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Oliver Twist

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Oliver Twist
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Oliver Twist
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Oliver Twist
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CHAPITRE XV. Où l'on verra combien le facétieux juif et miss Nancy étaient attachés à Olivier

Dans la salle obscure d'une misérable taverne, située dans la partie la plus sale de Little-Saffron-Hill, repaire ténébreux où pendant l'hiver un bec de gaz brûlait tout le jour, et où jamais pendant l'été ne brilla un rayon de soleil, un homme était assis devant un pot d'étain et un petit verre, absorbé dans ses pensées et imprégné d'une forte odeur de liqueur. À son vêtement de velours commun, à sa calotte de velours, à ses brodequins, un agent exercé l'eût reconnu sur-le-champ, malgré le demi-jour, pour M. Guillaume Sikes. À ses pieds était étendu un chien au poil blanc et aux yeux rouges, occupé tour à tour à cligner de l'oeil en regardant son maître, et à se lécher le museau, où une plaie large et saignante attestait un combat récent.

«Vas-tu te tenir tranquille, gredin!» dit M. Sikes en rompant brusquement le silence, Il était peut-être tellement plongé dans ses réflexions, que le seul mouvement des yeux du chien suffisait pour les troubler; ou bien l'irritation produite en lui par ces réflexions mêmes avait besoin de se traduire en mauvais traitements à l'égard d'une bête inoffensive. Quoi qu'il en soit, Sikes se mit à jurer contre son chien et en même temps lui allongea un coup de pied.

En général, le chien ne cherche pas à se venger des coups qu'il reçoit de son maître; mais celui de M. Sikes avait, comme son propriétaire, un assez méchant caractère, et, poussé à bout probablement en ce moment par la conviction de son innocence, il se jeta sans cérémonie sur le pied qui l'avait frappé, enfonça ses dente dans le brodequin, le secoua vivement, puis se sauva en grondant sous un banc, juste à temps pour éviter le pot d'étain que M. Sikes lui lança à la tête.

«Tu voudrais mordre, hein? dit Sikes, en saisissant d'une main les pincettes et en ouvrant de l'autre, d'un air résolu, un long couteau qu'il tira de sa poche. Ici, gredin! ici! m'entends-tu?»

Le chien entendait fort bien, car M. Sikes criait comme un sourd; mais il ne semblait pas du tout résigné à se laisser couper le cou; il resta où il était, grondant plus fort qu'auparavant et saisissant dans ses dents l'extrémité des pincettes, qu'il mordit avec rage.

Cette résistance ne fit qu'accroître la colère de M. Sikes. Il se mit à genoux et commença à attaquer le chien avec fureur. L'animal sautait de côté et d'autre, jappant, grondant, aboyant. L'homme jurait, frappait, blasphémait; la lutte allait devenir critique pour l'un ou l'autre des combattants, quand la porte s'ouvrit tout à coup, et le chien ne fit qu'un bond dehors, laissant Guillaume Sikes avec son couteau et ses pincettes à la main.

Pour se quereller, il faut être deux, dit un vieux proverbe. M. Sikes, désappointé de la fuite du chien, fit tomber sa colère sur le nouveau venu.

«Pourquoi diable venez-vous vous mettre entre mon chien et moi? demanda-t-il avec un geste menaçant.

– Je ne savais pas, mon ami, je ne savais pas,» répondit Fagin d'une voix humble.

C'était en effet le juif qui venait d'entrer.

«Vous ne saviez pas, vieux brigand! s'écria Sikes. Vous n'entendiez donc pas le vacarme?

– Pas le moins du monde, aussi vrai que je suis en vie, répondit le juif.

– C'est vrai, vous n'entendez rien, répliqua Sikes avec un rire menaçant. Vous vous faufilez partout, sans qu'on vous entende entrer ni sortir. J'aurais voulu, Fagin, que vous fussiez à la place de mon chien, il y a une minute.

– Pourquoi donc? demanda le juif avec un sourire forcé.

– Parce que le gouvernement, qui protège la vie d'êtres tels que vous, qui ont moins de coeur qu'un roquet, laisse un homme tuer son chien à sa fantaisie, répondit Sikes en fermant son couteau d'une manière très expressive. Voilà pourquoi.»

Le juif se frotta les mains et, s'asseyant devant la table, affecta de rire de la plaisanterie de son ami; néanmoins, il était visiblement mal à son aise.

«Allez rire ailleurs, dit Sikes en remettant les pincettes en place et en toisant le juif avec dédain; allez rire ailleurs, mais ne vous avisez pas de me rire au nez, voyez-vous, fût-ce derrière votre bonnet de coton. C'est moi qui vous tiens, Fagin, et du diable si je vous lâche. Tenez, si j'y passe, vous y passerez aussi. Ainsi ménagez-moi.

– Bien, bien, mon cher, dit le juif. Je sais tout cela. Nous…nous avons un intérêt réciproque, Guillaume, un intérêt réciproque.

– Hum! fit Sikes, comme s'il trouvait que le juif était bien plus intéressé que lui dans la question. Eh bien! qu'avez-vous à me dire?

– Tout s'est passé le mieux du monde, répondit Fagin, et voici votre part; elle est plus forte qu'elle ne devrait être, mon ami; mais, comme je sais que vous me revaudrez cela une autre fois, et…

– Assez de verbiage, interrompit le voleur avec impatience.

Voyons, donnez vite.

– Oui, oui, Guillaume, laissez-moi le temps, laissez-moi le temps, répondit le juif d'un ton caressant. Tenez, voici le magot sain et sauf.»

En disant ces mots, il tira de sa poche un vieux mouchoir, défit un gros noeud à l'un des coins, et laissa voir un petit paquet enveloppé de papier gris, que Sikes lui arracha des mains; puis il l'ouvrit et se mit à compter les souverains qu'il renfermait.

«Est-ce tout? demanda Sikes.

– Tout, répondit le juif.

– Vous n'avez pas ouvert le paquet en route et escamoté une ou deux pièces? ajouta Sikes d'un air défiant. Ne prenez pas votre mine indignée; cela vous est arrivé plus d'une fois. Remuez le grelot.»

Ceci voulait dire en bon français: «Tirez la sonnette.»Un autre juif parut, plus jeune que Fagin, mais d'un extérieur presque aussi ignoble et repoussant.

Sikes ne fit que montrer du doigt le pot vide, et le juif, comprenant parfaitement le geste, sortit pour aller le remplir, après avoir échangé un singulier regard avec Fagin, qui leva les yeux un instant, comme s'il s'y attendait, et répondit par un signe de tête presque imperceptible. Sikes ne s'en aperçut pas, occupé qu'il était en ce moment à nouer le cordon de sa chaussure, que le chien avait arraché. Il est probable que, s'il eût observé ce court échange de signes d'intelligence, il n'en eût auguré rien de bon.

«Y a-t-il quelqu'un ici, Barney? demanda Fagin sans lever les yeux, maintenant que Sikes le regardait.

– Pas une âme, répondit Barney, dont les paroles, qu'elles vinssent du coeur ou non, sortaient invariablement par le nez.

– Bersonne? demanda Fagin d'un ton de surprise, qui signifiait peut-être que Barney pouvait dire la vérité sans crainte.

– Bersonne que badeboisselle Dadsy, répondit t'il.

– Nancy! s'écria Sikes; où est-elle? Que la peste m'étouffe, si je n'honore cette fille pour ses dispositions naturelles!

– Elle s'est fait servir une assiette de boeuf bouilli sur le comptoir, ajouta Barney.

– Faites-la venir, dit Sikes en versant un verre de liqueur; faites-la venir.»

Barney regarda timidement Fagin, comme pour lui demander son autorisation. Voyant que le juif ne disait mot et ne cessait pas d'avoir les yeux fixés à terre, il sortit et rentra presque aussitôt en introduisant Nancy, vêtue en cuisinière, avec un bonnet, un tablier, un panier, et une grosse clef à la main.

«Tu es sur la trace, n'est-ce pas, Nancy? demanda Sikes en lui offrant un verre.

– Oui, Guillaume, répondit la jeune dame en vidant le contenu, j'y suis, et assez fatiguée comme ça: le petit drôle a été malade et a gardé le lit, et…

– Ah! Nancy, ma chère!» dit Fagin en levant les yeux.

Peut-être le juif, en contractant ses sourcils roux et en fermant à demi ses yeux profondément encaissés dans leur orbite, donna-t- il à entendre à miss Nancy qu'elle était trop en veine de confidences; ce détail importe peu. Le fait est qu'elle s'arrêta court dans ses explications, et qu'après avoir adressé à M. Sikes plusieurs gracieux sourires, elle changea de conversation. Après dix minutes environ, M. Fagin fut pris d'une quinte de toux; sur quoi Nancy mit son châle, et déclara qu'il était temps de s'en aller. M. Sikes observa qu'il avait à faire un bout de chemin dans la même direction qu'elle, et manifesta l'intention de l'accompagner. Ils s'en allèrent ensemble, suivis à peu de distance par le chien, qui sortit d'une cour voisine sitôt que son maître fut hors de vue.

Le juif passa la tête hors de la porte au moment où Sikes venait de quitter la salle: il le suivit des yeux tandis qu'il franchissait l'obscur passage, le menaçant du poing, et murmurant d'horribles imprécations; puis, avec un affreux rire, il revint prendre place devant la table, où il se plongea dans l'intéressante lecture du Journal des Tribunaux.

Pendant ce temps Olivier Twist, qui ne se doutait pas qu'il fût si près du facétieux vieillard, se dirigeait vers l'étalage du libraire. Arrivé à Clerkenwell, il prit, sans y faire attention, une rue qui n'était pas comprise dans son itinéraire. Il l'avait à moitié franchie, quand il s'aperçut de sa méprise; mais sachant que cette rue devait aussi aboutir au point vers lequel il se dirigeait, il jugea inutile de revenir sur ses pas, et continua à marcher, les livres sous le bras, de toute la vitesse de ses jambes.

Il songeait, tout en marchant, au bonheur de sa nouvelle situation, au plaisir qu'il aurait à voir, ne fût-ce qu'un instant, le pauvre petit Richard, qui peut-être en ce moment, battu et affamé, pleurait amèrement, quand il fut tiré de sa rêverie par une jeune femme qui s'écria très haut:

«Oh! mon cher frère!» Et à peine avait-il levé les yeux pour voir ce que cela signifiait, qu'il sentit l'étreinte de deux bras étroitement serrés autour de son cou.

«Laissez-moi, s'écria Olivier en se débattant; laissez-moi tranquille. Qu'est-ce? Pourquoi m'arrêtez-vous?»

Pour toute réponse, la jeune femme qui le tenait embrassé, et qui avait à la main un petit panier et une grosse clef, se mit à pousser des cris et des gémissements.

 

«Oh! mon Dieu! disait-elle; je t'ai donc retrouvé; Olivier! Olivier! oh! vilain enfant, de m'avoir jetée dans de pareilles inquiétudes à ton sujet! Viens chez nous, mon ami, viens. Dieu soit loué! je t'ai enfin retrouvé!»

Après ces exclamations incohérentes, la jeune fille recommença ses gémissements de plus belle, avec un accès nerveux si violent, que plusieurs femmes qui étaient là demandèrent à un garçon boucher à la chevelure grasse et luisante, et qui regardait aussi, la scène, s'il ne croyait pas urgent de courir chercher un médecin. À quoi le garçon boucher, qui semblait d'une nature assez lente, pour ne pas dire indolente, répondit qu'il n'y avait pas d'urgence.

«Oh! non, non, ce n'est pas la peine, dit la jeune femme en serrant la main d'Olivier; je vais déjà mieux. Allons tout droit à la maison, cruel enfant! allons!

– Qu'est-ce qu'il y a donc, madame? demanda une des femmes.

– Oh! madame, répondit la jeune fille, il s'est sauvé il y a près d'un mois de chez ses parents, qui sont de bons ouvriers, pour aller courir avec une bande de filous et de mauvais garnements, et sa mère en est presque morte de chagrin.

– Petit misérable! dit la femme.

– Rentrez chez vous bien vite, petite brute, dit une autre.

– Ce n'est pas moi, répondit Olivier très alarmé; je ne la connais pas; je n'ai ni soeur, ni père, ni mère, je suis orphelin, je demeure à Pentonville.

« – Oh! voyez donc, est-il effronté! dit la jeune femme.

– Comment! c'est vous, Nancy! s'écria Olivier, en voyant la figure de la jeune femme qui s'était jusqu'alors tenue derrière lui; il recula d'étonnement et d'effroi.

– Voyez-vous qu'il me reconnaît! dit Nancy en s'adressant aux assistants. Il ne peut pas faire autrement Quelqu'un aurait-il la bonté de m'aider à l'emmener chez nous? sans quoi il fera mourir son père et sa pauvre mère, et me mettra au désespoir.

– Que diable est ceci? dit un homme en s'élançant hors d'une taverne, avec un chien blanc derrière les talons. Comment! le petit Olivier! Veux-tu bien aller retrouver ta pauvre mère, vaurien que tu es! allons! vite à la maison!

– Je ne leur appartiens pas. Je ne les connais pas. Au secours! au secours! cria Olivier en se débattant contre la vigoureuse étreinte de l'homme.

– Au secours! répéta celui-ci; c'est moi qui viens au secours, petit scélérat! Qu'est-ce que c'est que ces livres-là? Tu les as volés, n'est-ce pas? donne-moi ça.»

À ces mots, l'homme arracha les volumes que tenait l'enfant, et le frappa violemment à la tête.

«C'est bien fait! dit du haut d'un grenier un spectateur de cette scène; voilà la vraie manière de mettre ces gamins-là à la raison!

– C'est vrai ça, dit un gros lourdaud de charpentier, en regardant d'un air approbateur celui qui venait de parler.

– Ça lui fera du bien, dirent les deux femmes.

– Eh! c'est évident, reprit l'homme en frappant de nouveau Olivier et en le saisissant au collet. En avant, petit vaurien! Ici, Turc! attention au commandement!

Affaibli par sa récente maladie, étourdi par les coups et par cette attaque à l'improviste, épouvanté des grondements menaçants du chien et de la brutalité de l'homme, accablé surtout par la conviction où étaient les spectateurs qu'il était réellement un vaurien, que pouvait le pauvre enfant? Il faisait nuit close, le quartier était désert; nul secours à attendre. Toute résistance était inutile. En un instant, il fut entraîné dans un labyrinthe de rues sombres et étroites, et avec une rapidité qui rendait complètement inintelligibles les quelques cris qu'il osait pousser. Qu'importait d'ailleurs qu'ils fussent intelligibles, puisque personne n'était là pour s'en inquiéter?

* * * * *

Les becs de gaz étaient partout allumés; Mme Badwin attendait avec anxiété à la porte de la maison; vingt fois la servante avait couru au bout de la rue pour tâcher d'apercevoir Olivier, et les deux vieux messieurs restaient obstinément assis dans le cabinet, au milieu de l'obscurité, et les yeux fixés sur la montre.

CHAPITRE XVI. Ce que devint Olivier Twist, après qu'il eut été réclamé par Nancy

Après avoir franchi nombre de rues étroites et de passages détournés, Sikes, Nancy et Olivier arrivèrent à un vaste espace découvert, que des claies et des parcs à troupeaux désignaient pour un marché au bétail. Là, Sikes ralentit le pas, car la jeune fille ne pouvait soutenir plus longtemps l'allure rapide qu'ils avaient prise jusqu'alors; il se tourna vers Olivier, et lui enjoignit d'un ton brutal de prendre la main de Nancy.

«M'entends-tu?» gronda-t-il en voyant Olivier hésiter et regarder aux alentours.

Ils étaient dans un endroit sombre, loin de tout passant, et Olivier ne vit que trop clairement qu'il n'y avait pas de résistance possible; il tendit la main à Nancy qui la lui serra étroitement.

«Donne-moi l'autre, dit Sikes; ici, Turc!»

Le chien leva la tête en grondant.

«Tiens, mon brave, ajoute Sikes en mettant la main sur la gorge d'Olivier et en proférant un affreux jurement, s'il souffle un mot, jette toi là-dessus! tu comprends?»

Le chien grogna de nouveau, se lécha le museau, et regarda Olivier comme s'il avait envie de lui sauter à la gorge, sans plus tarder.

«Il le ferait comme je le lui dis, mille tonnerres! dit Sikes en regardant son chien d'un oeil féroce et satisfait.

– Maintenant, tu sais ce qui t'attend, jeune homme; ainsi crie, si l'envie t'en prend; le chien se chargera bien de te faire taire; allons, plus vite que ça.»

Turc remua la queue pour remercier son maître de ces paroles caressantes, auxquelles il n'était pas habitué; puis il poussa un nouveau grognement à l'adresse d'Olivier, et prit les devants.

C'était Smithfield qu'ils traversaient; c'eût été Grosvenor- Square, qu'Olivier n'en eût pas su davantage. La nuit était sombre et brumeuse. L'éclairage des boutiques se voyait à peine à travers l'épaisseur du brouillard, qui augmentait à chaque instant et enveloppait de ténèbres les rues et les maisons; l'aspect de ces lieux n'en était que plus étrange pour Olivier, et son anxiété plus grande.

Ils marchaient d'un pas précipité, quand l'horloge d'une église voisine sonna l'heure; au premier coup, Sikes et Nancy firent halte, et prêtèrent l'oreille.

«Huit heures, Guillaume, dit Nancy.

– À quoi bon me dire ça? je l'entends bien, n'est-ce pas? répondit Sikes.

– Et eux, je voudrais bien savoir s'ils peuvent l'entendre, dit Nancy.

– Sans doute qu'ils le peuvent, reprit Sikes. Quand on m'a coffré, c'était l'époque de la foire de la Saint-Barthélemy, et il n'y avait pas dans toute la foire une méchante trompette dont je n'entendisse le vacarme; quand j'étais sous les verrous le soir, le tumulte et le tapage du dehors rendaient si affreux le silence de la damnée vieille prison, que j'étais tenté de me briser la tête contre les ferrures de la porte.

– Pauvres garçons! dit Nancy, le visage toujours tourné vers le point où l'horloge s'était fait entendre; quel dommage, Guillaume, de si beaux garçons!

– Voilà bien les femmes, répondit Sikes, elles ne font attention qu'à ça. De si beaux garçons! Eh bien! s'ils ne sont pas encore morts, ils n'en valent pas mieux; ainsi n'en parlons plus.»

Il semblait, en même temps, réprimer un mouvement de jalousie, et serrant plus fort la main d'Olivier, il lui dit d'avancer.

«Une minute, dit la jeune fille; je ne passerais pas si vite par ici s'il s'agissait pour toi, Guillaume, d'être pendu le lendemain à huit heures; il aurait beau y avoir de la neige, et je n'aurais pas de châle pour me couvrir, que je ferais le tour de cette place jusqu'à extinction.

– À quoi que ça m'avancerait? demanda le brutal Sikes; à moins que tu puisses me passer une lime et vingt aunes de bonne corde, tu ferais cinquante milles, ou tu ne bougerais pas, que ça serait tout de même, pour le bien que ça me ferait. Allons, en route, et ne restons pas là une heure à faire des phrases.»

La jeune fille éclata de rire, rajusta son châle, et ils se remirent à marcher; mais Olivier sentit trembler la main de Nancy: il la regarda en passant sous un bec de gaz, et vit qu'elle était pâle comme la mort.

Ils marchèrent, pendant une demi-heure, par des rues sales et peu fréquentées, et les quelques individus qu'ils rencontrèrent avaient tout l'air d'occuper dans la société une position semblable à celle de M. Sikes; enfin ils s'engagèrent dans une ruelle encore plus sale que les autres, et pleine de boutiques de fripiers. Le chien courut en avant, comme s'il comprenait que la vigilance était maintenant inutile, et s'arrêta à la porte d'une boutique fermée et en apparence inoccupée; car la maison tombait en ruines, et un écriteau cloué sur la porte, et qui semblait fixé là depuis bien des années, annonçait qu'elle était à louer.

«Tout va bien, dit Sikes,» après avoir jeté autour de lui un regard scrutateur.

Nancy passa la main sous les volets, et Olivier entendit le bruit d'une sonnette. Ils traversèrent la rue et attendirent quelques instants sous une lanterne; on entendit lever un châssis avec précaution, et presque au même instant la porte s'ouvrit doucement. Sans plus de cérémonie, M. Sikes prit au collet l'enfant saisi de terreur, et tous trois se trouvèrent bientôt dans la maison.

L'allée était complètement sombre, et ils attendirent que la personne qui les avait introduits eût remis en place la chaîne et les barres de fer qui barricadaient la porte.

«Il n'y a personne? demanda Sikes.

– Non, répondit une voix qu'Olivier crut reconnaître.

– Le vieux est-il là? ajouta le brigand.

– Oui, répondit la voix, et il avait l'oreille basse en vous attendant. Va-t-il être content de vous voir! plus que ça de chance!»

Le style de cette réponse, aussi bien que la voix de celui qui parlait, n'étaient pas inconnus à Olivier; mais il était impossible, dans l'obscurité, de voir quel était cet interlocuteur.

«Éclaire-nous, dit Sikes; autrement nous allons nous casser le cou ou marcher sur les pattes du chien, et, alors, gare aux jambes, je ne vous dis que ça.

– Attendez un instant et vous aurez de la lumière,» répondit la voix. On entendit les pas de quelqu'un qui s'éloignait, et au bout d'une minute on vit paraître le sieur Jack Dawkins, autrement dit le rusé Matois, tenant une chandelle fichée dans un bâton fendu.

Le jeune filou ne s'arrêta pas à renouer connaissance avec Olivier autrement que par une grimace, et fit signe aux visiteurs de le suivre au bas de l'escalier; ils traversèrent une cuisine où l'on ne voyait que les quatre murs, et ouvrant la porte d'une pièce basse et humide, qui donnait sur une petite cour fangeuse. Ils furent accueillis par de grands éclats de rire.

«Oh! la bonne tête! s'écria maître Charles Bates, en riant à se tenir les côtes. Le voilà! ah! le voilà! regardez-le donc, Fagin: mais voyez donc la mine qu'il fait! c'est trop fort! En voilà une bonne farce! Je n'en puis plus; il y a de quoi mourir de rire. Tenez-moi, ou j'étouffe!»

La gaieté de maître Bates n'eut plus de bornes; il se laissa tomber tout de son long sur le plancher, agitant convulsivement ses jambes, et pendant cinq minutes il ne put modérer ses transports. Enfin il se remit sur pied, saisit la chandelle que tenait le Matois, et s'approchant d'Olivier, il l'examina des pieds à la tête, tandis que le juif, ôtant son bonnet, saluait respectueusement et à plusieurs reprises l'enfant abasourdi; quant au Matois, sournois comme il l'était, et peu enclin à rire dès qu'il avait l'occasion d'exercer ses talents, il fouillait les poches d'Olivier avec un soin minutieux.

«Voyez donc, Fagin, comme il est attifé! dit Charlot en approchant tellement la lumière du vêtement neuf d'Olivier, qu'il faillit l'enflammer; regardez-moi ça. Drap numéro un, et quelle coupe de muscadin! oh! c'est trop drôle! Et des livres, encore; mais, Fagin, c'est un monsieur tout craché.

– Charmé de vous voir en si bon état, mon cher, dit le juif en saluant ironiquement Olivier jusqu'à terre; le Matois vous donnera un autre vêtement, mon cher, de crainte que vous n'abîmiez votre habit des dimanches. Pourquoi ne pas nous avoir écrit, mon cher, pour nous prévenir de votre arrivée? nous aurions eu un souper tout chaud à vous offrir.»

À ces mots, maître Bates fut repris d'un fou rire, qui dérida Fagin lui-même et fit sourire le Matois. Mais comme ce dernier tirait à l'instant même, de la poche d'Olivier, le billet de banque de cinq guinées, on ne peut dire si ce fut l'explosion de joie de Bates ou cette découverte qui le fit sourire.

 

«Oh! oh! qu'est-ce que c'est que ça? demanda Sikes en s'avançant vers le juif, qui allait empocher le billet. Cela m'appartient, Fagin.

– Non, mon ami, non, dit le juif; c'est à moi, Guillaume, c'est à moi. Vous aurez les livres.

– Si on ose dire que ce n'est pas à moi, reprit Sikes en mettant son chapeau d'un air résolu, c'est-à-dire à moi et à Nancy, je remmène l'enfant.»

Le juif tressaillit, et Olivier aussi, quoique pour un motif bien différent; il espérait que la dispute aurait pour effet de le remettre en liberté.

«Voyons, dit Sikes, voulez-vous me donner ça, oui ou non?

– Ce n'est pas bien, Guillaume; n'est-ce pas, Nancy, que ce n'est pas bien? demanda le juif.

– Que ce soit bien ou mal, répliqua Sikes, donnez-moi ça, vous dis-je! Est-ce que vous vous figurez que Nancy et moi nous n'avons rien de mieux à faire que de perdre notre temps à donner la chasse au premier garçon qui se fera coffrer, à cause de vous? Donnez-moi ça, vieux ladre, vieille momie, entendez-vous!»

Tout en faisant ces amicales remontrances, M. Sikes saisit le billet que le juif tenait entre le pouce et l'index, puis regardant froidement Fagin dans le blanc des yeux, il plia le billet en dix et l'enferma dans un noeud qu'il fit à sa cravate.

«Voilà pour notre peine, dit Sikes, et ce n'est pas moitié de ce que ça valait: quant à vous, gardez les livres, si vous aimez la lecture, ou sinon, vendez-les.

– C'est très intéressant, dit Charlot Bates, qui feignait de lire un des volumes en question, en faisant mille grimaces; beau style! hein, Olivier?» Et, en voyant l'air piteux de celui-ci, maître Bates, qui avait le don de saisir en toutes choses le côté comique, s'abandonna à un nouveau transport de gaieté plus bruyant que le premier.

«Ils appartiennent au vieux monsieur, dit Olivier en se tordant les mains; au bon et généreux vieux monsieur qui m'a reçu chez lui, qui m'a soigné quand j'étais mourant; renvoyez-les-lui, je vous en conjure; renvoyez-lui les livres et l'argent; gardez-moi ici toute ma vie; mais je vous en prie, je vous en supplie, renvoyez-les-lui. Il croira que je l'ai volé! la vieille dame, et tous ceux qui ont été si bons pour moi, croiront que je suis un voleur; oh! ayez pitié de moi et renvoyez-les-lui!»

En parlant ainsi, avec l'énergie que donne une poignante douleur, Olivier tomba à genoux aux pieds du juif, en joignant les mains d'un air suppliant et désespéré.

«Ce garçon a raison, observa Fagin en jetant autour de lui un coup d'oeil sournois, et en fronçant tant qu'il pouvait ses affreux sourcils. Tu as raison, Olivier, tu as raison. On croira que tu es un voleur; ah! ah! ajouta-t-il en se frottant les mains; ça se trouve à merveille, et nous ne pouvions rien souhaiter de mieux.

– Sans doute, répondit Sikes; j'y ai songé dès que je l'ai vu entrer dans Clerkenwell avec ses livres sous le bras. C'est tout simple, il faut que ce soient des gens confits en dévotion: autrement ils ne l'auraient pas pris chez eux. Ils ne le rechercheront pas, de crainte d'être obligés à des poursuites pour le faire enfermer; il est en sûreté comme ça.»

Pendant ce dialogue, Olivier regardait tour à tour Fagin et Sikes d'un oeil égaré, et comme s'il avait à peine conscience de ce qui se passait autour de lui; mais aux derniers mots de Guillaume Sikes il se releva subitement, et s'élança, tout effaré, hors de la chambre, en criant au secours, de manière à réveiller tous les échos de la vieille maison délabrée.

«Ne laisse pas sortir ton chien, Guillaume! s'écria Nancy en se précipitant vers la porte et en la fermant sur le juif et ses deux élèves, qui s'étaient élancés à la poursuite d'Olivier. Ne laisse pas sortir ton chien; il mettrait cet enfant en pièces.

– Ce serait bien fait! dit Sikes en se débattant pour se dégager de l'étreinte de la jeune fille. Lâche-moi, ou je te brise la tête contre le mur.

– Ça m'est égal, Guillaume, ça m'est égal, criait la jeune fille en luttant énergiquement contre cet homme; l'enfant ne sera pas déchiré par le chien, ou tu me tueras la première.

– Tu vas voir! dit Sikes en grinçant des dents. Ôte-toi de là, ou ce sera l'affaire d'un instant.»

Le brigand lança la jeune fille à l'autre bout de la chambre… juste au moment où le juif et ses deux élèves rentraient, ramenant Olivier après eux.

«Eh bien! qu'est-ce? dit le juif.

– Je crois que cette fille est devenue folle, répondit Sikes d'un air farouche.

«Non, je ne suis pas folle, dit Nancy pâle et haletante. Je ne suis pas folle, Fagin, soyez-en sûr.

– Eh bien alors, taisez-vous! dit le juif d'un air menaçant.

– Non, je ne me tairai pas, reprit Nancy sur un ton très élevé; voyons, qu'avez-vous à dire à cela?»

M. Fagin connaissait assez le caractère et les caprices des femmes pour sentir qu'il n'était pas prudent de prolonger l'entretien. Pour faire diversion, il s'adressa à Olivier:

«Vous vouliez donc vous sauver, mon ami? lui dit-il en prenant dans l'angle de la cheminée un gros bâton noueux.»

Olivier ne répondit rien: mais il observait les mouvements du juif, et son coeur battait avec force.

«Vous appeliez au secours, vous vouliez faire venir la police, n'est-ce pas! poursuivit Fagin avec un rire moqueur et en saisissant l'enfant par le bras; nous vous en ferons passer l'envie, jeune homme!»

Le juif appliqua un vigoureux coup de bâton sur les épaules d'Olivier, et il levait le bras pour recommencer, quand la jeune fille se jeta sur lui et lui arracha le bâton, qu'elle jeta au feu avec tant de force que des charbons roulèrent jusqu'au milieu de la chambre.

«Je ne souffrirai pas chose pareille, Fagin, s'écria Nancy. Vous avez retrouvé cet enfant; que voulez-vous de plus? Tâchez de le laisser tranquille, entendez-vous, ou je vous arrangerai de manière à me faire pendre avant mon tour.»

En proférant ces menaces, la jeune fille frappait du pied le plancher; pâle de colère, les lèvres serrées, les mains crispées, elle regardait tour à tour le juif et Sikes.

«Allons, Nancy! dit le juif d'un ton radouci, après un moment de silence, pendant lequel il échangea avec M. Sikes des regards étonnés et inquiets; vous êtes… ce soir… plus admirable que jamais; eh! eh! ma chère, vous jouez la comédie à ravir.

– Vraiment? dit la jeune fille; prenez garde que je ne me surpasse; ce serait tant pour vous, Fagin; ainsi, marchez droit avec moi; tenez-vous-le pour dit.»

Une femme poussée à bout, surtout une femme aigrie par le malheur et le désespoir, peut arriver à un degré d'irritation que peu d'hommes aiment à provoquer. Le juif comprit qu'il feindrait inutilement de prendre plus longtemps la colère de Nancy pour un caprice passager, et reculant involontairement de quelques pas, il jeta du côté de Sikes un coup d'oeil moitié craintif, moitié suppliant, comme pour lui dire que c'était à lui naturellement à continuer le dialogue.

M. Sikes entendit ce muet appel, et, sentant peut-être son orgueil personnel et son influence intéressés à ce que Nancy fut immédiatement réduite à la raison, prononça au moins deux ou trois douzaines de malédictions et des menaces dont la rapidité et la variété faisaient beaucoup d'honneur à la fertilité de son esprit inventif. Comme tout cela ne produisait aucun effet visible sur l'objet de sa colère, il eut recours à des arguments plus frappants.

«Qu'est-ce que tu veux dire par là?» s'écria-t-il en appuyant sa question d'une des imprécations familières à notre pays contre le plus beau de tous les traits qui décorent la figure humaine, imprécation imprudente qui risquerait, si elle était entendue là- haut seulement une fois sur cinquante mille qu'on la répète ici- bas, de faire de la cécité une maladie aussi commune que la rougeole. «Qu'est-ce que tu veux dire par là? Le diable me brûle! Ne sais-tu plus qui tu es et ce que tu es?

– Oh! que si, que je le sais bien,» répliqua la jeune fille avec un rire nerveux, en balançant sa tète de droite à gauche, et prenant un air d'indifférence qui dissimulait mal son émotion.