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Traité des eunuques

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CHAPITRE VIII

Quel rang les véritables Eunuques ont tenu dans la société civile

COmme on a mis de tout tems une grande différence entre les Eunuques qui étoient nez Eunuques, ou qui avoient été faits tels dès leur naissance, ou par force dans un âge plus avancé, & entre ceux qui se sont faits Eunuques eux-mêmes volontairement, il est nécessaire de les distinguer ici. J'en ferai donc deux classes, & d'abord j'éxaminerai quel rang les Eunuques forcez que je mets dans la premiére, ont tenu dans la société civile.

On ne peut pas faire une histoire éxacte & suivie qui montre le rang que ces sortes de gens ont tenu dans la société civile, cela méneroit trop loin & m'écarteroit trop de mon but. Je dirai donc seulement, qu'il paroît par l'Histoire Sainte, & par l'histoire profane, que les Eunuques ont possédé les premiéres & les principales Charges dans les Cours, & qu'ils ont eu la confiance & la faveur de leurs Princes; Et je me contenterai d'en donner quelques éxemples.

Je ne parlerai point d'une raison odieuse pour laquelle les Princes les aimoient autrefois; Tout le monde sçait l'histoire de Sporus74; Néron le fit châtrer, & sa folie fut si grande qu'il tâcha de lui faire changer de séxe; Il lui fit prendre l'habit de femme, il l'épousa ensuite avec toutes les formalitez accoûtumées, il lui donna un douaire, un voile nuptial, & le tint dans sa maison en qualité de femme; à propos de quoi quelqu'un dit assez plaisamment que le monde eût été bien heureux si son Pére Domitien eût eu une telle femme; Il fit habiller ce Sporus à la maniére des Impératrices, & le faisant porter en litiére il l'accompagna aux Assemblées & aux marchez de la Gréce, & à Rome dans le quartier des sigillaires, où il le baisoit à chaque moment. Je ne rapporte que cet éxemple, parce que j'en ai dit assez sur ce sujet dans le chapitre cinquiéme de cette premiére partie de mon Ouvrage.

Nous voyons dans le Livre d'Esther75 que sept Eunuques étoient les Officiers ordinaires du Roi Assuerus, & qu'en particulier l'Eunuque Egée avoit le soin de garder les femmes de ce Roi;76Il y en avoit deux autres nommez Bagathan & Tharés qui commandoient à la premiére entrée du Palais du Roi;77l'Histoire de Judith nous apprend, que les Huissiers de la Chambre d'Olopherne étoient des Eunuques, & que Vagao, ou Bagoas en étoit le principal; c'étoit lui qui avoit soin de la personne du Maître & de ce qui concernoit sa garderobe & son lit;78l'Eunuque de la Reine de Candace qui fut batisé par Philippe, étoit un des premiers Officiers de cette Reine, & Sur-intendant de ses finances, & de tous ses trésors;79c'étoit un Eunuque qui commandoit les troupes de Sedecias Roi des Juifs. Cyrus victorieux de tous ses ennemis, Crœsus & Sardes étans entre ses mains, ayant pris Babylone, établit sa demeure dans le Palais Royal de la plus grande Ville de l'Univers; & considérant qu'on ne l'y voyoit pas de bon œil, & qu'on ne lui vouloit point de bien, crût qu'il avoit besoin d'une forte Garde pour la sûreté de sa personne. Il ne prit cependant que des Eunuques pour ses gardes & pour les Officiers de sa Maison; & les raisons qui l'y portérent sont amplement & éxactement déduites sur la fin du chapitre sixiéme du Livre septiéme de son Histoire ou de la Cyropedie. On donnoit les enfans en garde aux Eunuques, on leur laissoit le soin de les élever, de leur donner de80l'éducation, de les instruire dans les belles lettres, & de leur enseigner les sciences & les disciplines; Tous ces différens emplois les avoient rendus recommandables dans le monde. Les Rois & les Princes, soit qu'ils eussent été leurs éléves, soit qu'ils ne l'eussent point été, les estimoient & les honoroient particuliérement; Ils avoient en eux beaucoup de confiance, & ces Eunuques profitant de ces avantages se rendoient insensiblement les Maîtres du Gouvernement & de l'Etat, & abusérent beaucoup de leur crédit; la Religion Chrétienne en a quelquefois souffert. Les Cours se remplissoient de ces sortes de gens, ils s'emparoient de tous les principaux emplois. Voici un éxemple bien précis qui justifie cette vérité; C'est la Cour de l'Empereur Constance, elle étoit pleine d'Eunuques & ils y étoient les maîtres de toutes les affaires; Voici de quelle maniére Mr. Herman en parle dans l'excellente Vie de81St. Athanase. «Avant que d'attaquer le Prince même, ce Prêtre Arrien fut assez adroit pour gagner ceux qui étoient autour de lui, car la familiarité qu'il avoit avec82 l'Empereur l'ayant fait connoître de l'Impératrice il entra aussi dans la familiarité de ses Eunuques, & particuliérement dans celle d'Eusebe qui étoit le premier de cette troupe efféminée, & l'un des plus méchans hommes du monde;83 Ayant prévenu l'esprit de cet Eunuque il pervertit les autres par son moyen; ensuite il fit passer ce poison mortel dans l'ame de l'Impératrice, & dans le Cœur des Dames de la Cour; ce qui a fait dire à St. Athanase que les Arriens se rendoient terribles à tout le monde, parce qu'ils étoient appuyez du crédit des femmes.

«Après cela il ne fut pas difficile à ce Prêtre Arrien de se rendre Maître de l'esprit de l'Empereur, qui étoit lui-même l'esclave de ses Eunuques dont il avoit rempli toute sa Cour, & qui ne suivoit en toutes choses que les conseils & les mouvements de ces hommes lâches.

«Mais quelque crédit qu'eussent tous les autres, ce n'étoit que comme de petits serpens qui ne faisoient que ramper, au lieu qu'Eusébe son grand Chambellan levoit la tête avec orgueil;84& en effet il se rendoit si formidable par sa puissance, que selon les historiens, pour en concevoir quelqu'idée qui fût conforme à la vérité, il suffisoit de dire que Constance avoit beaucoup de crédit auprès de lui. Eux de leur côté le flatoient jusqu'à lui donner le tître de Roi éternel.85Ils nous ont aussi dépeint ses excellentes qualitez par ce bel Eloge, qu'il avoit une vanité insupportable, qu'il étoit également injuste & cruel, qu'il punissoit sans éxamen ceux qui n'étoient convaincus d'aucun crime, & qu'il ne faisoit point de discernement entre les innocens & les coupables.86Les Auteurs prophanes sont remplis de plaintes contre la malignité & la domination Tyrannique de cet Eusébe & des autres Eunuques de Constance, mais ils ne considérent que les maux qu'ils firent à l'Etat, & nous avons sujet de déplorer ceux que l'Eglise ressentit par leur violence; On vit ces hommes87 voluptueux & efféminez, à qui les hommes du monde confient à peine les moindres emplois qui concernent le service de leurs maisons, & que l'Eglise bannit de ses conseils, selon ses régles saintes & inviolables, devenir les Maîtres & les Souverains de toutes les affaires de l'Eglise, & dominer dans ses jugemens, parce que Constance n'avoit point de volonté que celle qu'ils lui inspiroient, & que ceux qui portoient le nom d'Evêques, trouvoient de la gloire & du mérite à être les Ministres & les fidéles éxécuteurs de toutes leurs passions & à devenir les acteurs des piéces de Théatre, que ces hommes si méprisables & si corrompus avoient composées.88 Nous allons donc voir que ce furent eux qui causérent tous les maux & tous les desordres que l'Eglise souffrit alors, comme certes ils étoient très-dignes d'être les Protecteurs de l'hérésie Arrienne, & les ennemis de la divine fécondité du Pére éternel. Voici ce que St. Athanase ajoûte à cela. L'Eunuque Eusébe, dit-il, étant arrivé à Rome, sollicita d'abord Libére de souscrire la condamnation d'Athanase, & d'entrer dans la Communion des Arriens, disant que c'étoit la volonté de l'Empereur, & l'ordre exprès qu'il lui portoit de sa part; & ensuite après lui avoir montré les présens par lesquels il tâchoit de le séduire, il lui prit la main & lui dit, laissez-vous persuader par l'Empereur, & recevez ce qu'il vous donne. Mais cet Evêque s'en défendit fortement & justifia sa résistance par ce discours… Voilà, dit-il, ce que répondit Libére à Eusébe, mais cet Eunuque étant moins affligé de ce qu'il n'avoit pas souscrit la condemnation d'Athanase, que de ce qu'il trouvoit en sa personne un ennemi de leur Hérésie, & ne considérant pas qu'il étoit devant un Evêque, après lui avoir fait de grandes menaces, il le quitta, sortit avec les présens qu'il venoit de lui offrir, & fit une chose aussi contraire à la maniére d'agir des Chrétiens, qu'elle étoit même au dessus de la témérité des Eunuques… Une action si généreuse ayant augmenté la colére & le transport de cet Eunuque, il irita l'Empereur en lui réprésentant qu'il ne devoit plus se mettre en peine de ce que Libere ne vouloit pas signer la condamnation d'Athanase, mais de la disposition d'esprit qu'il faisoit paroître contre leur Hérésie qui lui étoit si odieuse qu'il prononçoit nommément des Anathêmes contre les Arriens; Il échauffa aussi par ce discours l'esprit des autres Eunuques, & il y en avoit un très grand nombre à la Cour de l'Empereur, qui pouvoient tout auprès de lui, & sans la participation desquels il ne faisoit rien. Constance écrivit donc à Rome, continuë nôtre Saint, & il y envoya tout de nouveau des Officiers de son Palais, des Secrétaires, & des Comtes, avec des lettres qu'il adressoit au Gouverneur de la Ville; Et il leur avoit donné l'ordre, ou de surprendre Libére par leurs ruses & par leurs artifices pour le faire sortir de Rome & l'envoyer à la Cour, ou d'employer ouvertement la violence & l'outrage afin de le persécuter. Ces écrits remplirent toute la Ville de frayeur & d'épouvente, & ce n'étoit qu'embuches de toutes parts. Combien y eut-il de familles à qui on fit des menaces? Combien de personnes reçûrent des commandemens contre Libére? Combien eut-il d'Evêques qui se cachérent quand ils virent ces excès? Combien y eut-il de Dames illustres qui se retirérent à la Campagne à cause des calomnies dont les chargeoient ces ennemis de Jésus Christ? Combien y eut il de solitaires qui se trouvérent exposez à leurs embuches? Combien firent-ils persécuter de personnes qui avoient établi leur demeure dans la solitude pour le reste de leurs jours? Quels soins ne prirent-ils point par plusieurs fois, de faire garder les ports, & les portes de la Ville, de peur qu'aucun Catholique n'y entrât pour voir Libére? Rome connut alors par expérience quelle étoit la conduite de ces impies qui déclaroient la guerre à Jésus Christ même, & elle apprit pour l'avenir ce qu'elle n'avoit pas crû jusqu'à ce tems-là, pour ne l'avoir sçû que par le récit des autres, sçavoir de quelle maniére ils avoient renversé toutes les autres Eglises en tant de Villes différentes.

 

«C'étoit des Eunuques qui faisoient tous ces desordres, & qui étoient auteurs de tous les excès que les autres commettoient de toutes parts. Et il n'est pas en effet étrange, que comme l'Hérésie des Arriens fait profession de nier le Fils de Dieu, elle s'appuye du crédit des Eunuques, qui étans naturellement stériles, & ne l'étans pas moins dans l'ame en ce qui regarde les actions de piété & de vertu que dans le corps, ne peuvent du tout souffrir que l'on parle du Fils de Dieu. Cependant, l'Eunuque de la Reine d'Ethiopie ne comprenant pas ce qu'il lisoit, crût les instructions que lui donna Saint Philippe touchant le Divin Sauveur. Mais les Eunuques de Constance ne peuvent souffrir que Saint Pierre ait autrefois confessé sa Divinité; Ils s'élévent même contre le Pére Eternel quand il déclare que c'est son Fils, & s'emportent de fureur contre ceux qui disent que c'est le véritable Fils de Dieu; c'est pour ce sujet que la Loi deffend de les admettre dans les Jugemens Ecclésiastiques. Mais les Arriens viennent de les en rendre les maîtres. Constance ne prononce rien que ce qui leur est agréable, & ceux qui portent le nom & la qualité d'Evêques, n'en disent mot, & regardent tous ces desordres avec dissimulation. Hélas! Qui sera celui qui écrira un jour cette Histoire, & qui fera passer jusqu'à une autre génération la rélation funeste de tant de tristes événemens? Qui poura croire un jour de si grands excès quand on entendra dire que des Eunuques à qui on confie à peine le soin des affaires domestiques, & dont le service est suspect en ces rencontres, parce que c'est un genre de personnes qui n'aiment que le plaisir & qui n'ont point d'autre but que d'empêcher dans les autres ce que la nature leur a refusé à eux-mêmes; Que ces Eunuques, dis-je, gouvernent maintenant les Eglises!»

Ce Saint fait paroître une juste indignation contre les Eunuques qui étoient alors absolus à la Cour, & qui se sont rendus éxécrables à leur siécle & à toute la postérité. L'Arrianisme étoit tellement répandu parmi eux, qu'en ce tems-là porter le nom d'impie & celui d'Eunuque étoit la même chose, selon Saint Grégoire de Nazianze89. Et leurs violences ont été si odieuses aux Payens mêmes, qu'Ammian Marcellin a écrit d'eux, qu'ayant toûjours de la fierté & de l'aigreur, & n'ayant pas les liaisons domestiques & les engagemens naturels qu'ont les autres hommes, ils n'embrassent que leurs richesses qu'ils considérent comme leurs très chéres & très agréables filles. 90 Mr. Herman dit, que l'Histoire de ce combat est devenuë si célébre dans toute la postérité, que les Payens mêmes en ont marqué l'événement; mais qu'il aime mieux puiser dans les sources pures que d'avoir recours à ces ruisseaux si bourbeux; Et que comme il préfére avec raison le témoignage de Saint Athanase à celui de tous les Auteurs de ce siécle, c'est par ses propres paroles qu'il doit commencer l'importante relation de laquelle j'ai tiré ce que je viens de rapporter sur ce sujet.

Les Eunuques avoient été tout-puissans du tems du grand Constantin, Pére de l'Empereur Constance dont je viens de parler. Il les avoit élevez aux premiéres Dignitez & les appelloit ses Amis; mais ayant appris combien ils étoient pernicieux à l'Etat, il les en avoit dépouillez, & les avoit réduits à se borner uniquement aux affaires domestiques.91Il y a dans le Code Théodosien une Loi qui nous apprend que tout l'Empire avoit gémi sous l'oppression de ces sortes de gens, sans avoir osé se plaindre; mais que l'Empereur en ayant eu connoissance, avoit publié cette Loi, par laquelle il invite tout le monde à venir dire ses griefs; il promet d'écouter lui-même ce qu'on aura à dire contre ces sortes de gens, & de punir ceux qu'on aura convaincu de quelque crime. Il les fit exclurre du Sacerdoce dans le fameux Concile de Nicée qu'il assembla. Cependant, quoi qu'ils fussent, pour le dire ainsi, dégradez & destituez de tous les Emplois publics, civils & militaires, comme ils approchoient de l'Empereur & qu'ils en avoient l'oreille, ils étoient encore formidables, & on les craignit jusques à ce qu'ils fussent entiérement éloignez. Licinius qui a été son Allié, & pendant quelque tems son Compagnon à l'Empire, les haïssoit beaucoup; il les appelloit la tigne & la vermine de l'Etat;92 mais comme Licinius a été un Tyran, & un Prince qui s'est rendu odieux par plusieurs raisons, ce qu'il a fait dans des vûës particuliéres, ne peut point être tiré à conséquence.93 Aléxandre Sévére ne les avoit point aimez, il les appelloit tertium hominum genus; Et au lieu que Heliogabale qui l'avoit précédé avoit été leur esclave, & Eunuque lui-même, il les humilia & les abaissa, il les réduisit à un fort petit nombre. Il en donna plusieurs à ses Amis, & pour montrer le peu de cas qu'il en faisoit, il leur dit en les leur donnant que s'ils n'avoient pas de meilleures mœurs que celles qu'ils avoient euës jusqu'alors, ils pouvoient les tuer sans forme de procès. Il est extrémement loué dans l'Histoire de n'avoir pas imité les Rois de Perse qui se laissoient tellement gouverner par les Eunuques, que ces sortes de gens les cachoient à leurs Sujets, qui ne pouvoient leur rien dire ni en recevoir aucune réponse que par leur canal; Ils leur rapportoient les choses comme il leur plaisoit, souvent tout autrement qu'elles n'étoient, & prenans grand soin que le Roi ne sçût que ce qu'ils vouloient bien qu'il sçût, il arrivoit souvent de grands inconvéniens, parce qu'ils donnoient telles impressions qu'il leur plaisoit, & au Roi, & à ses Sujets;94L'Histoire d'Orsines en est une preuve; Orsines étoit un descendant de Cyrus, le plus grand Seigneur de la Perse, & le Sang le plus noble de l'Orient; Il fit de grands présens aux Principaux de la Cour d'Aléxandre, & négligea Bagoas; Quelqu'un lui ayant dit qu'il avoit mal fait, parce qu'Aléxandre aimoit cet Eunuque; Il répondit qu'il honoroit les Amis du Roi, mais non pas ses Eunuques; Et que les Perses se servoient autrement de ces gens-là que les Grecs; Ce discours ayant été rapporté à Bagoas il jura la ruine d'Orsines, homme d'une vie sans reproche; En effet, il fit tant de faux & de secrets rapports contre lui à Aléxandre, qu'il l'aigrit & qu'il l'anima contre lui, de sorte qu'enfin il le fit mettre dans les fers, & le condamna à la mort. Bagoas ne fut pas content de faire traîner un innocent au supplice, il eut bien l'impudence de le frapper dans le tems qu'il alloit mourir, mais Orsines l'envisageant avec indignation lui dit, j'avois bien ouï dire que des femmes avoient autrefois régné dans l'Asie, mais il m'est nouveau d'y voir régner un infame Eunuque. Aléxandre Sévére instruit de tous les desordes que ces Eunuques avoient fait, il les dompta tous, & les réduisit presque à rien. Ces Eunuques étoient des gens qui vouloient sçavoir tout ce qui se faisoit à la Cour, & qui vouloient qu'on crût qu'il n'y avoit qu'eux qui le sçussent; c'étoit à eux à qui on s'adressoit pour obtenir des graces du Prince; les Gouvernemens de Province ne s'obtenoient que par leur moyen, & ils vendoient à deniers comptans ce que le Prince donnoit desintéressément. Cet Empereur aimoit assez la solitude, il vouloit être seul ordinairement après le dîner & à certaines heures du matin, personne alors ne pouvoit le voir. Un certain Vetronius Turinus profitoit de cette retraite & faisoit croire aux gens, que dans ce tems là il lui persuadoit & lui faisoit faire tout ce qu'il vouloit, il le faisoit passer pour un fat qu'il conduisoit à son gré, & sous ce prétexte il promettoit à tout le monde ce qu'on lui demandoit, & se faisoit fort de le faire agréer ou éxécuter par Sévére, moyennant quoi il recevoit & amassoit des sommes immenses. Comme il n'étoit pas vrai que l'Empereur fût tel qu'il le disoit, ni qu'il eût le crédit dont il se vantoit, il ne tenoit parole à personne, ce qui donna lieu à bien des gens de murmurer. Cette conduite de Turinus étant enfin parvenuë à la connoissance de l'Empereur, il voulut qu'on se rendit partie contre lui & qu'on l'accusât, de sorte que ce qu'il avoit promis & qu'il n'avoit point effectué, & les sommes qu'il avoit touchées pour cela ayant été découvertes, Sévére le fit attacher à un poteau dans un lieu passant, & le fit mourir par la fumée qui s'élevoit vers lui d'un bois verd & humide qu'on avoit allumé;95Et pendant qu'il souffroit son supplice il y avoit un homme qui crioit, fumo punitur qui vendidit fumum.

 

Les Eunuques furent plus considérez sous Constantin pendant un certain tems. Ils le furent encore plus sous Constance, comme je l'ai fait voir. Ce Prince ni ses fréres, ne furent ni aimez de leurs Sujets, ni craints de leurs ennemis, comme Constantin leur Pére l'avoit été, & ils avoient peine à soûtenir une partie du fardeau qu'il avoit porté lui seul avec tant de gloire; les Eunuques furent en crédit sous leur Régne. Il paroit qu'ils ont encore été en faveur du tems de Theodose le jeune;96car on voit dans le Code qui a été fait par son ordre, qu'au lieu que ceux qui obtenoient des confiscations étoient obligez d'en donner la moitié au fisc, il dispensa ses Eunuques de cette obligation & leur laissa le tout. Et Zozime97 remarque que cet avantage porta ces Eunuques à commettre mille faussetez insignes, comme de faire entendre au Prince que ceux dont ils demandoient que les biens fussent confisquez à leur profit étoient morts sans laisser de veuves, d'enfans, ni de parens, ce qui causoit souvent la désolation de plusieurs familles, & des larmes & des gémissemens aux héritiers légitimes, qui étoient souvent de vieilles veuves caduques ou infirmes, & des orphelins innocens. Il est certain pourtant qu'il fit un Edit qui deffendoit qu'aucun Eunuque ne fut du nombre des Patriciens, mais ce fut par une vûë particuliére, & pour deshonorer Antiochus qu'il contraignit par là à se renfermer dans un Cloître. 98 Lucien nous apprend que Philœterus qui le premier a eu la Principauté de Pergame étoit Eunuque, & qu'il a vécu quatre vingt ans. Il y a eu un autre Prince nommé Hermias qui a été Eunuque; Il ne pouvoit jamais souffrit que personne parlât en sa présence de couteau, ni de section, parce qu'il s'imaginoit qu'à cause qu'il étoit Eunuque, ces mots lui étoient adressez. 99 Si l'extrait d'une lettre écrite de Batavia dans les Indes occidentales le 27, Novembre 1684. contenu dans une lettre de Mr. de Fontenelles, reçûë à Rotterdam par Monsieur Bânage, fait le recit d'une avanture véritable, comme on peut le croire, puisque l'illustre Mr. Bayle qui l'a rapporté ne la donne point pour fabuleuse, & qu'il la certifie en quelque sorte, bien loin de la rendre suspecte; Mreò Reine de l'Isle de Borneo, veut que tous ses Ministres soient Eunuques; Eénegu, Princesse qui lui dispute le Trône, ne veut point d'Eunuques dans sa Cour. Comme nous ne sçavons pas quel succès, ont eu les contestations & la guerre que ces deux Princesses ont euës entr'elles, ni par conséquent laquelle des deux jouït présentement de l'Empire, on ne sçait pas si les Ministres de la Reine de l'Isle de Borneo sont Eunuques, ou s'ils ne le sont point. On peut dire seulement que Mreò agit comme Plautiames qui du tems des Antonins fit châtrer tous ceux qui devoient servir à Maison de Plautilla sa fille que Caracalla avoit épousée, sans épargner les hommes non plus que les jeunes garçons, comme nous le voyons dans les recueils de Constantin Porphyrogenéte sur Dion.

Pour peu de connoissance qu'on ait de l'histoire de la Cour Ottomane, on n'ignore pas que les Eunuques y parviennent aux premiéres dignitez de l'Etat, & qu'il n'y a qu'eux, à proprement parler, qui les possédent. Les deux plus illustres Bascha qui ayent eu de la réputation pendant les guerres si célébres dans l'histoire, étoient Eunuques;100l'un a été Halis, & l'autre Sinar. Mr. de Thou rapporte un bon mot dit par le premier, il se moqua, dit-il, du Courier qui lui annonçoit comme une fort mauvaise nouvelle, la prise de la Ville de Strigonie par les Chrétiens l'an 1556, lui disant qu'il avoit bien fait une autre perte lors qu'on lui avoit enlevé la plus importante piéce qu'il eut. Et Paul Jove nous apprend que ce fut une truye qui Châtra Sinar en lui arrachant & devorant le membre viril, comme il dormoit à l'ombre, dès sa plus tendre jeunesse.

Tout ce que je viens de dire ne concerne le rang que les Eunuques ont tenu dans la société civile que par rapport aux Princes & aux Souverains; il est bon de voir aussi quelle idée les Peuples en ont euë & quel cas ils en ont fait.

74Dior. Cassius, in Neron. Art. 28.
75Ch. 1. V. 10.
76Ibid. ch. 2.
77Judith ch. 12.
78Act. ch. 8. V. 26.
79Jérémie ch. 52. V. 25.
80Plat. de leg. lib. 3.
81Grégoire de Nazianze Oraison 23.
82Athanas. ad solitar. pag. 384.
83Amm. Marcell. liv. 18.
84Ibid. liv. 15.
85Ibid. l. 8. ch. 15.
86Julian. Imperat. ad Atheniens. pag. 501.
87Athan. ad solitar. pag. 834. 835.
88S. Athanas ad solitar. pag. 852 & Herman Vie de S. Athanase liv. 7. ch. 10.
89Gregor. Nazianz. orat. 31.
90Liv. 7. ch. 10.
91Liv. 9. tit. 1. l. 4.
92Eusebe Hist. Eccles. liv. 10 ch. 8.
93Ælius Lampridius.
94Quint. Curt. lib. 10. cap. 1.
95Ælius Lampridius in sever.
96Cod. Theod. liv. 10, tit. 10, liv. 34.
97Liv. 5. pag. 800.
98Lucian. Macrob.
99Voyez Nouvelles de la République des Lettres Janvier 1686, art. 10. tom. 5. pag. 87.
100Liv. 17.