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Oliver Twist

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Oliver Twist
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Oliver Twist
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Czyta Cora McDonald
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Oliver Twist
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Czyta Alex Jennings
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CHAPITRE XXI. L'expédition

Ce fut par une triste matinée qu'ils se mirent en route; le vent soufflait avec violence, et la pluie tombait à torrents; des nuages sombres et épais voilaient le ciel; la nuit avait été très pluvieuse, car de larges flaques d'eau couvraient ça et là les rues, et les ruisseaux débordaient. Une faible lueur annonçait l'approche du jour, mais elle ajoutait à la tristesse de la scène plus qu'elle ne la dissipait; cette pâle lumière ne faisait qu'affaiblir l'éclat des réverbères, sans éclairer davantage les toits humides et les rues solitaires; il ne semblait pas que personne fût encore debout dans ce quartier; toutes les fenêtres étaient soigneusement fermées, et les rues qu'ils traversaient étaient désertes et silencieuses.

Tandis qu'ils gagnaient Bethnal-Green, le jour parut tout à fait. Déjà nombre de réverbères étaient éteints; quelques chariots se dirigeaient lentement vers Londres: de temps à autre une diligence couverte de boue brûlait le pavé, et le postillon, par manière d'avertissement, donnait, en passant, un coup de fouet au pesant charretier qui, en ne prenant pas la droite de la chaussée, l'avait exposé à arriver une demi-minute trop tard. Les tavernes, intérieurement éclairées au gaz, étaient déjà ouvertes. Peu à peu d'autres boutiques s'ouvrirent aussi, et on rencontra quelques passants: des bandes d'ouvriers se rendant à leur travail; des hommes et des femmes portant sur la tête des paniers de poisson; de petites charrettes de légumes traînées par des ânes; des voitures à bras pleines de viande; des laitières avec leurs seaux; enfin une file continuelle de gens se dirigeant avec des marchandises de toute sorte vers les faubourgs à l'est de la capitale. À mesure qu'ils approchaient de la Cité, le bruit et le mouvement ne firent que s'accroître, et, quand ils enfilèrent les rues situées entre Shoreditch et Smithfield, ils se trouvèrent au milieu d'un vrai tumulte; il faisait grand jour, autant du moins qu'il peut faire jour à Londres en hiver, et la moitié de la population vaquait déjà aux affaires de la matinée.

Après avoir quitté Sun-Street et Crown-Street, et traversé Finsbury-Square, M. Sikes prit par Chiswell-Street, Barbican et Long-Lane, et atteignit Smithfield, d'où s'élevait un vacarme qui remplit Olivier de surprise.

C'était jour de marché; on avait de la boue jusqu'aux chevilles; une épaisse vapeur se dégageait du corps des bestiaux, et se confondait avec le brouillard dans lequel disparaissaient les cheminées. Tous les parcs, au milieu de cette vaste enceinte, étaient pleins de moutons; on avait même ajouté un grand nombre de parcs provisoires, et une multitude de boeufs et de bestiaux de toute sorte étaient attachés, en files interminables, à des poteaux le long du ruisseau; paysans, bouchers, marchands ambulants, enfants, voleurs, flâneurs, vagabonds de toute sorte, mêlés et confondus, formaient une masse confuse.

Le sifflement des bouviers, l'aboiement des chiens, le beuglement des boeufs, le bêlement des moutons, le grognement des porcs; les cris des marchands ambulants, les exclamations, les jurements, les querelles, le son des cloches et les éclats de voix qui partaient de chaque taverne, le bruit de gens qui vont et viennent, qui se poussent, se battent, crient et hurlent; le brouhaha du marché, le mouvement de tant d'hommes à la figure sale et repoussante, à la barbe inculte, se démenant en tout sens, se coudoyant et se heurtant, tout contribuait à vous assourdir: il y avait vraiment de quoi être ahuri.

M. Sikes, traînant Olivier après lui, se frayait violemment passage au plus épais de la foule, et faisait peu attention à ce tumulte, qui était pour l'enfant chose nouvelle et surprenante. Deux ou trois fois, il fit un signe de tête à des amis qu'il rencontra; mais chaque fois il refusa de boire avec eux le coup du matin, et continua à avancer aussi vite que possible, jusqu'à ce qu'il fût sorti du marché et qu'il eût gagné Hosier-Lane et Holburn.

«Allons, jeune homme! dit-il d'un ton bourru en regardant l'horloge de l'église de Saint-André; il est près de sept heures! il faut tricoter des jambes. Ne va pas rester en arrière au moins, paresseux!»

Disant cela, M. Sikes secoua brusquement le bras d'Olivier, et celui-ci hâtant le pas, ou plutôt se mettant à trotter, régla sa marche de son mieux sur les grandes enjambées du brigand.

Ils gardèrent cette allure rapide jusqu'au delà de Hyde-Park, sur la route de Kensington. Sikes ralentit le pas et attendit qu'une charrette vide qui venait derrière eux les eût rejoints; voyant écrit sur la plaque: Hounslow, il demanda au charretier, avec toute la politesse dont il était capable, s'il voulait bien le laisser monter jusqu'à Isleworth.

«Montez, dit l'homme. C'est à vous, ce petit garçon?

– Oui, répondit Sikes, en regardant Olivier de travers et en portant la main à la poche où était le pistolet.

– Ton père marche un peu trop vite pour toi, n'est-ce pas, mon garçon? demanda le charretier en voyant Olivier hors d'haleine.

– Pas le moins du monde, répondit Sikes, il y est habitué. Allons, donne-moi la main, Édouard; monte vite!

En même temps il fit monter l'enfant dans la charrette; le charretier lui montra du doigt un tas de sacs, sur lesquels il lui dit de se coucher pour se reposer.

En voyant se succéder sur la route les bornes posées à chaque mille, Olivier se demandait avec étonnement où son compagnon avait dessein de le mener. Déjà ils avaient laissé derrière eux Kensington, Hammersmith, Chiswick, Kew-Bridge, Brentfort, et ils allaient toujours, comme s'ils ne faisaient que de se mettre en route. Enfin, ils arrivèrent à une auberge ayant pour enseigne: la diligence à quatre chevaux; un peu plus loin, la route était coupée par un chemin transversal. La charrette s'arrêta.

Sikes descendit avec précipitation, sans lâcher la main d'Olivier; puis il aida celui-ci à descendre, en lui lançant un regard furieux, et en portant la main, d'une manière significative, sur la poche au pistolet.

«Au revoir, mon garçon! dit l'homme.

– Il est honteux, répondit Sikes en secouant vivement le bras de l'enfant; il est honteux, ce petit nigaud! n'y faites pas attention.

– Non certes, reprit l'autre en montant dans sa charrette. Tenez, voilà le temps qui se met au beau.»

Il fouetta son cheval et s'éloigna. Sikes attendit qu'il fût hors de vue; alors il dit à Olivier qu'il pouvait regarder autour de lui s'il voulait, et ils continuèrent leur route.

À peu de distance de l'auberge ils tournèrent à gauche, puis à droite, et marchèrent longtemps droit devant eux. De beaux jardins, d'élégantes maisons de campagne, bordaient la route. Ils ne s'arrêtèrent que pour prendre un peu de bière, et arrivèrent enfin à une ville où Olivier vit écrit en grosses lettres sur un mur: Hampton. Ils rôdèrent dans les champs pendant quelques heures; ils revinrent enfin dans la ville, entrèrent dans une vieille auberge dont l'enseigne était effacée, et se firent servir à dîner dans la cuisine, au coin du feu.

C'était une espèce de salle basse, avec une grosse poutre au milieu du plafond, et devant la cheminée des bancs à dossier élevé, sur lesquels étaient assis plusieurs hommes en blouse, occupés à boire et à fumer; ils regardèrent à peine Sikes, et nullement Olivier. Sikes de son côté ne fit pas attention à eux, alla se placer dans un coin avec son jeune compagnon, et ne fut guère importuné par la compagnie.

On leur servit de la viande froide. Après le dîner, M. Sikes fuma trois ou quatre pipes, et resta si longtemps à table qu'Olivier commença à croire qu'ils n'iraient pas plus loin. Fatigué par une si longue marche, et étourdi par la fumée du tabac, il s'assoupit, et bientôt s'endormit profondément.

Il faisait tout à fait nuit quand Sikes le réveilla brusquement. En ouvrant les yeux, il vit son compagnon en conférence intime avec un paysan, avec lequel il buvait une pinte d'ale.

«Comme cela, vous allez au Bas-Halliford, n'est-ce pas? demanda Sikes.

– Oui, répondit l'homme, qui semblait un peu échauffé par la boisson; ça ne sera pas long. Mon cheval n'est pas chargé pour retourner, comme il l'était ce matin pour venir, et il fera la route en moins de rien, et bien content! C'est une fameuse bête.

– Pourrez-vous me conduire jusque-là, moi et mon garçon? demanda Sikes en versant à boire à son nouvel ami.

– Oui, si vous partez tout de suite, répondit l'homme. Vous allez à Halliford?

– Je vais jusqu'à Shepperton, dit Sikes.

– Je suis votre homme jusqu'à ma destination, reprit l'autre. Tout est payé, Rebecca?

– Oui, monsieur a payé, répondit celle-ci.

– Dites donc! fit le paysan du ton sérieux d'un homme qui a bu un coup de trop; ça ne peut pas se passer comme ça, entendez-vous?

– Pourquoi? dit Sikes; vous nous rendez service; vous m'épargnez le désagrément de rester ici en plan; est-ce que cela ne vaut pas une pinte ou deux?»

L'étranger pesa mûrement la valeur de cet argument, puis donna une poignée de main à Sikes en déclarant qu'il était un digne homme. À quoi celui-ci répondit que c'était une plaisanterie; on eût pu le croire en effet, si le paysan eût été de sang-froid.

Après avoir encore échangé quelques politesses, ils souhaitèrent le bonsoir à la compagnie, et sortirent, tandis que la servante rangeait les pots et les verres, et venait, les mains pleines, se planter devant la porte pour les voir partir.

Le cheval, à la santé duquel on avait bu, était devant la porte, attelé à la charrette. Olivier et Sikes y montèrent sans plus de cérémonie, et le paysan, après s'être répandu de nouveau en éloges sur son cheval, et avoir défié l'aubergiste d'en trouver un pareil, monta à son tour. Le garçon d'auberge prit le cheval par la bride, le mena jusqu'au milieu de la route; mais à peine eut-il lâché la bête qu'elle se mit à faire un mauvais usage de sa liberté, à s'élancer de l'autre coté de la route et à se cabrer; puis elle partit au galop, et disparut comme un trait.

 

La nuit était très sombre; un épais brouillard s'élevait de la rivière et des marais d'alentour, et se répandait sur les champs. Le froid était perçant. Tout était sombre et d'un aspect sinistre; les voyageurs n'échangèrent pas une parole, car le conducteur s'était assoupi, et Sikes n'avait nulle envie d'engager la conversation; Olivier, blotti dans un coin, dévoré d'inquiétude et de crainte, croyait voir dans les arbres, dont les branches se balançaient tristement, autant de fantômes grimaçant au milieu de cette nature désolée.

Comme ils passaient devant l'église de Sunbury, l'horloge sonna sept heures. Une lumière brillait à la fenêtre de la maison du péage, et la lueur se projetait sur la route, juste assez pour laisser entrevoir un if qui ombrageait des tombes. À peu de distance on entendait le bruit monotone d'une chute d'eau, et le feuillage du vieil arbre s'agitait doucement sous le souffle du vent de la nuit. On eût dit une musique monotone pour le repos des morts.

Après avoir traversé Sunbury, ils se retrouvèrent sur la route solitaire. Deux ou trois milles plus loin, la charrette s'arrêta. Sikes en descendit, prit Olivier par la main, et ils se remirent à marcher.

À Shepperton, ils ne s'arrêtèrent nulle part, comme l'eût désiré l'enfant épuisé de fatigue; mais ils continuèrent leur route par de mauvais chemins, au milieu de la boue et des ténèbres, jusqu'à ce qu'ils aperçurent les lumières d'un bourg voisin. En regardant attentivement devant lui, Olivier vit que la rivière coulait à leurs pieds et qu'ils arrivaient près d'un pont.

Au moment où ils allaient s'engager sur ce pont, Sikes tourna brusquement à gauche, et descendit au bord de l'eau. «La rivière! pensa Olivier, à demi-mort de frayeur. Il m'a amené dans ce lieu désert pour se défaire de moi!»

Il allait se jeter à terre, et tenter un suprême effort pour sauver sa vie, quand il vit qu'ils s'arrêtaient devant une maison isolée et en ruines. Il y avait une fenêtre de chaque côté de la porte délabrée, et un seul étage au-dessus; nulle apparence de lumière: la maison était sombre, dégradée, et, selon toute apparence, inhabitée.

Sikes, tenant toujours la main d'Olivier, se dirigea doucement vers la porte, et poussa le loquet; la porte céda, et ils entrèrent tous deux.

CHAPITRE XXII. Vol avec effraction

«Qui va là? dit une grosse voix, dès qu'ils eurent mis le pied dans la maison.

– Pas tant de bruit, dit Sikes en poussant les verrous de la porte. De la lumière, Tobie.

– Ah! ah! c'est toi, camarade, reprit la même voix. De la lumière, Barney! Montre le chemin à monsieur; et tâche d'abord de t'éveiller, si c'est possible.»

Celui qui parlait lança probablement un tire-bottes, ou quelque objet semblable, à la personne à laquelle il s'adressait, pour l'arracher au sommeil: car on entendit le bruit d'un morceau de bois tombant avec force, puis le grognement d'un homme à demi éveillé.

«Est-ce que tu n'entends pas? dit la même voix. Guillaume Sikes est dans le couloir, sans personne pour le recevoir; et tu es là à dormir, comme si tu avais bu du laudanum! As-tu les yeux ouverts, ou faut-il que je te lance à la tête le chandelier de fer pour t'éveiller tout à fait?»

À ces mots, on entendit un bruit de savates sur le plancher; puis une chandelle, à peine allumée, se montra à une porte à droite, et enfin on vit se dessiner la forme d'un individu que nous avons déjà représenté comme affligé d'une voix nasillarde, et employé en qualité de garçon à la taverne de Saffron-Hill.

«Bonsieur Sikes! s'écria Barney avec une joie réelle ou feinte.

Endrez, bonsieur, endrez.

– Allons! en avant, dit Sikes en faisant passer Olivier devant lui; plus vite! ou je te marche sur les talons.»

Tout en jurant contre la lenteur de l'enfant, M. Sikes le poussa vers la porte, et ils entrèrent dans une chambre basse, sombre et enfumée, garnie de deux ou trois chaises cassées, d'une table, et d'un vieux canapé vermoulu, sur lequel un individu, les pieds beaucoup plus haut que la tète, et fumant une longue pipe de terre, était étendu tout de son long. Il portait un habit marron, coupé à la dernière mode, et garni de gros boutons brillants, une cravate orange, un gilet à revers de couleur voyante, et un pantalon gris; M. Crackit (car c'était lui) avait peu de cheveux; mais le peu qu'il en avait était d'une teinte rousse, et frisé en longs tire-bouchons, dans lesquels il passait de temps à autre ses doigts malpropres, ornés de grosses bagues communes. Sa taille était un peu au-dessus de la moyenne, et il semblait avoir les jambes assez faibles; ce qui ne l'empêchait pas d'admirer ses bottes, qu'il contemplait avec une visible satisfaction.

«Guillaume, mon brave, dit-il en tournant la tête vers la porte, je suis enchanté de te voir; je craignais presque que tu n'eusses renoncé à l'expédition, et dans ce cas je me serais risqué seul… Tiens! qu'est-ce que c'est que ça?»

Il poussa cette exclamation de surprise en apercevant Olivier; il se mit sur son séant et demanda ce que cela voulait dire.

«C'est l'enfant, répondit Sikes en approchant sa chaise du feu.

– Un des abrentis de bonsieur Fagid, s'écria Barney en riant.

– De Fagin? dit Tobie, en considérant Olivier; ça fera un garçon sans pareil pour dévaliser les poches des vieilles dames à l'église; il a une touche à faire fortune.

– Assez… assez là-dessus,» interrompit Sikes avec impatience; et, se penchant vers son ami, il lui dit à l'oreille quelques mots qui firent rire M. Crackit de tout son coeur; en même temps celui- ci toisait Olivier d'un air très étonné.

«Maintenant, dit Sikes en se rasseyant, si vous pouvez nous donner à boire et à manger en attendant, ça ne nous fera pas de mal; à moi, du moins, ce qu'il y a de sûr. Assieds-toi près du feu, petit, et repose-toi: car tu auras encore à sortir avec nous cette nuit, mais pas pour aller loin.»

Olivier regarda timidement Sikes d'un air surpris, mais ne dit mot: il approcha un siège du feu, mit dans ses mains sa tête brûlante, et resta immobile, sachant à peine où il était et ce qui se passait autour de lui.

«Allons, dit Tobie, tandis que le jeune juif posait sur la table une bouteille et quelques provisions, au succès de l'entreprise!»

Il se leva pour faire honneur au toast, posa soigneusement sa pipe dans un coin, s'approcha de la table, remplit un verre d'eau-de- vie et le vida d'un trait, M. Sikes en fit autant.

«Un coup pour l'enfant, dit Tobie en remplissant un verre à demi.

Avale ça, ingénu!

– Vraiment, dit Olivier en regardant Tobie d'un air piteux; vraiment, je ne…

– Avale ça, répéta Tobie. Est-ce que tu crois que je ne sais pas ce qu'il te faut? Dis-lui de boire, Guillaume.

– Il ferait mieux de se dépêcher, dit Sikes en portant la main à sa poche. Morbleu, il est, à lui tout seul, plus difficile à mener qu'une bande de Matois: bois vite, petit drôle!»

Effrayé par les gestes menaçants des deux hommes, Olivier avala d'un trait la liqueur contenue dans le verre, et fut pris aussitôt d'une toux violente, ce qui amusa beaucoup Tobie Crackit et Barney, et fit sourire jusqu'au farouche M. Sikes.

Cela fait, quand M. Sikes eut assouvi sa faim (Olivier ne put manger qu'un petit morceau de pain qu'on le força d'avaler), les deux hommes se renversèrent sur leurs chaises pour sommeiller quelques instants. Olivier resta assis près du feu, et Barney, enveloppé dans une couverture, s'étendit sur le plancher, près du foyer.

Ils s'endormirent ou firent semblant: nul ne bougea que Barney, qui se releva une ou deux fois pour jeter du charbon sur le feu. Olivier était tombé dans un profond assoupissement, et s'imaginait qu'il parcourait encore de sombres ruelles, ou qu'il errait la nuit dans le cimetière; ou bien il se retraçait quelqu'une des scènes de la veille, quand il fut réveillé par Tobie Crackit, qui se leva brusquement en déclarant qu'il était une heure et demie.

En un instant, les deux autres dormeurs furent sur pied, et tous s'occupèrent activement de faire leurs préparatifs. Sikes et son compagnon s'enveloppèrent le cou de grosses cravates et endossèrent leurs redingotes, tandis que Barney, ouvrant une armoire, en tirait divers objets dont il garnissait leurs poches à la hâte.

«Donne-moi les tapageurs, Barney, dit Tobie Crackit.

– Les voici, répondit Barney en lui présentant une paire de pistolets. Vous les avez chargés vous-même.

– Bon! reprit Tobie en les mettant dans sa poche. Et les persuadeurs?

– Je les ai, dit Sikes.

– Et les fausses clefs, les vilebrequins, les lanternes sourdes, rien n'est oublié? demanda Tobie, en attachant une petite pince à une bride placée sous la doublure de sa redingote.

– Tout est en règle, reprit son compagnon. Donne-nous les gourdins, Barney; il ne nous manque plus que ça.»

À ces mots, il prit des mains de Barney un gros bâton; Tobie en fit autant.

«En avant!» dit Sikes en tendant la main à Olivier.

Celui-ci, abattu par la fatigue de la marche, étourdi par le grand air et la liqueur qu'il avait été contraint d'avaler, posa machinalement sa main dans celle que Sikes lui tendait.

«Prends-lui l'autre main, Tobie, dit Sikes. Donne un coup d'oeil au dehors, Barney.»

Celui-ci alla à la porte et revint annoncer que tout était tranquille. Les deux voleurs sortirent, avec Olivier entre eux deux; et Barney, après avoir soigneusement fermé la porte derrière eux, s'enroula de nouveau dans sa couverture, et se remit à dormir.

L'obscurité était profonde, le brouillard beaucoup plus épais qu'au commencement de la nuit, et l'atmosphère si humide que, bien qu'il ne plût pas, les cheveux et les sourcils d'Olivier se raidirent en quelques minutes, imprégnés qu'ils étaient d'une humidité glaciale. Ils franchirent le pont et se dirigèrent vers les lumières qu'il avait aperçues précédemment; ils n'en étaient pas loin, et, comme ils marchaient d'un pas rapide, ils atteignirent bientôt Chertsey.

«Traversons le village, dit Sikes à voix basse; il n'y aura pas un chat dans la rue pour nous voir.»

Tobie ne fit aucune objection, et ils enfilèrent précipitamment la grand'rue du village, complètement déserte à cette heure avancée de la nuit. Une faible lueur se montrait par intervalles à la fenêtre d'une chambre à coucher, et parfois l'aboiement des chiens venait troubler le silence de la nuit; mais il n'y avait personne dehors: comme ils sortaient du village, deux heures sonnèrent à l'horloge de l'église.

Ils hâtèrent le pas et quittèrent la route pour prendre un chemin à gauche. Après avoir fait à peu près un quart de mille, ils s'arrêtèrent devant une habitation isolée, dont le jardin était clos de murs: sans même reprendre haleine, Tobie Crackit escalada la muraille en un clin d'oeil.

«Passe-moi l'enfant,» dit-il à Sikes. Avant qu'Olivier eût eu le temps de faire un mouvement, il se sentit saisir sous les bras, et, une seconde après, il était avec Tobie sur le gazon, de l'autre côté du mur. Sikes les rejoignit bientôt, et ils se dirigèrent à pas de loup vers la maison.

Ce fut alors que, pour la première fois, Olivier, éperdu de douleur et d'effroi, comprit que l'effraction, le vol et peut-être le meurtre, étaient le but de l'expédition: il se tordit les mains et laissa échapper involontairement un cri d'horreur. Un nuage passa devant ses yeux, une sueur froide couvrit son visage, ses jambes se dérobèrent sous lui, et il tomba à genoux.

«Debout! murmura Sikes tremblant de colère et tirant le pistolet de sa poche; debout! ou je te fais sauter la cervelle.

– Oh! pour l'amour de Dieu, laissez-moi m'en aller! dit Olivier; laissez-moi me sauver bien loin et mourir au milieu des champs; je n'approcherai jamais de Londres: jamais! jamais! Oh! je vous en conjure, ayez pitié de moi, et ne faites pas de moi un voleur: par tous les anges du paradis, ayez pitié de moi!

L'homme auquel s'adressait cette instante prière proféra un affreux jurement, et déjà il avait armé le pistolet quand Tobie le lui arracha, mit sa main sur la bouche de l'enfant, et l'entraîna vers la maison.

«Silence! dit-il; tout ça ne rime à rien. Dis encore un mot, et je te casse la tête avec mon gourdin; ça ne fait pas de bruit, et l'effet est le même.

– Tiens, Guillaume, fais sauter le volet: il en a assez comme ça, sois-en sûr. J'en ai vu de plus âgés que lui, qui, par une nuit si froide, n'étaient pas plus hardis.»

Tout en jurant contre Fagin, qui avait eu l'idée d'adjoindre Olivier à l'expédition, Sikes introduisit un levier sous le volet et appuya vigoureusement, mais sans faire de bruit; Tobie lui donna un coup de main, et bientôt le volet céda et tourna sur ses gonds.

 

C'était une petite fenêtre placée derrière la maison, à cinq pieds environ au-dessus du sol, et donnant dans un cellier au fond de l'allée. L'ouverture était si étroite que les maîtres de la maison avaient cru inutile de la garnir de barreaux; un enfant de la taille d'Olivier pouvait néanmoins y passer. M. Sikes fit sauter le verrou qui retenait le carreau et l'ouvrit, comme il avait fait du volet.

«Maintenant, petit vaurien, attention à ce que je vais te dire, murmura-t-il à voix basse, en tirant de sa poche une lanterne sourde, dont il dirigea la lueur sur le visage d'Olivier; je vais te faire passer par cette fenêtre; tu vas prendre la lanterne, monter doucement les marches qui sont là en face, traverser le vestibule, et nous ouvrir la porte d'entrée.

– Il y a en haut de la porte un verrou auquel tu ne pourras pas atteindre, observa Tobie; tu monteras sur une chaise: il y en a trois dans le vestibule, aux armes de la vieille dame, une licorne bleue et une fourche d'or.

– Tais-toi, si c'est possible, dit Sikes d'un air menaçant: la porte de la chambre est ouverte, n'est-ce pas?

– Toute grande, répondit Tobie, après avoir jeté un coup d'oeil par la lucarne pour s'en assurer: ce qu'il y a de bon, c'est qu'on la laisse toujours entrouverte pour que le chien, qui a sa niche quelque part par ici, puisse rôder à son aise quand il ne dort pas. Ah! ah! Barney nous en a bel et bien débarrassé ce soir.»

Bien que M. Crackit rît tout bas et prononçât ces mots d'une voix à peine intelligible, Sikes lui ordonna impérieusement de se taire et de se mettre à l'oeuvre: Tobie obéit et posa sa lanterne à terre; puis il se planta contre le mur, sous la petite fenêtre, les mains appuyées sur ses genoux, de manière à ce que son dos servit d'échelle. Aussitôt Sikes grimpa sur lui, fit passer doucement Olivier par la fenêtre, et sans le lâcher, lui fit prendre pied à l'intérieur.

«Prends cette lanterne, lui dit-il en jetant un coup d'oeil dans la chambre. Tu vois l'escalier en face?

– Oui,» murmura Olivier, plus mort que vif.

Sikes lui désigna la porte d'entrée avec le canon du pistolet, et l'avertit de songer qu'il serait tout le temps à portée de l'arme, et que, s'il bronchait, il tomberait mort à l'instant.

«C'est l'affaire d'une minute, dit Sikes toujours à voix basse; je vais te lâcher; marche droit: attention!

– Qu'est-ce? chuchota Crackit. Ils écoutèrent attentivement.

– Rien, dit Sikes en lâchant Olivier; allons! à l'oeuvre!»

Dans le peu de temps qu'il avait eu pour rassembler ses idées, l'enfant avait pris la ferme résolution, dût-il lui en coûter la vie, de gagner l'escalier et de donner l'alarme. Plein de cette idée, il se dirigea vers les degrés, mais à pas de loup.

«Ici! s'écria tout à coup Sikes à haute voix. Ici! ici!»

Cette exclamation soudaine, au milieu d'un silence de mort et d'un cri perçant qui la suivit presque aussitôt, effrayèrent Olivier au point qu'il laissa tomber sa lanterne et ne sut plus s'il devait avancer ou reculer.

Un second cri se fit entendre; une lumière brilla au haut de l'escalier; deux hommes terrifiés se montrèrent à demi vêtus sur le palier… l'enfant vit une lueur subite… de la fumée… entendit une détonation… et le bruit d'un craquement dont il ne se rendit pas compte… puis il chancela et tomba à la renverse.

Sikes avait disparu un instant; mais il s'était relevé, et, avant que la fumée fut dissipée, il avait saisi l'enfant au collet. Il déchargea son pistolet sur les deux hommes, qui déjà battaient en retraite, et enleva Olivier.

«Serre-moi plus fort, lui disait Sikes en lui faisant franchir la fenêtre. Donne-moi un châle, Tobie. Ils l'ont atteint. Vite! Damnation! comme cet enfant saigne!»

Le bruit d'une cloche agitée vivement vint se mêler au fracas des armes à feu et aux cris des gens de la maison. Olivier sentit qu'on l'emportait d'un pas rapide par un chemin raboteux. Peu à peu le bruit se perdit dans le lointain; un froid mortel le saisit, et il s'évanouit.