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Traité des eunuques

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SECONDE PARTIE

Dans laquelle on discute le droit des Eunuques par rapport au mariage; & dans laquelle on éxamine s'il doit leur être permis de se marier.

CHAPITRE PREMIER

De la nature & du but du Mariage. Que l'Eunuque ne peut y répondre

MOn dessein n'est point de faire ici l'éloge du Mariage, & moins encore d'outrer les choses sur ce sujet, comme a fait un Auteur moderne dont les éxagérations ont été fort relevées149. Je n'ai pas dessein non plus d'éxaminer à fond la matiére du mariage; Sanchez & Pontius y ont trouvé de quoi faire chacun un gros volume in folio; & nous avons vû depuis peu, qu'un Ecclésiastique de Florence nommé Charles Mazzi, a tâché de traiter succinctement ce sujet & de réduire ce qu'on en a dit en abregé comme il paroît par le titre de son Ouvrage, qui est, Mare Magnum Sacramenti Matrimonii in exiguo; Cependant, son Livre est un Volume in folio; Ce qui a donné lieu à un habile homme de dire150, que puis que l'Auteur, en nous donnant un in folio, ne nous montre qu'en petit l'ocean du mariage; combien de volumes faudroit-il pour nous le montrer en grand? Quoi qu'il en soit, c'est une matiére si vaste, si agitée, si pleine d'écueils, que les Théologiens Casuistes ne sçavent comment faire pour l'épuiser, & qu'ils se trouvent souvent incertains de la route qu'ils doivent tenir; Je me contenterai donc de poser quelques principes généraux par lesquels je ferai connoître la nature & le but du mariage, pour en tirer ensuite des conséquences nécessaires au sujet particulier que je traite.

Le Mariage est, selon la définition que les Jurisconsultes en donnent, un consentement de l'homme & de la femme, de passer leur vie ensemble dans une union perpétuelle, qui ne soit séparable que par la mort de l'un ou de l'autre;151Viri & mulieris conjunctio individuam vitæ consuetudinem continens. Quoi que cette définition soit donnée par des Jurisconsultes qui ont été les oracles de la Jurisprudence, j'oserai dire néanmoins qu'elle n'est point juste; car si elle l'étoit, la Tourterelle qui ne s'accouple qu'avec un mâle, & qui ne se laisse point approcher par un autre lors que le premier est mort, auroit contracté un mariage; ce qu'on ne peut pas dire d'une bête destituée de raison & d'intelligence. D'ailleurs, le concubinage constant avec une seule femme seroit aussi un véritable mariage, ce qui est contraire à l'institution de son union. Toutes les unions qui sont indivisibles dans la société ne sont pas des mariages; cependant, pour ne pas disputer ici contre une définition reçûë depuis tant de siécles, je dirai seulement qu'elle contient deux expressions qui demandent quelqu'éclaircissement; l'une est le mot conjunctio, il ne se prend pas simplement pour le consentement des contractans, il se prend aussi pro corporum commixtione. L'autre est le terme individuam, il s'entend de ceux qui contractant mariage lesquels sont censez avoir dessein de vivre ensemble dans l'union jusqu'à la mort de l'un ou de l'autre, car le divorce étoit permis chez les Romains, comme on le voit par le tître entier du Code de Repudiis, & du Digeste De Divortiis & Repudiis. Ce que je dirai dans la suite de ce chapitre pourra satisfaire aux doutes auxquels ces mots ont donné lieu.

Le Mariage est la plus excellente de toutes les unions. 1. Parce que c'est Dieu qui l'a institué dans le Paradis terrestre, durant l'état d'innocence. 2. Parce qu'il n'y a rien qui convienne mieux à l'homme que le mariage, ni qui se rapporte plus parfaitement à ses besoins. 3. Parce que le mariage est très nécessaire au monde pour y conserver les Sociétez, & pour y entretenir la sagesse & la pudeur.

La différence des séxes & ces paroles, croissez & multipliez, que Dieu a prononcées lui-même lors qu'il les joignit ensemble, qu'il institua le mariage & qu'il le benit, font voir manifestement que le but de cette union n'est autre que la propagation du genre humain. Cette union ne peut donc point passer pour un simple consentement de demeurer ensemble, comme quelques-uns l'ont crû, mais pro corporum commixtione, ou pro copula carnali. Ces paroles de Dieu, & ils seront deux dans une même chair, ne signifient autre chose. Les Canonistes ne regardent le gendre & la fille que comme une seule & même personne, comme un seul & même enfant, si vir & uxor non jam duo sed una caro sunt, Non aliter est nurus reputanda quam filia, or ils ne peuvent être una caro que par la consommation du mariage, non aliter vir & uxor mulier non possunt una caro fieri nisi carnali copulâ sibi cohæreant; ce sont les termes qui sont employez dans le droit Canon152. En effet, si ces paroles ne signifioient qu'un simple consentement, quel sens pourroit-on donner à cette expression de Saint Paul, Ne sçavez-vous pas que celui qui s'attache avec une femme débauchée est fait un même corps avec elle, car les deux, est-il dit, deviendront une même chair. Un homme qui commet paillardise avec une femme, ne s'engage pas à demeurer toûjours avec elle, comment donc est-il fait un même corps avec elle? Ce ne peut être que per corporum commixtionem, ou per copulam carnalem, comme je l'ai dit; Or quel but peut avoir cette conjonction, selon l'intention de Dieu qui en a été l'Instituteur? Ça été de procurer lignée, d'engendrer des enfans; Croissez & multipliez, dit-il, voila pourquoi je vous joins ensemble; Il ne dit pas, divertissez-vous, donnez l'essor à vos passions brutales. Faites tout ce que vos sens & la nature éxigeront de vous, uniquement dans la vûë de leur plaire & de les satisfaire. D'ailleurs, Adam étant dans l'état d'innocence, le dessein de Dieu ne pouvoit pas être de lui donner cette liberté, il n'avoit point alors de ces convoitises charnelles qui sont nées avec ses successeurs depuis sa chute. Il est vrai que quelques Interprétes ont crû que ce mot croissez ne regardoit que la grandeur du corps; mais outre qu'il est certain que le mot original signifie, fructifiez, & que c'est en ce sens qu'il est dit au Pseaume 132., l'Eternel a juré la vérité à David, il ne s'en détournera point, je mettrai du fruit de ton ventre sur ton Trône, c'est à dire, quelqu'un des tiens & de ta postérité; c'est en ce même sens qu'Elizabeth dit en passant à Marie, benit est le fruit de ton ventre, les Auteurs profanes se servent de la même expression dans le même sens, témoin celui-ci du Poëte Claudien,153

Nascitur ad fructum mulier prolemque futuram

Cette expression est aussi connuë dans le droit Canon154, dans lequel Mater in procreatione filiæ dicitur radix, Filius Verò flos & pomum, outre tout cela dis-je, il est certain que le mot multipliez qui suit celui-ci, fructifiez, ôte toute l'ambiguité qu'il pouroit y avoir; & d'ailleurs, le Prophete Malachie explique les paroles de Dieu d'une maniére claire & qui ne laisse aucun doute dans l'esprit; Il parle à un mari de sa femme légitime en vertu d'un Contract qu'il a fait avec elle, & il lui dit, N'est-elle pas l'ouvrage du même Dieu, & n'est-ce pas son souffle qui l'a animée comme vous? Et que demande cet Auteur unique de l'un & de l'autre, sinon qu'il sorte de vous une race d'enfans de Dieu! Saint Paul nous en donne un Commentaire à peu près pareil, lors que parlant des veuves il dit,155qu'il veut que les jeunes se marient & qu'elles mettent des enfans au monde; on prend donc des femmes & on se marie avec elles pour en avoir des fils & des filles, afin de multiplier & de ne point laisser périr nôtre nombre, comme s'exprime le Prophete Jerémie156. Dieu donc n'a établi le mariage que pour susciter lignée, & par ce moyen nous rendre en quelque façon vivans après nôtre mort;157Natura nos docet parentes pios liberorum procreandorum animo & voto uxores ducere. … Et enim id circò Filios filiasve concipimus atque edimus ut ex prole eorum, earumve, diuturnitatis nobis memoriam in ævum relinquamus; De là vient que quelques Interprétes estiment que Jésus Christ dans Saint Luc158, dit que ceux qui seront ressuscitez ne se marieront point; car, dit-il, ils ne pourront plus mourir, comme s'il vouloit dire que le mariage n'étant établi que pour nous substituer des successeurs après nôtre mort il ne sera plus nécessaire de se marier après la résurrection, puis qu'alors on ne pourra plus mourir. Le desir d'avoir lignée est dans l'homme & dans la femme, mais on dit qu'il est plus grand aux femmes qu'aux hommes, & que de là vient que ce contract a pris son nom de la femme plûtôt que de l'homme, Matrimonium, dit-on159, a matris nomine, non adepto jam, sed cum spe & omine jam adipiscendi. Mais j'avouë que je ne suis point du tout de ce sentiment, car il est certain que l'homme perpétuant son nom & sa réputation par le moyen de ses enfans, doit souhaiter beaucoup plus d'en avoir, que la femme dont le nom est éteint lors qu'elle se marie, parce qu'elle prend celui de son mari, & dont la réputation consiste uniquement à faire son devoir envers son mari & envers sa famille, la gloire de la femme, au reste, étant le mari, comme parle Saint Paul; D'ailleurs, pour me servir de l'expression des Canonistes160, filius matri ante partum est onerosus, in partu dolorosus, post partum laboriosus. Je croirois donc qu'il seroit plus vrai-semblable de dire que le mariage prend son nom de la femme, parce qu'elle contribuë plus au mariage que l'homme. Quoi qu'il en soit, il résulte toûjours de tout ceci, que le desir d'engendrer est le but & la fin du mariage; les Philosophes eux-mêmes en conviennent, Quem admodùm, disent-ils, homo naturaliter & substantialiter est Animal, ita est vivens, Naturalissimum autem opus viventium est generare sibi simile; perfectum est, disent-ils encore, unum quodque, cum simile sibi producere potest. Suivant ces maximes, comment le mariage peut-il convenir à un Eunuque? Comment peut-il être capable de le contracter? Et ne paroît-il pas que l'Eunuchisme & le mariage sont deux choses incompatibles & essentiellement opposées? Aussi les Payens, quoi qu'ils ne se conduisissent qu'à la lueur de la raison humaine obscure & bornée, ne vouloient pas qu'on contractât mariage à aucun autre but qu'à celui de procréer lignée. Voici un éxemple qui le fait bien voir; «Septitie mére des Trachales Ariminsens, pour leur faire dépit, bien qu'elle fût hors d'âge de porter enfans, épousa un Publicius aussi fort âgé, & par un testament les priva de sa succession; ces deux fils s'en étans plains au Divin Auguste, il déclara le mariage nul, & cassa le testament, voulant que ses enfans fussent ses héritiers, & refusant même au vieillard l'avantage que cette femme lui faisoit à cause qu'ils avoient contracté leur mariage sans espérance d'avoir lignée. Si la justice même s'étoit mise dans son Trône, & qu'elle eût pris connoissance de cette affaire, auroit elle plus équitablement & plus gravement prononcé?» Parmi les bêtes mêmes qui n'ont point péché & qui sont toutes demeurées dans les termes de leur nature, qui suivent toutes leur ordre, les femelles ne souffrent le mâle que pour devenir méres.

 

CHAPITRE II

Les Eunuques ne pouvant pas satisfaire au but du mariage, ils ne doivent pas le contracter

LEs Eunuques qui contractent mariage sont de mauvaise foi & méritent d'être punis. Premiérement ils commettent une fausseté insigne. Ils se donnent pour hommes & ils ne le sont point; la fausseté, selon les Jurisconsultes161, est actus dolosus veritatis mutandæ gratia ad alterum decipiendum factus, quem lex pro falso habet, & lege Cornelia de falsis coërcet. Il n'est pas nécessaire que les Eunuques pour être coupables de fausseté ayent dit positivement qu'ils étoient capables de satisfaire aux Loix de mariage, il suffit que sçachant les Loix ils se soient engagez dans cette union & qu'ils ayent donné lieu par là à croire qu'ils pouvoient en remplir les devoirs.162Car falsum committitur non dicto sed facto, comme on le voit par tous les cas qui sont rapportez dans la Loi Quid sit falsum quæritur, 23. ff. ad legem Corneliam de falsis.

En second lieu, ils promettent ce qu'ils ne peuvent point tenir. On fait différence en droit entre Sponsalia & Matrimonium; sponsalia sunt mentio & repromissio nuptiarum futurarum; ce sont les termes de la loi premiére ff. de sponsalibus. Ce mot sponsalia vient du mot spondere qui signifie promettre. Le droit Canon est fort différent du droit Civil en ce qui concerne les fiançailles des Enfans, ou des Adolécens. Le premier163 décide nettement que sponsalia amborum Infantium, vel alterius tantum per supervenientiam majoris ætatis non validantur, nec publicam honestatem inducunt.164L'Autre au contraire dit absolument que sponsalibus contrahendis ætas contrahentium definita non est, mais il ajoûte ces mots, ut in matrimoniis. C'est à dire, in Matrimonio non consideratur principaliter ætas, sed potentia generandi. L'état des contractans doit être certain, parce qu'il faut qu'ils soient capables de le consommer. S'il arrive que l'un n'en soit pas capable, il n'y a point de mariage parce que, ubi datur permixtio habilis cum inhabili vitiatur actus, quando requiritur concursus habilitatis in utroque, c'est une maxime qui est manifestement démontrée par les Canonistes qui ont commenté la Loi, utile non debet per inutile vitiari. C'est sur cela que le chapitre second de Frigidis est fondé; Il porte précisément ces mots, sicut puer qui non potest reddere debitum, non est aptus conjugio, sic qui impotentes sunt minime apti ad contrahenda matrimonia reputantur. Un enfant n'est pas propre au mariage parce qu'il ne peut point en remplir les devoirs. Il y a du plaisir à lire la dispense d'âge que l'Archevêque de Tours accorda dans le Mariage de Louïs, Dauphin, fils du Roi Charles Sept, & de Marguerite d'Ecosse, parce que l'Epoux n'avoit que quatorze ans, & que l'Epouse n'en avoit que douze; comme si une dispense de cette nature étoit une chose qui fût au pouvoir des hommes; il n'y a que la Nature qui puisse en accorder de telles165. Justinien a fixé la puberté à quatorze ans, & le droit Canon a fixé celle des filles à douze, mais il excepte de cette Loi générale celles, in quibus malitia supplet ætatem. Mais la nature n'est point assujettie aux Loix Civiles ni aux Loix Canoniques; Elle sort quelquefois de ses propres régles, elle est tantôt avare, & tantôt prodigue de ses faveurs. L'Ecriture Sainte parle de Salomon qui engendra Roboam à l'âge d'onze ans, & d'Achaz qui engendra Ezechias à l'âge de dix ans. S. Jérôme, le Pape S. Grégoire, Scaliger, Mr. Bochart, & plusieurs autres, ont rapporté des cas singuliers. Ils ont vû un garçon de dix ans avoir eu un enfant de sa nourrice; ils ont vû d'autres éxemples de ces fruits précoces166, mais ni l'autorité des hommes, ni leur artifice, n'avoit rien contribué à leur production. Les Eunuques qui n'ont plus ce que la nature leur avoit donné pour être capables du mariage, ont beau recourir à la faveur & à l'autorité des hommes, ils ne les mettront jamais en état de le consommer, & jamais ils n'obtiendront d'eux le pouvoir d'éxécuter ce qu'ils auront promis par leur engagement. Ils ont donc tort de promettre solemnellement ce qu'ils sçavent ne pouvoir absolument tenir par eux-mêmes quelque secours qu'ils reçoivent d'autrui; Paria censentur jurare & Religione data fide promittere; Et ils ne sont point excusables par la raison que les Jurisconsultes en rendent; Permittenti non subvenitur quando tempore promissionis difficultatem sciebat. Les Canonistes parlant du mariage de David avec la Sunamite167, si tant est que c'en ait été un véritable, puis que Bethsabée, Abigail, & ses autres femmes & ses concubines, vivoient encore, mettent en question si David fit bien de l'épouser, n'étant point en état de consommer le mariage avec elle; Et ils ne l'excusent que parce qu'il ne la prit point par un mouvement de convoitise, de son bon gré, mais par l'avis, ou plutôt l'ordre des Médecins, & pour satisfaire aux Principaux de son Royaume. Ils disent encore que la vie de David ayant été prolongée par ce moyen; Adonias ayant été vaincu, & le Régne de Salomon bien établi, on doit en juger favorablement.

 

Enfin, le mariage est une espéce de contract de vente & d'achat, le mari aquiert la puissance du corps de la femme, & la femme aquiert la puissance du corps du mari. A Rome autrefois le mariage se faisoit per emptionem; c'est donc un contract de bonne foi dans lequel le Jurisconsulte dit168 que le dol doit être présumé lors qu'on tient malicieusement quelque chose de secret; Comme donc dans un contract de vente rien ne doit demeurer inconnu ni douteux: que l'acheteur doit avoir connoissance du vice de la chose qu'on lui vend, ou de la maladie secrette & cachée dont l'animal vendu pourroit être atteint. De même aussi dans cette espéce d'achapt toute la fraude doit être imputée à l'Eunuque qui a caché son impuissance. Fragosus éxamine dans son excellent Ouvrage qui a pour tître, Regimen Reipublicæ Christianæ. Impedimenta matrimonii an sint revelanda quandò sunt omninò secreta, & il décide la question169 en disant, que celui qui ne révéle pas les empêchemens lors qu'ils sont diriments, péche mortellement; le mariage de ces sortes de gens est si odieux qu'il est toûjours déclaré nul & comme non avenu dès que leur état est découvert.

Les nôces qui se faisoient parmi les Romains, per coëmptionem, se célébroient de cette maniére; Après quelques cérémonies, se se coëmendo interrogabant, vir ita, an sibi mulier mater familias esse vellet? illa respondebat, velle; Interim mulier interrogabat an vir sibi pater familias esse vellet, ille respondebat velle. Sic mulier in viri conveniebat manum; c'est à ce propos que Virgile a dit,

Teque sibi generum Thetis emat omnibus undis

Servius observe que ce mot emat, se rapporte à l'ancien usage de contracter. On peut voir toutes les solemnitez de ces sortes de mariages dans le Livre sixiéme de la Cité de Dieu de Saint Augustin, & dans le chapitre neuviéme du Livre sixiéme des Antiquitez Romaines de Rosinus.

CHAPITRE III

Le Mariage des Eunuques est considéré comme nul & comme non avenu

C'Est une maxime en Droit, que falsum quod est, nihili est. Les Eunuques qui s'unissent avec une femme, la trompent; Ils ne contractent point mariage avec elle puis qu'ils ne sont pas capables de contribuer de leur part comme ils le devroient à la substance du mariage; Ainsi on peut dire que ce n'est qu'un vain phantôme, ce n'est qu'un mariage feint & simulé, & nullement un mariage réel & véritable. De là vient que quand il s'agit de séparer une femme qui a été surprise par un Eunuque, on ne dissout point le mariage, mais on déclare qu'il n'y en a point eu. C'est sur ce principe que toute la Jurisprudence de ces sortes de conjonctions est fondée170. Elle fait voir qu'il n'y a ni mari, ni femme, ni dote, ni douaire. La loi in causis, contient une décision précise sur ce sujet, si maritus, dit-elle, uxori ab initio matrimonii usque ad duos annos continuos computandos coire minime propter naturalem imbecillitatem valeat, potest mulier vel ejus parentes sine periculo dotis amittendæ repudium marito mittere. La loi si serva servo, s'explique bien plus clairement171; si spadoni, dit-elle, mulier nupserit, distinguendum arbitror castratus fuerit, nec ne; ut in castrato dicas dotem non esse, In eo qui castratus non est, quia est matrimonium, & dos & dotis actio est. Au second cas le mari a action pour la dote, & la raison qui en est donnée, c'est qu'il y a mariage, & par conséquent dans le premier cas il n'y a point de mariage, puis qu'il n'y a point d'action pour la dote; cette matiére mérite qu'on s'y étende un peu davantage.

Il semble ordinairement que dès là qu'une femme est liée par contract avec un homme, & que les cérémonies de l'Eglise ont rendu ce lien solemnel, il y a un véritable mariage, mais on se trompe; cette erreur est fondée sur cette maxime de Droit que j'expliquerai dans la suite. Consensus non concubitus matrimonium facit. Voici un Jurisconsulte qui nous en détrompe, c'est Ulpien qui prononce formellement sur ce sujet. Non omnes conjunctiones implent conditionem cùm nupserit, putà enim nundum nubilis ætatis in domum mariti deducta, non paruit conditioni si nupserit vel si ei conjuncta fit, cujus nuptiis erat interdictum.172 Ce n'est point assez d'avoir passé contract, d'avoir épousé à la face de l'Eglise, d'avoir été menée dans la maison de l'Epoux, d'avoir été mise entre ses bras, toutes ces circonstances ne sont que des apparences du mariage, mais elles ne font pas le mariage. Il faut que le mari & la femme ayent été nubiles & capables de le consommer. C'est donc avec raison que l'Empereur Justinien a décidé dans ses Institutes, que si cette femme perd son mari avant qu'elle ait été viri potens, elle ne lui a jamais été femme légitime;173 Nec vir, nec uxor, nec nuptiæ, nec matrimonium, nec dos intelligitur. Le Jurisconsulte Labeo s'explique encore plus clairement,174quando pupillæ, dit-il, legatum est, quandocumque nupserit, si ea minor quàm viri potens nupserit, non ante ei, legatum debebitur quàm viri potens esse cœperit, quia non potest videri nupta que virum pati non potest; L'Histoire175 rapporte un fait qui est digne de remarque; François I. souhaitant de tirer le Duc de Cléves du parti de l'Empereur Charles-Quint, & de l'engager dans le sien, pressa & contraignit Marguerite de France sa Sœur, & Henri d'Albret Roi de Navarre son beau-frére, de lui donner en mariage Jeanne leur fille qui n'étoit âgée que de huit à neuf ans; le mariage fut conclû & arrêté, solemnisé dans la Ville de Châteleraud, l'Epouse conduite au lit nuptial; cependant, par jugement du Pape, il a été dit depuis, qu'il n'y avoit point eu de mariage, & cette jeune Princesse a été mariée de nouveau à Antoine de Bourbon; C'est sur ce principe sans doute que les Tribunaux176 ont permis à une fille qui avoit été mariée à l'âge de sept ans avec le Frére aîné, de se marier ensuite avec le frére Cadet, lorsqu'elle est parvenuë dans un âge Nubile. Ce seroit autoriser un Inceste si on considéroit le premier mariage comme un véritable mariage. Et il paroît bien qu'il n'est point du tout consideré comme tel;177Il est même deffendu aux Prêtres par les Conciles de marier des gens notoirement incapables d'éxercer les fonctions du mariage. Les Canonistes sont beaucoup plus décisifs sur cette matiére que les autres Jurisconsultes, car ils vont jusques là qu'ils disent que contractus ante pubertatem etiam cum nisu carnalis copulæ non facit Matrimonium. On sçait ce que c'est que Pubertas, en tout cas le chapitre troisiéme du même tître l'enseigne; Puberes, dit-il, a Pube sunt vocati id est a Pudentia corporis nuncupati, quia hæc loca primo lanuginem ducunt; Quidam tamen ex annis pubertatem existimant, id est eum esse puberem qui tredecim annos implèvit, quamvis tardissimè pubescat; Certum est autem eam puberem esse, quæ ex habitu corporis pubertatem ostendit, & generare jamjam potest, & puerperæ sunt quæ in annis puerilibus pariunt; De sorte que suivant cette définition les Eunuques ne sont jamais puberes, & n'étans d'ailleurs jamais capables du mariage, ceux qu'ils contractent sont nuls par eux-mêmes. Les Conciles & les Papes deffendent expressément de faire les cérémonies prescrites par l'Eglise, comme de donner la bénédiction, &c. pour des mariages nuls, tels que sont ceux dont je viens de parler, afin qu'elles ne soient pas faites en vain. Je conclûs donc, que non est inter eos matrimonium quos non copulat commissio sexus, comme il est dit dans le Decret de Gratien178; Non est dubium, dit-il, illam mulierem non partinere ad matrimonium cum quâ commistio sexus non docetur fuisse.179Qui matrimonio conjuncti sunt & nubere non possunt, illi non sunt conjuges; Voici en un mot ce que c'est que le mariage au sentiment des Canonistes, In omni matrimonio, disent-ils180, conjunctio intelligitur spiritualis quam confirmat & perficit conjunctorum commistio corporalis. Dès là donc que dans le mariage des Eunuques il n'y a jamais eu de véritable mariage, parce qu'il n'y a jamais eu de véritable conjonction, on ne prononce point de dissolution, on dit simplement qu'il n'y a point de mariage, & que la partie plaignante est en liberté d'en contracter un avec qui bon lui semblera.181Tum propriè non fit divortium, sed fit declariatio, ut alii sciant illam societatem non esse conjugium, & conceditur personæ quæ habet naturæ vires integras ut etiam vivente altero impotente possit contrahere cum alio.182L'Eglise Romaine qui considére le mariage comme un Sacrement, ne le dissout jamais,183quo ad vinculum, elle ne sépare la partie plaignante que, quo ad thorum; lors donc qu'elle permet à la partie plaignante de se remarier, c'est qu'elle estime qu'il n'y a point eu précédemment de mariage; c'est donc se moquer & abuser des cérémonies les plus graves de la Religion que de les faire intervenir dans un acte faux & chimérique pour autoriser une imposture, qui produit des inconvéniens qu'il seroit très bon de prévenir. On peut dire même que ces gens-là sont dans le cas de la Novelle que l'Empereur Justinien a donnée184, pour punir celui des conjoints qui se trouvera avoir causé mal à propos la dissolution du mariage. Solon avoit fait auparavant une Loi contre ceux qui ne pouvoient pas rendre les devoirs dûs à leur femme; Il donnoit à ces femmes l'action d'injure contre ces maris impuissans.

149Voyez les Nouvelles de la République des Lettres par Mr. Bayle tom. 4. pag. 948.
150Ibid. tom. 7. pag. 1466.
151Institut. lib. 1. tit. 9. §. 1.
152Decret. 2. pars. causa 35. quæst. 1. & 2.
153In Eutrop. lib. 1.
154Cap. tunc salvabitur 33. Quæst. 5. & ibid. Gloss. fin.
1551. Timoth. ch. 5. V. 14.
156Jérém. ch. 29. V. 6.
157L. 220. ff. deverbor. signif. §. 3. in fin.
158Chap. 20. V. 35. & 36.
159Aul. Gel. lib. 18. cap. 6.
160Cap. extr. de convers. infidel.
161Nouvel. 73. in princip.
162L. Eleganter 24. §. qui reprobos. ff. de pignor. act.
163Sext. decretal. lib. 4. tit. 2. capitul. unic.
164L. 14. ff. de sponsal.
165L. vehenda 10. §. 1. ff. ad leg. Rhod. de Jactu.
166Voyez S. Jerôme Epitr. 2. tom. 1. p. 11.
1671. Liv. des Rois ch. 1.
168L. ea quæ commendandi causa ff. §. ult. de contrala. empt.
169Part. 1. lib. 5. disput. 12. §. 10. num. 351.
170Lib. 5. tit. 17. l. 50.
171Lib. 23. tit. 3 de Juro dotium l. 39. §. 1.
172Voyez le Tresor ou la Biblioth. du Droit Franç. par Mre. Laurent Bouchet tom. 2. pag. 691.
173Tit. de Nuptiis §. 12.
174L. 30. ff. quando dies leg. vel fideic. cedat.
175Vid. Pruckneri manuale mille quæstionum illustrium Theolog. Centur. 8. Quæst. 43.
176Voyez le Tresor, ou la Biblioth. du Droit François par Mre Laurent Bouchel tom. 2. pag. 689.
177Capitul. 10. Decretal. Gregor. lib. 4. tit. 2.
178Decret. 2. pars caus. 37. quæst. 2. c. 17.
179Ibid. c. 30.
180Ibid. c. 37., &c.
181Voy. Schneidewin. in institut. lib. 1. Tit. 10. pars 4.
182De divortio. num. 22.
183On peut voir sur ce sujet les ch. 62. & 64. de la 2. Centurie des Arrêts de Mr. le Prêtre.
184Collat. 4. Novell. 22. tit. de causis solutionis cum pœna.