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Le Cabinet des Fées

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Fleur-d'Amour et Belle-de-Nuit, qui avaient fait d'abord grand fracas dans les lieux où elles avaient paru, voyant l'accueil que l'on faisait à cette nouvelle venue, en crevaient de dépit;

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  En crevaient de dépit,

bursted with rage

.



 mais Finette se démêlait de tout cela de la meilleure grâce du monde, il semblait à son air qu'elle n'était faite que pour commander. Fleur-d'Amour et Belle-de-Nuit, qui ne voyaient leur soeur qu'avec de la suie de cheminée sur le visage, et plus barbouillée qu'un petit chien, avaient si fort perdu l'idée de sa beauté qu'elles ne la reconnurent point du tout; elles faisaient leur cour à Cendron comme les autres. Dès qu'elle voyait le bal près de finir, elle sortait vite, revenait à la maison, se déshabillait en diligence, reprenait ses guenilles; et quand ses soeurs arrivaient: "Ah! Finette, nous venons de voir, lui disaient-elles, une jeune princesse qui est toute charmante; ce n'est pas une guenuche comme toi; elle est blanche comme la neige, plus vermeille que les roses; ses dents sont de perles, ses lèvres de corail; elle a une robe qui pèse plus de mille livres, ce n'est qu'or et diamants. Qu'elle est belle! qu'elle est aimable!" Finette répondait entre ses dents: "

Ainsi j'étais, ainsi j'étais.

-Qu'est-ce que tu bourdonnes?" disaient-elles. Finette répliquait encore plus bas: "

Ainsi j'étais.

" Ce petit jeu dura longtemps; il n'y eut presque pas de jour que Finette ne changeât d'habits, car la cassette était fée, et plus l'on y prenait, plus il en revenait, et si fort à la mode, que les dames ne s'habillaient que sur son modèle.



Un soir que Finette avait plus dansé qu'à l'ordinaire, et qu'elle avait tardé assez tard à se retirer, voulant réparer le temps perdu et arriver chez elle avant ses soeurs, en marchant de toute sa force, elle laissa tomber une de ses mules

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  Mules,

slippers

.



, qui était de velours rouge, toute brodée de perles. Elle fit son possible pour la retrouver dans le chemin; mais le temps était si noir, qu'elle prit une peine inutile: elle rentra au logis un pied chaussé et l'autre nu.



Le lendemain, le prince Chéri, fils aîné du roi, allant à la chasse, trouve la mule de Finette; il la fait ramasser, la regarde, en admire la petitesse et la gentillesse, la tourne, la retourne, la baise, la chérit, et l'emporte avec lui. Depuis ce jour-là, il ne mangeait plus; il devenait maigre et changé, jaune comme un coing, triste, abattu. Le roi et la reine, qui l'aimaient éperdument, envoyaient de tous côtés pour avoir de bon gibier et des confitures. C'était pour lui moins que rien; il regardait tout cela sans répondre à la reine quand elle lui parlait. L'on envoya quérir des médecins partout, même jusqu'à Paris et à Montpellier; quand ils furent arrivés, on leur fit voir le prince, et, après l'avoir considéré trois jours et trois nuits sans le perdre de vue, ils conclurent qu'il était amoureux, et qu'il mourrait si l'on n'y apportait remède.



La reine, qui l'aimait à la folie, pleurait à fondre en eau de ne pouvoir découvrir celle qu'il aimait, pour la lui faire épouser: elle amenait dans sa chambre les plus belles dames, il ne daignait pas les regarder. Enfin elle lui dit une fois: "Mon cher fils, tu veux nous faire étouffer de douleur; car tu aimes, et tu nous caches tes sentiments. Dis-nous qui tu veux, et nous te la donnerons, quand ce ne serait qu'une simple bergère." Le prince, plus hardi par les promesses de la reine, tira la mule de dessous son chevet, et l'ayant montrée: "Voilà, madame, lui dit-il, ce qui cause mon mal; j'ai trouvé cette petite pouponne, mignonne, jolie mule, en allant à la chasse; je n'épouserai jamais que celle qui pourra la chausser. – Eh bien, mon fils, dit la reine, ne t'afflige point, nous la ferons chercher." Elle alla dire au roi cette nouvelle; il demeura bien surpris, et commanda en même temps que l'on allât, avec des tambours et des trompettes, annoncer que toutes les filles et les femmes vinssent pour chausser la mule, et que celle à qui elle serait propre épouserait le prince. Chacune, ayant entendu de quoi il était question, se décrassa les pieds avec toutes sortes d'eaux, de pâtes et de pommades. Il y eut des dames qui se les firent peler, pour avoir la peau plus belle; d'autres jeûnaient, ou se les écorchaient, afin de les avoir plus petits. Elles allaient en foule essayer la mule, pas une seule ne la pouvait mettre; et plus il en venait inutilement, plus le prince s'affligeait.



Fleur-d'Amour et Belle-de-Nuit se firent un jour si braves, que c'était une chose étonnante. – "Où allez-vous donc? leur dit Finette. – Nous allons à la grande ville, répondirent-elles, où le roi et la reine demeurent, essayer la mule que le fils du roi a trouvée; car si elle est propre à l'une de nous deux, il l'épousera, et elle sera reine. – Et moi, dit Finette, n'irai-je point? – Vraiment, dirent-elles, tu es un bel oison bridé: va, va arroser nos choux, tu n'es propre à rien."



Finette songea aussitôt qu'elle mettrait ses plus beaux habits, et qu'elle irait tenter l'aventure comme les autres; car elle avait quelque petit soupçon qu'elle y aurait bonne part. Ce qui lui faisait de la peine, c'est qu'elle ne savait point le chemin; le bal où on allait danser n'était pas dans la grande ville. Elle s'habilla magnifique: sa robe était de satin bleu, toute couverte d'étoiles et de diamants: elle avait un soleil sur la tête, une pleine lune sur le dos; tout cela brillait si fort, qu'on ne pouvait la regarder sans clignoter des yeux. Quand elle ouvrit la porte pour sortir, elle resta bien étonnée de retrouver le joli cheval d'Espagne qui l'avait portée chez sa marraine. Elle le caressa, et lui dit: "Sois le bienvenu, mon petit dada; je suis obligée à ma marraine Merluche." Il se baissa, elle s'assit dessus comme une nymphe. Il était tout couvert de sonnettes d'or et de rubans, sa housse et sa bride n'avaient point de prix; et Finette était trente fois plus belle que la belle Hélène.



Le cheval d'Espagne allait légèrement, ses sonnettes faisaient din, din, din. Fleur-d'Amour et Belle-de-Nuit, les ayant entendues, se retournèrent et la virent venir; mais dans ce moment qu'elle fut leur surprise! elles la reconnurent pour être Finette Cendron. Elles étaient fort crottées, leurs beaux habits étaient couverts de boue: "Ma soeur, s'écria Fleur-d'Amour, en parlant à Belle-de-Nuit, Je vous proteste que voici Finette Cendron." L'autre s'écria tout de même; et Finette passant près d'elles, son cheval les éclaboussa et leur fit un masque de crotte. Elle se prit à rire, et leur dit: "Altesses, Cendrillon vous méprise autant que vous le méritez." Puis, passant comme un trait, la voilà partie. Belle-de-Nuit et Fleur-d'Amour s'entre regardèrent: "Est-ce que nous rêvons? disaient-elles; qui est-ce qui peut avoir fourni des habits et un cheval à Finette? Quelle merveille! le bonheur lui en veut, elle va chausser la mule, et nous n'aurons que la peine d'un voyage inutile."



Pendant qu'elles se désespéraient, Finette arrive au palais. Dès qu'on la vit, chacun crut que c'était une reine; les gardes prennent leurs armes, l'on bat le tambour, l'on sonne la trompette, l'on ouvre toutes les portes, et ceux qui l'avaient vue au bal allaient devant elle, disant: "Place, place! c'est la belle Cendron, c'est la merveille de l'univers." Elle entre avec cet appareil dans la chambre du prince mourant; il jette les yeux sur elle, et demeure charmé, souhaitant qu'elle eût le pied assez petit pour chausser la mule: elle la mit tout d'un coup, et montra la pareille, qu'elle avait apportée exprès. En même temps l'on crie: "Vive la princesse chérie! vive la princesse qui sera notre reine!" Le prince se leva de son lit, il vint lui baiser les mains; elle le trouva beau et plein d'esprit: il lui fit mille amitiés. L'on avertit le roi et la reine, qui accoururent: la reine prend Finette entre ses bras; l'appelle sa fille, sa mignonne, sa petite reine; lui fait des présents admirables, sur lesquels le roi renchérit encore. L'on tire le canon;

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  L'on tire le canon,

they fired the cannon

.



 les violons, les musettes, tout joue; l'on ne parle que de danser et de se réjouir.



Le roi, la reine et le prince prient Cendron de se laisser marier. "Non, dit-elle, il faut avant, que je vous conte mon histoire: " ce qu'elle fit en quatre mots. Quand ils surent qu'elle était née princesse, c'était bien une autre joie, il tint à peu qu'ils n'en mourussent; mais lorsqu'elle leur dit le nom du roi son père, de la reine sa mère, ils reconnurent que c'était eux qui avaient conquis le royaume. Ils le lui annoncèrent; et elle jura qu'elle ne consentirait point à son mariage qu'ils ne rendissent les États de son père. Ils le lui promirent; car ils avaient plus de cent royaumes, un de moins n'était pas une affaire.

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  n'était pas une affaire,

was of no consequence

.



 



Cependant Belle-de-Nuit et Fleur-d'Amour arrivèrent. La première nouvelle fut que Cendron avait mis la mule; elles ne savaient que faire ni que dire, elles voulaient s'en retourner sans la voir. Mais quand elle sut qu'elles étaient là, elle les fit entrer: et, au lieu de leur faire mauvais visage, et de les punir comme elles le méritaient, elle se leva, et alla au-devant d'elles les embrasser tendrement; puis elle les présenta à la reine, lui disant: "Madame, ce sont mes soeurs, qui sont fort aimables; je vous prie de les aimer." Elles demeurèrent si confuses de la bonté de Finette, qu'elles ne pouvaient proférer un mot. Elle leur promit qu'elles retourneraient dans leur royaume, que le prince le voulait rendre à leur famille. A ces mots, elles se jetèrent à genoux devant elle, pleurant de joie.



Les noces furent les plus belles que l'on eût jamais vues. Finette écrivit à sa marraine, et mit sa lettre avec de grands présents sur le joli cheval d'Espagne; la priant de chercher le roi et la reine, de leur dire son bonheur, et qu'ils n'avaient qu'à retourner dans leur royaume.



La fée Merluche s'acquitta fort bien de sa commission. La père et la mère de Finette revinrent dans leurs États, et ses soeurs furent reines aussi bien qu'elle.



MORALITÉ



Pour tirer d'un ingrat une noble vengeance,

De la jeune Finette imite la prudence;

Ne cesse point sur lui de verser des bienfaits:

Tous tes présents et tes services

Sont autant de vengeurs secrets,

Qui dans son coeur troublé préparent des supplices.

Belle-de-Nuit et Fleur-d'Amour

Sont plus cruellement punies

Quand Finette leur fait des grâces infinies,

Que si l'Ogre cruel leur ravissait le jour.

Suis donc en tout temps sa maxime,

Et songe en ton ressentiment,

Que jamais un coeur magnanime

Ne saurait se venger plus généreusement.



LA CHATTE BLANCHE

Il était une fois un roi qui avait trois fils bien faits et courageux; il eut peur que l'envie de régner ne leur prît avant sa mort; il courait même certains bruits qu'ils cherchaient à s'acquérir des créatures,

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  Créatures,

partisans

.



 et que c'était pour lui ôter son royaume. Le roi se sentait vieux; mais son esprit et sa capacité n'ayant point diminué, il n'avait pas envie de leur céder une place qu'il remplissait dignement. Il pensa donc que le meilleur moyen de vivre en repos, c'était de les amuser par des promesses dont il saurait toujours éluder l'effet.



Il les appela dans son cabinet, et, après leur avoir parlé avec beaucoup de bonté, il ajouta: "Vous conviendrez avec moi, mes chers enfants, que mon grand âge ne permet pas que je m'applique aux affaires de mon État avec autant de soins que je le faisais autrefois; je crains que mes sujets n'en souffrent, je veux mettre ma couronne sur la tête d'un de vous autres; mais il est bien juste que, pour un tel présent, vous cherchiez les moyens de me plaire, dans le dessein que j'ai de me retirer à la campagne. Il me semble qu'un petit chien adroit, joli et fidèle, me tiendrait bonne compagnie; de sorte que, sans choisir mon fils aîné plutôt que mon cadet, je vous déclare que celui des trois qui m'apportera le plus beau petit chien sera aussitôt mon héritier." Ces princes demeurèrent surpris de l'inclination de leur père pour un petit chien; mais les deux cadets y pouvaient trouver leur compte,

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  y pouvaient trouver leur compte,

finding their advantage by it

.



 et ils acceptèrent avec plaisir la commission d'aller en chercher un; l'aîné était trop timide ou trop respectueux pour représenter ses droits. Ils prirent congé du roi; il leur donna de l'argent et des pierreries, ajoutant que, dans un an sans y manquer, ils revinssent, au même jour et à la même heure, lui apporter leurs petits chiens.



Avant de partir, ils allèrent dans un château qui n'était qu'à une lieue de la ville. Ils y menèrent leurs plus confidents, et firent de grands festins, où les trois frères se promirent une amitié éternelle; qu'ils agiraient dans l'affaire en question sans jalousie et sans chagrin, et que le plus heureux ferait toujours part de sa fortune aux autres. Enfin ils partirent, réglant qu'ils se trouveraient à leur retour dans le même château, pour aller ensuite chez le roi. Ils ne voulurent être suivis de personne, et changèrent leurs noms pour n'être pas connus.



Chacun prit une route différente. Les deux aînés eurent beaucoup d'aventures; mais je ne m'attache qu'à celles du cadet. Il était gracieux; il avait l'esprit gai et réjouissant, la tête admirable, la taille noble, les traits réguliers, de belles dents, beaucoup d'adresse dans tous les exercices qui conviennent à un prince. Il chantait agréablement, il touchait le luth et le théorbe avec une délicatesse qui charmait; il savait peindre: en un mot, il était accompli; et pour la valeur, cela allait jusqu'à l'intrépidité.



Il n'y avait guère de jours qu'il n'achetât des chiens, de grands, de petits, des lévriers, des dogues, limiers, chiens de chasse, épagneuls, barbets, bichons. Dès qu'il en avait un beau, et qu'il en trouvait un plus beau, il laissait aller le premier pour garder l'autre; car, il aurait été impossible qu'il eût mené tout seul trente ou quarante mille chiens, et il ne voulait ni gentilshommes, ni valets de chambre, ni pages à sa suite. Il avançait toujours son chemin, n'ayant point déterminé jusqu'où il irait, lorsqu'il fut surpris de la nuit, du tonnerre et de la pluie dans une forêt, dont il ne pouvait plus reconnaître les sentiers.



Il prit le premier chemin et, après avoir marché longtemps, il aperçut un peu de lumière; ce qui lui persuada qu'il y avait quelque maison proche où il se mettrait à l'abri jusqu'au lendemain. Ainsi guidé par la lumière qu'il voyait, il arriva à la porte d'un château, le plus superbe qu'il ne se soit jamais imaginé. Cette porte était d'or, couverte d'escarboucles dont la lumière vive et pure éclairait tous les environs: c'était elle que le prince avait vue de fort loin. Les murs étaient d'une porcelaine transparente, mêlée de plusieurs couleurs, qui représentaient l'histoire de toutes les fées, depuis la création du monde jusqu'alors; les fameuses aventures de Peau d'Ane, de Finette, de l'Oranger, de Gracieuse, de la Belle au bois dormant, de Serpentinvert et de cent autres, n'y étaient pas oubliées. La pluie et le mauvais temps l'empêchèrent de s'arrêter davantage dans un lieu où il se mouillait jusqu'aux os, outre qu'il ne voyait point du tout aux endroits où la lumière des escarboucles ne pouvait s'étendre.



Il revint à la porte d'or; il vit un pied de chevreuil attaché à une chaîne toute de diamants; il admira cette magnificence, et la sécurité avec laquelle on vivait dans le château: car enfin, disait-il, qui empêche les voleurs de venir couper cette chaîne, et d'arracher les escarboucles? ils se feraient riches pour toujours.



Il tira le pied de chevreuil, et aussitôt il entendit sonner une cloche qui lui parut d'or ou d'argent, par le son qu'elle rendait. Au bout d'un moment, la porte fut ouverte, sans qu'il aperçut autre chose qu'une douzaine de mains en l'air, qui tenaient chacune un flambeau. Il demeura si surpris, qu'il hésitait à s'avancer, quand il sentit d'autres mains qui le poussaient par derrière avec assez de violence. Il marcha donc fort inquiet, et, à tout hasard, il porta la main sur la garde de son épée; mais entrant dans un vestibule tout incrusté de porphyre et de lapis, il entendit deux voix ravissantes qui chantèrent ces paroles:





Des mains que vous voyez ne prenez point d'ombrage,

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  Ne prenez point d'ombrage,

do not mistrust

.



Et ne craignez en ce séjour

Que les charmes d'un beau visage,

Si votre coeur veut fuir l'amour.



Il ne put croire qu'on l'invitât de si bonne grâce pour lui faire ensuite du mal; de sorte que, se sentant poussé vers une grande porte de corail, qui s'ouvrit dès qu'il s'en fut approché, il entra dans un salon de nacre de perles, et ensuite dans plusieurs chambres ornées différemment, et si riches par les peintures et les pierreries, qu'il en était comme enchanté. Mille et mille lumières attachées depuis la voûte du salon jusqu'en bas éclairaient une partie des autres appartements, qui ne laissaient pas d'être remplis de lustres, de girandoles et de gradins couverts de bougies. Enfin, la magnificence était telle, qu'il n'était pas aisé de croire que ce fut chose possible.



Après avoir passé dans soixante chambres, les mains qui le conduisaient l'arrêtèrent; il vit un grand fauteuil qui s'approcha tout seul de la cheminée. En même temps le feu s'alluma: et les mains, qui lui semblaient fort belles, blanches, petites, grasses et bien proportionnées, le déshabillèrent; car il était mouillé, comme je l'ai déjà dit, et l'on avait peur qu'il ne s'enrhumât. On lui présenta, sans qu'il vît personne, une chemise aussi belle que pour un jour de noces, avec une robe de chambre d'une étoffe glacée d'or, brodée de petites émeraudes, qui formaient des chiffres. Les mains, sans corps, approchèrent de lui une table, sur laquelle sa toilette fut mise: rien n'était plus magnifique. Elles le peignèrent avec une légèreté et une adresse dont il fut fort content. Ensuite on le rhabilla; mais ce ne fut pas avec ses habits, on lui en apporta de beaucoup plus riches. Il admirait silencieusement tout ce qui se passait, et quelquefois il lui prenait de petits mouvements de frayeur dont il n'était pas tout à fait le maître.



Après qu'on l'eut poudré, frisé, parfumé, paré, ajusté, et rendu plus beau qu'Adonis, les mains le conduisirent dans une salle superbe par ses dorures et ses meubles. On voyait autour l'histoire des plus fameux chats: Rodilardus pendu par les pieds au conseil des rats, Chat botté, Marquis de Carabas, le Chat qui écrit, la Chatte devenue femme, les Sorciers devenus chats, le Sabbat et toutes ses cérémonies; enfin rien n'était plus singulier que ces tableaux.



Le couvert était mis; il y en avait deux, chacun garni d'or; le buffet surprenait par la quantité de vases de cristal de roche et de mille pierres rares. Le prince ne savait pour qui ces deux couverts étaient mis, lorsqu'il vit des chats qui se placèrent dans un petit orchestre ménagé exprès: l'un tenait un livre avec des notes les plus extraordinaires du monde, l'autre un rouleau de papier dont il battait la mesure, et les autres avaient de petites guitares. Tout d'un coup chacun d'eux se mit à miauler sur différents tons, et à gratter les cordes des guitares avec leurs ongles: c'était la plus étrange musique que l'on ait jamais entendue. Le prince se serait cru en enfer, s'il n'avait pas trouvé ce palais trop merveilleux pour donner dans une pensée si peu vraisemblable; mais il se bouchait les oreilles et riait de toute sa force de voir les différentes postures et les grimaces de ces nouveaux musiciens.



Il rêvait aux différentes choses qui lui étaient déjà arrivées dans ce château, lorsqu'il vit entrer une petite figure qui n'avait pas une coudée de haut. Cette bamboche

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  Bamboche,

shrimp

.



 se couvrait d'un long voile d'un crêpe noir. Deux chats la menaient; ils étaient vêtus de deuil, en manteau, et l'épée au côté; un nombreux cortége de chats venait après: les uns portaient des ratières pleines de rats, et les autres de souris dans des cages.



Le prince ne sortait point d'étonnement; il ne savait que penser. La figurine

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  figurine,

a very small figure

.



 s'approcha; et levant son voile, il aperçut la plus belle petite Chatte Blanche qui ait jamais été et qui sera jamais. Elle avait l'air fort jeune et fort triste: elle se mit à faire un miaulis si doux et si charmant, qu'il allait droit au coeur. Elle dit au prince: "Fils de roi, sois le bienvenu; ma miaularde majesté te voit avec plaisir. – Madame la Chatte, dit le prince, vous êtes bien généreuse de me recevoir avec tant d'accueil: mais vous ne me paraissez pas une bestiole ordinaire; le don que vous avez de la parole, et le superbe château que vous possédez, en sont des preuves assez évidentes. – Fils de roi, reprit Chatte Blanche, je te prie, cesse de me faire des compliments; je suis simple dans mes discours et dans mes manières, mais j'ai un bon coeur. Allons, continua-t-elle, que l'on serve, et que les musiciens se taisent, car le prince n'entend pas ce qu'ils disent. – Et disent-ils quelque chose, madame? reprit-il. – Sans doute, continua-t-elle, nous avons ici des poètes qui ont infiniment d'esprit, et si vous restez un peu parmi nous, vous aurez lieu

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  vous aurez lieu,

you will have every reason

.



 d'en être convaincu. – Il ne faut que vous entendre pour le croire, dit galamment le prince; mais aussi, madame, je vous regarde comme une Chatte fort rare."

 



L'on apporta le souper; les mains dont les corps étaient invisibles servaient. L'on mit d'abord sur la table deux bisques, l'une de pigeonneaux, et l'autre de souris fort grasses. La vue de l'une empêcha le prince de manger de l'autre, se figurant que le même cuisinier les avait accommodées; mais la petite Chatte, qui devina par la mine qu'il faisait, ce qu'il avait dans l'esprit, l'assura que sa cuisine était à part, et qu'il pouvait manger ce qu'on lui présenterait, avec certitude qu'il n'y aurait ni rats ni souris.



Le prince ne se le fit pas dire deux fois, croyant bien que la belle petite Chatte ne voudrait pas le tromper. Il remarqua qu'elle avait à sa patte un portrait; cela le surprit. Il la pria de le lui montrer, croyant que c'était maître Minagrobis. Il fut bien étonné de voir un jeune homme si beau, qu'il était à peine croyable que la nature en pût former un tel, et qui lui ressemblait si fort, qu'on n'aurait pu le peindre mieux. Elle soupira, et, devenant encore plus triste, elle garda un profond silence. Le prince vit bien qu'il y avait quelque chose d'extraordinaire là-dessous; cependant il n'osa s'en informer, de peur de déplaire à la Chatte, ou de la chagriner. Il l'entretint de toutes les nouvelles qu'il savait, et il la trouva fort instruite des différents intérêts des princes, et des autres choses qui se passaient dans le monde.



Après le souper, Chatte Blanche convia son hôte d'entrer dans un salon où il y avait un théâtre, sur lequel douze chats et douze singes dansèrent un ballet. Les uns étaient vêtus en Maures, et les autres en Chinois. Il est aisé de juger des sauts et des cabrioles qu'ils faisaient, et de temps en temps ils se donnaient des coups de griffe. C'est ainsi que la soirée finit. Chatte Blanche donna le bonsoir à son hôte; les mains qui l'avaient conduit jusque-là le reprirent et le menèrent dans un appartement tout opposé à celui qu'il avait vu. Il était moins magnifique que galant; tout était tapissé d'ailes de papillons, dont les diverses couleurs formaient mille fleurs différentes. Il y avait aussi des plumes d'oiseaux très-rares et qui n'ont peut-être jamais été vus que dans ces lieux-là. Les lits étaient de gaze, rattachés par mille noeuds de rubans. C'étaient de grandes glaces depuis le plafond jusqu'au parquet, et les bordures d'or ciselé représentaient mille petits Amours.



Le prince se coucha sans dire mot, car il n'y avait pas moyen de faire conversation avec les mains qui le servaient; il dormit peu, et fut réveillé par un bruit confus. Les mains aussitôt le tirèrent de son lit, et lui mirent un habit de chasse. Il regarda dans la cour du château; il aperçut plus de cinq cents chats dont les uns menaient des lévriers en laisse, les autres donnaient du cor. C'était une grande fête: Chatte Blanche allait à la chasse; elle voulait que le prince y vînt. Les officieuses mains lui présentèrent un cheval de bois qui courait à toute bride, et qui allait le pas à merveille. Il fit quelque difficulté d'y monter, disant qu'il s'en fallait de beaucoup qu'il ne fût chevalier errant comme don Quichotte; mais sa résistance ne servit de rien, on le planta sur le cheval de bois. Il avait une housse et une selle en broderie d'or et de diamants. Chatte Blanche montait un singe, le plus beau et le plus superbe qui se soit encore vu; elle avait quitté son grand voile, et portait un bonnet à la dragonne, qui lui donnait un petit air si résolu, que toutes les souris du voisinage en avaient peur. Il ne s'est jamais fait une chasse plus agréable; les chats couraient plus vite que les lapins et les lièvres; de sorte que, lorsqu'ils en prenaient, Chatte Blanche faisait faire la curée devant elle, et il s'y passait mille tours d'adresse très-réjouissants. Les oiseaux n'étaient pas, de leur côté, trop en sûreté; car les chatons grimpaient aux arbres, et le maître singe portait Chatte Blanche jusque dans le nid des aigles, pour disposer à sa volonté des petites altesses aiglonnes.



La chasse étant finie, elle prit un cor qui était long comme le doigt, mais qui rendait un son si clair et si haut, qu'on l'entendait aisément de dix lieues. Dès qu'elle eut sonné deux ou trois fanfares, elle fut environnée de tous les chats du pays: les uns paraissaient en l'air, montés sur des chariots; les autres, dans des barques, abordaient par eau; enfin, il ne s'en est jamais tant vu. Ils étaient presque tous habillés de différentes manières. Elle retourna au château avec ce pompeux cortége, et pria le prince d'y venir. Il le voulut bien, quoiqu'il lui semblât que tant de chatonnerie tenait un peu du sabbat et du sorcier, et que la Chatte parlante l'étonnât plus que tout le reste.



Dès qu'elle fut rentrée chez elle, on lui mit son grand voile noir. Elle soupa avec le prince; il avait faim, et mangea de bon appétit. L'on apporta des liqueurs dont il but avec plaisir, et sur-le-champ elles lui ôtèrent le souvenir du petit chien qu'il devait porter au roi. Il ne pensa plus qu'à miauler avec Chatte Blanche, c'est-à-dire à lui tenir bonne et fidèle compagnie; il passait les jours en fêtes agréables, tantôt à la pêche ou à la chasse; puis on faisait des ballets, des carrousels et mille autres choses où il se divertissait très-bien. Souvent même la belle Chatte composait des vers et des chansonnettes, d'un style si passionné, qu'il semblait qu'elle avait le coeur tendre, et que l'on ne pouvait parler comme elle faisait, sans aimer; mais son secrétaire, qui était un vieux chat, écrivait si mal, qu'encore que ses ouvrages aient été conservés il est impossible de les lire.



Le prince avait oublié jusqu'à son pays. Les mains dont j'ai parlé continuaient de le servir. Il regrettait quelquefois de n'être pas chat, pour passer sa vie dans cette bonne compagnie. "Hélas! disait-il à Chatte Blanche, que j'aurai de douleur de vous quitter! je vous aime si chèrement! ou devenez fille, ou rendez-moi chat." Elle trouvait son souhait fort plaisant, et ne lui faisait que des réponses obscures, où il ne comprenait presque rien.



Une année s'écoule bien vite, quand on a ni souci ni peine, qu'on se réjouit et qu'on se porte bien. Chatte Blanche savait le temps où il devait retourner; et comme il n'y pensait plus, elle l'en fit souvenir. "Sais-tu, dit-elle, que tu n'as que trois jours pour chercher le petit chien que le roi ton père souhaite, et que tes frères en out trouvé de fort beaux?" Le prince revint à lui, et, s'étonnant de sa négligence: "Par quel charme secret, s'écria-t-il, ai-je oublié la chose du monde qui m'est la plus importante? Il y va de ma gloire et de ma fortune. Où prendrai-je un chien tel qu'il le faut pour gagner le

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