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Henri IV en Gascogne (1553-1589)

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LIVRE DEUXIÈME
(1576-1580)

CHAPITRE PREMIER

L'évasion. – Henri, libre, retourne au calvinisme. – Le frère et la sœur. – Le traité de Beaulieu et ses conséquences. – Naissance et organisation de la Ligue. – Situation difficile. – Esprit politique de Henri. – Sa correspondance avec les Rochelais. – Séjour à La Rochelle. – Lettre du roi de France à Montluc. – Le roi de Navarre, le maréchal de Damville et les «politiques». – Lettre de Henri à Manaud de Batz. – Requête des Bordelais.

«Le vendredi, 3e février (1576), dit le journal de P. de l'Estoile, messire Henri de Bourbon, roi de Navarre, qui toujours avait fait semblant, depuis l'évasion de Monsieur, d'être en mauvais ménage avec lui et n'affecter aucunement le parti des huguenots, – ayant gagné ce point, par sa dextérité et bonne mine, que les plus grands catholiques, ennemis jurés des huguenots, voire jusques aux tueurs de la Saint-Barthélemy, ne juraient plus que par la foi que lui devaient, – sortit de Paris, sous couleur d'aller à la chasse en la forêt de Senlis, où il courut un cerf le samedi, et renvoya un gentilhomme nommé Saint-Martin, que le roi lui avait donné, lui porter une lettre en poste. Et, partant de Senlis, sur le soir, accompagné des seigneurs de Lavardin, de Fervaque et du jeune La Valette, auparavant affectionnés partisans du roi, prit le chemin de Vendôme, puis alla à Alençon, où il abjura la religion catholique en plein prêche, et de là se retira au pays de Maine et d'Anjou, où il commença à prendre le parti de Monsieur et du prince de Condé, son cousin, reprenant la religion qu'il avait été contraint, par force, d'abjurer à Paris, et recommençant l'ouverte profession d'icelle, par un acte solennel de baptême, tenant la fille d'un médecin au prêche.

«Bruit fut à Paris que ledit roi de Navarre, depuis son partement de Senlis jusqu'à ce qu'il eût passé la rivière de Loire, ne dit mot; mais aussitôt qu'il l'eut passée, jetant un grand soupir et levant les yeux au ciel, dit ces mots: «Loué soit Dieu, qui m'a délivré! On a fait mourir la reine, ma mère, à Paris, on y a tué M. l'amiral et tous mes meilleurs serviteurs; on n'avait pas envie de me mieux faire, si Dieu ne m'eût gardé. Je n'y retourne plus, si on ne m'y traîne.» L'Estoile ajoute ce qu'il appelle un «vrai trait de Béarnais». Deux jours avant son évasion, comme des soupçons planaient sur lui, parce qu'il avait passé une nuit hors de Paris, il se présenta, le lendemain, au roi et à la reine-mère, affecta de plaisanter sur sa fuite, et déclara qu'il n'aspirait qu'au bonheur de vivre et de mourir à leurs pieds. Il fallait jouer ce jeu-là avec la Florentine et sa cour.

La chronique de l'Estoile, bonne à citer pour sa saveur, raconte, avec une exactitude relative, l'évasion du roi de Navarre. Elle ne fut ni improvisée, comme le donne à entendre un récit d'Agrippa d'Aubigné, ni déterminée par ses exhortations, d'ailleurs éloquentes16. Henri, depuis longtemps, songeait à reprendre sa liberté, et il épiait l'heure favorable; nous avons à cet égard des témoignages décisifs. Au mois de janvier, il écrivait à Jean d'Albret, baron de Miossens: «La cour est la plus étrange que vous l'ayez jamais vue. Nous sommes presque toujours prêts à nous couper la gorge les uns aux autres. Nous portons dagues, jaques de mailles et bien souvent la cuirassine sous la cape… Le roi est aussi bien menacé que moi; il m'aime beaucoup plus que jamais. M. de Guise et M. du Maine ne bougent d'avec moi… En cette cour d'amis, je brave tout le monde… Toute la ligue que savez me veut mal à mort… Je n'attends que l'heure de donner une petite bataille, car ils disent qu'ils me tueront, et je veux gagner les devants. J'ai instruit bien au long Sévérac de tout.»

Cette lettre, où l'esprit de décision se montre à chaque ligne, même et surtout sous les formes ironiques du langage, n'est pas d'un prince qui ait eu besoin d'être poussé ou même inspiré par d'Aubigné ni par aucun autre conseiller. Henri utilisa souvent et avec grand profit les lumières de ses amis et de ses serviteurs, mais il ne fut jamais à court d'idées ou de résolutions. Que ceci soit dit une fois pour toutes.

Il faut peu de mots pour compléter et rectifier le récit de l'Estoile. Le roi de Navarre, après sa partie de chasse, prenait quelque repos dans les faubourgs de Senlis, et se disposait à exécuter son dessein, lorsque, dans le but de gagner du temps, il envoya le capitaine Saint-Martin à Henri III, avec une lettre portant «que, sur les avis qu'on lui donnait que la reine-mère conseillait au roi de le retenir, il demeurait à Senlis pour être éclairci de sa volonté». Saint-Martin, qui était l'homme de Henri III, non celui du roi de Navarre, ne se douta pas du stratagème et partit à franc étrier. Un instant après, Henri se débarrassait d'un autre gardien, M. d'Espalungue, chargé d'apporter au roi un second message. Des bateaux étaient prêts pour le prince et sa petite escorte, composée des gentilshommes dont l'Estoile donne les noms et de quelques autres, parmi lesquels Rosny (plus tard Sully), Gramont et d'Aubigné. Pendant que ses messagers couraient les chemins, Henri les courait aussi, en sens inverse. «Il y eut de la peine, raconte d'Aubigné, à démêler les forêts, en une nuit très obscure et fort glaceuse; le secours de Frontenac lui fut, en cela, fidèle et bien à propos. Il passe donc l'eau au point du jour, à une lieue de Poissy, perce un grand pays de Beauce, tout semé de chevau-légers, repaît deux heures à Châteauneuf, là prend son maréchal des logis L'Espine pour guide, à l'heure que les compagnies pouvaient être averties, et le lendemain, il entre, d'assez bonne heure, dans Alençon. Au matin d'après, son médecin Caillard lui offre son enfant, afin qu'il fût de sa main présenté au baptême, ce qu'il accepta; et cette nouveauté le fit recevoir sans nulle autre façon ni cérémonie. On chanta, ce jour-là, au prêche, le psaume qui commence: Seigneur, le roi se réjouira d'avoir eu délivrance. Ce prince s'enquit si on avait pris ce psaume exprès pour sa bienvenue…» Il n'en était rien.

D'Alençon Henri se rendit à La Flèche, puis à Saumur, où il déclara solennellement que «tout ce qu'il avait fait sur le changement de sa religion était pure force et contrainte, et, partant, que la liberté de sa personne lui rendant celle de sa volonté, il remettait aussi son âme en l'exercice de sa première créance». Henri III lui fit tenir plusieurs messages conçus en termes persuasifs, pour l'inviter à revenir à la cour; mais ces démarches n'arrêtèrent pas un instant le roi de Navarre. Il mit à profit, cependant, les dispositions amicales de son beau-frère, pour obtenir que la princesse de Navarre, sa sœur, fût autorisée à le rejoindre. Catherine et Henri se rencontrèrent à Parthenay. En passant à Châteaudun, la princesse avait repris publiquement, comme son frère, l'exercice de la religion calviniste.

Aucune grande entreprise ne se dessinait, en ce moment, contre la cour; mais, de quelque côté que Catherine de Médicis tournât ses regards, elle ne voyait que des ennemis ou des mécontents à la veille de l'être. A la rigueur, elle pouvait combattre, et la coterie des Guises l'y poussait; mais Henri III ne se souvenait guère des penchants belliqueux de sa première jeunesse, et, d'ailleurs, la reine-mère comptait moins sur ses armées que sur les ressources de sa diplomatie. Cette diplomatie sans scrupules consistait généralement dans un magnifique étalage de promesses et dans la défection à beaux deniers de quelques adversaires de la cour.

Le traité conclu, au mois de mai, au couvent de Beaulieu, près de Loches, et qu'on nomme aussi la «paix de Monsieur», fut conçu dans ces principes. Le roi de Navarre, le prince de Condé, le duc d'Alençon et le prince Casimir déposaient ou étaient censés déposer les armes, aux conditions les plus favorables, en apparence. Néanmoins, il se trouva que Monsieur était acheté au prix d'un beau supplément d'apanage, et le prince Casimir manifestement soudoyé; le faisceau des hostilités ainsi rompu, les protestants obtenaient des satisfactions platoniques et quelques avantages réels, mais dont l'énumération détaillée importe peu à l'histoire, puisque cette paix, qui devait être éternelle comme les autres, fut violée aussitôt que publiée. Dès le mois de juin, en effet, les huguenots surprenaient La Charité, au moment où le roi tenait un lit de justice pour l'établissement des Chambres mi-parties17, qui était une des stipulations du traité. Quant aux reîtres de Casimir, ils ne repassèrent la frontière que trois mois plus tard, à moitié payés et nantis de gages sérieux pour le complément de la dette royale. Mais la conséquence la plus grave de la paix de Beaulieu fut l'émotion dangereuse qu'elle provoqua parmi les catholiques, et qui aboutit à l'organisation définitive, plus encore, à la première levée de boucliers de la Ligue. Les principaux faits qui caractérisent l'éclosion de cette nouvelle puissance doivent trouver place dans notre récit.

Aux termes du traité de Beaulieu, d'Humières, gouverneur de Péronne, reçut l'ordre de remettre cette place au prince de Condé. Péronne devenait un centre protestant qui pouvait attirer tous les fléaux de la guerre sur la Picardie, voisine des Pays-Bas. Le gouverneur, arguant de ce motif, dont fut frappé l'esprit des Picards, refusa de livrer Péronne, et toute la province fut invitée à former une ligue catholique analogue à celle qui s'était organisée, sous le règne précédent, en Bourgogne et en Guienne. Il y avait pourtant cette différence, que les ligues formées sous Charles IX par les gouverneurs devaient obéir au roi, et que les nouveaux ligueurs, sans s'élever contre l'autorité royale, s'apprêtaient, quoi qu'il arrivât, à agir contre les édits. L'incapacité du roi était posée en principe ou prévue, et la nouvelle ligue voulait être en mesure de prendre en mains la défense de la religion et du pays. Telles étaient les vues d'un grand nombre d'associés, vues hardies mais en partie légitimes; malheureusement, elles se modifièrent avec le temps, et les faits démontrèrent bientôt que la ligue était, pour les principaux meneurs, un instrument de domination et d'usurpation. Plusieurs associations ne tardèrent pas à se former à l'exemple de celle de Péronne. Celle du Poitou se montra des plus actives. La ligue parisienne fut organisée sous le patronage discret des Guises, dont elle devait servir si violemment la politique factieuse. Toutes ces ligues, d'abord distinctes, furent bientôt en correspondance les unes avec les autres, et arrivèrent à n'en former qu'une seule, qui embrassa la France entière.

 

Le texte des célèbres statuts de la ligue de Picardie, copié sur l'original par le Père Louis Maimbourg, est noté à l'Appendice18. Cette formule fut généralement adoptée, dans la suite, par tous les ligueurs de France. Ce qui en ressort avec une parfaite évidence, c'est la création d'un Etat dans l'Etat; aussi s'explique-t-on difficilement l'aberration du pouvoir royal, qui ne prévit pas les conséquences d'un tel acte, ou qui, les prévoyant, crut les conjurer, peut-être en profiter, par son adhésion. Eternelle histoire des gouvernements qui doivent périr: ils s'imaginent lier à leur joug, par le patronage, l'idée ou le parti qui sera l'instrument de leur perte!

Entre la signature du traité de Beaulieu et les résolutions prises aux Etats de Blois, dont nous parlerons à leur date, la situation fut difficile pour le roi de Navarre. Il y avait dans les faits une telle inconsistance, qu'il en pouvait résulter de l'incohérence dans son esprit. Mais, quoiqu'il eût à peine atteint sa vingt-troisième année, qu'il eût des ressources très bornées et peu d'amis à toute épreuve, il traversa, avec quelque bonheur, cette année de tâtonnements et d'aventures.

Une fois libre, il s'empressa de ressaisir, au moins par sa correspondance, le gouvernement de ses Etats, pendant que les négociations relatives à la paix lui faisaient un devoir d'en rester encore éloigné. La paix conclue, bien qu'il n'eût guère confiance dans les promesses de Catherine, il prit à l'égard de l'édit une attitude que nous lui verrons conserver systématiquement envers tous ceux qui suivirent: il en recommanda, publiquement et en particulier, la stricte observation à tous ses gouverneurs et officiers. C'était le début d'un esprit essentiellement politique et qui devait surpasser de beaucoup la plupart de ceux de son temps. Cette direction donnée à ses amis et à tous ses partisans, il se sentit attiré à La Rochelle, qui lui rappelait tant de souvenirs et qu'il savait être restée la vraie capitale de ce qu'on aurait pu appeler l'Etat calviniste français. De Niort et de Surgères, il écrivit aux «maire, échevins et pairs de La Rochelle». Devenus méfiants, depuis son abjuration, pourtant forcée, ils lui avaient envoyé, sur son désir de les visiter, des députés chargés de pénétrer ses intentions.

La glace ne fut pas rompue du premier coup, mais elle le fut enfin par la lettre du 26 juin, pressante, cordiale, et qui émut les Rochelais, très heureux, en somme, de revoir dans leurs murs le fils de cette grande Jeanne d'Albret qu'ils avaient tant aimée et admirée. Henri leur disait: «Désirant vous aller visiter, comme mes bons amis, avant que je m'éloigne de ces quartiers, d'autant que je suis contraint d'aller bientôt en Guienne, je ne veux point que, pour le présent, vous me fassiez aucune entrée, comme aussi je ne veux, cette fois, entrer comme gouverneur et lieutenant-général pour le roi: encore moins voudrais-je préjudicier aucunement à vos privilèges, ni au traité de la paix… Je n'entends aussi y établir aucun gouverneur, mais visiter privément comme ami, avec ma maison seulement, suivant la liste que je vous ai envoyée. Et n'y mènerai personne qui puisse être suspect et dont je ne réponde…»

Les Rochelais ne s'en tinrent pas au cérémonial de réception tracé dans ce billet. Sully nous apprend que, hormis la présentation du dais, ils rendirent au roi de Navarre tous les honneurs qu'ils auraient pu rendre au roi de France. En revanche, ils refusèrent d'accueillir quelques-uns des catholiques qui étaient à sa suite, quand ils surent que ces gentilshommes avaient trempé dans les massacres de la Saint-Barthélemy.

Rapproché de son gouvernement de Guienne et de ses pays souverains, le roi de Navarre entretint avec ses partisans de plus fréquentes et de plus fructueuses relations. Mais il y avait été précédé par les instructions de Henri III: «Je suis averti», écrivait le roi au maréchal de Montluc, que «le roi de Navarre a pris le chemin pour aller à mon pays de Guienne, où je sais qu'il n'aura faulte d'adhérents et serviteurs, tant à cause des grands biens qu'il y possède que pour plusieurs autres causes et considérations; au moyen de quoi, s'il ne trouve personne audit pays d'autorité et qualité, tel qu'il est nécessaire, pour donner opposition et empêchement à ses entreprises, je crains grandement qu'il en advienne de grands inconvénients à mon service. Partant, je vous prie vous employer pour me faire quelque bon et notable service, afin que mondit cousin trouve les choses mieux disposées pour mon service qu'il ne se promet…»

Un des premiers soins de Henri fut de tâcher d'établir une entente parfaite entre lui et le maréchal de Damville, gouverneur de Languedoc, ce chef militaire des politiques qui plus tard devait répudier l'alliance calviniste et, plus tard encore, embrasser la cause de Henri pour la servir jusqu'au triomphe. Le maréchal venait de convoquer l'assemblée des députés des provinces méridionales, composée de représentants de la noblesse et du Tiers-Etat, de magistrats et de ministres huguenots. Par leurs délibérations, ces députés pouvaient apporter un appui efficace au gouverneur dans la plupart de ses actes de politique ou d'administration. Henri avait donc un grand intérêt à entretenir des relations suivies et amicales avec Damville: il tendait logiquement à devenir lui-même le chef supérieur des politiques, comme il était celui des huguenots, et l'assemblée convoquée par le maréchal allait agiter des questions dont plusieurs pouvaient être de premier ordre. Aussi le roi disait-il à Damville, le 16 juin, après avoir loué la «bonne et sainte convocation» qu'il venait de faire: «J'espère envoyer bientôt mes députés pour me joindre à un si bon œuvre, duquel nous devons attendre beaucoup de fruit, y intervenant l'autorité de Monsieur et la présence de tant de gens de bien»; et il ajoutait: «Je m'achemine tant que je puis en mon gouvernement, et ce qui me fait plus désirer de passer de là est l'envie que j'ai de vous voir et communiquer avec vous de plusieurs choses concernant le bien commun de ce royaume et principalement de notre parti».

Avant de quitter La Rochelle, où il séjourna peu de temps, en compagnie de Catherine de Bourbon, le roi de Navarre fit tenir un certain nombre de messages écrits ou verbaux à des personnages influents du gouvernement de Guienne, du duché d'Albret et de l'Armagnac, afin d'aller moins à l'aventure quand il aborderait ces pays, qui ne le connaissaient plus guère que de nom. La lettre suivante, adressée à un seigneur catholique, Manaud de Batz, qui fut bientôt un de ses plus valeureux partisans, donne le ton à la fois royal et insinuant de cette correspondance: «Monsieur de Batz, je vous veux bien faire savoir qu'êtes sur l'état de la défunte reine, ma mère, de ceux-là à elle appartenant et de tout temps bons amis et serviteurs des siens. Par quoi, faisant état de votre bonne volonté, je vous prie faire et croire ce que vous dira M. d'Arros de ma part. Et serai bientôt à même de connaître les véritables gens de cœur qui se voudront acquérir honneur pour bien faire avec moi; entre lesquels je fais état de vous trouver toujours… – Je vous prie m'assurer vos amis et me venir voir à mon passer à Auch, partant de ce pays de La Rochelle19».

Etant encore à La Rochelle, le roi de Navarre reçut du maire et des jurats de Bordeaux une requête à laquelle il s'empressa de faire droit, sans se douter que, peu de temps après, cet acte de bienveillance serait payé d'ingratitude par la capitale de la Guienne. Nous citons le texte royal, comme nous le citerons toutes les fois qu'il pourra sans inconvénient s'intercaler dans notre récit: plût à Dieu que Henri IV eût écrit son histoire tout entière! «Monsieur de Bajaumont, ordonne le roi de Navarre au général (trésorier général) d'Agenais, les maire et jurats de Bordeaux m'ont fait entendre qu'il a été mené en la ville d'Agen quelques pièces d'artillerie, balles, poudres et matériaux qui leur appartiennent. Maintenant qu'il a plu à Dieu nous donner la paix, ils désireraient que le tout leur fût rendu et restitué. A cette cause, désirant la conservation de ladite ville de Bordeaux, comme plus importante pour le pays de Guienne, je vous prie ordonner de restituer lesdites pièces, balles, poudres, etc.»

CHAPITRE II

Henri à Brouage et à Périgueux. – Séjour à Agen. – Entrevues politiques. – Du Plessis-Mornay. – Conquêtes pacifiques. – Surprise de Saint-Jean-d'Angély par le prince de Condé. – La convocation des Etats-Généraux. – Les députés calvinistes. – Henri à Nérac. – Démarche de la reine-mère. – Bordeaux ferme ses portes au roi de Navarre. – Exhortation aux Bordelais. – Les Etats de Blois. – Le vote contre l'hérésie. – Protestation des députés calvinistes. – La triple députation. – Révocation de l'édit de Beaulieu. – Henri III approuve et signe la Ligue. – Reprise des hostilités. – Protestation de Condé et manifeste du roi de Navarre. – L'aventure d'Eauze. – La pitié sous les armes. – Le «Faucheur». – Les affaires de Mirande, de Beaumont-de-Lomagne et du Mas-de-Verdun. – Henri et les pauvres gens. – Jean de Favas. – L'attentat de Bazas. – Prise de La Réole. – Attaque de Saint-Macaire.

Henri partit de La Rochelle, le 4 juillet, pour visiter son gouvernement. «Il voulut, dit d'Aubigné, commencer par Brouage, où Mirambeau le traita en toute magnificence, notamment avec quantité d'oiseaux inconnus à ceux de sa suite, et sur le soir, lui fit voir le combat d'un grand navire plein de Mores, combattu en diverses manières, par quatre pataches, enfin brûlé, l'équipage à la nage; cela fait avec les plus exquis artifices de feu. De là il passe à Montguyon, d'où, après pareil traitement, il s'achemine à Périgueux. Ceux de la ville lui donnèrent, pour toute entrée, un arc très haut, sans feuillure, peint de noir, et au milieu, un écriteau blanc qui disait: Urbis deforme cadaver. Un écuyer qui allait devant son maître lui dit que c'était la plus belle entrée où il l'eût jamais accompagné, à cause de ces trois mots, lesquels lui étant commandé d'expliquer, il s'en excusa sur ce qu'il n'y avait point de mots français pour les exprimer.» Cette inscription lugubre et la boutade de l'écuyer, qui n'était autre que d'Aubigné lui-même, sont deux traits caractéristiques de la misérable situation à laquelle beaucoup de provinces avaient été réduites par la guerre civile.

Le roi de Navarre fit un long séjour à Agen. Ce fut, pendant près de deux années, sa capitale provisoire. En arrivant dans cette ville, il y trouva un grand nombre de gentilshommes catholiques, ayant à leur tête le vieux maréchal de Montluc. Ils étaient venus pour lui rendre hommage et prendre ses ordres. «Vous ne sauriez croire», dit-il dans une lettre à Damville du 26 août, «combien ils se sont accordés avec ceux de la religion qui m'y sont pareillement venus trouver. Et tous ensemble ont promis et juré solennellement, en présence du sieur de Chémeraut, qui y est venu de la part du roi, l'entière et inviolable observation de la pacification et de courir sus au premier qui y contreviendrait.» La Noue vint aussi à Agen pour conférer avec le roi, de la part de Monsieur, et il s'y rencontra avec le conseiller de Foix, en ce moment l'homme de la cour, mais pourtant ami du roi de Navarre. Ce fut dans une conversation avec ces deux personnages, que Henri, ayant entendu faire l'éloge de Du Plessis-Mornay, fut pris du désir de le voir et d'utiliser ses talents. On sait quel grand serviteur il acquit en sa personne.

 

Bien établie dans Agen, l'autorité du roi de Navarre s'étendit aux alentours; Villeneuve-sur-Lot, entre autres places fortes, lui fut gagnée, sans la moindre violence, par l'entremise de Cieutat et le bon vouloir de beaucoup de catholiques, séduits par la modération et la spirituelle bonhomie du roi. Pendant qu'il faisait ces pacifiques conquêtes, son cousin, le prince de Condé, à qui le roi avait donné Saint-Jean-d'Angély, en échange de Péronne, devenue le berceau de la Ligue, était leurré de belles promesses. Angoulême avait fermé ses portes aux commissaires royaux chargés de faire exécuter l'édit, et Condé s'était plaint inutilement de ce refus d'obéissance. Il se plaignit aussi des difficultés qu'il rencontrait à Saint-Jean-d'Angély; mais déterminé, cette fois, à n'être pas dupe, il introduisit, un à un, cent vingt hommes dans la place, où les huguenots, d'ailleurs, étaient nombreux, et lorsque les catholiques s'aperçurent de la présence de ces intrus, ils furent obligés de se soumettre. «Tout cela pourtant, dit d'Aubigné, ne se put faire avec tant de modestie, que la cour ne s'en inquiétât: ce qui fit regarder chacun à sa mèche, hâter les convocations pour les Etats et dépêcher de toutes parts, pour éveiller les endormis, adoucir les réformés et les diviser où il se pourrait.»

La tenue des Etats-Généraux, convoqués le 16 août, était la grande préoccupation du pays. La cour avait l'espoir d'y reprendre quelques-unes des concessions qu'elle avait faites aux calvinistes; la Ligue, déjà entrée dans l'action, se préparait à dicter des lois à la royauté; quant aux protestants, menacés des deux parts, ils s'irritaient d'avance, à la pensée des futures délibérations. Lorsque, dans leurs négociations pour la paix et dans leurs assemblées particulières, ils avaient presque unanimement réclamé cette convocation, la Ligue ne se dressait pas encore devant eux, ou, tout au moins, ils étaient loin d'en prévoir la puissance. Plus la date fixée s'avançait, plus ils comprenaient qu'une fois encore leur existence serait mise en question. Aussi, le roi de Navarre et le prince de Condé désignèrent-ils des députés pour soutenir devant l'assemblée les intérêts de la cause calviniste et faire, dès le début, des remontrances au sujet des graves défauts de forme signalés dans le mode de convocation. Nous dirons plus tard comment ces députés accomplirent leur mission, ou plutôt comment ils furent empêchés de l'accomplir. Nous devons auparavant noter quelques incidents antérieurs à la réunion des Etats, et qui accusent le parti pris de la Ligue et de la cour d'acculer les huguenots à ce dilemme: la soumission absolue ou la guerre.

Le roi de Navarre avait reparu à Nérac, destiné à devenir bientôt sa résidence favorite. Il visita la plupart des villes du duché d'Albret et de l'Armagnac, et y prit des mesures de prévoyance par la nomination de gouverneurs à sa dévotion et l'introduction de garnisons bien commandées. Il travaillait, de la sorte, à s'assurer ces pays remuants, tout en surveillant de son mieux les manœuvres de la cour et de la Ligue, et se tenant en relations suivies avec Damville et Condé, lorsque, au mois de septembre, la reine-mère lui fit exprimer le désir d'avoir avec lui, à Cognac, une entrevue où devaient être présents Monsieur et la reine de Navarre. Henri, allant à ce rendez-vous, désira visiter, en passant, Bordeaux, capitale de son gouvernement de Guienne. Il était arrivé à Casteljaloux: la cour de parlement de Bordeaux, effrayée de l'émotion que ce projet avait fait naître dans la population bordelaise, envoya au prince une députation pour le complimenter, et surtout pour le supplier de ne pas entrer dans la ville. On lit dans le procès-verbal du Parlement: «… Avons été députés respectivement pour venir vers le roi de Navarre lui remontrer et supplier très humblement que, s'il a délibéré de venir bientôt en ladite ville, il lui plaise, pour les divers bruits et rumeurs qui y courent, le remettre en un autre temps que les habitants y seront mieux composés; même pour lui pouvoir plus dignement rendre l'honneur, l'obéissance et service qu'ils sont tenus et que ladite cour de parlement, lesdits maire et jurats et autres administrateurs de ladite ville désirent et reconnaissent lui être dus et appartenir.»

Henri comprit, par la démarche de la cour de parlement, que l'heure était venue pour lui de se tenir plus que jamais sur ses gardes. Qu'il ressentît vivement l'affront que lui faisaient les magistrats de Bordeaux, cela n'est point douteux; mais il avait fait ample provision de patience, pendant sa captivité, et sa politique ne fut nullement déconcertée par cet incident. Le 31 octobre 1576, il écrivit d'Agen aux maire et jurats de Bordeaux, au sujet de l'assemblée des Etats, les engageant, dans l'intérêt du royaume, à mettre de côté les haines et les antipathies, «comme je fais de ma part, ajoutait-il, laissant tout le déplaisir que j'ai eu l'occasion de recevoir du refus qui m'a été fait de passer par votre ville, combien qu'il ait produit de mauvais effets… – Je vous prie, par un contraire exemple, que chacun se contienne en son devoir et que dorénavant l'autorité du roi mon seigneur soit mieux reconnue en moi qu'elle n'a été par le passé, vous assurant qu'elle n'a jamais été et ne sera en mains de personne qui porte plus d'affection à votre bien et soulagement que je ferai».

Le roi de Navarre était sincère lorsqu'il faisait de semblables appels à la concorde, puisque les sentiments qu'il exprimait le desservaient auprès d'un grand nombre de ses coreligionnaires et le mettaient souvent en désaccord avec le prince de Condé, beaucoup plus âpre que lui dans ses revendications. Heureuse la France, si elle eût entendu le langage de ce roi de vingt-trois ans! Elle n'en comprit la sagesse que bien tard, mais dès qu'il fut arrivé à son cœur, les jours d'honneur et de prospérité revinrent illustrer son histoire.

L'œuvre des Etats-Généraux réunis à Blois, le 16 novembre, ne fut pas l'aurore de ces beaux jours. Les partisans de la Ligue y formaient la majorité, et ce n'était un secret pour personne que Henri III avait résolu de s'en déclarer le chef. Peu après l'ouverture des Etats, qui eut lieu le 6 décembre, et où brillèrent, assure-t-on, les qualités oratoires du roi de France, les députés du roi de Navarre et du prince de Condé se disposaient à faire leurs remontrances, quand ils jugèrent prudent d'y renoncer, sur la réflexion qu'ils firent que, par cet acte, ils reconnaîtraient, au nom des deux princes, la légitimité de l'assemblée. Ils s'abstinrent donc de siéger et se bornèrent à faire imprimer leurs protestations.

Le quinzième jour de la tenue, on mit en délibération, dans le Tiers-Etat, l'article qui proscrivait l'hérésie et contre lequel s'éleva énergiquement Jean Bodin, député de Vermandois. Le vingt-sixième jour, cet article fut voté. Il portait: «Que le roi serait supplié de réunir tous ses sujets à la religion catholique et romaine par les meilleures et plus saintes voies que faire se pourrait; d'ordonner que l'exercice de la religion prétendue réformée fût défendu tant en public qu'en particulier, et que les ministres, diacres, surveillants, sortissent du royaume dans le temps que le roi marquerait, nonobstant tous édits faits au contraire».

Comme on était résolu, selon le Père Daniel, «de mettre le roi de Navarre, le prince de Condé et le maréchal de Damville dans leur tort, on convint que les trois ordres leur enverraient chacun leurs députés, pour les inviter à venir aux Etats, à consentir à l'article principal de la défense de l'exercice de toute autre religion que de la catholique, et pour exhorter les deux princes à donner l'exemple à ceux de leur parti, en rentrant eux-mêmes dans le sein de l'Eglise».

Cette triple députation n'était donc qu'une formalité destinée à faire retomber, aux yeux du pays, la responsabilité des luttes prochaines sur les partis dissidents. La guerre avait déjà recommencé, ou plutôt elle n'avait jamais complètement cessé, dans la plupart des provinces. La cour avait tout fait, d'ailleurs, pour la rallumer. Aussitôt après le vote de l'unité de religion par les Etats, et bien avant l'envoi des députés aux princes et au maréchal, Henri III s'était empressé de révoquer l'édit de Beaulieu. En même temps, il signait la Ligue, la faisait signer à Monsieur, s'en déclarait le chef et prenait des mesures pour la faire recevoir dans les provinces qui n'y avaient pas encore adhéré. Or, ces actes significatifs, qui se produisirent dans les premiers jours de l'année 1577, étaient venus eux-mêmes après la trahison d'Albert de Luynes. Ce lieutenant de Damville livra le Pont-Saint-Esprit aux troupes royales, et en même temps, Thoré-Montmorency, frère du maréchal, était victime d'une arrestation arbitraire. Ces deux faits avaient motivé les réclamations du roi de Navarre, aussi mal accueillies par Henri III que les plaintes touchant les mauvais procédés de l'amiral de Villars, lieutenant-général en Guienne, et le refus outrageant des Bordelais. Tous ces dénis de justice, succédant aux menaces de la Ligue, déjà colportées dans le pays et aggravées encore par l'adhésion de la cour, comme par le vote dont nous avons parlé, avaient provoqué les fougueuses protestations du prince de Condé et un manifeste très digne et très ferme du roi de Navarre. Dans ce document, daté d'Agen, 21 décembre, et adressé à la noblesse, aux villes et communautés du gouvernement de Guienne, Henri se plaint des intrigues de l'amiral de Villars pour lui faire fermer les portes de Bordeaux; il rappelle la trahison du Pont-Saint-Esprit et quelques menées significatives, et il termine par ces belles déclarations: «La religion se plante au cœur des hommes par la force de la doctrine et persuasion, et se confirme par l'exemple de vie et non par le glaive. Nous sommes tous Français et concitoyens d'une même patrie; partant, il nous faut accorder par raison et douceur, et non par la rigueur et cruauté, qui ne servent qu'à irriter les hommes… – Prenons donc cette bonne et nécessaire résolution de pourvoir à notre conservation générale contre les pratiques et artifices des ennemis de notre repos… En quoi je n'épargnerai ma vie.»

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