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Henri IV en Gascogne (1553-1589)

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Henri III n'eut pas plus égard au manifeste qu'aux doléances plus discrètes qui l'avaient précédé, et avant la fin de l'année 1576, les derniers lambeaux du traité de Beaulieu s'en allaient rejoindre les autres paix «éternelles», qui avaient, on peut le dire, si souvent troublé plutôt que restauré la France du XVIe siècle. Lorsque les députés des Etats envoyés à Henri arrivèrent en Guienne, on y guerroyait déjà, depuis quelque temps, et le roi de Navarre quitta le siège de Marmande pour leur donner audience à Agen: nous les y retrouverons vers la fin du mois de janvier. Les derniers jours de l'année 1576 et les premiers de l'année 1577 furent marqués, en Guienne et en Gascogne, par quelques faits de guerre dont le moment est venu de présenter le récit.

La périlleuse aventure d'Eauze, que la plupart des historiens du temps ont racontée, sans être d'accord sur la date, doit figurer, selon nous, à celle que lui assigne Berger de Xivrey dans le recueil des Lettres missives, c'est-à-dire à la fin du mois de décembre 1576. Nous indiquerons dans l'Appendice20 la raison de notre choix et aussi les versions de Sully et de Du Plessis-Mornay. Plusieurs traits de ces versions sont identiques; l'une et l'autre pourtant sont incomplètes, comme l'ont prouvé les lettres de Henri à Manaud de Batz, documents précieux pour l'histoire de ce prince, et dont ni Du Plessis-Mornay ni Sully n'ont eu connaissance.

A mesure que le roi de Navarre pénétrait dans les pays de Guienne et de Gascogne, il se préoccupait de la sûreté des places, et se voyait parfois obligé de recourir à de véritables coups de main pour vaincre les résistances ou déjouer les complots. Il visitait l'Albret et l'Armagnac, lorsque deux gentilshommes, qu'il honorait d'une estime particulière, Antoine de Roquelaure et Manaud de Batz, l'instruisirent des menées séditieuses qu'on pratiquait à Eauze, principale ville de l'Eauzan, pays d'Armagnac. Eauze appartenait sans conteste au roi de Navarre, «comte d'Armagnac», et c'était alors une des clefs de la Gascogne. Henri conçut le dessein de s'assurer de près des sentiments de cette ville. Ayant donné rendez-vous à un petit corps de troupes et simulé une partie de chasse, dans le voisinage d'Eauze, il fit exprimer aux magistrats son désir de visiter la place. Le maire et les jurats, remplissant leur devoir avec ou sans arrière-pensée, vinrent, en chaperons, devant la principale porte, lui présenter les clefs de la ville. Sur la foi de cet accueil, Henri, qui n'avait, à ses côtés, que huit ou dix gentilshommes, entre autres Roquelaure, Batz, Mornay, Rosny et Béthune, et deux de ses gardes, Cumont et Ferrabouc, entra sans hésiter dans la cité hospitalière. Mais à peine avait-il franchi le pont-levis, qu'une sentinelle cria, en gascon: «Coupo toun rast, toun rey y es!» Mot à mot: «Coupe ton râteau, ton roi y est». Au même instant, la herse-coulisse tomba, et le roi, avec quatre ou cinq gentilshommes, se trouva séparé du reste de son escorte. Etait-il victime d'une maladresse ou d'un guet-apens? Il sut bientôt à quoi s'en tenir.

Dès ses premiers pas, le bruit du tocsin éclate, des cris menaçants y répondent, et une foule ameutée, soldats de la garnison, bourgeois et hommes du peuple, l'enferme dans un cercle de piques et d'arquebuses. Il avait avec lui quatre ou cinq vaillants prêts à faire bon marché de leur vie pour sauver la sienne, manifestement en danger. Qu'on juge des prouesses qu'ils accomplirent, lorsque Henri, avec un héroïque entrain, leur donna, par son exemple, le signal de la lutte. On court droit aux mutins, leur brûlant l'amorce au visage et les chargeant à coups d'épée. Rompus, ils se reforment, et, désignant le roi, ils crient: «Tire à la jupe rouge! tire au panache!» Ils tirent en effet, et tant de coups, que si, à tout événement, Henri et ses compagnons n'avaient pris des armes défensives sous leurs tuniques de chasse, ils eussent tous succombé aux premières décharges. Par un bonheur inouï, aucun d'eux ne fut dangereusement blessé. Le combat, en se prolongeant, aurait pourtant bientôt épuisé les forces de ces rudes jouteurs; mais ayant pu, à travers la mêlée, gagner la porte d'une tour voisine, ils s'y retranchèrent et donnèrent ainsi à l'escorte royale le temps de briser la herse ou d'escalader les murailles. Quand les hommes d'armes du roi parurent, la scène changea subitement. Cette population égarée se vit perdue et demanda grâce. Il fallut toute l'autorité du roi pour empêcher le sac de la ville. C'est la première occasion solennelle notée par l'histoire où il montra et fit bénir sa clémence; Sully parle de quatre mutins condamnés au gibet; mais d'autres récits ajoutent que la corde s'étant rompue, le roi s'écria: «Grâce à ceux que le gibet épargne!»

Ce trait de spirituelle bonté, même inventé pour couronner une journée d'héroïsme, resterait encore dans la vraisemblance et la réalité du caractère historique de Henri. Dès qu'il paraît sur les champs de bataille, revêtu de l'autorité souveraine, à la tête de quelques partisans, comme à Eauze, ou au milieu d'une armée imposante, comme à Coutras, la guerre tend à s'humaniser, s'il est possible: les chefs apprennent de lui et font comprendre aux soldats que tout ne leur appartient pas dans la route meurtrière tracée à leur activité; que la vie est toujours respectable et quelquefois sacrée chez un ennemi abattu; que la victoire n'est que plus belle, affranchie de la cruauté; qu'il y a des humbles, des faibles, un «peuple» à épargner, même quand on est obligé de le froisser, de le «fouler», de le blesser au passage. Henri IV s'est formé, en Gascogne, à beaucoup de vertus royales: il n'y a pas fait de plus noble apprentissage que celui de la pitié sous les armes.

En quittant Eauze, le roi de Navarre laissa cette place sous le commandement de Béthune; mais, peu de temps après, il en donna le gouvernement, avec celui de tout le pays, au baron de Batz. Ce choix n'était pas dicté seulement par la reconnaissance de Henri envers son «Faucheur», comme il surnomma ce gentilhomme, après le combat d'Eauze, mais encore par l'intérêt politique bien entendu. Manaud de Batz, descendant direct des vicomtes de Lomagne, des premiers comtes d'Armagnac, et par conséquent, des anciens ducs de Gascogne, était, par sa religion, par ses alliances et son influence personnelle dans la contrée, capable de rendre d'importants services à la cause du roi. Henri le nomma gouverneur par la lettre suivante: «Monsieur de Batz, pour ce que je ne puis songer à ma ville d'Euse qu'il ne me souvienne de vous, ni penser à vous qu'il ne me souvienne d'elle, je me suis délibéré vous établir mon gouverneur en icelle et pays d'Eusan. Adonc aussi me souviendra, quant et quant, d'y avoir un bien sûr ami et serviteur, sur lequel me tiendrai reposé de sa sûreté et conservation: pour tout ce dont je vous ai bien voulu choisir…»

Le guet-apens d'Eauze faillit se renouveler à Mirande, autre ville de l'Armagnac vers laquelle Henri se dirigea pour secourir Saint-Cricq, seigneur catholique de son parti. Ce capitaine était entré dans Mirande, à la suite d'un coup de main plus audacieux que raisonnable; mais à peine croyait-il tenir la place qu'il eut à se défendre contre la garnison, hostile au roi de Navarre et soutenue par les habitants. N'ayant pas assez de monde pour se maintenir dans la ville, Saint-Cricq s'était retiré dans une tour. Il y fut assiégé et tué avec une partie de sa troupe. Sully raconte que la catastrophe était accomplie lorsque le roi de Navarre parut devant Mirande. Son arrivée inspira aux habitants l'idée d'un stratagème qui fut bien près de réussir. Dès qu'ils aperçurent le roi, ils firent sonner des fanfares, comptant que les nouveaux venus les prendraient pour des signes d'allégresse ordonnés par Saint-Cricq. Ce fut précisément ce qui arriva, et le roi de Navarre allait se jeter dans le piège, quand un soldat huguenot, voyant le danger qu'il courait, sortit de la ville et vint lui donner un avis salutaire. Le roi battit sagement en retraite, tout en faisant tête, de temps à autre, aux défenseurs de Mirande, qui le serraient de près, fort enhardis par le succès précédent. La nuit et le voisinage de Jegun, place fidèle dont les portes s'ouvrirent au roi, mirent fin à cette lutte. Le surlendemain, un fort détachement des troupes royales, à la tête desquelles était l'amiral de Villars en personne, vint manœuvrer autour de Jegun. En rase campagne, les forces eussent été par trop inégales, et Villars n'avait aucun matériel de siège: après quelques bravades, on se tint coi de part et d'autre.

Peu après la date des affaires de Mirande et de Jegun, Sully place le récit de plusieurs petits combats meurtriers, sous les murs de Beaumont-de-Lomagne et du Mas-de-Verdun. Nous résumons les Economies royales, mais en faisant observer qu'il y a divergence, pour l'ordre chronologique, entre la version de ces Mémoires et celle d'Agrippa d'Aubigné.

Le roi de Navarre, allant de Lectoure à Montauban, était en vue de Beaumont: son avant-garde rencontra plusieurs détachements que les habitants de cette ville avaient placés en embuscade pour disputer le passage aux calvinistes. On les mena battant jusqu'aux portes, d'où il sortit une centaine d'hommes à leur secours. La plupart périrent dans le combat qui suivit; mais le roi de Navarre, ne jugeant pas opportun d'aller plus avant, continua son voyage. Au retour de Montauban, par la route du Mas-de-Verdun, à une lieue de cette ville, il trouva sur son chemin un parti d'arquebusiers, qui lâchèrent pied devant son escorte: poursuivis et assiégés dans une église convertie en forteresse, ils y furent réduits à merci et impitoyablement massacrés par une troupe de Montalbanais, qui leur reprochaient toutes sortes de crimes.

 

Quoique la vie du roi de Navarre fût un voyage perpétuel, comme elle devait l'être pendant un quart de siècle, il ne lui avait pas fallu grand temps pour s'apercevoir que le défaut de discipline paralysait les forces de son parti. Partout où il se trouvait, il empêchait ou restreignait les abus, enseignait l'ordre, prêchait la modération et le respect du droit, en général, de celui des faibles, en particulier. Mais il ne pouvait suffire à tout, et, à chaque instant, des plaintes lui parvenaient sur les irrégularités, les excès de pouvoir et les violences de quelques-uns de ses partisans. La guerre ouvertement déclarée, il était obligé de fermer les yeux sur plus d'un acte peu avouable, sous peine de s'aliéner de fidèles mais peu scrupuleux serviteurs; en tout autre temps, nous le verrons toujours préoccupé de faire justice et d'établir, autant que possible, comme il dit, «de bons règlements». Dans les premiers jours du mois de janvier 1577, entre deux expéditions, il apprit qu'en divers lieux de son gouvernement de Guienne, il y avait eu de notables violences et «voleries». Il expédia aussitôt les plus formelles instructions à plusieurs de ses officiers pour réparer les dommages causés, «n'ayant rien en si grande détestation, déclarait-il, que l'oppression du peuple». De Montauban, la même année, il donne par écrit l'ordre «de ne molester les paysans et les laboureurs et de ne leur prendre leurs biens et bétail, sur peine de vie». Il y avait quelque mérite, de sa part, à donner aux pauvres gens de semblables marques de sollicitude, au moment où les Etats-Généraux venaient de voter la destruction de son parti et la proscription de sa croyance, et de le mettre, par conséquent, dans la nécessité de faire la guerre.

Cette guerre gagnait de proche en proche; elle n'avait été, jusqu'alors, que défensive, du côté de Henri; la révocation de l'édit de Beaulieu (6 janvier 1577) lui créait l'obligation, comme au prince de Condé et au maréchal de Damville, de ne pas attendre les premiers coups. Damville n'eut qu'à se maintenir, en attendant une défection dont la pensée germait dans son esprit; Condé agitait la Saintonge et le Poitou, et visait Loudun, qu'il prit en janvier. Le roi de Navarre trouvait devant lui d'autant plus de besogne, que son lieutenant-général en Guienne, l'amiral de Villars, le traitait et l'avait déjà fait traiter en ennemi; les populations de cette province lui étaient, pour la plupart, hostiles. Heureusement, il avait, même dans la Guienne, des partisans déterminés, qui le servirent, quelques-uns violemment, il est vrai, mais presque tous avec succès, comme va l'établir le récit de quelques faits de guerre, accomplis depuis les derniers jours de l'année 1576 jusqu'au mois de mars 1577.

Jean de Favas ou Fabas, seigneur de Castets-en-Dorthe, qui, «dès sa plus tendre jeunesse, au témoignage de l'historien de Thou, avait servi avec distinction dans les dernières guerres contre les Turcs», fut amené à se ranger dans le parti du roi de Navarre par l'issue d'une entreprise où la politique semblait n'avoir eu aucune part. Il y avait à Bazas une riche héritière que Favas voulait marier à un de ses cousins, membre de la famille de Gascq, puissante dans toute la contrée. Mais la jeune fille était sous l'autorité du capitaine Bazas, second mari de sa mère, et il refusa son consentement à cette union. Favas poussa jusqu'au crime son dévouement au gentilhomme éconduit. Avec le concours des frères Casse (ou Ducasse), connus dans le pays pour leur violence, il tue le capitaine, arrache la jeune fille des mains de sa mère et la livre à son poursuivant. Puis, soit que cette sinistre aventure l'eût mis en goût de guerroyer, soit qu'il l'eût considérée comme un début sanglant, dans une nouvelle carrière militaire et politique, Favas introduisit des hommes à lui dans la ville de Bazas, s'en rendit maître, la pilla en partie, surtout la maison du Chapitre, en dévasta la cathédrale, et, tout à coup, se proclama calviniste et partisan du roi de Navarre. Cette déclaration lui valut des recrues, et il en profita pour étendre son action: Langon, Villandraut, Uzeste sentirent ses coups et portèrent les marques du brigandage de ses soldats. A ce moment, il n'était nullement avoué par le roi de Navarre; mais Favas, à tout prendre, était un homme de valeur; il agrandit son rôle, et peut-être par vocation, peut-être aussi pour faire oublier ses criminelles violences, il voulut compter parmi les bons capitaines de cette époque. A la tête d'une troupe aguerrie et exaltée par les précédentes expéditions, il résolut d'enlever La Réole au roi de France, pour l'offrir aux huguenots. Il eut, dans cette entreprise, le concours de quelques gentilshommes à la suite du roi de Navarre, entre autres Rosny, qui, dans l'affaire, commanda un détachement de cinquante soldats. Le 6 janvier 1577, le jour même où Henri III signait la révocation de l'édit de Beaulieu, La Réole fut prise par escalade, avec des «échelles de plus de soixante pieds, faites de plusieurs pièces, dit d'Aubigné, les emboîtures n'ayant jamais été pratiquées auparavant cette invention». Favas ayant des intelligences dans la place, y entra presque sans coup férir. Les vainqueurs s'amoindrirent en ne faisant pas preuve d'autant de modération que le commandaient les circonstances: ils ne respectèrent ni les édifices catholiques, ni les biens des habitants. Néanmoins, la prise de La Réole fonda sérieusement la réputation et la fortune de Favas. Nommé gouverneur de cette place importante, et qui fit grand service au parti, il devint un des lieutenants les plus actifs et les plus habiles du roi de Navarre: heureux s'il n'eût débuté par des actes si manifestement coupables! De La Réole, Favas fit, dans les contrées voisines, quelques expéditions dont on a gardé le souvenir. Dans la Bénauge, il battit les partisans catholiques, et mit en déroute, à Targon, une compagnie de gendarmes du baron de Vesins. Aux environs d'Auros, il anéantit un petit corps d'infanterie qui avait fait mine d'attaquer Bazas. Enfin, il détruisit la petite ville de Pondaurat, dont la garnison gênait les mouvements de La Réole.

Langoiran, autre capitaine calviniste renommé, échoua dans une tentative qu'il fit sur Saint-Macaire, à la suite de la prise de La Réole. «C'est une ville sur Garonne, nous dit d'Aubigné, élevée sur une roche de cinq toises de haut, sur laquelle est un mur de dix-huit pieds qui clôt le fossé d'entre la ville et le château. On peut monter d'abord de la rivière, qui est au pied du rocher, jusqu'au pied de la muraille, par le côté du terrier. Tout cela fait un coude, dedans lequel Favas désigna une escalade en plein jour, à savoir, pour passer la muraille qui était sans corridor; et pourtant il fallait porter un autre escalot pour descendre au fossé d'entre la ville et le château, où il y avait encore peine pour remonter à la ville.»

La troupe de Langoiran se grossit de quarante gentilshommes de la cour du roi de Navarre, qui s'y portèrent volontairement, et de quelques capitaines choisis dans les garnisons voisines. Parmi ces derniers figuraient d'Aubigné et Castera. On mit sur deux bateaux, à La Réole, les assaillants munis de deux échelles, et l'on recouvrit le tout avec soin de quelques voiles, pour les dérober à tous les regards. Aux premiers cris des sentinelles, on répond:

«C'est du blé que nous portons». Et, presque au même instant, cette prétendue marchandise se dressant dans les deux embarcations, tous les réformés s'élancent au rivage. Appliquées à la muraille, les échelles se trouvent trop courtes; mais les assaillants n'en persistent pas moins dans leur résolution, et, le pistolet au poing, ils essaient, en s'aidant les uns les autres, de se jeter dans la place. A toutes les fenêtres du château donnant sur la muraille, ainsi qu'à celles de la maison la plus voisine, parurent alors des arquebusiers, qui dirigèrent sur les assaillants le feu le plus meurtrier. D'Aubigné fut le premier atteint et, presque au même instant, un coup de chevron, que lui asséna le capitaine Maure, l'envoya dans la rivière, où il tomba, du haut du rocher, en roulant sur lui-même et laissant son pistolet dans la ville. A son côté, tomba Génissac, frappé, comme d'Aubigné, d'une arquebusade. Castera et Sarrouette prirent leur place, et tel fut l'acharnement de la troupe assaillante que, malgré le feu du château qui les foudroyait de front, malgré celui d'un faubourg qui les prenait en flanc, d'Aubigné et les autres blessés retournèrent aux échelles. Du côté de la ville, les femmes rivalisèrent de courage avec les soldats dans cette défense, et Guerci, un des officiers de Langoiran, périt sous une barrique jetée sur sa tête par une de ces héroïnes. Cependant les gardes du roi de Navarre s'étaient groupés sur un rocher voisin en demandant quartier. La garnison de Saint-Macaire, ayant reçu d'eux l'assurance qu'ils étaient catholiques, leur accorda la vie. Les autres assaillants, criblés de blessures, regagnèrent péniblement leurs barques. «Il ne sortit de cette affaire, affirme d'Aubigné, dont on vient de lire le récit, que douze hommes qui ne fussent morts, blessés ou prisonniers…»

CHAPITRE III

Le siège de Marmande. – Bravoure du roi de Navarre. – Arrivée de la députation des Etats. – La trêve de Sainte-Bazeille. – Démêlés de Henri avec la ville d'Auch. – Réponse de Henri aux députés. – Sa lettre aux Etats. – Autre députation. – La diplomatie du roi de Navarre. – L'armée de Monsieur sur la Loire et en Auvergne. – Le duc de Mayenne en Saintonge. – Mésintelligence entre Henri et Condé. – Prise de Brouage. – Situation critique des réformés. – Le maréchal de Damville se sépare d'eux. – La cour leur offre la paix. – Négociations. – Déclarations de Henri au duc de Montpensier. – La paix de Bergerac.

Après le succès de La Réole et l'échec de Saint-Macaire, le roi de Navarre se laissa persuader par Lavardin, un de ses lieutenants, gouverneur de Villeneuve-sur-Lot, de tenter une entreprise sur Marmande. Elle offrait quelque péril et ne réussit qu'à demi. Le roi, pourtant, la jugeait d'importance, car il fit venir de Saintonge La Noue pour commander le siège.

«La Noue étant venu de Saintonge, dit d'Aubigné, eut charge d'investir Marmande sur la Garonne, ville en très heureuse assiette, franche de tous commandements, qui avait un terre-plain naturel revêtu de brique. Les habitants y avaient commencé six éperons et étaient aguerris par plusieurs escarmouches légères que le roi de Navarre y avait fait attaquer, en y passant et repassant. Le jour que La Noue vint pour les investir, n'ayant que six-vingt chevaux et soixante arquebusiers à cheval, les battants jettent hors de la ville de six à sept cents hommes mieux armés que vêtus pour recevoir les premiers qui s'avanceraient. La Noue, ayant fait mettre pied à terre à ses soixante arquebusiers, et à quelques autres qui arrivèrent, sur l'heure, de Tonneins, attira cette multitude à quelque cent cinquante pas et non plus de la contrescarpe, puis ayant vu qu'il n'y avait pas de haies, à la main gauche de cette arquebuserie, qui leur pût servir d'avantage, il appela à lui le lieutenant de Vachonnière (d'Aubigné), lui fit trier douze salades à sa compagnie; lui donc, avec le gouverneur de Bazas et son frère, faisant en tout quinze chevaux, défend de mettre le pistolet à la main, et prend la charge à cette grosse troupe; mais il n'avait pas reconnu deux fossés creux sans haies, qui l'arrêtèrent à quatre-vingts pas des ennemis, qui firent beau feu sur l'arrêt, comme fit aussi la courtine; de là deux blessés s'en retournèrent. Cependant, le lieutenant de Vachonnière ayant donné à la contrescarpe et reconnu que par le chemin des hauteurs qui faisaient un éperon, on pouvait aller mêler, en donne incontinent avis à La Noue, aussitôt suivi. Cette troupe donc passe dans le fossé de la ville et sort par celui de l'éperon, quitté d'effroi par ceux qui étaient dessus, pour aller mêler cette foule d'arquebusiers dont les deux tiers se jetèrent dans le fossé de l'autre côté de la porte; mais le reste vint l'arquebuse à la main gauche, et l'épée au poing; avec eux quatre ou cinq capitaines et sept ou huit sergents firent jouer la pertuisane et la hallebarde; pourtant, les cavaliers leur firent enfin prendre le chemin des autres, hormis trente, qui demeurèrent sur la place. La Noue fit emporter deux de ses morts, ramenant presque tous les siens blessés, plusieurs de coups d'épée, lui, avec six arquebusades heureuses, desquelles l'une le blessa derrière l'oreille.

«Le roi de Navarre, arrivé le lendemain avec un mauvais canon, une coulevrine et deux faucons de Casteljaloux, et de quoi tirer cent vingt coups, logea ses gens de pied, le premier jour, et, le lendemain, par l'avis des premiers venus, et pour entreprendre selon son pouvoir, battit la jambe d'un portail qui soutenait une tour de briques fort haute, afin que la tour, par sa chute, dégarnissant l'éperon de devant, on pût donner à tout; celui qui donnait l'avis demandait trente hommes pour tenir dans un jardin, sur le ventre, et habilement se jeter dans la ruine, avant qu'il y fît clair; mais Lavardin s'opposa à cela, disant qu'il savait bien son métier et qu'il voulait marcher avec tout le gros; la cérémonie donc qu'il y fit fut cause que, la tour étant tombée, ceux de dedans eurent mis une barricade dans la ruine, et quatre pipes au-devant des deux petites pièces qui leur tiraient de Valassens, et Lavardin ayant marché vers la contrescarpe, vu le passage bouché, fit tourner visage à son bataillon. Sur cette affaire, arriva le maréchal de Biron…»

 

D'Aubigné passe sous silence un épisode fort intéressant, que Sully a noté. Pendant une attaque, le roi ayant fait avancer plusieurs gros d'arquebusiers pour s'emparer d'un chemin creux et de quelques points stratégiques, Rosny, à la tête d'un de ces détachements, fut assailli par des forces triples. Retranchés derrière quelques maisons, mais cernés de toutes parts, les arquebusiers auraient infailliblement succombé, si le roi de Navarre, sans prendre même le temps de revêtir son armure, ne se fût précipité à leur secours. Après les avoir dégagés, il combattit en personne, jusqu'à ce qu'ils se fussent emparés des postes désignés.

Avant d'aller donner audience aux députés des Etats, qui l'attendaient à Agen, Henri convint d'une trêve avec Biron. Le maréchal était à Sainte-Bazeille, où il discutait les termes de l'accord avec Ségur et Du Plessy-Mornay.

On raconte que, pendant les pourparlers, Biron prêtait l'oreille aux détonations de la petite artillerie du roi de Navarre. Tout à coup, le canon a cessé de se faire entendre: c'est que les boulets manquaient et que, en outre, le maître artilleur des assiégeants venait d'être tué. Mais Du Plessis de s'écrier: «Hâtons-nous! la brèche est faite, et l'on monte à l'assaut». Et Biron, sans défiance, signa le traité, pour éviter l'effusion du sang. Quoi qu'il en soit de cette anecdote, un accommodement se fit entre le roi de Navarre et la ville de Marmande. Il y eut, de la part du prince, un simulacre de prise de possession, et les Marmandais reconnurent ses droits.

Pendant qu'il était occupé au siège de Marmande et aux négociations qui suivirent, le roi de Navarre eut quelques démêlés avec la ville d'Auch. Il avait nommé Antoine de Roquelaure au gouvernement de cette capitale de l'Armagnac; mais les consuls, prévenus par les lettres de Henri III, n'agréèrent point Roquelaure, et celui-ci, perdant patience, n'épargna ni les menaces, ni les mesures de rigueur pour entrer en possession de sa charge, si bien que les Auscitains, se raidissant de plus en plus et encouragés par l'amiral de Villars, poussèrent les sentiments d'hostilité jusqu'à faire entrer dans leurs murs la compagnie de la Barthe-Giscaro. Henri, retenu par ses affaires dans l'Agenais, écrivit, à ce sujet, plusieurs lettres, en attendant l'occasion de faire valoir plus efficacement ses droits: «Vous n'avez rien à commander sur ce qui m'appartient, disait-il au capitaine Giscaro… Autrement, où vous vous oublieriez de tant que de l'entreprendre, vous pouvez penser que je ne suis pas pour le souffrir sans en avoir ma revanche en quelque temps que ce soit. De quoi je serais tant marri d'être occasionné que je désirerais toute ma vie vous faire plaisir en tous les endroits où j'en aurais le moyen…» Le roi de Navarre et les consuls d'Auch se réconcilièrent, l'année suivante, lors du séjour des deux reines dans cette ville.

Les députés arrivés à Agen étaient: Pierre de Villars, archevêque de Vienne en Dauphiné, André de Bourbon, seigneur de Rubempré, Mesnager, trésorier général de France. Nous avons dit qu'une députation semblable avait été envoyée au prince de Condé et au maréchal de Damville. Condé refusa toute audience. Damville, plus politique, reçut les députés avec courtoisie, mais fut inflexible sur la question principale, deux religions pouvant coexister, à son sens, puisqu'il les faisait vivre en paix dans le gouvernement de Languedoc. Henri tint une conduite analogue. Biron l'avait suivi à Agen pour tâcher de concilier Catherine de Bourbon aux intérêts de la cour. Il n'était pas nécessaire d'assiéger Henri pour tirer de lui de bonnes paroles: elles lui venaient naturellement aux lèvres. Il fit le meilleur accueil aux députés, s'attendrit au tableau des calamités publiques tracé par l'archevêque de Vienne, se défendit de toute opiniâtreté en matière de religion, déclara qu'il restait fidèle à la sienne, parce qu'il la jugeait bonne, mais qu'il entendait toujours suivre sur ce point les inspirations de sa conscience. Au surplus, il protestait contre les mesures de rigueur délibérées à Blois, et déplorait d'avance les malheurs que de telles résolutions pouvaient attirer sur le pays. Aussi bien que les députés, le roi de Navarre savait que les ambassades et les discours seraient impuissants à établir la paix dont chacun se disait partisan. Néanmoins, après avoir fait entendre aux envoyés des Etats les déclarations les plus conciliantes, il adressa aux Etats eux-mêmes, en date du 1er février, une lettre destinée à prouver sa bonne volonté, et surtout à dégager sa responsabilité dans les éventualités prochaines. Il disait à «MM. les gens assemblés pour les Etats à Blois: – Je vous remercie très affectionnément de ce qu'il vous a plu envoyer devers moi, et même des personnages de toute qualité émérite, lesquels j'ai vus et ouïs très volontiers, comme je recevrai toujours, avec toute affection et respect, tout ce qui viendra de la part d'une si honorable compagnie; ayant un extrême regret de ce que je n'ai pu m'y trouver et vous montrer en personne en quelle estime j'ai et tiens une telle assemblée…» – Après cet exorde insinuant, il ajoutait: «Mais le succès et l'événement d'une si haute entreprise tendant à la restauration de ce royaume dépend, à mon avis, de ce que requériez et conseilliez le roi touchant la paix. Si vos requêtes et vos conseils tendent à la conserver, il vous sera aisé d'obtenir toute bonne provision à toutes vos plaintes, remontrances et doléances, et de faire exécuter et entretenir de point en point, et, par ce moyen, de recueillir vous-mêmes et transmettre à la postérité le fruit de vos bons avis et bons conseils…»

Jamais prince français n'en appela au glaive aussi souvent que Henri, et, par un étrange contraste, ne fit autant que lui de sacrifices à la paix. Déconcertée d'abord par les violents refus de Condé et les résistances plus mesurées mais fermes du roi de Navarre et de Damville, la cour revint à la charge par une députation spéciale et qu'on supposait, avec raison, capable d'obtenir de Henri tout ce qu'il pouvait accorder. «Le duc de Montpensier et le sieur de Biron furent de nouveau envoyés au roi de Navarre et le firent consentir à modifier l'édit de pacification. Le duc, à son retour, ayant fait part aux Etats de sa négociation, le Tiers-Etat présenta une requête au roi, pour le supplier de faire de nouvelles réflexions là-dessus. Mais enfin, après bien des délibérations et des souplesses, on s'en tint à la première requête des Etats, qui avaient d'abord demandé qu'on ne souffrît l'exercice d'aucune religion en France différente de la catholique; et l'on n'eut nul égard à la clause que plusieurs avaient voulu que l'on y insérât, savoir: qu'il fallait que la chose fût ainsi, pourvu qu'elle se pût faire sans qu'on en vînt à la guerre. La Ligue fut autorisée, après qu'elle eut été signée par le roi même, par Monsieur, par la plupart des princes et seigneurs catholiques, qui s'étaient rendus aux Etats, et cela contre l'avis du duc de Montpensier, du maréchal de Cossé, de Biron et de quelques autres. La formule en fut envoyée dans les provinces aux gouverneurs et aux villes, dont quelques-unes, et Amiens entre autres, s'excusèrent d'entrer dans la Ligue. Ainsi finirent les Etats, au commencement de mars, ajoute le Père Daniel, sans autre effet que la signature de la Ligue; car on n'y conclut rien de particulier pour la réformation de l'Etat, et même on n'y fournit rien au roi pour l'entretien de la guerre qu'il allait entreprendre. Il eut recours au clergé, qui lui donna quelque secours. Il tira encore de l'argent de la création de quelques nouvelles charges, et se prépara à commencer au plus tôt la guerre.»

20Appendice: