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Henri IV en Gascogne (1553-1589)

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Tout en laissant voir son goût pour la paix, le roi de Navarre travaillait à se fortifier, soit en vue de la rendre meilleure pour lui, quand elle viendrait en discussion, soit en prévision de luttes futures et probables. Il avait, depuis quelque temps, des conseillers et des négociateurs en quête de ressources et d'alliances: la tâche était ardue, mais Du Plessis-Mornay et Ségur s'y employèrent avec tant d'ardeur, qu'ils en arrivèrent, dans la suite, à agiter une partie de l'Europe en faveur de leur cause. En attendant ces grands résultats, la diplomatie naissante du roi de Navarre contribua, dans une notable mesure, à la formation d'une contre-ligue entre les calvinistes français, Elisabeth d'Angleterre, les rois de Suède et de Danemark, les Suisses et les princes protestants d'Allemagne. Cette association, dont les bases furent jetées au mois de février 1577, se perpétua et s'accentua dans les années suivantes; la correspondance du roi de Navarre nous en fera connaître, de temps en temps, les projets un peu vagues et les actes souvent indécis. L'existence de la contre-ligue n'eut pour effet, dès le début, que d'irriter la cour de France et de hâter les préparatifs de la guerre qu'elle avait résolu de faire aux huguenots et à leurs alliés. Au moment où le prince de Condé partait pour une expédition incohérente aux Sables-d'Olonne, Henri III mit sur pied deux armées, qui prirent sur-le-champ l'offensive: l'une occupa le Poitou et la Saintonge, sous le commandement du duc de Mayenne; l'autre, sous les ordres de Monsieur, duc d'Alençon et d'Anjou, remonta le cours de la Loire. Les premiers coups furent portés par Monsieur. Il entra, le 1er mars 1577, par composition, dans La Charité, et, de là, il marcha vers Issoire, en Auvergne; après un siège de trois semaines, un sanglant assaut mit, le 12 juin, cette place au pouvoir de l'armée royale, qui s'y livra à toutes les fureurs de la guerre. Là se bornèrent les exploits du duc d'Anjou. La campagne de Mayenne fut plus longue et non moins heureuse. Après avoir fait lever le siège de Saintes au prince de Condé, qui ne réussissait nulle part, il prit Tonnay-Charente et Marans, inquiéta La Rochelle et entreprit le siège de Brouage. Ce port, héroïquement défendu pendant deux mois, comptait sur un double secours; celui de mer ne put lui parvenir, surveillé et constamment repoussé par Lansac de Saint-Gelais; Condé, en mésintelligence avec le roi de Navarre, ne sut pas faire arriver le secours de terre. Brouage se rendit le 28 août.

Il ne tint pas au roi de Navarre que les événements ne prissent une meilleure tournure. Quoiqu'il eût beaucoup de peine à défendre ses intérêts en Guienne et en Gascogne, il tenta des efforts pour aller s'opposer aux succès de Mayenne; mais les entreprises du prince de Condé, qui tendait de plus en plus à faire bande à part, n'inspiraient qu'une médiocre confiance aux partisans de Henri, surtout aux catholiques. Ils étaient d'ailleurs fort occupés dans leurs propres foyers, où ils avaient à compter avec les troupes de Villars. Henri se multipliait: en personne ou par ses lieutenants, il était toujours en campagne, si bien que l'histoire a dû renoncer à l'ordre chronologique, pour la plupart des faits de guerre auxquels nous faisons allusion21. Le roi n'en essaya pas moins de réunir des forces pour défendre la cause commune. Plusieurs lettres de ce prince, datées des mois de juin et de juillet, révèlent son projet de se joindre aux troupes calvinistes, dont Mayenne devait finir par triompher. Ce projet avorta, et nous n'en avons guère d'autres traces que quelques ordres d'acheminement sur Bergerac, et six lignes de d'Aubigné sur un mouvement du roi de Navarre, «qui allait passer la Garonne avec ce qu'il pouvait ramasser, pour tendre vers Bergerac, où il faisait aussi acheminer les forces du Quercy et du Limousin, pour venir à la conjoincture du prince de Condé, du duc de Rohan, du vicomte de Turenne, du comte de La Rochefoucaud, tous mandés pour faire un rendez-vous à Bergerac.» D'Aubigné ajoute que «ce dessein tira en longueur, pour les violentes occupations du prince de Condé et la besogne qu'on lui tendait en Saintonge».

Les affaires des calvinistes allaient donc aussi mal que possible: ils ne comptaient que des échecs, depuis l'entrée en campagne des deux armées royales, et leur peu d'entente rendait leur situation encore plus précaire. Condé visait ouvertement à l'indépendance, sinon à la prééminence; le maréchal de Damville, voyant son alliance avec les huguenots de son gouvernement porter des fruits de rébellion, servir des desseins qui tendaient à créer de petites républiques au sein du royaume, s'était séparé du parti, dès le mois de mai. Enfin, le roi de France semblait n'avoir devant lui que des adversaires déjà vaincus ou à la veille de l'être; et ce fut pourtant à ce moment que les idées de paix reprirent faveur à la cour.

«Après tout, dit le Père Daniel, quoique le roi n'eût pu déclarer avec plus d'éclat qu'il avait fait dans les Etats, la résolution où il était de pousser les huguenots et de ne plus souffrir désormais, dans son royaume, l'exercice de la religion calviniste, on vit bientôt son ardeur se ralentir à cet égard; il écouta les avis du duc de Montpensier et de quelques autres du Conseil qui le portaient à la paix et lui faisaient envisager la ruine entière de son royaume dans la continuation de la guerre. Ce duc négociait toujours avec le roi de Navarre et était secondé des sieurs de Biron et de Villeroi, qui trouvaient ce prince toujours fort disposé à la paix, mais ferme et inébranlable sur l'article de l'exercice public de la religion protestante dans le royaume, quoiqu'il ne refusât pas d'admettre quelque tempérament dans l'édit de pacification.» Les déclarations suivantes, adressées par Henri au duc de Montpensier, pendant la conférence de Bergerac, marquaient bien ses vues conciliantes: «… Je veux vous témoigner, et à toute cette bonne compagnie, que je désire tant la paix et repos de ce royaume, que je sais bien que, pour la conservation et la tranquillité publique, il y a des choses qui ont été accordées à ceux de la religion par l'édit de pacification dernier, qui ne peuvent pas sortir leur effet et doivent être diminuées et retranchées. Et, pour cette occasion, je ne fauldrai, à la prochaine assemblée qui se doit faire à Montauban, de le remontrer… Voulant bien vous assurer de rechef que je désire tant la paix et repos de ma patrie que je ferai mentir ceux qui m'ont voulu calomnier… offrant de m'en aller et me bannir pour dix ans de la France… si l'on pense que mon absence puisse servir pour apaiser les troubles qui ont eu cours jusques ici…» Les intentions du roi de Navarre ne rencontrèrent aucune opposition chez son cousin. «Le prince de Condé, après la prise de Brouage par le duc de Mayenne, voyait tous les jours ses troupes se débander. Il était mal satisfait des Rochelais, qui ne s'accordaient point entre eux, les uns souhaitant la paix, et les autres s'y opposant, et tous ou la plupart, refusant de lui accorder l'autorité qu'il souhaitait prendre dans leur ville et qu'il se croyait nécessaire pour bien conduire la guerre. Ainsi, on se rapprocha insensiblement, on convint d'une trêve, au commencement de septembre: elle fut suivie de la paix que le roi signa à Poitiers, et le roi de Navarre, à Bergerac, et puis, d'un nouvel édit de pacification différent du dernier seulement, en ce qu'il donnait un peu moins d'étendue à l'exercice public du calvinisme, et que les places de sûreté n'étaient pas tout à fait les mêmes que celles que le roi avait accordées aux calvinistes par le précédent édit; car on leur donna Montpellier au lieu de Beaucaire, et Issoire, qui avait été prise, ne leur fut pas rendue.

«Le roi de Navarre conclut cette paix, sans consulter le duc Casimir, qui s'en tint fort offensé… Pour ce qui est du prince de Condé, il en eut tant de joie, que le courrier qui lui en vint apporter la nouvelle à La Rochelle (d'autres disent à Saint-Jean-d'Angély) étant arrivé la nuit, il la fit publier sur-le-champ aux flambeaux. Les calvinistes du Languedoc, toujours en défiance de la cour, eurent plus de peine à la recevoir; mais Jean de Montluc, évêque de Valence, y ayant été envoyé par le roi, quelque temps après, ramena les esprits. Le maréchal de Damville, que la cour avait recommencé de regagner par la maréchale sa femme, accepta aussi la paix et la fit accepter dans les endroits où il était le maître.»

CHAPITRE IV

Paix illusoire. – Le nouveau lieutenant-général en Guienne. – Henri ne gagne pas au change. – Biron et l'éducation militaire du roi de Navarre. – Henri et Catherine de Médicis. – La cour de Navarre s'établit à Nérac. – L'affaire de Langon. – Le voyage de Catherine et de Marguerite en Gascogne. – Les deux reines à Bordeaux. – Henri les reçoit à La Réole. – Séjour à Auch. – La Réole livrée aux troupes royales. – L'«Escadron volant». – Surprise de Fleurance. – «Chou pour chou.» – Surprise de Saint-Emilion. – La conférence de Nérac. – Traité favorable aux calvinistes. – La cour de Nérac. – Galanteries dangereuses. – Les revanches de Catherine de Médicis. – Séductions et calomnies. – Le roi de Navarre entre les protestants et les catholiques. – Beaux traits de caractère. – Mémorable déclaration. – Départ de la reine-mère. – La chasse aux ours. – Mésaventures de la reine de Navarre à Pau.

La paix dont la conférence de Bergerac débattit les conditions fut conclue dans cette ville, le 17 septembre 1577, et confirmée, le 5 octobre suivant, par l'édit de Poitiers. Elle paraissait avoir comblé presque tous les vœux des partis en lutte, et ces partis en jouissaient à peine, qu'ils s'évertuèrent à la violer. Les provinces du midi ne désarmèrent pas; nous trouvons, dans la correspondance de Henri avec le maréchal de Damville, l'énumération des principaux troubles qui ensanglantèrent parfois le Languedoc. Dans ses lettres, le roi de Navarre affirme que partout où sa main peut s'étendre, où sa voix peut être entendue, il veille à la réparation des fautes commises par ses coreligionnaires, qui ne sont plus les alliés du maréchal. «Je voudrais bien, dit-il, que, de toutes parts, on fît de même…» Il n'en est rien: «De tous côtés, j'ai vu plusieurs plaintes de meurtre et entreprises faites contre ceux de la religion, sans qu'on leur fasse administrer la justice… Au contraire, on crie contre eux désespérément et les charge des plus grands crimes du monde.» Là-dessus il articule nettement: «On a surpris Saint-Anastase, on a tué le baron de Fougères, puis on couvre ce fait d'une querelle particulière. Sur cette nouvelle prise d'Avignonnet, on a emprisonné partout ceux de la religion, on en a tué une centaine… Je ne vois qu'on s'échauffe pour cela d'en faire justice, ni qu'on soit prompt à en faire donner avertissement au roi, comme on a accoutumé de faire pour le moindre fait de ceux de la religion.» L'énumération continue: «Voilà, conclut Henri, les plaintes que j'entends ordinairement de ceux de la religion et que j'ai bien voulu vous représenter, afin que vous les entendiez et que vous y apportiez les remèdes convenables».

 

Henri n'oubliait pas, sans doute, qu'il était le chef d'un parti dont il devait s'efforcer d'atténuer les torts, tout en faisant ressortir ceux du parti opposé; mais, dans sa réponse aux doléances du maréchal, le roi, après avoir parlé des actes de justice émanés de lui-même, signale des griefs dont on ne semble pas disposé à lui rendre raison. Il en était réduit à protester contre des dommages personnels: les agents de Henri III ajournaient outrageusement le paiement de ses pensions et la perception même d'un impôt. «Par un des articles du dernier édit de pacification, dit Berger de Xivrey, le roi avait accordé au roi de Navarre le produit de l'impôt sur les pastelz, cette plante appelée aussi guède, et qui était, à cette époque, le seul ingrédient employé pour la teinture en bleu. Mais on paraissait n'être disposé à rien accorder à ce prince, que Davila représente réduit en un coin de la Guienne, dont il n'était gouverneur que de nom, privé de la plupart de ses revenus, et entièrement exclu des bienfaits du roi; choses par le moyen desquelles ses ancêtres avaient soutenu leur dignité depuis la perte du royaume de Navarre.»

Le roi de Navarre n'avait pas eu à se louer des actes de l'amiral de Villars, son lieutenant imposé en Guienne: à la conférence de Bergerac, il avait exprimé le désir de voir un autre officier à la tête de ce gouvernement. La cour rappela Villars, d'ailleurs fort avancé en âge, et mit à sa place le maréchal de Biron, dont Henri espérait s'accommoder mieux que de son prédécesseur. Il ne gagna pas au change: Biron, qui le servit plus tard glorieusement, après la mort de Henri III, n'était pas encore d'humeur à exposer pour lui sa fortune et sa vie. Il lui rendit pourtant un grand service, pendant la durée de sa charge: toujours à l'affût de quelque déconvenue à lui infliger, souvent à ses trousses, tantôt l'empêchant de reprendre une ville révoltée, tantôt lui en prenant une, sous ses yeux, Biron, sans le vouloir, lui apprit ce qu'il savait de l'art de la guerre, où il comptait peu de rivaux. En attendant, le maréchal s'appliquait, à Bordeaux et dans tout le gouvernement, à contrarier les vues, à déconcerter les projets du roi de Navarre. Henri en eut force déplaisirs, qui, s'ajoutant à beaucoup d'autres, le poussèrent à écrire au roi de France, le 6 juillet, une lettre que Chassincourt était chargé de présenter à Henri III, comme l'entrée en matière et le thème de plaintes assez vives. «Le sieur de Chassincourt vous fera entendre bien au long l'état des affaires en deçà, qui ne sont pas, à mon grand regret, selon l'intérêt de V. M., déclaré tant par l'édit de la paix et traité de conférence faite avec la reine votre mère, que par plusieurs de vos dépêches, mais, au contraire, selon la mauvaise affection d'aucuns vos principaux ministres et officiers qui, ayant les moyens pour remédier aux maux, ne les veulent employer. De sorte que, faute de punition, et voyant qu'on me fait expérimenter une telle défaveur de me priver de la jouissance de mes maisons et châteaux de Nontron, Montignac, Aillas et autres, la licence de mal faire et la témérité des turbulents accroît tous les jours pour entreprendre sur vos villes et places… – Il est besoin que votre autorité soit fortifiée par V. M. plus qu'elle n'est en ce gouvernement. A quoi il vous plaira de pourvoir. Autrement, je me vois gouverneur du seul nom et titre, qui m'est fort mal convenable, ayant cet honneur de vous être ce que je suis…»

On a remarqué l'allusion à Catherine de Médicis. Henri connaissait, de longue date, la reine-mère, toujours maîtresse du pouvoir, et ce fut à la dernière extrémité, après le traité de Nemours, qu'il rompit décidément avec elle, ou du moins se déshabitua de solliciter son influence. Jusque-là, nous le verrons, non seulement respectueux envers Catherine, comme il fut toujours, mais encore prêt à prendre devant elle l'attitude d'un client. La reine-mère gouvernait la France, autant qu'à cette époque on pouvait la gouverner. Aussi, ne faut-il pas s'étonner de voir le roi de Navarre écrire presque toujours à Catherine en même temps qu'à Henri III. Il lui arrivait aussi parfois de n'invoquer que l'appui de la reine-mère. C'est ainsi que, dans une lettre du mois de juillet 1578, il prie Catherine d'accorder sa protection à «un sieur de Pierrebussière, impliqué dans un procès de meurtre aboli» par l'édit de pacification, et en faveur de qui le roi de Navarre demande que l'affaire soit envoyée devant la chambre tri-partie22, établie à Agen, en conséquence de l'article 22 de l'édit de Poitiers.

Henri aurait eu grand besoin des bons offices de la reine-mère pour échapper aux persécutions de Biron. Au mois d'août, le maréchal, sans l'agrément du roi de Navarre, mit des garnisons à Agen et à Villeneuve-sur-Lot, et força la petite cour à se réfugier à Lectoure, puis à Nérac. Déjà le 8 avril, date douteuse, à notre avis, mais adoptée par plusieurs historiens, les catholiques avaient surpris, saccagé et pillé la ville de Langon, qui se reposait sur la foi du traité de paix. Biron, accouru trop tard, n'avait trouvé rien de mieux, pour réparer ces désordres, que de faire combler les fossés et démolir les fortifications, en un mot, de punir les victimes, dont les dépouilles furent transportées, à pleines barques, à Bordeaux. Henri se plaignait en vain de ces dénis de justice et de bien d'autres à Henri III ou au maréchal de Damville, dont il n'avait pas perdu l'espoir de reconquérir le dévouement. Il prenait patience, néanmoins, comptant ou affectant de compter sur la présence de la reine-mère, pour redresser tant de torts. Le voyage en Gascogne de Catherine et de la reine de Navarre venait, en effet, d'être décidé. Le 1er septembre, Henri écrivait à Damville, en protestant contre les procédés abusifs de Biron: «J'espère que, à cette prochaine venue de la reine, il sera pourvu à une générale exécution de l'édit et à l'établissement d'une paix assurée».

Le but apparent de ce voyage était simple. Il s'agissait, pour Catherine, de présider à la réunion de Marguerite avec le roi de Navarre, Henri ayant jugé que le séjour de sa femme en Guienne et en Gascogne pourrait avoir quelque heureuse influence, et exprimé, par un message spécial, le désir de la revoir. En réalité, la reine-mère se mettait en route, la tête pleine de ces projets machiavéliques, tantôt déjoués par les événements, tantôt menés à bonne fin, dans lesquels avait toujours consisté sa science politique. Elle quitta Paris, au mois d'août, pendant que Monsieur se ridiculisait par sa première aventure dans les Pays-Bas, qu'il réussit à agiter, mais d'où il ne sortit pour la France que de nouveaux embarras diplomatiques. Les deux reines voyageaient avec toute une cour, au sein de laquelle on remarquait un groupe de jeunes femmes d'une élégance et d'une coquetterie extrêmes, baptisées du nom de dames d'honneur, selon le cérémonial, et surnommées «l'escadron volant», parce que la reine-mère, qui les avait, pour ainsi dire, enrégimentées, les menait avec elle partout où elle voulait accroître, par leurs séductions, les ressources de sa diplomatie.

La cour de parlement de Bordeaux envoya une députation au-devant de Leurs Majestés, et leur fit une entrée solennelle. «Il fut arrêté par la cour, dit l'abbé O'Reilly, qu'elle ferait aux deux princesses une entrée aussi solennelle que possible, et qu'elle y assisterait en robes rouges, en chaperons fourrés et à cheval; que le maréchal de Biron, gouverneur et maire de Bordeaux, et, en l'absence du roi de Navarre, lieutenant du roi en Guienne, serait vêtu d'une robe de velours cramoisi et de toile d'argent ou de velours blanc; que les parements et le chaperon seraient de brocatelle; que les jurats et les clercs de la ville auraient des robes de satin cramoisi et blanc; que le poêle serait de damas blanc; qu'il serait fait à la reine-mère un présent d'un pentagone d'or massif du poids de deux marcs, ayant les bords richement émaillés, et que sur les angles et sur chaque face du pentagone seraient gravées les lettres qui forment le mot grec signifiant salut; que sur un des côtés serait représentée une nuée d'azur, à rayons d'or et surmontant deux sceptres violets, entrelacés d'une chaîne; que sur le revers et au centre serait gravée l'inscription: A l'immortelle vertu de la divine Marguerite de France, reine de Navarre, fille de roi et sœur de trois rois, Bordeaux».

«Le 18 septembre, la reine-mère fut reçue sur le port, au Portau-Barrat, par les autorités de la ville; elle fut conduite, avec pompe, chez M. de Pontac, trésorier, d'autres disent chez M. de Villeneuve, président au parlement; on lui présenta un dauphin de huit pieds qu'on venait de pêcher. La reine de Navarre logea chez M. Guérin, conseiller, près du palais.»

De Bordeaux, les deux reines allèrent à La Réole, où elles avaient donné rendez-vous au roi de Navarre. Il y vint accompagné de six cents gentilshommes catholiques ou huguenots, qui donnèrent aux princesses et à leur suite une assez favorable idée de la cour de «Gascogne». De La Réole, le roi et les reines se rendirent à Agen. Là, se succédèrent de nombreuses fêtes, après lesquelles Catherine jugea nécessaire de pousser jusqu'à Toulouse, pour résoudre quelques questions relatives aux affaires du Languedoc. Le 2 novembre, elle revint sur ses pas, toujours accompagnée de Marguerite, et se rendit à l'Isle-Jourdain, pour conférer avec le roi de Navarre. Les princesses y reçurent une magnifique hospitalité, au château de Pibrac. La reine-mère et la reine de Navarre firent l'une après l'autre, le 20 et le 21 novembre, leur entrée solennelle à Auch. Catherine entra la première. «Cinq consuls, dit l'abbé Monlezun, vinrent à sa rencontre, à la tête d'un grand nombre d'habitants. Vivès, l'un d'eux, la harangua, et après la harangue, un enfant de la ville prononça une oraison ou discours d'apparat, où il relevait les vertus de l'illustre princesse qui honorait la Gascogne de sa présence. La reine s'avança ensuite, portée dans une grande coche. Les autres consuls l'attendaient, avec le reste de la population, à la porte de Latreille. Ils lui offrirent les clefs de leur cité; mais Catherine les refusa en disant qu'on les gardât pour le roi son fils. Les consuls montèrent alors à cheval et escortèrent la princesse jusque sous le porche de l'église métropolitaine, où les chanoines la reçurent au son des cloches et au chant du Te Deum. Marguerite entra le lendemain, portée dans une magnifique litière de velours, et reçut les mêmes honneurs que sa mère. Le chapitre de Saint-Orens s'était joint au cortége. Des enfants faisaient retentir les airs de chants composés à sa louange; on arriva ainsi aux portes de Sainte-Marie. Le chapitre métropolitain attendait en habit de chœur. La princesse prétexta une indisposition, et se fit conduire à l'ancien cloître des chanoines, qui lui avait été préparé pour logement, ainsi qu'à la reine sa mère. Marguerite ne s'était jamais montrée à Auch. Elle usa de la faculté que lui donnait sa qualité de comtesse d'Armagnac, et en l'honneur de sa première entrée, elle fit élargir, par l'évêque de Digne, son premier aumônier, deux malheureux détenus dans la prison du sénéchal.»

 

Henri arriva le jour suivant, et alla loger à l'archevêché. Il avait refusé les honneurs d'une réception officielle; néanmoins, il fallut que les consuls vinssent lui offrir les clefs de la ville et l'hommage de leur fidélité. La position était embarrassante pour des magistrats qui, deux ans auparavant, avaient fermé leurs portes au prince. Les consuls ne purent s'empêcher de le lui rappeler, au moins indirectement: «Non, non, répondit Henri, avec sa courtoisie ordinaire, il ne me souvient pas du passé, mais vous, soyez-moi gens de bien, à l'avenir.» Puis, prenant les clefs des mains de Vivès et les lui rendant aussitôt, il ajouta: «Tenez, à condition que vous me serez tel que vous devez».

Entre autres réjouissances organisées pour les royales visiteuses, un bal leur fut offert par Madame de La Barthe, parente de ce capitaine Giscaro qui avait offensé le roi de Navarre. Le jour de cette fête fut marqué par un épisode qui tient du roman, si même il n'en dépasse pas les récits imaginaires.

Le bal avait commencé dans l'après-midi. Il était dans tout son éclat, les deux cours y joutant d'entrain et de galanterie, lorsque le roi de Navarre fut averti par Armagnac, son valet de chambre, qu'une grave nouvelle venait d'arriver de La Réole.

Cette place, confiée à la garde du vieux baron d'Ussac, calviniste zélé, avait ouvert ses portes aux catholiques. D'Ussac s'était laissé vaincre, au passage, par une des plus séduisantes amazones de l'«escadron volant». Hors d'âge et de mine rébarbative, il fut, après sa défaite, le sujet des railleries des jeunes gentilshommes venus avec le roi de Navarre au-devant des deux reines, et Henri, lui-même, dit-on, lui lança quelque sarcasme. D'Ussac, blessé dans sa vanité, laissa voir beaucoup d'humeur à sa maîtresse, cette belle et rieuse Anne d'Acquaviva, fille du duc d'Atrie, et que d'Aubigné qualifie de «bouffonne Atrie». La dame d'honneur de Catherine exploita ce dépit de guerrier et d'amoureux, et conseilla la vengeance. Deux mois après, d'Ussac laissait entrer les catholiques dans La Réole.

A cette fâcheuse nouvelle, Henri contient son émotion. D'un geste, il appelle à lui quelques-uns de ses partisans les plus sûrs, entre autres Turenne, Rosny et Manaud de Batz. On tient conseil. «Le premier mouvement, dit Turenne dans ses Mémoires, fut si nous étions assez forts pour nous saisir de la ville d'Auch: il fut jugé que non. Soudain, je dis qu'il nous fallait sortir et qu'avec raison, nous pourrions nous saisir du maréchal de Biron et autres principaux personnages qui étaient avec la reine, pour ravoir La Réole.» La seconde proposition de Turenne fut rejetée comme la première; mais quelqu'un ayant ouvert l'avis de surprendre Fleurance, petite ville située à quelques lieues d'Auch, Henri adopta le projet. Ordonnant le secret, il se confia au baron de Batz pour l'exécution. Le gouverneur d'Eauze court vers Fleurance avec quelques hardis cavaliers, s'embusque dans le voisinage de la place, et, par affidé, essaie vainement d'y nouer quelque intelligence, comme le lui avait recommandé le roi. Jugeant qu'il faut en venir aux coups, il envoie un message à Henri, qui, le pied à l'étrier, lui répond sur-le-champ: «C'est merveille que la diligence de votre homme et la vôtre. Tant pis que n'ayez pu pratiquer ceux du dedans à Fleurance: la meilleure place m'est trop chère du sang d'un seul de mes amis. Mais puisque est, cette fois, votre envie de pratiquer la muraille, bien volontiers. Pour ce, ne vous enverrai ni le monde ni le pétard que vous me demandez, mais bien vous les mènerai, et y seront les bons de mes braves. Par ainsi, ne bougez de la tuilerie, où vous irons trouver. Sur ce, avisez le bon endroit pour notre coup: de quoi et du reste pour bien faire se repose sur vous le bien vôtre à jamais.»

A trois heures du matin, Henri, Turenne, Rosny arrivaient devant Fleurance, avec une poignée d'hommes déterminés, et, se joignant à ceux du baron de Batz, qui avait trouvé le «bon endroit», enlevaient cette place, après avoir essuyé quelques arquebusades. Il n'en coûta pas même au roi «le sang d'un seul de ses amis». Cette prouesse accomplie, Henri tourne bride et regagne Auch. Au lever du jour, il se trouvait désarmé et souriant auprès de la reine-mère. On venait d'annoncer à Catherine la nouvelle de la prise de Fleurance par le roi en personne, et elle refusait d'y croire, convaincue que Henri, au sortir de la fête, avait passé la nuit à Auch. Quand le doute ne fut plus permis, elle dit au roi: «C'est la revanche de La Réole; vous avez fait chou pour chou; mais le nôtre est mieux pommé».

Sully raconte que, peu de temps après, il arriva pareille aventure pendant un séjour que les deux cours firent à Coutras. Dès l'arrivée de la reine-mère en Guienne, une trêve avait été conclue entre les deux partis. Catherine aurait pu convenir avec le roi de Navarre d'une trêve générale; mais, obéissant à une arrière-pensée que la trahison de La Réole permit de pénétrer, elle décida que la trêve serait locale, c'est-à-dire que tout fait de guerre serait interdit dans un rayon de deux lieues environ, autour de la résidence royale. Dans ces limites, catholiques et protestants devaient fraterniser; aussitôt qu'elles étaient franchies, ils avaient le droit de se couper la gorge. La cour étant à Coutras, le roi sut que les habitants de Saint-Emilion avaient dépouillé un marchand calviniste, et s'en plaignit à la reine-mère: elle ne répudia point la prise. Henri résolut donc de faire encore «chou pour chou», et, cette fois, le sien fut le mieux pommé.

De Coutras, il envoya Roquelaure, Rosny et quelques autres jeunes capitaines bien accompagnés passer la nuit à Sainte-Foy, pour y faire plus librement leurs préparatifs, parce que cette ville n'était pas dans les limites de la trêve. Le récit des Economies royales offre de l'intérêt: «… Deux heures avant jour, on se trouva à un quart de lieue de Saint-Emilion, où ayant mis pied à terre, disent les secrétaires de Sully, vous marchâtes par un profond vallon et arrivâtes sans alarmes près des murailles. Celui qui menait le dessein marchait devant avec six soldats choisis qui portaient les saucisses (les pétards), lesquelles ils fourrèrent dans une assez grosse tour, par deux canonnières (embrasures) assez basses qui étaient en icelle; auxquelles saucisses le feu ayant été mis, le tour s'entr'ouvrit, de sorte que deux hommes y pouvaient entrer de front, avec un tel tintamarre qu'il fut entendu jusqu'à Coutras; laquelle occasion fut aussitôt embrassée par tous vous autres qui étiez couchés sur le ventre, départis en trois bandes, chacune composée de vingt hommes et soixante arquebusiers, et après eux, venait encore M. de Roquelaure avec soixante hommes armés, pour demeurer dehors et subvenir aux accidents qui se pourraient présenter. Vous entrâtes dans la ville sans aucune opposition et ne rencontrâtes que deux troupes qui, ayant tiré quelques arquebusades, se retirèrent. Bref, il n'y eut que quatre hommes de tués de ceux de la ville, et six ou sept de blessés; et de votre côté, deux soldats tués et trois ou quatre blessés; puis tous les habitants se renfermèrent dans leurs maisons, sans faire plus aucune défense; puis on s'employa au pillage, où les gens de guerre, et surtout les voisins du lieu, s'employèrent comme braves Gascons.»

Quand la reine-mère fut informée de cette nouvelle revanche, elle se fâcha, et dit qu'elle ne pouvait regarder la prise de Saint-Emilion que comme un acte déloyal, cette ville étant dans les limites de la trêve; mais le roi de Navarre la réduisit, sans trop de peine, au silence, en lui rappelant l'affaire toute récente du marchand molesté par ceux dont elle prenait la défense.

21Appendice:
22Appendice: