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Le crime et la débauche à Paris

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La séparation de corps est vivement critiquée et sévèrement jugée par les partisans du divorce.

Ils insistent sur le caractère mal défini et faux de cette institution, qui sépare à perpétuité des époux, sans dissoudre leur mariage; qui les laisse à la fois unis et désunis, qui oblige un époux à porter le nom et à demeurer aux yeux du monde le conjoint d'un individu, qui est aux galères à perpétuité, d'un fou furieux, d'un criminel, qui peut-être a voulu l'assassiner ou qui a déshonoré le foyer par tous les vices et toutes les turpitudes. «Que subsiste-t-il donc, disent-ils, après la séparation, de cette union conjugale dont le Code civil a donné une si haute formule et une si noble définition? Le temple s'est écroulé! Les ruines seules en demeurent éparses sur le sol, encombrant la route. Au nom de quel intérêt social, de quel principe moral les déclare-t-on sacrées204

Quel intérêt peut-on trouver à maintenir la communauté de nom, à conserver au mari une autorité mutilée, à lui laisser le droit d'accuser sa femme d'adultère, alors que lui-même est libre de donner le scandale d'une concubine, habitant cette maison même d'où ses désordres ont peut-être forcé sa femme à sortir?

Et l'on s'empresse de conclure: la justification du divorce c'est qu'il éteint ou détruit les passions, qui l'ont rendu inévitable; qu'il libère l'époux innocent, auquel il est cruel et injuste d'interdire les sentiments les plus doux et les plus légitimes; qu'il n'inflige pas à l'époux coupable une punition qui, à raison même de son objet, ne peut que tourner au détriment de la société et de la morale; qu'il supprime ce dilemme odieux, qui se pose aux époux séparés de corps; fouler aux pieds la décence publique ou immoler en eux tous les instincts de l'humanité; enfin qu'il ne réduit plus les meilleurs, parmi ceux dont l'union conjugale a dû être dissoute, à devenir homicides, sinon de fait, au moins de désir ou d'intention.»

Nous reconnaissons l'importance des considérations, que font valoir les partisans du divorce: nous avouons qu'il est bien difficile de voir dans la séparation de corps une institution parfaite. Mais nous persistons néanmoins à préférer ce remède à celui qu'on prétend trouver, dans le rétablissement du divorce. Nous croyons que la séparation de corps est plus conforme à la dignité du mariage et qu'elle sauvegarde, beaucoup mieux que ne le fait le divorce, les intérêts des époux, des enfants et ceux de la société205.

En ce qui concerne les enfants, ne voit-on pas la suprême injustice et l'inégalité choquante que produit le divorce? Sans doute le droit au divorce est donné à chacun des deux conjoints, mais quelle différence profonde existe entre eux lorsque la dissolution du mariage a été prononcée? L'homme sort du mariage avec son autorité et sa force; il peut facilement contracter une nouvelle union, car rien en lui ne s'est amoindri; sa dignité même n'est pas gravement atteinte par la rupture passée. Mais la femme, elle, a perdu son prestige et de tout ce qu'elle a apporté de pureté virginale, de jeunesse, de beauté, de fécondité, de fortune elle ne retrouve que des restes! C'est ce que disait M. de Bonald à la Chambre des députés: «Les résultats en cas de dissolution du mariage ne sont pas égaux pour le mari et pour la femme, puisque l'homme s'en retire, avec toute son indépendance et que la femme n'en sort pas avec toute sa dignité206.» Ainsi la femme divorcée se trouve exposée à la déconsidération, qui est un préjugé peut-être, surtout lorsque tous les torts sont du côté du mari, mais préjugé réel qui exista dans tous les temps207 comme le prouve l'inscription tumulaire, que les Romains décernaient en éloge suprême aux épouses, restées dans les liens d'un mariage unique:

Conjugi piæ, inclytæ, univiræ.

A ce premier argument les partisans du divorce font une singulière réponse. Si le divorce, disent-ils, ne rend pas à la femme sa virginité, sa pureté, s'il la jette, dans le monde, avec cette situation fausse, qui n'est ni celle de fille, ni celle de veuve, eh bien! c'est une garantie que la femme ne recourra pas à ce moyen extrême, sans la plus impérieuse nécessité. Mais, répondrons-nous, cela empêchera-t-il l'homme d'y recourir et par conséquent de jeter, à son gré et sans scrupule, la femme dans cette position inégale et inique? et en admettant même que cette considération empêche certaines femmes de rompre, à la légère, le lien qui les unit, ne doit-on pas penser que beaucoup ne pourront pas ou ne voudront pas se rendre compte de tout ce que leur premier mariage leur aurait fait perdre en jeunesse, en charmes et de ce qui désormais leur rendra difficile la formation de nouvelles unions208? L'argument de M. de Bonald reste donc entier et l'on doit reconnaître qu'il n'est pas sans valeur.

On espère que le divorce rendra moins nombreuses ces unions, si fréquentes aujourd'hui, où la cupidité et l'ambition parlent seules sans tenir compte des affections et des vertus. Il permettra, dit-on, aux époux malheureux de sortir des liens insupportables où les a fait entrer un triste calcul d'intérêt; il empêchera même de contracter à la légère de pareilles unions, par la crainte de les voir briser à bref délai et de voir déjouer ainsi toutes les ambitions coupables et les machinations suspectes, qui les feraient conclure.

Certes si le divorce avait véritablement pour effet de porter remède au mal, qui a si profondément dénaturé l'institution du mariage, s'il pouvait mettre un terme à ces scandales trop fréquents des mariages d'argent, il aurait en sa faveur un argument puissant et presque décisif. Mais nous pensons que les moralistes, qui développent cette idée, s'abusent étrangement sur l'influence qu'ils attribuent au divorce. Nous croyons au contraire que par cela seul que le divorce offrirait aux époux l'éventualité d'une dissolution du mariage, avec faculté d'en former un nouveau, il serait un véritable encouragement aux désordres intérieurs. Un mauvais choix n'aurait plus que des suites passagères; on contracterait sans prudence, sans réflexion, sans calcul même, les liens les plus bizarres et les plus difficiles à supporter. On se plierait mal aux exigences d'un état qu'on pourra changer; notre penchant naturel à l'inconstance se trouverait lui-même encouragé par la loi, qui dépouillerait l'union conjugale du caractère de perpétuité; elle ferait naître le mal auquel elle veut remédier: «Au moment, disait M. de Bonald, où les époux se jurent une éternelle fidélité, où la religion consacre leurs serments, où les familles attendries y applaudissent, une loi fatale verse en secret son poison, dans la coupe de l'union et cache l'aspic sous les fleurs. Elle fait retentir aux oreilles des époux les mots de séparation et de divorce et laisse, dans le cœur, comme un trait mortel, le doute de sa propre constance et la possibilité d'un essai plus heureux.» L'époux souffrira donc moins patiemment le mal auquel il ne pourra se soustraire; il est vrai que les partisans du divorce répondent que tel époux qui certain de conserver sa victime, sous sa main se jouera de tous ses engagements, de tous ses devoirs, les respectera davantage, s'il sait que cette victime peut invoquer le secours de la loi et demander à un autre le bonheur légitime qu'il lui avait promis. Donc, si parfois le divorce rend l'époux plus rebelle à supporter la persécution domestique, souvent aussi il préviendra cette persécution même. Sur ce sujet ils invoquent l'autorité de Montesquieu: «rien ne contribuait plus, dit-il, à l'attachement mutuel que la faculté du divorce. Un mari et une femme étaient portés à soutenir patiemment les peines domestiques, sachant qu'ils étaient maîtres de les faire finir et ils gardaient souvent ce pouvoir en main toute leur vie, par cette seule considération qu'ils étaient libres de le faire209.» Mais à cette opinion de Montesquieu nous opposerons un passage tout contraire de Hume, qui nous paraît plus conforme à la réalité: «Il ne faut, dit-il, qu'une prudence médiocre pour oublier je ne sais combien de querelles et de dégoûts frivoles, lorsqu'on se voit obligé de passer la vie ensemble, au lieu qu'on les pousserait aux dernières extrémités et qu'il en naîtrait des haines mortelles si l'on était libre de se séparer210

 

Pour nous donc, le divorce est un obstacle à l'union des âmes, à l'affection mutuelle, à la confiance réciproque, qui font la dignité du mariage; il s'oppose à l'affection continue des époux l'un pour l'autre, car on ne s'attache véritablement que quand on est sûr de pouvoir être toujours attaché. Il irrite, il suscite peut-être les querelles domestiques, rend les impatiences plus vives, les dissentiments plus graves, les haines plus mortelles. Sa seule existence suffit peut-être à troubler la paix du ménage; il autorise en effet les époux à voir, dans ceux qui les entourent, des personnes avec lesquelles ils pourraient contracter une nouvelle union; il soulève par là les comparaisons de l'état présent, avec un état possible dans l'avenir et comme nous sommes naturellement portés à nous fatiguer de la monotonie ou de la satiété, cette simple comparaison excite des regrets ou des désirs, et bientôt des aigreurs, des hostilités, des haines et des ruptures. Et si après le scandale d'un divorce une nouvelle union est formée, doit-on penser qu'elle sera plus heureuse? Mais l'époux qui après avoir rompu son premier mariage aura contracté de nouveaux liens, inspire-t-il une bien grande confiance à son conjoint? Celui-ci pourra-t-il croire sans arrière-pensée à la fidélité, à la constance, à l'inaltérable dévouement de celui qui a délaissé le premier objet de ses affections? Le soupçon ne viendra-t-il jamais troubler ce nouveau foyer? La jalousie ne sera-t-elle pas là, toute prête à s'éveiller, toute prête à engendrer des désordres, des haines, des crimes peut-être et le plus souvent une rupture nouvelle?

Le divorce est donc une source de troubles pour la paix des ménages. Ajoutons qu'il interdit la possibilité d'une réconciliation: or, la réconciliation est toujours permise par la séparation de corps. Le devoir du législateur est de ne pas fermer aux époux la voie du repentir et du pardon. Comme gardien des intérêts de la société et de la famille il doit veiller à ce que puisse se rétablir l'union des époux si profitable à tous ses intérêts. «La séparation de corps, dit M. Malleville, laisse toujours une porte ouverte à la réconciliation211. Une rencontre fortuite, l'isolement où se trouvent des époux habitués à vivre ensemble, l'aspect surtout des enfants communs212 peuvent faire répandre les pleurs du repentir et ceux de la pitié; mais le divorce ferme toute issue à cette réconciliation si désirable et ne laisse après lui que des remords et des regrets. Il faut d'ailleurs observer que les époux, en se réunissant, évitent les inconvénients d'un célibat perpétuel.»

Les partisans du divorce ont une singulière façon de répondre à cet argument: «Les réconciliations sont si rares, disent-ils, si exceptionnelles, qu'elles ne méritent pas qu'on les compte213.» Les rapprochements sont rares, il est vrai, mais en sont-ils moins désirables, moins profitables à tous les intérêts? La loi n'aurait-elle aucun moyen de les rendre plus fréquents sous le régime de la séparation; ne pourrait-elle par exemple obliger les époux séparés à se représenter à époques fixes, devant une sorte de tribunal de réconciliation qui serait soit le président du tribunal, soit un tribunal de famille? Si nous empiétons un peu ici sur le terrain des réformes de la séparation, c'est que les partisans du divorce prétendent remédier, dans la loi qu'ils proposent, à l'inconvénient du divorce au point de vue de la réconciliation. Dans leur projet ils permettent dans certains cas et sous certaines conditions la réunion des époux divorcés, modifiant ainsi l'article 295 prohibitif de la réconciliation. Mais cette modification est loin de ruiner notre objection: car si on suppose aux époux divorcés le droit de se remarier entre eux, le raisonnement de Malleville s'appliquera dans toute sa force lorsqu'ils auront contracté un autre mariage; si au contraire ils n'ont pas formé de nouveaux liens il n'y aura pas eu véritable divorce.

Ainsi nous préférons ici encore la séparation de corps au divorce, parce que la séparation ménage un rapprochement au repentir des époux, tandis que le divorce creuse entre eux un abîme que rien ne peut combler.

Quelques auteurs, qui ont assez mal compris le véritable caractère du mariage, ont voulu justifier le divorce, en disant qu'il doit exister, parce que les contrats peuvent se dissoudre par le concours des mêmes volontés, qui les ont formés et que rien ne distingue le mariage de tous les autres contrats. Mais le mariage fût-il même un contrat ordinaire, la règle qu'on prétend poser n'en serait pas moins fausse; il n'est pas vrai que tous les contrats se dissolvent par le consentement mutuel: nous en trouvons la preuve dans le contrat d'adoption, qui ne peut être révoqué au gré des parties, et encore dans le contrat de mariage, créant un régime et une relation d'intérêts, que les époux n'ont pas le droit de changer. La théorie qu'on a voulu établir est donc fausse et le parti qu'on a voulu en tirer pour justifier le divorce, est dénué de tout fondement.

En ce qui concerne les enfants, nous pensons que leurs intérêts matériels et moraux militent énergiquement en faveur de l'indissolubilité du mariage.

M. Treilhard et, après lui, tous les partisans du divorce ont répété, à satiété, que les enfants deviendraient, par le divorce, ce qu'ils deviennent par la séparation de corps et quelques moralistes ont ajouté, ce qu'ils deviennent par la nullité ecclésiastique. Sans doute, disent-ils, le divorce ou la séparation forme dans la vie des enfants une époque bien funeste, mais ce n'est pas l'acte de divorce ou de séparation qui fait le mal, c'est le tableau hideux de la guerre intestine, qui a rendu ces actes nécessaires. Les époux divorcés pourront au moins effacer, par le tableau d'une union plus heureuse, les fatales impressions de leur union première; l'affection des pères se soutiendra bien plus sûrement dans la sainteté d'un nœud légitime que dans les désordres d'une liaison illicite, si ordinaire après une séparation de corps. D'ailleurs l'homme ou la femme remariés après le décès de leur conjoint ne se détachent pas des enfants du premier lit. Pourquoi n'en serait-il pas de même au cas de divorce? Les enfants! mais leur intérêt même exige souvent la rupture complète de l'union, dont ils sont issus. Ne lit-on pas, tous les jours, le récit de crimes atroces, tels que viol d'un père sur sa fille, crimes que, les mères indissolublement unies, n'osent ni empêcher, ni dénoncer? Si le divorce succédait à de pareils crimes l'enfant aurait-il quelque chose de plus à redouter du second mari de sa mère? (M. Alexandre Dumas). Au surplus, dit-on encore, on se préoccupe beaucoup trop ici de l'intérêt des enfants. La loi dans un contrat ne connaît que les contractants. Elle n'a aucune sensibilité: elle le prouve en maint endroit, par exemple, lorsqu'elle s'occupe des enfants adultérins, des enfants naturels, des enfants adoptifs même. En lui demandant de dissoudre le mariage, on ne lui demande que d'être conséquente avec elle-même, de garantir l'équilibre des droits et des devoirs pour chacun des contractants. Les parents n'ont-ils pas des droits de sécurité et de bonheur propres, tout aussi bien que les enfants? Pourquoi leur serait-il interdit d'invoquer, pour leur repos, pour leur bonheur, pour leurs intérêts, ce même besoin d'aimer, naturel, humain, que l'enfant pourra si facilement plus tard invoquer contre eux? Pourquoi auraient-ils tous les devoirs et les enfants tous les droits?

L'intérêt des enfants, ajoute-t-on encore, est compris dès que le désordre existe; leur intérêt moral par les mauvais exemples qu'ils reçoivent, leur intérêt de fortune, par les dissipations que le dérèglement entraîne après lui. La question n'est pas ici entre la réconciliation et la rupture, mais entre un mode de rupture et un autre. Or, le régime créé par la séparation de corps est-il donc si parfait? Ne voit-on pas trop souvent la séparation altérer dans le cœur des parents le sentiment si doux de l'amour des enfants? Écoutez M. Legouvé214: «Les époux séparés, dit-il, n'aiment pas leur enfant simplement, naturellement. Ils l'aiment avec émulation, avec jalousie. Ils ne se contentent pas de le gagner, ils veulent l'enlever à l'autre. Il ne leur suffit pas de l'avoir, ils veulent que l'autre ne l'ait pas. Alors les récriminations, les accusations, parfois les calomnies. On ne se dit pas qu'on ébranle chez un enfant toute notion du devoir, qu'on pervertit chez lui les sentiments naturels; on ne voit qu'une chose, c'est qu'on se venge… Sachez-le bien, dans la séparation, l'enfant n'est que le champ de bataille de deux haines; seulement ce n'est pas, comme dans les mêlées antiques, un cadavre que deux ennemis se disputent, c'est une âme vivante qu'ils déchirent. Ils accomplissent, chaque jour, un infanticide moral.»

 

Tel est l'ensemble de la théorie des partisans du divorce sur la question des enfants.

D'abord nous ne voyons pas comment les inconvénients, que signale M. Legouvé au sujet de la rivalité des époux, seraient inhérents à la seule séparation. Les époux cesseraient-ils d'être pères d'enfants communs par cela seul qu'ayant divorcé ils auraient contracté une nouvelle union? Autorisés à revoir, à surveiller leurs enfants d'un premier mariage n'auraient-ils pas entre eux les mêmes sujets de jalousie, le même désir de s'approprier l'affection entière de ces enfants et de les arracher à l'influence d'un conjoint qu'ils détestent désormais, d'autant plus qu'ils regrettent peut-être davantage une irréparable rupture?

Ainsi une affection jalouse, une scission de la famille qui va séparer les enfants, soit du père, soit de la mère, qui va les répartir peut-être autour de deux foyers, où ils ne recevront d'autres enseignements que ceux du ressentiment et de la haine, voilà les premiers effets du divorce. L'expérience a prouvé aussi que le divorce conduisait à l'abandon des enfants, au mépris des soins qui leur sont dus, à l'oubli des devoirs paternels. Elle a prouvé encore que l'éducation physique ne souffrait pas seule du divorce, mais que l'éducation morale souffrait aussi sérieusement de la dissolution du lien conjugal. Lorsque c'est la mort qui dissout le mariage, l'époux survivant conserve une affection d'autant plus vive pour ses enfants qu'ils lui rappellent un être aimé et regretté, souvent, s'il a eu la faiblesse de se remarier215, l'affection profonde qu'il leur porte lui permettra de lutter, contre les antipathies du second conjoint. Quelquefois, il est vrai, il aura le tort de céder, et de sacrifier des orphelins délaissés aux intérêts de ses nouveaux enfants. Mais que sera-ce donc au cas du divorce? L'époux divorcé aura près de lui des enfants auxquels se rattache le souvenir d'un être odieux, les souvenirs pénibles d'un scandale de famille. Son plus grand désir sera de mettre, aux yeux de ses enfants, tous les torts de la rupture du côté de l'autre conjoint; il l'accusera sans cesse d'en avoir été la cause, cherchant à faire ainsi passer dans le cœur de ces enfants le ressentiment qui l'anime. S'il se remarie, quel soin prendra-t-il de protéger ses enfants, témoignage de son déshonneur ou de ses malheurs passés, contre la malveillance probable de son nouveau conjoint? Écoutons Hume: «Lorsque les parents se séparent que deviendront les enfants? Faudra-t-il les abandonner aux soins d'une belle-mère, et au lieu des tendresses maternelles leur faire essuyer toute la haine d'une étrangère, toute la rage d'une ennemie? Ces inconvénients se font assez sentir, lorsque la nature elle-même fait le divorce par le coup inévitable à tout ce qui est mortel. Faudra-t-il chercher à le multiplier en multipliant les divorces? Et faudra-t-il laisser au caprice des parents le pouvoir de rendre leur postérité malheureuse216

On se demande, avec un certain effroi, ce que doit être l'éducation morale des enfants d'époux divorcés. Parfois les enfants seront confiés à une autre personne que leur père et leur mère217, à cause du second mariage de ceux-ci. Sans doute ils seront alors soustraits à l'antipathie et à la haine, qui les poursuivraient à ce nouveau foyer, mais ils seront alors privés des douces jouissances de l'amour paternel et la sécheresse du cœur, l'égoïsme, la défiance, seront les tristesses morales qui accompagneront l'enfant à son entrée dans la vie. Or, si la séparation seule est admise, on aura rarement lieu de recourir à la garde d'une personne étrangère, car un second mariage étant impossible, on n'aura pas à garantir les enfants contre les persécutions d'un nouveau conjoint.

Dans l'hypothèse où l'enfant est confié, soit au père, soit à la mère divorcée et remariée, les inconvénients du divorce ne sont pas moins évidents. Placé dans une situation difficile à ce nouveau foyer où il ne rappelle que de pénibles événements, reproche vivant d'une rupture, souvent déshonorante, se considérant lui-même comme un étranger, comme une charge, comme un fardeau rendant plus lourd encore le poids de la conscience, privé de l'affection paternelle qui se porte sur un nouvel objet, avec d'autant plus d'emportement qu'elle s'est trouvée plus déçue dans sa première illusion, habitué enfin à entendre rappeler les torts d'un père ou d'une mère, accusés d'avoir été cause du divorce, quel respect, quel amour filial pourra-t-il jamais réserver à celui que la loi lui a laissé pour gardien? Lorsque, arrivé à un certain âge, il verra s'évanouir l'idéal, qu'il s'était fait des vertus et des qualités paternelles, lorsqu'il aura pénétré ce que peut-être on aura essayé de lui cacher, lorsqu'il aura deviné toute l'infortune de sa propre situation et mesuré toute l'étendue des fautes de ses parents, toute la gravité de leurs torts, tout ce qu'il y a eu de criminel, dans leur violation de la loi sainte du mariage, l'enfant désabusé, inquiet, attristé, blessé dans ses affections les plus chères, dans son illusion la plus naïvement confiante, comprimera peu à peu ses expansions, ses gaietés. Il deviendra rêveur, sombre, indifférent, égoïste, soupçonneux, épiant les faiblesses paternelles, sentant frémir en lui toutes les révoltes de la honte et du désenchantement, se croyant peut-être destiné à devenir l'instrument d'une vengeance, rebelle aux moindres vexations, troublant le nouveau foyer par ses reproches muets ou ses altercations violentes, et déjà prêt à imiter de son père toutes les fautes, tous les vices, tous les mauvais exemples, qui lui apprendront, à lui aussi, à violer la foi du mariage et à donner plus tard à ses enfants le spectacle déplorable de son propre divorce.

Voilà l'œuvre de l'institution qu'on préconise, en ce qui concerne les enfants. Aussi JeanJacques Rousseau avait-il raison de dire: «Les enfants fourniront toujours une raison invincible contre le divorce.»

Mais les enfants et les époux ne sont pas seuls à souffrir du divorce. En ce qui concerne la société, nous avons encore à constater les effets désastreux de la dissolution du mariage.

Et d'abord que devient la famille? Elle est détruite. Nous l'avons déjà dit, le mariage conclu avec la faculté, peut-être dans l'espoir du divorce, porte en lui des germes de discorde et de corruption qui préparent la ruine du foyer domestique, la flétrissure du lien conjugal. Au lieu de fortifier la famille, par le développement des sentiments d'attachement indissoluble, le divorce sépare les époux, les enfants, et répand dans la société des fragments de famille divisés et souillés, qui se haïssent, s'envient ou même se vengent les uns des autres. Quelle peut être la stabilité de ces familles, que le divorce doit, sans cesse, venir bouleverser? L'avenir toujours en suspens; l'éducation, la condition des enfants toujours livrés à l'incertitude et au hasard, l'honneur des époux toujours soumis aux soupçons, leurs passions toujours excitées par l'appât d'une rupture et d'une nouvelle union, et enfin le scandale public des divorces, scandale d'autant plus dangereux pour la morale publique qu'il deviendra de plus en plus fréquent. «Au contraire, dit un écrivain chrétien218, une fois l'indissolubilité du mariage admise, la société cesse d'être une agglomération d'existences isolées, sans passé comme sans avenir; au lieu de rétrograder elle marche à pleines voiles dans le chemin du progrès.»

Il est facile de se rendre compte que le divorce aura des suites multiples et que la haine ne se concentrera pas seulement entre les époux divorcés. Il ne faut pas oublier que dans un pays où le culte du point d'honneur est très développé, où la susceptibilité est très vive, l'injure faite à l'honneur d'un époux par une demande en divorce sera vivement ressentie, par tous les parents de la partie défenderesse, qui croiront de leur devoir et de l'intérêt de leur propre honneur de prendre parti pour elle et peut-être de la venger: «Les outrages domestiques sont de ceux que tout homme soucieux de sa dignité ne saurait laisser impunis et tel, qui ne relèverait peut-être pas une insulte personnelle, se révoltera souvent contre l'insulte faite à sa maison.»

Ainsi le divorce sera une cause de divisions et de haines dans la société; il portera le trouble et la corruption dans les familles, par des sollicitations malsaines qui flatteront les passions des époux et faisant entrevoir une existence plus heureuse ou des plaisirs plus vifs, il les conduira à pousser à bout leurs impatiences réciproques, pour arriver plus vite à une rupture qui leur rendra la liberté: «Le mariage, dit Balmès, en assignant à la passion un objet légitime, ne tarit pas cependant la source d'agitation, que le cœur recèle. La possession affadit, la beauté se fane, les illusions se dissipent, le charme disparaît. L'homme en présence d'une réalité, qui est loin des rêves auxquels se livrait son imagination de feu, sent naître dans son cœur des désirs nouveaux; fatigué d'un bien qu'il possède, il cherche dans un autre la félicité idéale qu'il croyait avoir trouvée; il fuit une réalité, qui a trompé ses plus belles espérances. Lâchez alors la bride aux passions de l'homme; permettez-lui d'entretenir, le moins du monde, l'illusion qu'il peut chercher le bonheur dans de nouveaux liens; laissez-lui croire qu'il n'est pas attaché pour toujours à la compagne de sa vie; vous verrez que le dégoût s'emparera de lui promptement… les liens commenceront à s'user à peine formés et se rompront au premier choc.

«Espérez-vous, dit aussi l'abbé Vidieu, que le divorce rendra plus fidèles ces époux, ces pères qui, abandonnant les joies pures de la famille, vont chercher ailleurs des satisfactions illégitimes? Ces hommes, qui fuient le devoir et cherchent le plaisir, facilement se lassent des jouissances, toujours ils croient trouver ailleurs plus d'attraits, plus de charmes, et changent, à chaque instant, l'objet de leurs passions; le divorce légitimera leurs vices, leur haine du devoir; ils feront plus de malheureuses et n'en seront pas moins malheureux.»

On a prétendu justifier encore le divorce en disant que sans lui la société serait privée de nombre de familles, dont elle pourrait s'enrichir (Treilhard). Cet argument est absolument erroné.

Si le divorce permet aux époux divorcés de contracter de nouveaux mariages – unions dont on peut à juste titre contester le bienfait pour la société – il faut reconnaître qu'il empêche aussi bien des liens de se former; et quand ils sont formés, qu'il inspire la crainte d'avoir des enfants ou d'en avoir un trop grand nombre. Suivant quelques partisans du divorce, en effet, le fait d'avoir des enfants serait un obstacle à la dissolution du mariage, et en tout cas de nombreux enfants seront toujours une difficulté de plus à la formation d'une nouvelle union. D'ailleurs, M. de Carion-Nisas a fait justice au Tribunat de l'argument de M. Treilhard: «La société, disait-il, se forme-t-elle des enfants qui naissent ou des enfants qui se conservent? Et quoiqu'il soit humiliant de compter les enfants des hommes, comme des petits animaux, je vous permets ce calcul. Où trouvez-vous encore les générations les plus nombreuses, en même temps les plus robustes et les plus saines? N'est-ce point dans ces familles, pour qui le mariage est un nœud sacré, une religion inviolable? Dans la classe aisée et polie, le divorce corrompt; dans la classe laborieuse, il tue; il produit un abandon monstrueux des enfants, qui moissonne des générations entières.»

On cite souvent l'exemple des pays étrangers qui ont admis le divorce, sans qu'il paraisse en résulter pour eux de trop grands inconvénients. Nous avons plus haut exposé la plupart des législations étrangères, nous avons remarqué que, dans beaucoup d'États, l'institution du divorce était garantie par la loi constitutionnelle elle-même; nous avons rassemblé aussi quelques documents statistiques, qui permettent les comparaisons. Mais dans les rapprochements de ce genre, il faut se mettre en garde contre une propension fort naturelle à croire que l'assimilation des institutions peut être complète, d'un pays à un autre. Il existe, en effet, dans les mœurs, dans les croyances, dans les caractères, des différences telles qu'il est impossible souvent d'appliquer à un peuple une législation en vigueur, chez ses voisins; telle loi qui serait bonne ici, serait funeste et désastreuse ailleurs. En ce qui concerne la France, la comparaison qui serait la plus permise serait celle qu'on voudrait faire avec les pays de même race, tels que l'Espagne et l'Italie; or, l'institution du divorce répugne aux races latines, le divorce est pour elles un élément de corruption, comme on peut le constater par l'exemple des cantons catholiques Suisses, de la France pendant la Révolution, et, nous l'avons vu, de notre voisine la Belgique.

On peut même aller plus loin, et soutenir hardiment que le divorce produit des effets désastreux, dans tous les pays, et qu'il ruine la moralité des peuples protestants, dont l'austérité si vantée est considérée par beaucoup de partisans du divorce, comme un fruit de cette institution. Attribuer la pureté des mœurs au divorce est une thèse qu'il est impossible de soutenir raisonnablement, en présence surtout des résultats acquis.

204Léon Renault, rapport, p. 26.
205Dans notre société, troublée et corrompue, éclatent des désastres, des suicides, qui jettent une lueur sinistre en passant, comme des éclairs dans une nuit sombre. Il n'y a plus un Parc aux Cerfs, mais on donne des fêtes vénitiennes, dans la rue Duphot, et l'on souscrit des billets, pour en solder les frais; on construit des grottes hospitalières où l'innocence et le vice iront rêver, au murmure de jets d'eau, qui ne se tairont ni jour ni nuit, comme dit Bossuet, on se fait sauter la cervelle dans un cabaret des halles au moment de payer l'addition, le chantage, récemment inscrit dans le Code pénal, n'est pas réprimé encore, il terrifie les femmes, sexe faible, aussi bien que les hommes, se croyant en leur vanité le sexe fort. Sous un toit suspect les vénales et adultères amours, prennent leurs ébats, S. G. D. G. Le public commence à soupçonner notre société de n'être pas supérieure à l'ancienne. Il se trouve vis-à-vis d'elle, dans la situation de ce mari de Gavarni faisant une scène à sa légitime: – Inutile de feindre, madame, je sais tout. – Vous savez tout?.. Eh bien, c'est du propre!
206Séance du 26 déc. 1815. – Locré, t. V, p. 435.
207M. Jules Simon, De la liberté, t. Ier, p. 360.
208Que deviendront-elles, ces femmes encore jeunes, souvent belles, dont le cœur éveillé à l'amour, est, toujours par la faute du mari, resté inassouvi? Elles seront des déclassées, prêtes à toutes les consolations, c'est-à-dire à toutes les chutes, dans une société implacable et qui pourtant devrait avoir pitié de ces victimes, de ces malades, dont le martyre est venu du cœur et des nerfs. Voir: Études cliniques sur l'hystéro-épilepsie par P. Richer, avec une préface de Charcot (Delahaye, éditeur. 1881). Causes criminelles et mondaines, par A. Bataille (Dentu, éditeur, 1881). Rétif de la Bretonne. Les gynographes ou idées de deux honnêtes femmes sur un projet de règlement, proposé à toute l'Europe, pour remettre les femmes a leur place et opérer le bonheur des deux sexes (La Haye, 1777). Mandsley. Pathologie de l'esprit (Germer-Baillière, éditeur). V. Traité de médecine légale, par Taylor, Professeur à Guy's Hopital, traduit par Contagne, D. M. P. à Lyon. N'oublions pas non plus les ouvrages, les rapports, les savantes cliniques des professeurs Lasègue, Proust, Paul Lorain, Chambert, Woillez, Charcot, Duguet, Brouardel, Péan, Mottet, Blanche, Falret, Legrand du Saulle Saint-Germain, Labbé, Duplay, dignes continuateurs des grands praticiens français.
209Lettres persanes, 116.
210Essais moraux et philosophiques, 18.
211Analyse raisonnée du Code civil, t. Ier, p. 218.
212Dumas, La princesse de Bagdad (acte III). Une jeune et charmante femme, rivée à un mari brutal, joueur et noctambule, me disait un jour: Si je n'avais pas une fille, j'aurais depuis longtemps demandé le repos au poison et le sommeil éternel à une tombe, délaissée comme l'a été toujours mon âme.
213M. Léon Renault, Rapport, p. 21.
214M. Ernest Legouvé, membre de l'Académie française, fils de Jean-Baptiste Legouvé, auteur du Mérite des femmes, est petit-fils de Legouvé, avocat au Parlement qui présentait au roi (14 octobre 1775) une requête dans l'intérêt des enfants protestants, nés sans état (Pénalités anciennes, Plon éditeur).
215«Dès qu'on a des enfants, dit M. Jules Simon, on doit vivre pour eux et non pour soi.» La liberté, t. Ier, p. 361.
216Essais moraux et politiques, 18e essai.
217Pièces justificatives XI, XIII, XVI. En 1387, les femmes du comté d'Eu ne payent aucun droit, pour le vin, qu'elles buvaient pendant leur coucher. Trésor judiciaire de la France– Plon éditeur.
218L'abbé Vidieu.