Za darmo

Le Cabinet des Fées

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

Cependant il n'avait aucune envie de se défaire de sa couronne. Le plus petit fleuron lui était plus cher que tous les chiens de l'univers. Il dit donc à ses enfants qu'il était satisfait de leurs peines; mais qu'ils avaient si bien réussi dans la première chose qu'il avait souhaitée d'eux, qu'il voulait encore éprouver leur habileté avant de tenir parole; qu'ainsi il leur donnait un an à chercher, par mer et par terre, un pièce de toile si fine, qu'elle passât par le trou d'une aiguille à faire du point de Venise. Ils demeurèrent tous trois très-affligés d'être en obligation de retourner à une nouvelle quête. Les deux princes, dont les chiens étaient moins beaux que celui de leur cadet, y consentirent. Chacun partit de son côté, sans se faire autant d'amitié que la première fois, car le tournebroche les avait un peu refroidis.

Notre prince reprit son cheval de bois; et, sans vouloir chercher d'autres secours que ceux qu'il pourrait espérer de l'amitié de Chatte Blanche, il partit en toute diligence, et retourna au château où elle l'avait si bien reçu. Il en trouva toutes les portes ouvertes, et les murs étaient bien éclairés de cent mille lampes, qui faisaient un effet merveilleux. Les mains qui l'avaient si bien servi s'avancèrent au-devant de lui; prirent la bride de l'excellent cheval de bois, qu'elles menèrent à l'écurie, pendant que le prince entra dans la chambre de Chatte Blanche.

Elle était couchée dans une petite corbeille, sur un matelas de satin blanc très-propre. Elle avait des cornettes négligées, et paraissait abattue; mais quand elle aperçut le prince, elle fit mille sauts et autant de gambades, pour lui témoigner la joie qu'elle avait. "Quelque sujet que j'eusse, lui dit-elle, d'espérer ton retour, je t'avoue, fils de roi, que je n'osais m'en flatter, et je suis ordinairement si malheureuse dans les choses que je souhaite, que celle-ci me surprend." Le prince reconnaissant, lui fit mille caresses; il lui conta le succès de son voyage, qu'elle savait peut-être mieux que lui, et que le roi voulait une pièce de toile qui pût passer par le trou d'une aiguille; qu'à la vérité il croyait la chose impossible, mais qu'il n'avait pas laissé de la tenter, se promettant tout de son amitié et de son secours. Chatte Blanche, prenant un air plus sérieux, lui dit que c'était une affaire à laquelle il fallait penser, que par bonheur elle avait dans son château des chattes qui filaient fort bien, qu'elle-même y mettrait la griffe, et qu'elle avancerait cette besogne; qu'ainsi il pouvait demeurer tranquille, sans aller bien loin chercher ce qu'il trouverait plus aisément chez elle qu'en aucun lieu du monde.

Les mains parurent, elles portaient des flambeaux; et le prince, les suivant avec Chatte Blanche, entra dans une magnifique galerie qui régnait le long d'une grande rivière, sur laquelle on tira un feu d'artifice surprenant. L'on y devait brûler quatre chats, dont le procès était fait dans toutes les formes. Ils étaient accusés d'avoir mangé le rôti du souper de la Chatte Blanche, son fromage, son lait; d'avoir même conspiré contre sa personne avec Martafax et L'hermite, fameux rats de la contrée, et tenus pour tels par la Fontaine, auteur très-véritable: mais avec tout cela l'on savait qu'il y avait beaucoup de cabale dans cette affaire, et que la plupart des témoins étaient subornés. Quoi qu'il en soit, le prince obtint leur grâce. Le feu d'artifice ne fit mal à personne, et l'on n'a encore jamais vue de si belles fusées.

L'on servit ensuite un médianoche 192 très-propre, qui causa plus de plaisir au prince que le feu; car il avait grand' faim, et son cheval de bois l'avait amené si vite, qu'il n'a jamais été de diligence pareille. Les jours suivants se passèrent comme ceux qui les avaient précédés, avec mille fêtes différentes, dont l'ingénieuse Chatte Blanche régalait son hôte. C'est peut-être le premier mortel qui se soit bien diverti avec des chats, sans avoir d'autre compagnie.

Il est vrai que Chatte Blanche avait l'esprit agréable, liant, et presque universel. Elle était plus savante qu'il n'est permis à une chatte de l'être. Le prince s'en étonnait quelquefois. "Non, lui disait-il, ce n'est point une chose naturelle que tout ce que je remarque de merveilleux en vous: si vous m'aimez, charmante Minette, apprenez-moi par quel prodige vous pensez et vous parlez si juste, qu'on pourrait vous recevoir dans les académies fameuses des plus beaux esprits. – Cesse tes questions, fils de roi, lui dit-elle, il ne m'est pas permis de répondre, et tu peux pousser tes conjectures aussi loin que tu voudras, sans que je m'y oppose; qu'il te suffise que j'ai toujours pour toi patte de velours, 193 et que je m'intéresse tendrement à tout ce qui te regarde."

Insensiblement cette seconde année s'écoula comme la première. Le prince ne souhaitait guère de choses que les mains diligentes ne lui apportassent sur-le-champ, soit des livres, des pierreries, des tableaux, des médailles antiques; enfin, il n'avait qu'à dire: "Je veux tel bijou, qui est dans le cabinet du Mogol ou du roi de Perse, telle statue de Corinthe, ou de Grèce," il voyait aussitôt devant lui ce qu'il désirait, sans savoir ni qui l'avait apporté, ni d'où il venait. Cela ne laisse pas d'avoir ses agréments; et pour se délasser, l'on est quelquefois bien aise de se voir maître des plus beaux trésors de la terre.

Chatte Blanche, qui veillait toujours aux intérêts du prince, l'avertit que le temps de son départ approchait, qu'il pouvait se tranquilliser sur la pièce de toile qu'il désirait, et qu'elle lui en avait fait une merveilleuse; elle ajouta qu'elle voulait cette fois lui donner un équipage digne de sa naissance, et, sans attendre sa réponse, elle l'obligea de regarder dans la cour du château. Il y avait une calèche découverte, d'or émaillé de couleur de feu, avec mille devises galantes qui satisfaisaient autant l'esprit que les yeux. Douze chevaux blancs comme la neige, attachés quatre à quatre de front, la traînaient, chargés de harnais de velours couleur de feu en broderie de diamants, et garnis de plaques d'or. La doublure de la calèche était pareille, et cent carrosses à huit chevaux, tous remplis de seigneurs de grande apparence très-superbement vêtus, suivaient cette calèche.

Elle était encore accompagnée par mille gardes de corps, dont les habits étaient si couverts de broderie, que l'on n'apercevait point l'étoffe; ce qui était singulier, c'est qu'on voyait partout le portrait de Chatte Blanche, soit dans les devises de la calèche, ou sur les habits des gardes de corps, ou attaché avec un ruban au justaucorps de ceux qui faisaient le cortége, comme un ordre nouveau, dont elle les avait honorés.

"Va, dit-elle au prince, va paraître à la cour du roi ton père, d'une manière si somptueuse, que tes airs magnifiques servent à lui imposer, afin qu'il ne te refuse plus la couronne que tu mérites. Voilà une noix, garde-toi de ne la casser qu'en sa présence; tu y trouveras la pièce de toile que tu m'as demandée. – Aimable Blanchette, lui dit-il, je vous avoue que je suis si pénétré de vos bontés, que, si vous y vouliez consentir, je préférerais de passer ma vie avec vous à toutes les grandeurs que j'ai lieu de me promettre ailleurs. – Fils de roi, répliqua-t-elle, je suis persuadée de la bonté de ton coeur: c'est une marchandise rare parmi les princes, ils veulent être aimés de tout le monde, et ne veulent rien aimer; mais tu montres assez que la règle générale a son exception. Je te tiens compte de l'attachement que tu témoignes pour une petite Chatte Blanche, qui, dans le fond, n'est propre à rien qu'à prendre des souris." Le prince lui baisa la patte et partit.

L'on aurait de la peine à croire la diligence qu'il fit, si l'on ne savait déjà de quelle manière le cheval de bois l'avait porté, en moins de deux jours, à plus de cinq cents lieues du château, de sorte que le même pouvoir qui anima celui-là pressa si fort les autres, qu'ils ne restèrent que vingt-quatre heures sur le chemin. Ils ne s'arrêtèrent en aucun endroit, jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés chez le roi, où les deux frères aînés du prince s'étaient déjà rendus; de sorte que, ne voyant pas paraître leur cadet, ils s'applaudissaient de sa négligence, et se disaient tout bas l'un à l'autre: "Voilà qui est bien heureux; il est mort ou malade, il ne sera point notre rival dans l'affaire importante qui va se traiter." Aussitôt ils déployèrent leurs toiles, qui, à la vérité, étaient si fines, qu'elles passaient dans le trou d'une grosse aiguille, mais pour dans une petite, cela ne se pouvait; et le roi, très-aise de ce prétexte de dispute, leur montra l'aiguille qu'il avait proposée, et que les magistrats, par son ordre, apportèrent du trésor de la ville, où elle avait été soigneusement enfermée.

Il y avait beaucoup de murmure sur cette dispute. Les amis des princes, et particulièrement ceux de l'aîné, car c'était sa toile qui était la plus belle, disaient que c'était là une franche chicane, où il entrait beaucoup d'adresse et de normanisme. 194 Les créatures du roi soutenaient qu'il n'était point obligé de tenir des conditions qu'il n'avait pas proposées. Enfin, pour les mettre tous d'accord, l'on entendit un bruit charmant de trompettes, de timbales et de hautbois: c'était notre prince qui arrivait en pompeux appareil. Le roi et ses deux fils demeurèrent aussi étonnés les uns que les autres d'une si grande magnificence.

 

Après qu'il eut salué respectueusement son père, embrassé ses frères, il tira d'une boîte couverte de rubis, la noix, qu'il cassa. Il croyait y trouver la pièce de toile tant vantée; mais il y avait au lieu une noisette. Il la cassa encore, et demeura surpris de voir un noyau de cerise. Chacun se regardait; le roi riait tout doucement, et se moquait que son fils eût été assez crédule pour croire apporter dans une noix une pièce de toile: mais pourquoi ne l'aurait-il pas cru, puisqu'il avait déjà donné un petit chien qui tenait dans un gland? Il cassa donc le noyau de cerise, qui était rempli de son amande. Alors il s'éleva un grand bruit dans la chambre; l'on n'entendait autre chose, sinon: "Le prince cadet est la dupe de l'aventure." Il ne répondit rien aux mauvaises plaisanteries des courtisans. Il ouvre l'amande, et trouve un grain de blé, puis dans le grain de blé un grain de millet. Oh! c'est la vérité qu'il commença à se défier, et marmotta entre ses dents: "Chatte Blanche! Chatte Blanche! tu t'es moquée de moi." Il sentit dans ce moment la griffe d'un chat sur sa main, dont il fut si bien égratigné qu'il en saignait. Il ne savait si cette griffade était faite pour lui donner du coeur, ou pour lui faire perdre courage; cependant il ouvrit le grain de millet, et l'étonnement de tout le monde ne fut pas petit quand il en tira une pièce de toile de quatre cents aunes, si merveilleuse, que tous les oiseaux, les animaux et les poissons y étaient peints avec les arbres, les fruits et les plantes de la terre, les rochers, les raretés et les coquillages de la mer, le soleil, la lune et les étoiles, les astres et les planètes des cieux. Il y avait encore le portrait des rois et des autres souverains qui régnaient pour lors dans le monde; celui de leurs femmes, de leurs enfants et de tous leurs sujets, sans que le plus petit polisson y fût oublié. Chacun dans son état faisait le personnage qui lui convenait, et était vêtu à la mode de son pays. Lorsque le roi vit cette pièce de toile, il devint aussi pâle que le prince était devenu rouge de la chercher si longtemps. L'on présenta l'aiguille, et elle y passa et repassa six fois. Le roi et les deux princes aînés gardaient un morne silence, quoique la beauté et la rareté de cette toile les forçât de temps en temps de dire que tout ce qui était dans l'univers ne lui était pas comparable.

Le roi poussa un profond soupir, et se tournant vers ses enfants: "Bien ne peut, leur dit-il, me donner tant de consolation dans ma vieillesse que de reconnaître votre déférence pour moi; je souhaite donc que vous vous mettiez à une nouvelle épreuve. Allez encore voyager un an, et celui qui, au bout de l'année, ramènera la plus belle fille l'épousera, et sera couronné roi à son mariage: c'est aussi bien une nécessité que mon successeur se marie. Je jure, je promets, que je ne différerai plus de donner la récompense que j'ai promise."

Toute l'injustice roulait sur notre prince. Le petit chien et la pièce de toile méritaient dix royaumes plutôt qu'un; mais il était si bien né, qu'il ne voulut point contrarier la volonté de son père, et, sans différer, il remonta dans sa calèche. Tout son équipage le suivit, et il retourna auprès de sa chère Chatte Blanche. Elle savait le jour et le moment qu'il devait arriver: tout était jonché de fleurs sur le chemin, mille cassolettes fumaient de tous côtés, et particulièrement dans le château. Elle était assise sur un tapis de Perse et sous un pavillon de drap d'or, dans une galerie où elle pouvait le voir revenir. Il fut reçu par les mains qui l'avaient toujours servi. Tous les chats grimpèrent sur les gouttières, pour le féliciter par un miaulage désespéré.

"Hé bien, fils de roi, lui dit-elle, te voilà donc encore revenu sans couronne? – Madame, répliqua-t-il, vos bontés m'avaient mis en état de la gagner; mais je suis persuadé que le roi aurait plus de peine à s'en défaire que je n'aurais de plaisir à la posséder. – N'importe, dit-elle, il ne faut rien négliger pour la mériter, je te servirai dans cette occasion; et puisqu'il faut que tu mènes une belle fille à la cour de ton père, je t'en chercherai quelqu'une qui te fera gagner le prix; cependant réjouissons-nous, j'ai ordonné un combat naval entre mes chats et les terribles rats de la contrée. Mes chats seront peut-être embarrassés, car ils craignent l'eau; mais aussi ils auraient trop d'avantage, et il faut, autant qu'on le peut, égaler toutes choses." Le prince admira la prudence de madame Minette. Il la loua beaucoup et alla avec elle sur une terrasse qui donnait sur la mer.

Les vaisseaux des chats consistaient en de grands morceaux de liége, sur lesquels ils voguaient assez commodément. Les rats avaient joint plusieurs coques d'oeufs, et c'étaient là leurs navires. Le combat s'opiniâtra cruellement; les rats se jetaient dans l'eau, et nageaient bien mieux que les chats, de sorte que vingt fois ils furent vainqueurs et vaincus; mais Minagrobis, amiral de la flotte chatonique, réduisit la gente ratonienne dans le dernier désespoir. Il mangea à belles dents 195 le général de leur flotte: c'était un vieux rat expérimenté, qui avait fait trois fois le tour du monde dans de bons vaisseaux, où il n'était ni capitaine, ni matelot, mais seulement croque-lardon. 196

Chatte Blanche ne voulut pas qu'on détruisit absolument ces pauvres infortunés. Elle avait de la politique, et songeait que, s'il n'y avait plus ni rats ni souris dans le pays, ses sujets vivraient dans une oisiveté qui pourrait lui devenir préjudiciable. Le prince passa cette année comme il avait fait les deux autres, c'est-à-dire à la chasse, à la pêche, au jeu; car Chatte Blanche jouait fort bien aux échecs. Il ne pouvait s'empêcher de temps en temps de lui faire de nouvelles questions, pour savoir par quel miracle elle parlait. Il lui demandait si elle était fée, ou si par une métamorphose on l'avait rendue chatte; mais comme elle ne disait jamais que ce qu'elle voulait bien dire, elle ne répondait que ce qu'elle voulait bien répondre, et c'était tant de petits mots qui ne signifiaient rien, qu'il jugea aisément qu'elle ne voulait pas partager son secret avec lui.

Rien ne s'écoule plus vite que des jours qui se passent sans peine et sans chagrin; et si la chatte n'avait pas été soigneuse de se souvenir du temps qu'il fallait retourner à la cour, il est certain que le prince l'aurait absolument oublié. Elle l'avertit la veille, qu'il ne tiendrait qu'à lui d'emmener une de plus belles princesses qui fût dans le monde, que l'heure de détruire le fatal ouvrage des fées était à la fin arrivée, et qu'il fallait pour cela qu'il se résolût à lui couper la tête et la queue, qu'il jetterait promptement dans le feu. "Moi, s'écria-t-il, Blanchette mes amours! moi, dis-je, je serais assez barbare pour vous tuer? Ha! vous voulez sans doute éprouver 197 mon coeur, mais soyez certaine qu'il n'est point capable de manquer à l'amitié et à la reconnaissance qu'il vous doit. – Non, fils de roi, continua-t-elle, je ne te soupçonne d'aucune ingratitude; je connais ton mérite, ce n'est ni toi ni moi qui réglons dans cette affaire notre destinée. Fais ce que je souhaite, nous commencerons l'un et l'autre d'être heureux, et tu connaîtras, foi de chatte de bien et d'honneur, que je suis véritablement ton amie."

Les larmes vinrent deux ou trois fois aux yeux du jeune prince, de la seule pensée qu'il fallait couper la tête à sa petite Chatonne qui était si jolie et si gracieuse. Il dit encore tout ce qu'il put imaginer de plus tendre pour qu'elle l'en dispensât: 198 elle répondait opiniâtrement qu'elle voulait mourir de sa main, et que c'était l'unique moyen d'empêcher que ses frères n'eussent la couronne; en un mot, elle le pressa avec tant d'ardeur, qu'il tira son épée en tremblant, et, d'une main mal assurée, il coupa la tête et la queue de sa bonne amie la Chatte: en même temps il vit la plus charmante métamorphose qui se puisse imaginer. Le corps de Chatte Blanche devint grand, et se changea tout d'un coup en fille; c'est ce qui ne saurait être décrit, il n'y eut que celle-là aussi accomplie. Ses yeux ravissaient les coeurs, et sa douceur les retenait; sa taille était majestueuse, l'air noble et modeste, un esprit liant, des manières engageantes; enfin, elle était au-dessus de tout ce qu'il y a de plus aimable.

Le prince, en la voyant, demeura si surpris, et d'une surprise si agréable, qu'il se crut enchanté. Il ne pouvait parler, ses yeux n'étaient pas assez grands pour la regarder, et sa langue liée ne pouvait expliquer son étonnement. Mais ce fut bien autre chose lorsqu'il vit entrer un nombre extraordinaire de dames et de seigneurs qui, tenant tous leurs peaux de chatte ou de chat jetées sur leurs épaules, vinrent se prosterner aux pieds de la reine, et lui témoigner leur joie de la revoir dans son état naturel. Elle les reçut avec des témoignages 199 de bonté qui marquaient assez le caractère de son coeur. Et après avoir tenu son cercle quelques moments, elle ordonna qu'on la laissât seule avec le prince, et lui parla ainsi:

"Ne pensez pas, seigneur, que j'aie toujours été chatte, ni que ma naissance soit obscure parmi les hommes. Mon père était roi de six royaumes. Il aimait tendrement ma mère, et la laissait dans une entière liberté de faire tout ce qu'elle voulait. Son inclination dominante était de voyager; elle entreprit d'aller voir une certaine montagne dont elle avait entendu dire des choses surprenantes. Comme elle était en chemin, on lui disait qu'il y avait proche du lieu où elle passait un ancien château de fées, le plus beau du monde, tout au moins qu'on le croyait tel par une tradition qui en était restée; car d'ailleurs, comme personne n'y entrait, on n'en pouvait juger; mais qu'on savait très-sûrement que ces fées avaient dans leur jardin les meilleurs fruits, les plus savoureux et délicats qui se fussent jamais mangés.

"Aussitôt la reine, ma mère, eut une envie si violente d'en manger, qu'elle y tourna ses pas. Elle arriva à la porte de ce superbe édifice, qui brillait d'or et d'azur de tous les côtés; mais elle y frappa inutilement: qui que ce soit ne parut, 200 il semblait que tout le monde y était mort. Son envie augmentant par les difficultés, elle envoya quérir des échelles, afin que l'on pût passer par-dessus les murs du jardin, et l'on en serait venu à bout si ces murs ne se fussent haussés à vue d'oeil, bien que personne n'y travaillât; l'on attachait des échelles les unes aux autres, elles rompaient sous le poids de ceux qu'on y faisait monter, et ils s'estropiaient ou se tuaient.

 

"La reine se désespérait. Elle voyait de grands arbres chargés de fruits qu'elle croyait délicieux, elle en voulait manger ou mourir; de sorte qu'elle fit tendre des tentes fort riches devant le château, et elle y resta six semaines avec toute sa cour. Elle ne dormait ni ne mangeait, elle soupirait sans cesse, elle ne parlait que des fruits du jardin inaccessible; enfin elle tomba dangereusement malade, sans que qui que ce fût pût apporter le moindre remède à son mal, car les inexorables fées n'avaient pas même paru depuis qu'elle s'était établie proche de leur château. Tous les officiers s'affligeaient extraordinairement. L'on n'entendait que des pleurs et des soupirs, pendant que la reine mourante demandait des fruits à ceux qui la servaient; mais elle n'en voulait point d'autres que de ceux qu'on lui refusait.

"Une nuit qu'elle s'était un peu assoupie, elle vit, en se réveillant, une petite vieille, laide et décrépite, assise dans un fauteuil au chevet de son lit. Elle était surprise que ses femmes eussent laissé approcher si près d'elle une inconnue, lorsqu'elle lui dit: "Nous trouvons ta majesté bien importune de vouloir avec tant d'opiniâtreté manger de nos fruits; mais puisqu'il y va de ta précieuse vie, mes soeurs et moi consentons à t'en donner tant que tu pourras en emporter, et tant que tu resteras ici, pourvu que tu nous fasses un don. – Ah! ma bonne mère, s'écria la reine, parlez, je vous donne mes royaumes, mon coeur, mon âme, pourvu que j'aie des fruits; je ne saurais les acheter trop cher. – Nous voulons, dit-elle, que ta majesté nous donne ta fille, dès qu'elle sera née, nous la viendrons quérir; elle sera nourrie parmi nous; il n'y a point de vertus, de beautés, de sciences, dont nous ne la douions: en un mot, ce sera notre enfant, nous la rendrons heureuse; mais observe que ta majesté ne la reverra plus qu'elle ne soit mariée. Si la proposition t'agrée, 201 je vais tout à l'heure te guérir et te mener dans nos vergers; malgré la nuit, tu verras assez clair pour choisir ce que tu voudras. Si ce que je te dis ne te plaît pas, bonsoir, madame la reine, je vais dormir. – Quelque rude que soit la loi que vous m'imposez, répondit la reine, je l'accepte plutôt que de mourir; car il est certain que je n'ai pas un jour à vivre: ainsi je perdrais mon enfant en me perdant. Guérissez-moi, savante fée, continua-t-elle, et ne me laissez pas un moment sans jouir du privilége que vous venez de m'accorder."

"La fée la toucha avec une petite baguette d'or, en disant: "Que ta majesté soit quitte de tous les maux qui la retiennent dans ce lit." Il lui sembla aussitôt, qu'on lui ôtait une robe fort pesante et fort dure, dont elle se sentait comme accablée, et qu'il y avait des endroits où elle tenait davantage. C'était apparemment ceux où le mal était le plus grand. Elle fit appeler toutes ses dames, et leur dit avec un visage gai, qu'elle se portait à merveille, qu'elle allait se lever, et qu'enfin ces portes si bien verrouillées et si bien barricadées du palais de féerie lui seraient ouvertes pour manger de beaux fruits, et pour en emporter tant qu'il lui plairait.

"Il n'y eut aucune de ses dames qui ne crût la reine en délire, et que dans le moment elle rêvait à ces fruits qu'elle avait tant souhaités; de sorte qu'au lieu de lui répondre elles se prirent à pleurer, et firent éveiller tous les médecins pour voir en quel état elle était. Ce retardement désespérait la reine; elle demandait promptement ses habits, on les lui refusait; elle se mettait en colère et devenait fort rouge. L'on disait que c'était l'effet de sa fièvre; cependant les médecins étant entrés, après lui avoir touché le pouls, et fait leurs cérémonies ordinaires, ne purent nier qu'elle ne fût dans une parfaite santé. Ses femmes, qui virent la faute que le zèle leur avait fait commettre, tâchèrent de la réparer en l'habillant promptement. Chacun lui demanda pardon, tout fut apaisé, et elle se hâta de suivre la vieille fée qui l'avait toujours attendue.

"Elle entra dans le palais, où rien ne pouvait être ajouté pour en faire le plus beau lieu du monde; vous le croirez aisément, seigneur, ajouta la reine Chatte Blanche, quand je vous aurai dit que c'est celui où nous sommes. Deux autres fées, un peu moins vieilles que celle qui conduisait ma mère, la reçurent à la porte, et lui firent un accueil très-favorable. Elle les pria de la mener promptement dans le jardin, et vers les espaliers où elle trouverait les meilleurs fruits. "Ils sont tous également bons, lui dirent-elles; et si ce n'était que tu veux avoir le plaisir de les cueillir toi-même, nous n'aurions qu'à les appeler pour les faire venir ici. – Je vous supplie, mesdames, dit la reine, que j'aie la satisfaction de voir une chose si extraordinaire." La plus vieille mit ses doigts dans sa bouche, et siffla trois fois; puis elle cria: "Abricots, pêches, pavis, brugnons, cerises, prunes, poires, bigarreaux, melons, muscats, pommes, oranges, citrons, groseilles, fraises, framboises, accourez à ma voix! – Mais, dit la reine, tout ce que vous venez d'appeler vient en différentes saisons. – Cela n'est pas ainsi dans nos vergers, dirent-elles; nous avons de tous les fruits qui sont sur la terre toujours mûrs, toujours bons, et qui ne se gâtent jamais."

"En même temps ils arrivèrent roulants, rampants, pêle-mêle, sans se gâter ni se salir; de sorte que la reine, impatiente de satisfaire son envie, se jeta dessus, et prit les premiers qui s'offrirent sous ses mains; elle les dévora plutôt qu'elle ne les mangea.

"Après s'en être un peu rassasiée, elle pria les fées de la laisser aller aux espaliers, pour avoir le plaisir de les choisir de l'oeil avant que de les cueillir. "Nous y consentons volontiers, dirent les trois fées: mais souviens-toi de la promesse que tu nous as faite, il ne te sera plus permis de t'en dédire. – Je suis persuadée, répliqua-t-elle, que l'on est si bien avec vous, et ce palais me semble si beau, que, si je n'aimais pas chèrement le roi mon mari, je m'offrirais d'y demeurer aussi; c'est pourquoi vous ne devez point craindre que je rétracte ma parole." Les fées, très-contentes, lui ouvrirent tous leurs jardins et tous leurs enclos; elle y resta trois jours et trois nuits sans en vouloir sortir, tant elle les trouvait délicieux. Elle cueillit des fruits pour sa provision; et comme ils ne se gâtent jamais, elle en fit charger quatre mille mulets qu'elle emmena. Les fées ajoutèrent à leurs fruits des corbeilles d'or, d'un travail exquis, pour les mettre, et plusieurs raretés dont le prix est excessif; elles lui promirent de m'élever en princesse, de me rendre parfaite, et de me choisir un époux, qu'elle serait avertie de la noce, et qu'elles espéraient bien qu'elle y viendrait.

"Le roi fut ravi du retour de la reine, toute la cour lui en témoigna sa joie; ce n'étaient que bals, mascarades, courses de bagues et festins, où les fruits de la reine étaient servis comme un régal délicieux. Le roi les mangeait préférablement à tout ce qu'on pouvait lui présenter. Il ne savait point le traité qu'elle avait fait avec les fées, et souvent il lui demandait en quels pays elle était allée pour en rapporter de si bonnes choses. Elle lui répondait qu'ils se trouvaient sur une montagne presque inaccessible; une autre fois, qu'ils venaient dans des vallons, puis au milieu d'un jardin où dans une grande forêt. Le roi demeurait surpris de tant de contrariétés. Il questionnait ceux qui l'avaient accompagnée; mais elle leur avait tant défendu de conter à personne son aventure, qu'ils n'osaient en parler. Enfin la reine inquiète de ce qu'elle avait promis aux fées, tomba dans une mélancolie affreuse; elle soupirait à tout moment, et changeait à vue d'oeil. Le roi s'inquiéta; il pressa la reine de lui déclarer le sujet de sa tristesse; et, après des peines extrêmes, elle lui apprit tout ce qui s'était passé entre les fées et elle, et comme elle leur avait promis la fille qu'elle devait avoir. "Quoi! s'écria le roi, nous n'avons point d'enfants, et pour manger deux ou trois pommes vous avez été capable de promettre votre fille! Il faut que vous n'ayez aucune amitié pour moi." Là-dessus il l'accabla de mille reproches, dont ma pauvre mère pensa mourir de douleur. Mais il ne se contenta pas de cela: il la fit enfermer dans une tour, et mit des gardes de tous côtés pour empêcher qu'elle n'eût commerce avec qui que ce fût au monde que les officiers qui la servaient; encore changea-t-il ceux qui avaient été avec elle au château des fées.

"La mauvaise intelligence du roi et de la reine jeta la cour dans une consternation infinie. Chacun quitta ses riches habits, pour en prendre de conformes à la douleur générale. Le roi, de son côté, paraissait inexorable, il ne voyait plus sa femme; et sitôt que je fus née, il me fit apporter dans son palais pour y être nourrie, pendant qu'elle restait prisonnière et fort malheureuse. Les fées n'ignoraient rien de ce qui se passait; elles s'en irritèrent, elles voulaient m'avoir, elles me regardaient comme leur bien, et que c'était leur faire un vol que de me retenir. Avant que de chercher une vengeance proportionnée à leur chagrin, elles envoyèrent une célèbre ambassade au roi, pour l'avertir de mettre la reine en liberté, et de lui rendre ses bonnes grâces, et pour le prier aussi de me donner à leurs ambassadeurs, afin d'être nourrie et élevée parmi elles. Les ambassadeurs étaient si petits et si contrefaits, 202" car c'étaient des nains hideux, qu'ils n'eurent pas le don de persuader ce qu'ils voulaient au roi. Il les refusa rudement; et s'ils n'étaient partis en diligence, il leur serait peut-être arrivé pis.

"Quand les fées surent le procédé de mon père, elles s'indignèrent autant qu'on peut l'être; et après avoir envoyé dans ses six royaumes tous les maux qui pouvaient les désoler, elles lâchèrent un dragon épouvantable, qui remplissait de venin les endroits où il passait, qui mangeait les hommes et les enfants, et qui faisait mourir les arbres et les plantes du souffle de son haleine.

192Médianoche, a midnight regal.
193Patte de velours, kindness.
194Normanisme, humbug.
195A belles dents, with good appetite.
196croque-lardon, a kitchen-spunger.
197Éprouver, to try.
198pour qu'elle l'en dispensât, that she might excuse him from it.
199Des témoignages, with expressions.
200Qui que ce soit ne parut, nobody appeared.
201T'agrée, pleases thee.
202Contrefaits, deformed.

Inne książki tego autora