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Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5

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Singulier mélange de contrastes et de ressemblances que les destinées de Françoise d'Aubigné et de Ninon de Lenclos! Toutes deux parvinrent à un grand âge, toutes deux restèrent longtemps unies, et durent cesser de se voir sans cesser de ressentir l'amitié qui les avait rapprochées. Leurs attraits, leur art de plaire, leur rare esprit de conduite, la sûreté de leur commerce, firent le charme des sociétés de leur temps. Toutes deux devinrent célèbres et se concilièrent, à des degrés divers et par des moyens différents, la considération du monde. L'une ne s'est jamais départie de la philosophie épicurienne, qui permettait tout aux passions; l'autre fut constamment fidèle à la religion, qui ne leur permettait rien. L'une fut le modèle de son sexe; malheur à toute femme qui, séduite par le succès de l'autre, oserait la prendre pour modèle506!

La mort de la reine mère, au mois de janvier 1666, enleva à madame Scarron la pension qu'elle recevait, et la misère retomba sur elle de tout son poids. Elle se vit forcée d'avoir recours à ses anciennes protectrices. Toutes s'employèrent pour obtenir le rétablissement de sa pension. Louis XIV fut fatigué des sollicitations des femmes de sa cour en faveur de la veuve de Scarron. Colbert était là, et le jeune roi ferme encore dans la résolution que le ministre lui avait inspirée de ne pas charger le trésor de dépenses inutiles et improfitables. Le nom de l'auteur de la Mazarinade507 faisait d'ailleurs sur le monarque une désagréable impression: il refusa. Le grand personnage qui avait voulu épouser Françoise d'Aubigné crut l'occasion favorable pour s'offrir de nouveau508, et elle se trouva encore, comme avant son mariage avec Scarron, forcée de choisir entre le couvent ou un époux. Elle rejeta l'un et l'autre. Pour ne recevoir de dons de personne, elle se détermina à prendre un parti violent qui lui coûtait beaucoup, puisqu'il lui enlevait son indépendance, rompait toutes ses habitudes et des liens d'amitié qui lui étaient chers: elle résolut de s'exiler. La princesse de Nemours allait épouser Alphonse VI, roi de Portugal: Françoise d'Aubigné consentit à la suivre à Lisbonne, en se plaçant sous les ordres de sa donna cameira509 ou dame d'honneur. La nouvelle de ce départ émut ses nombreux amis «de la Place-Royale et de Saint-Germain,» c'est-à-dire de la ville et de la cour.

Madame de Montespan, que sa sœur madame de Thianges, le maréchal d'Albret et Villeroi avaient informée de ce départ, s'y opposa. Elle obtint pour madame Scarron le rétablissement de sa pension et un gracieux accueil du roi510, qui doublait le prix de cette faveur. La reconnaissance de Françoise d'Aubigné pour madame de Montespan fut proportionnée au service qu'elle lui avait rendu. Madame Scarron n'avait pas sans terreur prévu les privations qu'elle s'imposait en quittant la France, en s'éloignant de tout ce qui lui faisait aimer la vie. Quoique sa piété se fût accrue par la douleur d'avoir perdu sa protectrice et avec elle ses moyens d'existence, elle ne pouvait, même avec le secours du sévère confesseur511 qu'elle s'était choisi, dompter cette coquetterie naturelle aux femmes que leur beauté ou les charmes de leur esprit ont habituées aux douceurs d'une société aimable et polie, dont elles accroissent la joie par leur seule présence. Françoise d'Aubigné pratiquait très-bien, par des moyens dont la pureté d'intention lui déguisait le danger, cet art que l'exemple de Ninon, plus âgée et plus avancée qu'elle dans la science du monde, lui avait enseigné, de désintéresser ceux qu'elle désirait s'attacher, en les forçant de préférer à l'enivrement produit par ses grâces et ses attraits la douce séduction de l'estime et de la confiance que leur inspiraient son esprit, son abandon aimable et sa solide raison.

Madame de Montespan avait travaillé pour elle-même en obligeant madame Scarron; celle-ci lui plut par ses entretiens enjoués, par sa discrétion, son tact délicat des convenances, son aversion pour les grandes affaires de la politique, son éloignement pour les intrigues de cour, qui étaient pour madame de Montespan une occupation principale512. Ce qui surtout, dans Françoise d'Aubigné, charmait madame de Montespan, c'était cette morale toute chrétienne, stricte, mais non austère, qu'elle se plaisait à considérer comme un refuge assuré dans un avenir lointain. Françoise d'Aubigné avait moins de brillant, moins de soudaineté et d'originalité dans l'esprit que Montespan, mais plus de justesse, de discernement et de finesse. Dégagée qu'elle était du joug des passions, elle avait dans les idées et dans les sentiments une netteté, une sûreté de jugement, une constance et une rectitude d'action que ne possédait pas madame de Montespan, sans cesse en proie aux agitations et aux inquiétudes de l'amour, de la jalousie, de l'ambition. Montespan d'ailleurs était moins instruite que Françoise d'Aubigné, qui écrivait avec cette facilité et cette grâce particulières à plusieurs femmes de ce temps et avec l'exactitude grammaticale d'un académicien. Par ce talent, par ses connaissances pratiques de la science domestique, par ses qualités essentielles comme par celles qui sont frivoles, madame Scarron se rendit indispensable à madame de Montespan, qui ne s'en séparait qu'avec peine. Tant que dura l'éducation du duc du Maine et avant qu'à l'âge de dix ans il fût remis entre les mains des hommes, madame Scarron demeura à la cour, dans les appartements de madame de Montespan513, et fut initiée à tous les secrets de sa vie intérieure, à toutes les particularités de sa liaison avec le roi, et souvent consultée avec fruit. Elle sut profiter de la confiance qu'elle avait obtenue pour favoriser l'élévation des grands personnages qui l'avaient aidée au temps de sa détresse. Les d'Albret, les Richelieu, les Montchevreuil et autres514 usèrent avantageusement de la facilité qu'elle avait de se faire écouter. On peut même affirmer que jamais son influence sur Louis XIV ne fut plus grande que lorsqu'elle s'exerçait par le crédit d'une autre. On ne l'ignorait pas; et jamais on ne fut plus empressé auprès d'elle, jamais elle ne se fit plus d'amis et ne rendit plus de services que lorsqu'elle ne pouvait rien par elle-même et ne voulait rien pour elle-même. Le roi, qu'importunait sa présence lorsqu'il aurait désiré être seul avec sa maîtresse, ne s'habitua que difficilement, et non sans une sorte de jalousie, à voir madame de Montespan prendre tant de plaisir dans le commerce intime d'une femme si bien connue pour la sévérité de ses principes515. Les premiers dons de Louis XIV à Françoise d'Aubigné, après le rétablissement de sa pension, ne furent dus qu'à l'importunité de Montespan; ce fut elle qui insista fortement, et sans y être excitée par personne, pour que son amie, sa protégée reçût, par l'achat et la possession d'une terre, un titre et un nom plus convenable que celui de veuve Scarron516.

 

Mais alors tout était changé pour Françoise d'Aubigné; elle s'était chargée d'élever les enfants du roi et de Montespan. Sa destinée fut fixée517 selon ses désirs, selon ses goûts, selon sa vocation. Elle était par là appelée à faire le meilleur emploi de ses éminentes facultés, à donner tous les soins d'une tendre mère aux enfants de son roi518, à leur inculquer les vérités de la foi, à diriger leurs premiers penchants, à guider leurs premiers pas dans ce monde splendide et corrompu où ils devaient apparaître, à recueillir enfin pour récompense, pour prix des soins qu'elle leur donnait l'affection et le respect de leur âge mûr. Elle se promettait, par leur moyen, d'obtenir un salutaire ascendant sur l'esprit de leur mère, de cette belle Mortemart, qu'elle avait connue autrefois si jeune, si vertueuse, si fortement imbue des principes de religion qu'elle conservait encore. Françoise d'Aubigné espérait payer ainsi les bienfaits qu'elle pourrait recevoir de Louis XIV par des bienfaits plus grands, et devenir un des humbles instruments que Dieu avait choisis pour ramener dans la voie du salut le plus grand des souverains.

Tels étaient les projets de la veuve Scarron; on sait le courage et l'habileté qu'elle mit à les exécuter. Les commencements répondirent à ses ambitieuses espérances: l'éducation du jeune duc du Maine fut, de la part du roi, récompensée par des dons qui mirent pour toujours Françoise d'Aubigné à l'abri du besoin dont elle avait si longtemps souffert. Elle put acheter (le 27 décembre 1674) la terre de Maintenon519, qui était un marquisat; le roi lui donna lui-même le titre de marquise de Maintenon. Sous l'éclat de ce dernier nom disparut alors celui de Scarron: il ne servit plus qu'à marquer dans l'histoire la distance prodigieuse qu'a franchie Françoise d'Aubigné pour parvenir à la miraculeuse élévation où elle s'est trouvée portée.

Elle avait réussi du côté du roi dans le plan qu'elle s'était tracé; mais c'est à l'époque même de ses premiers succès qu'elle fut sur le point d'échouer et qu'elle parut résolue à quitter la cour, à se renfermer dans son château ou dans une maison religieuse, à faire une retraite qui ne lui fit rien perdre des éloges et de la considération du monde, dont elle était de plus en plus jalouse520.

Madame de Montespan, comme toutes les femmes que leurs passions, leurs plaisirs ou leur ambition entraînent dans le mouvement rapide du monde, prenait peu de souci de ses enfants, et trouvait très-bon qu'ils préférassent à leur mère celle qui s'occupait d'eux sans cesse et qui les élevait avec un zèle éclairé. Françoise d'Aubigné, d'ailleurs, avait soin d'assujettir ses élèves aux démonstrations d'une tendresse respectueuse envers leurs augustes parents; mais l'accomplissement de ce devoir ressemblait peu à l'amoureuse soumission qu'ils témoignaient pour leur gouvernante. Elle se montra très-habile à inspirer à l'aîné de ces enfants les saillies charmantes d'un esprit enfantin; et on peut juger avec quelle mesure, quelle délicatesse elle savait se servir de l'intelligence précoce de cet enfant pour flatter sa mère quand on a lu les quelques pages intitulées: [OE]uvres diverses d'un auteur de sept ans, qu'elle fit imprimer à un petit nombre d'exemplaires, et dont elle composa l'épître dédicatoire adressée à madame de Montespan521.

L'accord de madame de Montespan et de Françoise d'Aubigné fut parfait tant que les enfants restèrent en bas âge et lorsqu'ils ne réclamaient que des soins matériels; mais il n'en fut pas de même lorsque le secret de leur naissance eut été dévoilé et quand le duc du Maine, ayant paru à la cour, eut attiré l'attention du roi; quand la gouvernante lui eut donné le Ragois, neveu de son confesseur, pour précepteur, et eut annoncé l'intention de diriger entièrement son éducation. Madame de Montespan voulut s'en mêler; elle éprouva de la résistance. Françoise d'Aubigné soutenait qu'elle ne devait compte qu'au roi de ses enfants, parce qu'elle n'avait consenti à se charger de leur éducation qu'à cette condition. Madame de Montespan, qui jusqu'ici avait traité en amie la gouvernante, voulut avec hauteur exercer son autorité. Françoise d'Aubigné faisait en quelque sorte partie du ménage du roi et de madame de Montespan. Le roi, qui avait l'habitude de les voir ensemble toujours unies, fut surpris et ennuyé de leurs fréquentes altercations522; et quoiqu'il eût plus qu'aucun homme au monde un tact sûr pour discerner promptement tous les genres de mérite et qu'il eût conçu de celui de la gouvernante une idée supérieure encore aux éloges qu'on lui en avait faits, cependant, comme il était dans le paroxysme de son amour pour Montespan, il préféra donner à celle-ci la permission de la renvoyer. Mais il n'était pas facile à madame de Montespan d'user de cette faculté: désormais elle avait plus besoin de madame de Maintenon que madame de Maintenon n'avait besoin d'elle.

Madame de Montespan comprenait très-bien qu'elle causerait un chagrin profond à ses enfants si elle les privait d'une gouvernante aussi tendrement aimée et qu'il eût été impossible de remplacer. Mais c'était surtout pour elle-même qu'elle désirait garder celle qu'elle avait été habituée à considérer comme son amie, celle qui l'aidait toujours à détruire dans l'esprit du roi le mauvais effet de ses caprices et de ses humeurs, à rompre la monotonie des tête-à-tête et à dissiper les ennuis et les tristesses de son intérieur.

D'ailleurs, quoique le parti religieux fût contraire à madame de Montespan, il la ménageait précisément à cause de l'étroite liaison qui existait entre elle et madame de Maintenon; et celle-ci, par cette intimité même, avait acquis à la cour une importance au-dessus du rang qu'elle y occupait: en la disgraciant, madame de Montespan eût mécontenté le parti qu'elle désirait ménager dans l'intérêt de sa conscience et de celle du roi. Ainsi madame de Montespan renonça à l'idée de renvoyer la gouvernante; mais elle résolut de l'éloigner de la cour en lui procurant un établissement. Elle détermina le vieux duc de Villars-Brancas à demander sa main523. Françoise d'Aubigné refusa ce parti. Madame de Montespan dissimula, et continua, en présence du roi, à traiter madame de Maintenon en amie; elle chercha à la réduire à plus d'obéissance et de soumission par le moyen du roi lui-même. Elle avait observé que, malgré son humilité chrétienne, Françoise d'Aubigné ambitionnait surtout l'approbation et l'estime du roi, et que les éloges qu'il lui donnait ou qu'il faisait de son élève le duc du Maine «chatouillaient de son cœur l'orgueilleuse faiblesse.»

Ce ne fut plus qu'en l'absence du roi que Montespan se permit envers elle ces hauteurs insultantes et ces exigences humiliantes qui la blessaient au cœur; de sorte qu'il fut facile à la favorite, quand elle était mécontente de la gouvernante, de lui donner tous les torts dans l'esprit du monarque. C'est ainsi que, selon que Montespan était satisfaite ou mécontente, la gouvernante recevait de Louis XIV un accueil plus ou moins gracieux, plus ou moins froid, ou tout à fait glacial. Ainsi agitée par des alternatives de crainte et d'espérance, et dans l'incertitude de savoir si elle plaisait ou si elle déplaisait524, Françoise d'Aubigné, dont la fierté se révoltait de voir ses services méconnus, résolut de saisir la première occasion pour avoir une explication franche et hardie avec Louis XIV525, de demander à se retirer de la cour et à cesser de diriger l'éducation des princes si elle restait sous la dépendance de madame de Montespan, ou à continuer de faire sa charge si elle avait permission de n'obéir qu'au roi et de correspondre directement avec lui. Cette occasion se trouva, cette explication eut lieu526 à la grande satisfaction du roi: Françoise d'Aubigné, devenue madame de Maintenon, redoubla d'égards envers madame de Montespan, et leur amitié ne parut en rien altérée. La passion du roi pour cette dernière continuait toujours aussi vive, et la division qui existait entre elle et madame de Maintenon se déroba longtemps aux regards jaloux et envieux des courtisans.

 

Ce secret ne commença à percer que lors du voyage de madame de Maintenon et du duc du Maine à Baréges.

Le duc du Maine avait eu pendant sa dentition des convulsions qui lui avaient raccourci une jambe. Il fut décidé qu'on conduirait le jeune prince à Anvers pour consulter un médecin renommé de cette ville. Françoise d'Aubigné prit le nom de marquise de Surgères, et partit incognito avec son élève. Elle arriva à Anvers au milieu d'avril 1674. De là elle écrivit à madame de Montespan et au roi, et revint s'installer à Versailles527. Le jeune prince revint d'Anvers plus boiteux qu'il n'était avant de partir, ce qui nécessita deux voyages à Baréges qui eurent le plus heureux succès. Dans ces deux voyages, madame de Maintenon rendait compte de la santé du prince au roi et à sa mère. C'est par cette correspondance que Louis XIV put apprécier tout l'esprit et le talent d'écrire de madame de Maintenon. Ce roi, si habile à discerner dans ceux qui l'approchaient tous les genres de mérite, reconnut que cette gouvernante était capable de développer dans celui de ses fils qu'il chérissait le plus, non-seulement les grâces de l'enfant, mais aussi les qualités de l'homme, et de le rendre par là digne du rang qu'il devait occuper. Louis XIV sut comprendre que la nécessité, cette mère des grands succès, et la religion, cette consolatrice de l'âme, ne formèrent jamais de femme plus judicieuse, plus instruite, plus énergique, plus involontairement gracieuse, plus naturellement vertueuse que celle qu'avait choisie Montespan pour élever les enfants qu'il avait eus d'elle.

En l'année 1675, le mercredi des Cendres, ou l'ouverture du carême, était le 27 février, et Pâques le 14 avril; c'est dans cet intervalle qu'a eu lieu le refus d'absolution dont nous avons raconté les circonstances.

Madame de Maintenon était aux eaux de Baréges lorsqu'elle apprit ce qui se passait à la cour et dans le camp du roi, le projet de séparation des deux amants et leurs pieuses résolutions; il n'est pas douteux qu'elle dut alors en féliciter madame de Montespan et le roi lui-même, auquel elle rendait compte, dans des lettres qui quelquefois avaient huit ou dix pages, de tout ce qui concernait les voyages entrepris pour la santé du duc du Maine528. Elle écrivit à plusieurs personnes, on n'en peut douter, sur ce sujet important pour elle-même et pour l'intérêt de ses élèves, qu'elle chérissait comme une mère529; on la désabusa, et on lui apprit que Montespan cherchait de nouveau à passionner le roi. Ce fut alors que commença à percer un secret jusqu'ici caché soigneusement à toute la cour: ce secret était le désaccord de madame de Montespan et de madame de Maintenon et la révélation de la cause qui avait produit cette mésintelligence. Madame de Sévigné se hâta, aussitôt qu'elle le connut, d'en instruire sa fille.

«Je veux vous faire voir un petit dessous de cartes qui vous surprendra: c'est que cette belle amitié de Quantova (madame de Montespan) et de son amie (madame de Maintenon) qui voyage est une véritable aversion depuis près de deux ans; c'est une aigreur, une antipathie; c'est du blanc, c'est du noir. Vous demandez d'où vient cela? C'est que l'amie est d'un orgueil qui la rend révoltée contre les ordres de Quanto; elle n'aime pas à obéir; elle veut bien être au père, mais non pas à la mère; elle fait le voyage à cause de lui, et point du tout pour l'amour d'elle; elle rend compte à l'un, et point à l'autre: on gronde l'ami (le roi) d'avoir trop d'amitié pour cette glorieuse; mais on ne croit pas que cela dure, à moins que l'aversion ne se change ou que le bon succès d'un voyage ne fît changer ces cœurs. Ce secret roule sous terre depuis plus de six mois; il se répand un peu, et je crois que vous en serez surprise. Les amis de l'amie en sont assez affligés530

Les amis de madame de Montespan, comme ceux de madame de Maintenon, étaient également intéressés à déguiser cette désunion et à la nier. Le crédit des uns et des autres s'affaiblissait par celui que madame de Maintenon cessait d'avoir auprès de madame de Montespan, et par l'atteinte que portait au pouvoir de celle-ci, sur l'esprit du roi, la désapprobation de madame de Maintenon, estimée de toute la cour.

Quinze jours après cette lettre, madame de Sévigné apprend à sa fille que les amis de madame de Maintenon nient qu'il y ait aucune altercation sérieuse entre elle et Montespan; et ceci indique les progrès que faisait cette dernière pour enflammer de nouveau le roi lorsqu'il allait lui rendre visite.

«Les amis de la voyageuse, voyant que le dessous des cartes se répand, affectent fort d'en rire et de tourner cela en ridicule, ou bien conviennent qu'il y a eu quelque chose, mais que tout est accommodé. Je ne réponds ni du présent ni de l'avenir dans un tel pays; mais du passé, je vous en assure… Pour la souveraineté, elle est établie comme depuis Pharamond. Madame de Montespan joue en robe de chambre avec les dames du château (les dames du palais, dont elle faisait partie), qui se trouvent trop heureuses d'être reçues et qui souvent sont chassées par un clin d'œil qu'on fait à la femme de chambre531

Les dernières nouvelles que madame de Sévigné transmet à sa fille prouvent qu'au commencement de septembre madame de Montespan n'était pas encore parvenue à faire changer le roi de résolution et qu'elle craignait, en pressant trop vivement la conclusion de son rappel à la cour, de perdre la confiance et l'estime du monarque.

«Il est certain, dit madame de Sévigné, que l'ami et Quanto sont véritablement séparés; mais la douleur de la demoiselle est fréquente, et même jusqu'aux larmes, de voir à quel point l'ami s'en passe bien; il ne pleurait que sa liberté, et ce lieu de sûreté contre la dame du château (la reine): le reste, pour quelque raison que ce puisse être, ne lui tenait plus au cœur. Il a retrouvé cette société qui lui plaît; il est gai et content de n'être plus dans le trouble, et l'on tremble que cela ne veuille dire une diminution, et l'on pleure; et si le contraire était, on pleurerait et on tremblerait encore: ainsi le repos est banni de cette place. Voilà sur quoi vous pouvez faire vos réflexions, comme sur une vérité; je crois que vous m'entendez532

Cette situation ne pouvait durer. Les charmes séducteurs de Montespan, le son de sa voix, le feu de ses regards, les amusants sarcasmes de son brillant esprit, sa folle gaieté, sa tristesse et ses larmes domptèrent bientôt le courage de Louis XIV. Les divertissements du théâtre, auquel il ne voulut jamais renoncer; la musique de Lulli, les vers de Quinault, les danses voluptueuses de leurs drames magiques, l'indulgence intéressée du P. la Chaise facilitèrent le triomphe de Montespan, qui fut enfin complet. La date et la durée de ce triomphe furent révélées au monde le 9 mai 1677 par la naissance de la seconde mademoiselle de Blois, depuis femme du régent, qui fut si laide, et, le 6 juin 1678, par celle du comte de Toulouse, qui fut si beau. La naissance de mademoiselle de Tours, morte jeune, venue à terme au mois de janvier 1676, prouva aussi que l'intimité de madame de Montespan avec Louis XIV était aussi forte après son retour de l'armée qu'avant le départ.

Tout était donc ramené sur l'ancien pied lorsque la voyageuse revint avec son élève le duc du Maine. Comme elle n'avait jamais varié dans sa conduite et dans son langage, elle se retrouva aussi bien établie à la cour que lorsqu'elle l'avait quittée, et même mieux. Son absence lui avait profité en nécessitant une correspondance directe avec le roi. L'espoir que le parti religieux avait fondé sur son influence s'accrut encore par la part qu'elle avait eue dans le succès momentané de ce parti. On connaissait Louis XIV, dont rien n'ébranlait l'opinion pour ceux qui avaient su mériter son estime. On savait que la nature de sentiments exempts de toute faiblesse que lui inspirait madame de Maintenon était entièrement étrangère à celle qui, par une force irrésistible, l'entraînait vers madame de Montespan ou vers toute autre femme.

506Conférez ces Mémoires sur Sévigné, 4e partie, p. 111; ibid., 1re partie, p. 236-243, 254-263.
507SCARRON, Œuvres, édit. 1737, t. IX, p. VI, VII.
508LA BEAUMELLE, Mémoires pour servir à l'hist. de madame de Maintenon, liv. VI, c. IV, t. II, p. 109.
509MAINTENON, Lettres, t. I, p. 41, édit. 1656; ibid., p. 38, édit. 1758; ibid., t. I, p. 35, Nancy, 1752; ibid., p. 41, Dresde, 1753; ibid., t. I, p. 39, édit. de 1806. Dans les éditions seules de 1752 et 1753 la lettre est complétement datée (30 juin 1666), et il y a dona almera.
510Mémoires sur Sévigné, 3e partie, p. 95 à 97.
511MAINTENON, Lettres, édit. 1756, t. II, p. 1 à 96 (à l'abbé Gobelin).—Madame DU PÉROU, Mém. de madame de Maintenon, p. 54 à 58.
512CAYLUS, Souvenirs, p. 66, édit. Raynouard, 1806; collect. Petitot, t. LXVI, p. 270; ibid., p. 13 de l'édition de Voltaire, du château de Ferney, 1770, in-12.—Madame DU PÉROU, Mémoires de madame de Maintenon, 1846, p. 44, 47 et 48.—MAINTENON, Lettres à la princesse des Ursins, 30 septembre 1713, t. II, p. 440.
513DU PÉROU, Mém. sur madame de Maintenon, p. 44-8, 235.—MAINTENON, Lettres à la princesse des Ursins, Paris, 1806, in-8o (10-11 septembre 1805), t. III, p. 218.
514Madame DU PÉROU, Mémoires de madame de Maintenon, 1846, in-12, p. 21 et 22.
515Conférez Mémoires sur Sévigné, 3e partie, p. 62-95-97-279.
516SAINT-SIMON, Mémoires complets et authentiques, édit. 1829, t. XIII, p. 102 et 103.
517Conférez Mémoires sur Sévigné, 3e partie, p. 213-215.
518Conférez Mémoires sur Sévigné, 4e partie, p. 144.
519MAINTENON, Lettres (Saint-Germain, le 10 novembre 1674), t. I, p. 106, édit. 1756.—Ibid. (16 juillet 1674), t. II, p. 6. Lettre à l'abbé Gobelin.—Duc DE NOAILLES, Histoire de madame de Maintenon, 1848, in-8o, t. I, p. 485.
520MAINTENON, Lettres (Saint-Germain, 31 octobre 1674), t. II, p. 21 et 22 de l'édit. 1806; ibid., t. II, p. 11 et 12, édit. 1756.
521Œuvres diverses d'un auteur de sept ans, ou recueil des ouvrages de M. le duc DU MAINE, qu'il a faits pendant l'année 1677 et dans le commencement de l'année 1678, Paris, in-4o.—Conférez Nouvelles de la république des lettres, février 1685, t. IV, 2e édit., 1686, p. 203 à 209. L'épître dédicatoire se trouve dans les Lettres DE MAINTENON, édit. 1806, t. I, p. 54.
522MAINTENON, Lettres, édit. de Dresde, 1753, in-12, p. 48 et 50 (à l'abbé Gobelin, 6 mai et 16 juin 1671, lisez 1673); ibid., édit. de Nancy, 1752, petit in-12, t. I, p. 54 et 57; ibid., édit. in-12, 1756, grand vol., p. 9-12-14 (31 octobre et novembre 1674); édit. 1806, t. I, p. 18-23. Les dates de l'année sont inexactes.
523SAINT-SIMON, Œuvres complètes, t. XIII, p. 104.
524MADAME DU PÉROU, Mém. de madame de Maintenon, p. 19.—LA BEAUMELLE, Mém. p. s. à l'hist. de madame de Maintenon, t. II, p. 110.—Monmerqué, SÉVIGNÉ, t. VI, p. 240 et 379, note sur la lettre du 19 avril 1680.—TALLEMANT DES RÉAUX, Historiettes, II, 139, édit. in-8o; ibid., III, édit. in-12, p. 135.—MADAME DU PÉROU, Mém. sur madame de Maintenon, p. 19.—LA BEAUMELLE, Mémoires pour servir à l'histoire de madame de Maintenon, t. II, p. 110.
525MAINTENON, Lettres (14 juillet, 31 octobre 1674), t. II, p. 21 et 22 de l'édit. 1806; ibid., t. II, p. 11 et 12 de l'édit. d'Amsterd., 1756.
526Mesdames DU PÉROU et GLAPION, Mémoires sur madame DE MAINTENON, recueillis par les dames de Saint-Cyr, 1846, in-12, p. 22.
527MAINTENON, Lettres (18 avril 1674), édit. 1756, t. I, p. 52 et 53.—Mémoires de madame DE MAINTENON, recueillis par les dames de Saint-Cyr, 1846, in-12, p. 17.—MONTPENSIER, Mémoires, collection Petitot, t. XLIII, p. 403.—CAYLUS, Souvenirs, t. LXVI, p. 391.—Les Mémoires manuscrits de mademoiselle D'AUMALE, cités à cet endroit par M. Monmerqué, ibid., p. 40 de l'édit. de Voltaire, au château de Ferney, 1770, édit. in-12.
528PELLISSON, Lettres historiques (3 juin 1675, du camp de Latines), t. II, p. 277.
529MAINTENON, Lettres à l'abbé Gobelin (8 mai 1675), in-12, t. II, p. 32.
530SÉVIGNÉ, Lettres (7 août 1675), t. III, p. 501, édit. G.; t. III, p. 362, édit. M.
531Lettres de madame DE RABUTIN-CHANTAL, marquise DE SÉVIGNÉ, à madame la comtesse de Grignan, sa fille; la Haye, 1726, in-12, t. II, p. 55, mercredi 19 août (corrigez 21 août) 1675. Dans toutes les autres éditions, sans exception, le texte de cet important passage. est faux ou défiguré. Les notes de ces éditions doivent disparaître.
532SÉVIGNÉ, Lettres (11 septembre 1675), t. IV, p, 94, édit. G.; t. III, p. 464, édit. M.