal, dont toutes les pointes étaient garnies d'or et de rubis. Il y avait des rideaux tout autour, afin qu'on ne la vit point, et il était porté par des jeunes hommes très-bien faits et superbement vêtus. Le prince demeura dans le beau chariot, il aperçut ses frères qui se promenaient avec des princesses d'une excellente beauté. Dès qu'ils le reconnurent, ils s'avancèrent pour le recevoir, et lui demandèrent s'il amenait une dame: il leur dit qu'il avait été si malheureux, que dans tout son voyage il n'en avait rencontre que de très-laides; que ce qu'il apportait de plus rare, c'était une petite chatte blanche. Ils se prirent à rire de sa simplicité. "Une chatte! lui dirent-ils, avez-vous peur que les souris ne mangent notre palais?" Le prince répliqua qu'en effet il n'était pas sage de vouloir faire un tel présent à son père. Là-dessus chacun prit le chemin de la ville.

Les princes aînés montèrent avec leurs princesses, dans des calèches toutes d'or et d'azur; leurs chevaux avaient sur leur tête des plumes et des aigrettes; rien n'était plus brillant que cette cavalcade. Notre jeune prince allait après, et puis le rocher de cristal, que tout le monde regardait avec admiration.

Les courtisans s'empressèrent de venir dire au roi que les trois princes arrivaient. "Amènent-ils de belles dames? répliqua le roi. – Il est impossible de rien voir qui les surpasse." A cette réponse, il parut fâché. Les deux princes s'empressèrent de monter avec leurs merveilleuses princesses. Le roi les reçut très-bien, et ne savait à laquelle donner le prix. Il regarda son cadet, et lui dit: "Cette fois-ci, vous venez donc seul? – Votre Majesté verra dans ce rocher une petite chatte blanche, répliqua le prince, qui miaule si doucement, qu'elle lui agréera." Le roi sourit, et alla lui-même pour ouvrir le rocher. Mais aussitôt qu'il s'approcha, la reine, avec un ressort, en fit tomber toutes les pièces, et parut comme le soleil qui à été quelque temps enveloppé dans une nue; ses cheveux blonds étaient épars sur ses épaules, ils tombaient par grosses boucles jusqu'à ses pieds. Sa tête était ceinte de fleurs; sa robe d'une légère gaze blanche, doublée de taffetas couleur de rose. Elle se leva et fit une profonde révérence au roi, qui ne put s'empêcher dans l'excès de son admiration, de s'écrier: "Voici l'incomparable, et celle qui mérite ma couronne!"

"Seigneur, lui dit-elle, je ne suis pas venue pour vous arracher un trône que vous remplissez si dignement; je suis née avec six royaumes: permettez que je vous en offre un, et que j'en donne autant à chacun de vos fils. Je ne vous demande pour toute récompense que votre amitié, et ce jeune prince pour époux. Nous aurons encore assez de trois royaumes." Le roi et toute la cour poussèrent de longs cris de joie et d'étonnement. Le mariage fut célébré aussitôt, aussi bien que celui des deux princes; de sorte que toute la cour passa plusieurs mois dans les divertissements et les plaisirs. Chacun ensuite partit pour aller gouverner ses États; la belle Chatte Blanche s'y est immortalisée, autant par ses bontés et ses libéralités, que par son rare mérite et sa beauté.

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