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Oliver Twist

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Oliver Twist
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CHAPITRE XXIII. Où l'on verra qu'un bedeau peut avoir des sentiments. – Curieuse conversation de M. Bumble et d'une dame

La nuit était glaciale; une épaisse couche de neige durcie couvrait la terre; le vent qui soufflait avec violence en faisait tourbillonner les monceaux accumulés au coin des rues ou le long des maisons. C'était une de ces soirées sombres et froides, où les gens bien logés et bien nourris se pressent autour d'un bon feu et s'applaudissent de n'être pas dehors; où les malheureux sans abri et sans pain s'endorment pour ne plus s'éveiller; où plus d'un paria de nos cités, consumé par la faim, ferme l'oeil sur le pavé de nos rues pour ne plus le rouvrir que dans un monde qu'il ne peut pas trouver pire, quels qu'aient été ses crimes dans celui- ci.

Telle était la situation au dehors, quand Mme Corney, la matrone du dépôt de mendicité où nous avons déjà fait pénétrer le lecteur, vint s'installer dans sa petite chambre devant un bon feu, et se mit à considérer avec complaisance une petite table ronde sur laquelle était posé un plateau garni de tous les objets nécessaires à la plus agréable collation que puisse faire une matrone. En effet, Mme Corney était sur le point de se réconforter avec une tasse de thé; elle regardait la table, puis le foyer où l'eau chantait doucement dans une petite bouilloire, et elle prenait de plus en plus un air satisfait; elle en vint, en vérité, jusqu'à sourire à ce spectacle.

«Vraiment, dit-elle en posant son coude sur la table, il n'est personne ici-bas qui n'ait à bénir la Providence, si on voulait seulement songer aux dons qu'elle nous fait. Hélas!»

Mme Corney hocha la tête d'un air pensif, comme si elle déplorait l'aveuglement des pauvres qui méconnaissaient ces dons; puis introduisant une cuiller d'argent (qui lui appartenait en propre) dans une petite boîte à thé, elle continua ses préparatifs.

Qu'il faut peu de chose pour troubler la sérénité de notre âme! La bouilloire, étant fort petite et bientôt remplie, déborda tandis que Mme Corney se livrait à ses réflexions morales, et quelques gouttes d'eau chaude tombèrent sur la main de la matrone.

«Peste soit de la bouilloire! dit-elle en la posant bien vite sur la cheminée. Quelle sotte invention que ces bouilloires qui ne contiennent qu'une ou deux tasses! À qui peuvent-elles servir, sinon à une pauvre créature délaissée comme moi, hélas!»

À ces mots, la matrone se laissa tomber dans son fauteuil, remit son coude sur la table, et songea à son existence solitaire. La petite bouilloire à une tasse avait réveillé en elle le souvenir de feu M. Corney, qu'elle avait enterré vingt-cinq ans auparavant, et elle tomba dans une profonde mélancolie.

«Je n'en aurai jamais d'autre! dit-elle d'un ton rechigné; je n'en aurai jamais… de semblable.»

On ne saurait dire si l'exclamation de Mme Corney s'adressait à son mari ou à sa bouilloire; peut-être était-ce à cette dernière, car elle la regarda au même instant et la mit sur la table. Comme elle approchait la tasse de ses lèvres, on frappa doucement à la porte.

«Entrez! dit-elle avec humeur; c'est encore quelque vieille femme qui meurt, je suppose: elles meurent toujours quand je suis à table; entrez vite et fermez la porte, que le froid ne pénètre pas dans la chambre. Eh bien, qu'est-ce?

– Rien, madame, rien, répondit une voix d'homme.

– Bonté divine! dit la matrone d'une voix beaucoup plus, douce; est-ce vous, monsieur Bumble?

– À votre service, madame, dit M. Bumble, qui était resté dehors à s'essuyer les pieds sur le paillasson et à secouer la neige qui couvrait son habit, mais qui maintenant faisait son entrée, tenant d'une main son tricorne et de l'autre un paquet. Dois-je fermer la porte, madame?»

La dame hésita modestement à répondre, dans la crainte qu'il n'y eût quelque inconvenance à s'entretenir à huis clos avec M. Bumble. Celui-ci profita de cette hésitation, et, comme il était gelé, il ferma la porte sans attendre davantage l'autorisation.

«Quel affreux temps, monsieur Bumble! dit la matrone.

– Affreux, en vérité, madame, répondit le bedeau; c'est un temps antiparoissial. Croiriez-vous, madame Corney, que nous avons distribué dans cette journée de bénédiction vingt-cinq pains de quatre livres et un fromage et demi?.. Eh bien! ces mendiants-là ne sont pas contents.

– La belle merveille! est-ce qu'ils sont jamais contents? dit la matrone en savourant son thé.

– Ah! c'est bien, vrai, madame, reprit M. Bumble. Tenez, il y a un individu auquel, en considération de sa nombreuse famille, on a octroyé un pain de quatre livres et une livre de fromage, bon poids; croyez-vous qu'il en soit reconnaissant? pas pour deux liards. Savez-vous ce qu'il a fait, madame? il a demandé un peu de charbon, ne fût ce, disait-il, que plein un mouchoir. Du charbon! mais pourquoi faire, en vérité? il voulait donc faire griller son fromage pour venir ensuite en redemander! Ces gueux d'indigents n'en font pas d'autres: donnez-leur aujourd'hui du charbon plein un tablier, ils reviendront en demander autant deux jours après; ils sont effrontés comme des singes.»

La matrone octroya son approbation à cette belle comparaison, et le bedeau continua:

«On ne saurait croire jusqu'où va leur insolence; pas plus tard qu'avant-hier, un homme… vous avez été mariée, madame, je puis donc entrer avec vous dans ces détails, un homme, à peine vêtu (Mme Corney baissa les yeux) de quelques haillons en lambeaux, se présente à la porte de notre surveillant, qui avait justement du monde à dîner, et dit qu'il faut qu'on lui donne des secours. Comme il refusait de s'en aller, et que sa tenue scandalisait la compagnie, notre surveillant lui fit donner une livre de pommes de terre et une demi-pinte de gruau. «Mon Dieu! dit ce monstre d'ingratitude, qu'est-ce que vous voulez que je fasse de ça? autant me donner des bésicles. – C'est bon, dit notre surveillant en lui reprenant les provisions, vous n'aurez rien du tout. – Il me faudra donc mourir sur le pavé? dit le vagabond. – Oh! que non, vous n'en mourrez pas,» dit le surveillant.

– Ah! ah! c'est excellent, interrompit la matrone. C'était, pour sûr, M. Grannet. Et après?

– Après, madame, reprit le bedeau, il est parti et il est mort dans la rue. En voilà un entêté!

– Cela passe toute croyance, observa la matrone avec dignité; mais ne vous semble-t-il pas, monsieur Bumble, que les secours donnés hors du dépôt de mendicité n'ont aucun bon résultat? Vous êtes homme d'expérience et vous pouvez en juger.

– Madame Corney, dit le bedeau en souriant comme un homme qui a conscience de sa supériorité, les secours distribués hors du dépôt, s'ils sont donnés avec discernement, vous entendez, madame, avec discernement, sont la sauvegarde des paroisses. Le principe fondamental de l'assistance en dehors du dépôt, c'est de fournir aux pauvres justement ce dont ils n'ont que faire, et alors, de guerre lasse, ils cessent leurs importunités.

– Certes, s'écria Mme Corney, voilà une idée lumineuse!

– Oui. Entre nous soit dit, c'est là le grand principe de la chose, reprit M. Bumble; c'est en vertu de ce principe qu'on vient en aide à des familles malades, en leur faisant une distribution de fromage, comme le disent les impudents journalistes qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas. Ce principe, madame Corney, est maintenant en vigueur dans le royaume. Cependant, ajouta-t-il en ouvrant le paquet qu'il tenait à la main, ce sont des secrets administratifs, et sur lesquels on doit avoir bouche close, sauf entre fonctionnaires paroissiaux, comme nous, par exemple. Voici le porto que l'administration destine à l'infirmerie; il est d'une qualité excellente, naturel, pur de tout mélange, en bouteille d'aujourd'hui, clair comme de l'eau de roche, et sans aucun dépôt.»

Après avoir approché une des deux bouteilles de la lumière, et l'avoir agitée pour montrer la bonne qualité du vin, M. Bumble les porta toutes les deux sur la commode, plia le mouchoir qui les enveloppait, le mit dans sa poche, et prit son chapeau comme pour s'en aller.

«Vous allez avoir bien froid, monsieur Bumble, dit la matrone.

– Il fait un vent à vous couper la figure,» répondit celui-ci en relevant le collet de son habit.

Mme Corney regarda la petite bouilloire, puis le bedeau qui se dirigeait vers la porte; et, comme celui-ci toussait et qu'il allait lui souhaiter une bonne nuit, elle lui demanda timidement… s'il voulait accepter une tasse de thé.

Aussitôt M. Bumble rabattit son collet, posa son chapeau et sa canne sur une chaise, et approcha une autre chaise de la table; il s'assit lentement, tout en regardant la dame, qui baissa les yeux: M. Bumble toussa de nouveau et sourit légèrement.

Mme Corney se leva pour prendre dans l'armoire une tasse et une soucoupe. Comme elle se rasseyait, ses yeux rencontrèrent encore ceux du galant bedeau; elle rougit et se mit à préparer le thé. M. Bumble toussa encore, et plus fort qu'auparavant.

«L'aimez-vous sucré, monsieur Bumble? demanda la matrone en prenant le sucrier.

– Oui, madame, très sucré,» répondit M. Bumble, les yeux toujours braqués sur Mme Corney. Si jamais bedeau eut l'air tendre, ce fut M. Bumble en ce moment. On versa le thé.

M. Bumble mit un mouchoir sur ses genoux, pour que les miettes de pain n'altérassent pas l'éclat de sa culotte courte, et se mit à boire et à manger; parfois, au milieu de cet exercice, il poussait un profond soupir qui ne lui faisait pas perdre un coup de dent, et qui semblait, au contraire, destiné à lui faciliter les fonctions digestives.

«Vous avez une chatte, madame, à ce que je vois, dit M. Bumble en apercevant une grosse chatte entourée de ses petits, qui se chauffait devant le feu… et des petits aussi, si je ne me trompe.

– Je les aime tant, monsieur Bumble! répondit la matrone. Vous ne pouvez vous en faire une idée. Ils sont si heureux, si agiles, si divertissants! c'est une vraie société pour moi.

 

– Ce sont de charmants animaux, dit M. Bumble d'un ton approbateur, et qui s'attachent à la maison.

– Oh oui! fit Mme Corney avec enthousiasme; ils aiment leur chez eux, que c'est un plaisir.

– Madame Corney, dit lentement le bedeau en battant la mesure avec sa cuiller, j'ose dire, madame, que si un chat, ou tout autre animal qui pourrait vivre avec vous, ne s'attachait pas à la maison, il faudrait nécessairement que ce fût un âne.

– Oh! monsieur Bumble! fit la matrone.

– Il est inutile de déguiser la vérité, reprit M. Bumble en balançant sa cuiller, d'un air à la fois digne et tendre qui donnait plus de poids à ses paroles; une bête qui se montrerait si ingrate, je la noierais de ma main avec plaisir.

– Alors, vous êtes un cruel, dit vivement la matrone en allongeant le bras pour prendre la tasse du bedeau. Il faut que vous ayez le coeur bien dur.

– Le coeur dur, madame, dit M. Bumble, le coeur dur!»

Il tendit sa tasse à Mme Corney, et saisit le moment où elle la prenait pour lui serrer le petit doigt; puis posant sa main sur son gilet galonné, il poussa un profond soupir et éloigna, si peu que rien, sa chaise du feu.

La table était ronde, et, comme Mme Corney et M. Bumble étaient assis devant le feu, vis-à-vis l'un de l'autre et assez rapprochés, on comprend que M. Bumble, en s'éloignant de la cheminée, ajoutait à la distance qui le séparait de Mme Corney. Cette façon d'agir excitera sans doute l'admiration du lecteur, qui y verra un acte d'héroïsme de la part de M. Bumble; l'heure, le lieu, l'occasion, auraient pu l'engager à conter fleurettes, bien que les propos légers qui conviennent dans la bouche d'un étourdi semblent fort au-dessous de la dignité d'un magistrat, d'un membre du Parlement, d'un ministre d'État, d'un lord-maire, et, à plus forte raison, indignes de la gravité d'un bedeau, qui (nul ne l'ignore) doit être de tous les fonctionnaires le plus sévère et le plus inflexible.

Quelles que fussent les intentions de M. Bumble (et sans nul doute elles étaient excellentes), le malheur voulut que la table fut ronde, comme nous l'avons observé. Dès lors, M, Bumble, en éloignant peu à peu sa chaise, diminua insensiblement la distance qui le séparait de la matrone, et, à force de faire voyager sa chaise autour de la table, il arriva à la placer contre celle de Mme Corney; les deux chaises finirent par se toucher, et là M. Bumble s'arrêta.

Dans cette situation, si la matrone reculait sa chaise vers la droite, elle se mettait dans la cheminée; si elle faisait un mouvement vers la gauche, elle tombait dans les bras de M. Bumble. Cette alternative n'échappa point à sa perspicacité, et, en femme bien avisée, elle ne bougea pas et offrit à M. Bumble une seconde tasse de thé.

«Le coeur dur! répéta le bedeau en regardant la matrone: et vous, madame Corney, avez-vous le coeur dur?

– Dieu! s'écria-t-elle, quelle singulière question de la part d'un célibataire! Qu'est-ce que cela peut vous faire, monsieur Bumble?»

Celui-ci, sans répondre, vida sa tasse, avala une rôtie, s'essuya les lèvres, et… embrassa bravement la matrone.

«Monsieur Bumble, dit tout bas la discrète dame, car l'effroi lui ôtait presque la parole, Monsieur Bumble, Je vais crier!»

Celui-ci ne répondit pas, et, avec lenteur et dignité, passa son bras autour de la taille de la matrone.

Comme la dame avait manifesté l'intention de crier, elle allait sans doute, à cette nouvelle hardiesse, exécuter sa menace, quand on frappa vivement à la porte; en un clin d'oeil, M. Bumble s'élança agilement vers les bouteilles, et se mit à les épousseter activement, tandis que la matrone demandait sèchement: «Qui est là?» Il est à remarquer, et c'est un exemple curieux de l'efficacité d'une surprise soudaine pour atténuer les effets d'une grande frayeur, que sa voix avait repris tout d'un coup sa rudesse habituelle.

«Madame, dit une vieille mendiante décharnée en montrant sa tête à la porte, la vieille Sally est en train de s'en aller.

– Eh bien, que voulez-vous que j'y fasse? demanda la matrone avec humeur; est-ce que je peux l'empêcher de mourir?

– Non, non, madame, répondit la vieille, nul ne le peut; il n'y a plus de remède. J'ai vu mourir bien du monde, des enfants et des hommes dans la force de l'âge, et je sais bien quand la mort arrive. Mais elle est agitée; quand les accès lui laissent un moment de repos, et elle n'en a guère, car son agonie est très pénible, elle dit qu'elle a quelque chose à vous dire, qu'il faut absolument que vous sachiez. Elle ne mourra pas tranquille si elle ne vous voit pas, madame.»

La digne Mme Corney marmotta mille invectives contre les vieilles femmes qui ne pourraient seulement pas mourir sans importuner leurs supérieurs; de propos délibéré, elle jeta sur ses épaules un grand châle dans lequel elle s'enveloppa soigneusement, pria M. Bumble d'attendre son retour, et, enjoignant à la vieille messagère de marcher vite et de ne pas la tenir toute la nuit sur pied dans les escaliers, elle sortit de très mauvaise grâce, et se dirigea en grondant vers la chambre de la mourante.

Resté seul, M. Bumble tint une étrange conduite. Il ouvrit l'armoire, compta les cuillers à thé, soupesa la pince à sucre, examina attentivement une grande cuiller d'argent pour s'assurer de la bonté du métal; après avoir satisfait sa curiosité sur tous ces points, il mit son tricorne sens devant derrière, et fit plusieurs fois le tour de la table en dansant gravement sur la pointe des pieds. Après s'être livré à ce bizarre exercice, il ôta son tricorne, et s'étendit devant le feu en tournant le dos à la cheminée, de l'air d'un homme qui serait occupé à dresser exactement l'inventaire du mobilier.

CHAPITRE XXIV. Détails pénibles, mais courts, dont la connaissance est nécessaire pour l'intelligence de cette histoire

C'était une vraie messagère de mort qui était venue jeter le trouble dans le paisible intérieur de la matrone. Elle était courbée par l'âge; un tremblement continuel agitait ses membres, et sa figure, contractée par des mouvements convulsifs, ressemblait plutôt à une caricature qu'à un visage humain.

Hélas! qu'il y a peu de visages dont la beauté conserve son charme! Les soucis, les chagrins, les souffrances, altèrent les traits en même temps qu'ils changent le coeur; et ce n'est que lorsque les passions sommeillent et qu'elles ont perdu leur puissance pour toujours, que le nuage se dissipe et rend au front sa sérénité céleste. Tel est souvent l'effet de la mort: froid et glacé, le visage retrouve cette expression sereine et paisible qu'il avait un matin de la vie. L'homme redevient alors si calme, si paisible, que ceux qui l'ont connu dans son heureuse enfance s'agenouillent près du cercueil, pleins de respect pour l'ange qu'ils croient voir sur la terre.

La vieille femme gravit l'escalier en chancelant, et chemina clopin-clopant le long des corridors, tout en marmottant quelques paroles inintelligibles, en réponse aux reproches que lui adressait sa compagne. À la fin, elle fut forcée de s'arrêter pour reprendre haleine, et remit la lumière à la matrone, qui se dirigea rapidement vers la chambre où gisait la mourante.

C'était un vrai grenier, à peine éclairé par une méchante lampe. Une autre vieille femme veillait près du lit, tandis que l'apprenti du pharmacien de la paroisse, debout devant la cheminée, se taillait un cure-dents.

«Quelle nuit glaciale, madame Corney! dit le jeune homme en voyant entrer la matrone.

– Glaciale en vérité, monsieur, répondit la dame de sa voix la plus bienveillante, et en faisant une révérence.

– Vous devriez exiger de vos fournisseurs du charbon de meilleure qualité, dit l'apprenti en attisant le feu avec les pincettes rouillées; celui-ci ne convient nullement par un temps pareil.

– Il est du choix de l'administration, répondit la matrone. Elle devrait bien au moins nous chauffer convenablement; nos fonctions sont déjà bien assez pénibles.»

Ici la conversation fut interrompue par un gémissement de la mourante.

«Oh! dit le jeune homme en regardant du côté du lit, comme si ce cri lui eût rappelé qu'il y avait là une malade. C'est la fin, madame Corney.

– Croyez-vous? demanda celle-ci.

– Je serais surpris que cela durât encore quelques heures, dit l'apprenti en taillant la pointe de son cure-dents. Elle a tout le système détraqué. Dites-moi, la vieille, est-ce qu'elle dort?»

La garde se pencha sur le lit pour s'en assurer et fit signe que oui.

«Elle s'en ira peut-être bien comme cela, si vous ne faites pas de bruit, dit le jeune homme. Posez la lumière à terre; elle ne la verra pas.»

La vieille obéit, en secouant la tête comme pour faire entendre que la malade ne mourrait pas si tranquillement; puis elle reprit sa place près de l'autre vieille qui venait de rentrer. La matrone, d'un air d'impatience, s'enveloppa dans son châle, et s'assit au pied du lit.

L'apprenti pharmacien, après avoir taillé son cure-dents, s'installa devant le feu; mais au bout de dix minutes l'ennui le prit, il souhaita bien du plaisir à Mme Corney, et sortit sur la pointe du pied.

Les deux vieilles femmes, après être restées quelque temps immobiles, s'éloignèrent du lit et vinrent s'accroupir devant le feu, à la chaleur duquel elles exposèrent leurs mains décharnées. La flamme projetait une lueur sinistre sur leurs visages blêmes, et mettait en lumière leur affreuse laideur; elles se mirent à causer à voix basse.

«À-t-elle encore dit quelque chose tandis que j'étais dehors? demanda la ménagère.

– Pas un mot, répondit l'autre; elle s'est mise à se tordre les bras; mais je lui ai tenu les mains, et elle s'est bientôt calmée; elle est à bout de forces, et je n'ai pas eu de peine à la faire tenir tranquille. J'ai encore pas mal de vigueur, voyez-vous, toute vieille que je suis, malgré le régime du dépôt.

– A-t-elle bu le vin chaud que le médecin lui avait ordonné? demanda la vieille.

– J'ai essayé de le lui faire avaler, répondit-elle, mais elle avait les dents si serrées, et elle mordait si fort le verre, que c'est à peine si j'ai pu lui faire lâcher prise. Pour lors, c'est moi qui l'ai bu, et cela m'a fait du bien.»

Après avoir regardé autour d'elles avec précaution pour s'assurer qu'on ne les écoutait pas, les deux vieilles se tapirent encore plus près du feu et continuèrent leur bavardage.

«Je me souviens d'un temps, dit la première, où elle n'aurait pas manqué d'en faire autant, et même qu'ensuite elle en aurait bien ri.

– Sans doute, reprit l'autre; elle était joviale. En a-t-elle enseveli des cadavres! Et blancs comme de la cire. Que de fois je l'ai aidée dans cette besogne!»

Tout en parlant, la vieille tira de sa poche une méchante tabatière d'étain, offrit une prise à sa compagne, et s'en adjugea une à elle-même. En ce moment, la matrone qui avait impatiemment attendu jusque-là que la mourante sortit de son état de stupeur, s'approcha aussi du feu et leur demanda d'une voix aigre combien de temps il lui faudrait encore rester là à attendre.

«Pas longtemps, notre maîtresse, répondit la seconda femme en levant les yeux; il n'y en a pas une de nous que la mort ait envie de faire attendre longtemps. Patience! patience! Elle arrivera assez vite pour nous toutes tant que nous sommes.

– Taisez-vous, vieille radoteuse! dit la matrone d'un ton sévère.

Dites-moi, Marthe, a-t-elle déjà été dans cet état?

– Souvent, répondit la femme.

– Mais c'est bien la dernière fois, ajouta l'autre, c'est-à-dire qu'elle ne s'éveillera plus qu'une seule fois; et soyez sûre, notre maîtresse, que ça ne sera pas long.

– Long ou court, dit la matrone avec mauvaise humeur, elle ne me trouvera pas là à son réveil, et ayez soin, entendez-vous, de ne pas venir me déranger une autre fois pour rien. Il n'entre pas dans mes fonctions de voir mourir toutes les vieilles femmes de la maison; ainsi, que cela ne vous arrive plus; c'est trop fort, en vérité. Souvenez-vous de ce que je vous dis là, vieilles bourriques; si vous vous avisez encore de me faire aller, j'aurai soin de vous, je vous le jure!»

Elle allait s'élancer dehors, quand un cri des deux vieilles fit qu'elle tourna la tête. La mourante s'était levée sur son séant et lui tendait les bras.

«Qu'est-ce? s'écria-t-elle d'une voix sépulcrale.

– Paix! paix! dit une des femmes en se penchant sur le lit.

Couchez-vous, couchez-vous!

– Je ne me recoucherai que morte! dit la malade en se débattant. Il faut que je lui parle! Approchez-vous… plus près encore, que je vous parle à l'oreille.»

 

Elle saisit le bras de la matrone et la fit asseoir sur une chaise près du lit. Elle allait parler, quand elle aperçut les deux vieilles debout près d'elle, le corps penché, dans l'attitude de femmes qui écoutent de toutes leurs oreilles.

«Renvoyez-les, dit la mourante d'une voix épuisée. Vite! vite!»

Les deux vieilles se mirent à se lamenter à qui mieux mieux, à dire que la pauvre malade était si bas qu'elle ne reconnaissait plus même ses meilleures amies, et à se répandre en protestations qu'elles ne la quitteraient pas; mais la matrone les fit sortir, ferma la porte et revint près du lit Une fois dehors, les deux vieilles changèrent de note et crièrent par le trou de la serrure que la vieille Sally était ivre; ce qui, en effet, n'était pas absolument impossible: car, outre une faible dose d'opium ordonnée par le pharmacien, elle avait à lutter contre les effets d'un grog, que les vieilles femmes, par bonté d'âme, lui avaient administré de leur autorité privée.

«Maintenant écoutez-moi, dit la mourante à haute voix, comme si elle faisait un grand effort pour retrouver un peu de force… Dans cette même chambre… dans ce même lit… j'ai jadis veillé une belle jeune femme, qui avait été amenée au dépôt, les pieds déchirés par les fatigues d'une longue marche, et toute souillée de sang et de poussière. Elle mit au monde un enfant, et mourut. Laissez-moi réfléchir… que je me souvienne en quelle année c'était.

– Peu importe l'année, dit l'impatiente matrone… où voulez-vous en venir?

– Ah oui, murmura la malade en retombant dans sa somnolence; où voulais-je en venir… Je sais! s'écria-t-elle en se redressant tout à coup convulsivement.» Sa figure s'anima, et les yeux lui sortaient de la tête. «Je l'ai volée; oui, je l'ai volée! Elle n'était pas encore froide. Je vous dis qu'elle n'était pas encore froide quand je l'ai volée.

– Volé quoi? parles, pour l'amour de Dieu! s'écria la matrone en faisant un geste comme pour appeler du secours.

– La chose! répondit la mourante en mettant sa main sur la bouche de la matrone, la seule chose qu'elle possédât. Elle n'avait ni vêtements pour se garantir du froid, ni pain à manger; et elle avait gardé cela sur son coeur: c'était de l'or, vous dis-je! du vrai or qui aurait pu servir à lui sauver la vie.

– De l'or! répéta la matrone en se penchant vivement vers la mourante qui retomba épuisée sur le lit… Continuez, continuez… eh bien! et puis? Qui était cette jeune mère? Quand était-ce?

– Elle m'avait chargé de le garder précieusement, reprit la vieille en poussant un cri plaintif. Elle me l'avait confié parce qu'elle n'avait que moi près d'elle. Du moment que je l'ai vu à son cou… je l'avais déjà volé d'intention; et la mort de l'enfant… c'est peut-être moi qui en suis cause! On l'aurait mieux traité, si l'on avait tout su!

– Su quoi? demanda l'autre; parlez!

– Cet enfant ressemblait tant à sa mère, reprit la mourante, sans tenir compte de la question qui lui était adressée, que je ne pouvais le regarder sans songer à sa pauvre mère! pauvre femme! si jeune! si douce! Attendez, je n'ai pas fini. Je n'ai pas tout dit, n'est-ce pas?

– Non, non, dit la matrone, en prêtant l'oreille pour saisir les paroles que la mourante prononçait d'une voix à peine intelligible. Dépêchez-vous, ou il sera trop tard!

– La mère, dit la femme en faisant un effort encore plus violent que les autres, la mère, quand elle se sentit mourir, me dit à l'oreille que, si son enfant vivait si on pouvait l'élever, un jour viendrait peut-être où il pourrait entendre sans rougir prononcer le nom de sa pauvre mère. «Oh mon Dieu! disait-elle en joignant ses mains amaigries, que ce soit un garçon ou une fille, suscitez-lui quelques amis dans ce monde de misère, et ayez pitié d'un pauvre enfant abandonné, seul sur terre.»

– Le nom de l'enfant? demanda la matrone.

– On l'appelait Olivier, répondit la femme d'une voix éteinte.

L'or que j'ai volé était…

– Oui, oui, après?» dit l'autre.

Elle se pencha vivement vers la mourante pour entendre sa réponse, mais recula bientôt instinctivement en la voyant se soulever encore une fois, lentement et péniblement, serrer la couverture dans ses mains crispées, murmurer quelques sons inarticulés, et retomber sans vie sur le lit.

* * * * *

«Roide morte! dit une des vieilles femmes en se précipitant dans la chambre dès que la porte fut ouverte.

– Et tout ça pour ne rien dire,» répondit la matrone en s'éloignant d'un air d'insouciance.

Les deux sorcières étaient probablement trop occupées des devoirs funèbres qu'elles avaient à remplir, pour faire aucune réponse, et elles restèrent seules près du cadavre.