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Traité des eunuques

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CHAPITRE VI

Pourquoi quelques hommes se sont faits eux-mêmes, ou fait faire Eunuques par d'autres

IL y a eu des hommes qui se sont faits Eunuques par un esprit de dévotion, dans la pensée de se rendre plus agréables à Dieu, & plus capables de travailler à leur salut. Comme Origéne a été le premier, le Pére pour le dire ainsi, & le Patriarche de ces sortes d'Eunuques, il est bon de faire voir en peu de mots le véritable motif qui l'a fait penser & agir d'une maniére si singuliére à cet égard. Je sçai bien que Justin Martyr48 parle d'un jeune homme d'Aléxandrie antérieur à Origéne, qui pour faire voir que ceux qui accusoient les Chrêtiens de commettre dans leurs Assemblées des saletez horribles, n'étoient que des calomniateurs, présenta requête à Felix, Gouverneur de cette Ville, pour obtenir de lui un Chirurgien qui le mit hors d'état d'être jamais soupçonné d'aucune impureté; Mais comme Felix le lui refusa parce que les lois Romaines le deffendoient, comme les Canons de l'Eglise le deffendirent depuis, je crois avoir raison de mettre Origéne le premier en ordre; parce que s'il n'a pas été le premier qui ait eu un semblable dessein, au moins a-t-il été le premier qui l'ait éxécuté.

Origéne nâquit à Alexandrie l'an 185. de Jesus Christ. Son Pere nommé Leonidas le fit étudier en Theologie, dans la connoissance de laquelle il se rendit très-sçavant. Le témoignage de Saint Jerôme suffit pour le prouver, car dans le tems même qu'il écrivoit le plus fortement contre Origene il reconnoissoit qu'il avoit été un grand homme dès sa naissance,49Magnus vir ab infantia; Il étoit si ardent à professer la Religion Chrétienne, que la persécution s'étant élevée dans Aléxandrie sous l'Empire de Severe l'an 202. de Jesus Christ, il voulut courir au Martyre quoi qu'il ne fut âgé que de seize à dix sept ans; & il y seroit allé si sa mére ne l'en eut empêché en le retenant par force & par adresse. Ne pouvant donc le souffrir lui-même il exhorta son Pere par lettres à l'endurer courageusement. En effet il eût la tête tranchée & ses biens furent confisquez, de sorte qu'Origene fut réduit à la derniere pauvreté. Une Dame riche d'Alexandrie en ayant eu pitié le retira dans sa maison; Elle y avoit avec elle un fameux Hérétique d'Antioche qu'elle avoit adopté pour fils, qui faisoit chez elle des conférences auxquelles les hérétiques & les orthodoxes assistoient indifféremment. Origene conversa bien avec lui, mais il ne voulut jamais avoir de communication avec lui dans la priére, observant religieusement les Réglemens de l'Eglise, & témoignant de l'horreur pour la doctrine des Hérétiques;

Il souhaita de vivre indépendamment d'autrui, & en effet il se mit à enseigner la Grammaire; & depuis, la chaire de l'Ecole d'Alexandrie étant vacante elle lui fut donnée, & comme elle ne lui produisoit pas suffisamment de quoi vivre, il vendit tous ses livres qui traitoient des sciences prophanes, & se contenta de quatre oboles par jour que lui donnoit celui qui les avoit achetez. Il commença alors à mener une vie très-laborieuse & très-austere: & comme son emploi l'obligeoit à être souvent avec des femmes qu'il instruisoit aussi bien que les hommes, pour ôter aux Payens tout prétexte de soupçon de quelque mauvaise conduite à cause de sa grande jeunesse; il se résolut d'éxécuter à la lettre la perfection qu'il se persuadoit que Jesus Christ avoit proposée dans ces paroles de l'Evangile. Il y en a qui se sont faits Eunuques eux mêmes pour le Royaume des Cieux. Il tâcha de tenir cette action secrette, il la cacha même à ses amis; mais il ne put empêcher qu'elle ne fut sçuë. Demetrius Evêque d'Alexandrie en eut connoissance, loua son zele, & l'ardeur de sa foi, mais il changea de langage bien après; car la reputation d'Origéne s'étant répanduë en divers lieux où il étoit allé, Demetrius écrivit contre lui & lui reprocha cette action qu'il avoit louée. Il poussa sa passion si loin qu'il le fit chasser d'Aléxandrie, le fit déposer dans un Concile d'Evêques d'Egypte, & même excommunier, & écrivit par tout contre lui pour le faire rejetter de la Communion de toutes les Eglises du monde. Ce narré tiré d'un Auteur50 authorisé par l'approbation du public & conforme à ce qu'en dit Eusebe, refute & détruit ce que rapporte Saint Romuald sur ce sujet. Il dit51 que l'an 232. il s'éleva une sédition populaire dans Alexandrie contre Origene qui l'obligea à se retirer ailleurs, laissant son disciple Heracles en sa place de Recteur des Ecoles de la Ville. On ne sçait pas bien, dit-il, la cause de cette sédition, les uns l'attribuent à la publication qu'il avoit faite de son Periarchon, ou des principes, qui étoit un vrai labyrinthe d'erreurs; & les autres aux efforts qu'il faisoit pour persuader à ses disciples de l'imiter en se faisant Eunuques comme lui, soit par le fer ou par la ciguë, afin d'énerver tout à fait cette partie rebelle du corps, & se priver ainsi de tout mouvement bestial de la chair. Il se range du second avis, parce, dit-il, que ce fut à peu près dans ce tems que cette erreur se convertit en hérésie, par le faux zéle de ce Valesius Arabe dont j'ai déja parlé, & qui en fut le Propagateur52. Mais il est certain 1. qu'Origéne n'a jamais fait de violence à personne, il a tenu son action secrette, & si elle s'est divulguée ça été contre son intention;532. Il l'a lui-même condamnée depuis, c'est un fait que le même Auteur dont j'ai tiré l'abregé de son Histoire remarque expressément; Eusebe son plus grand Protecteur en parle d'une maniére qui fait voir qu'il en avoit honte; Il avoit honte aussi d'avoir employé trop de tems à l'étude des sciences profanes, & il s'en excuse dans le second livre de son apologie, ou de sa deffense.54Les passages où Origene lui-même a condamné son action sont dans son sermon 15. sur St. Matthieu, au ch. 19. V. 12. & dans son ouvrage contre Celse, liv. 7. Il n'y a qu'à lire aussi ce qu'il dit dans son Traité septiéme sur le Chapitre dix-huitieme de St. Matthieu pour être convaincu qu'il a bien changé d'avis, voici ses termes; Nos autem si spiritales sumus verba spiritus spiritualiter accipiamus & de tribus istis Eunuchizationibus ædificationem introducentes moralem. Eunuchi nunc moraliter abstinentes se a veneriis sunt appellandi; Eorum autem qui se continent differentiæ tres sunt. Ceux qui sont Eunuques dès le ventre de leur mére, sont, dit-il, ceux qui le sont par tempéramment, qui sont nez froids ou impuissans; ceux que les hommes ont fait, sont, ajoute-t-il, ceux qui le sont par raison, ce sont ces Philosophes qui faisant profession d'une sagesse mondaine, s'abstiennent du commerce des femmes par des maximes humaines, ou ceux ausquels une fausse honte, ou les loix publiques les deffendent: Les Ecclesiastiques de l'Eglise Romaine sont de ce nombre. Ceux enfin qui se font Eunuques pour le Royaume des Cieux sont, dit-il, ceux qui sont chastes par vertu & par pieté, pour être mieux disposez au service de Dieu, & dans l'intention d'être mieux disposez au service de Dieu, & dans l'intention de lui être plus agreables.55Socrate l'Historien dit qu'Origene, qu'il nomme Doctor Valde sapiens, avoit reconnu que les préceptes de la Loi de Moïse ne pouvoient pas s'entendre à la lettre & qu'il falloit leur donner une explication plus sublime, & il ajoute que, præceptum de paschate ad altiorem divinioremque sensum traduxit, ce qui fait voir d'autant plus qu'Origene étoit revenu de l'ancienne erreur dans laquelle il avoit été, qu'il falloit entendre à la lettre ce qui est contenu dans le Vieux & dans le Nouveau Testament;

 

Valesius dont j'ai déja parlé vint après lui, & comme les disciples vont toûjours au delà de leurs Maitres, (si tant est que Valesius qui n'étoit qu'imitateur d'Origene, puis que cet ancien Docteur ne lui avoit jamais enseigné ni recommandé cette cruelle doctrine, puisse ou doive passer pour son disciple) enchérit beaucoup sur la pratique d'Origéne; car au lieu qu'Origéne n'avoit considéré les paroles de Jesus Christ que comme un Conseil, qu'il ne l'avoit pratiqué que ad melius esse comme parlent les Philosophes, par desir de parvenir à la perfection; & pour ôter à ses ennemis tout prétexte de juger mal de ses conversations avec des filles qu'il enseignoit, Valesius au contraire changea cette action volontaire en action nécessaire, & forçoit tous ceux qui tomboient entre ses mains à se faire Eunuques; car lors qu'ils ne vouloient pas le faire eux mêmes il les y contraignoit, il les lioit sur un banc & leur coupoit de ses propres mains leurs parties viriles, en leur disant qu'il falloit accomplir à la lettre ce qu'avoit dit nôtre Seigneur, Qu'il y avoit des Eunuques qui s'étoient faits Eunuques pour le Royaume des Cieux.

Cette secte qui fut appellée la secte des Valesiens, ou des Eunuques, ne dura pas long tems; 1. parce qu'elle fut absolument condamnée par le premier Concile général de Nicée à l'occasion de Leontius Prêtre qui s'étoit fait Eunuque; 2. parce que ceux qui avoient subi la peine, avoient souffert de si horribles douleurs, & avoient été si fort en danger de mourir, que cela donna de la frayeur aux autres qui abandonnérent cette secte; 3. & enfin, parce qu'étant deffendu par les loix Romaines de se faire Eunuque, il falloit en demander la permission au Magistrat Civil; on se fit une honte de faire cette démarche, d'autant plus qu'on étoit en quelque sorte assuré d'être presque toûjours refusé, témoin le refus qui fut fait à ce jeune garçon dont Justin Martyr fait mention dans sa seconde Apologie à l'Empereur Antonin, qui alla demander cette permission au Préfect Augustat, parce que le Médecin ne vouloit pas mettre la main sur lui, timore pœnæ.56 Voila le commencement, le progrès, & la fin de cette secte.

D'autres motifs ont succédé à ceux d'Origéne & de Valesius, & il y a eu des gens qui se sont faits Eunuques eux-mêmes par des raisons différentes. Tout le monde sçait l'histoire de Combabus, elle est dans Lucien, mais l'illustre Monsieur Bayle l'a renduë fort publique accompagnée de toutes ses circonstances dans son Dictionnaire historique57. Combabus étoit un jeune Seigneur sçavant dans l'Architecture, à la Cour du Roi de Syrie. Il fut choisi par ce Monarque pour accompagner la Reine Stratonice dans un voyage assez long qu'elle devoit faire, pour aller bâtir un Temple à Junon suivant les ordres qu'elle en avoit reçûs en songe. C'étoit un très beau garçon, il crût que le Roi concevroit infailliblement quelque jalousie contre lui, il le supplia donc très instamment de ne lui point donner cet Emploi, & n'ayant pû obtenir cette dispense il se compta pour mort s'il ne prenoit garde à lui d'une maniére qui ne souffrit point de reproche. Il obtint seulement sept jours pour se préparer à ce voyage; voici donc quels furent ses préparatifs. Dès qu'il fut à son logis, il déplora le malheur de sa condition, qui l'exposoit à la triste alternative de perdre sa vie ou son séxe, & après avoir bien soûpiré il se coupa les parties secrettes qu'on ne nomme pas, & les mit bien embaumées dans une boëte qu'il cacheta; lors qu'il fallut partir il donna la boëte au Roi en présence d'un grand nombre de personnes, & le pria de la lui garder jusqu'à son retour. Il lui dit qu'il y avoit mis une chose dont il faisoit plus de cas que de l'or & de l'argent & qui lui étoit aussi chére que la vie. Le Roi mit son cachet sur cette boëte & la donna à garder au Maître de sa garderobe. Le voyage de la Reine dura trois ans, & ne manqua pas de produire ce que Combabus avoit prévû, de sorte que l'évenement justifia la précaution qu'il avoit prise.

Cette action de Combabus produisit un autre motif de se faire Eunuque. Ses amis intimes voulurent l'être pour le consoler de sa disgrace, fondez sur cette ancienne maxime, que c'est une consolation pour les malheureux que d'avoir des compagnons de leur infortune. Lucien ajoûte que cette conduite des amis de Combabus a servi de fondement à une coûtume qui s'observoit tous les ans, de mutiler plusieurs personnes dans le Temple que Stratonice & Combabus avoient fait bâtir, & il dit qu'ils se mutiloient, sive Combabum consolantes, sive Junoni, &c.

Mais voici d'autres motifs bien différens de celui de Combabus & de ses amis; un jeune Gentilhomme bien fait, ayant vaincu sa Maîtresse par ses instances & par sa persévérance, ne pouvant par un malheur qui lui arriva, profiter de sa Conquête, parce qu'il ne fut pas le Maître des instrumens de sa passion; qui ne voulurent pas lui obeïr, & qui furent de glace pendant que son cœur étoit embrasé, mortifié de cette triste avanture, il se les coupa, dès qu'il fut de retour au logis, & les envoya à sa Maîtresse comme une victime sanglante capable d'expier l'offense qu'il lui avoit faite. Montagne qui rapporte l'histoire58 fait cette exclamation, si ç'eût été par discours & Religion comme les Prêtres de Cybele, que ne dirions-nous d'une si hautaine entreprise!

Le même Montagne raconte l'action d'un païsan de son voisinage, qui se fit Eunuque par une raison bien différente; ce fut par chagrin contre sa femme, & par emportement. Ce bon homme rentrant dans sa maison, sa femme qui étoit jalouse de lui à outrance, & qui le tourmentoit sans cesse, lui ayant fait un mauvais accueil à son ordinaire, fondé sur les soupçons que sa jalousie lui donnoit, il se coupa, avec la serpe qu'il tenoit, les parties qui lui donnoient de l'ombrage & les lui jetta au nez.

Voici une autre espéce de gens qui se font Eunuques; ce sont des hommes qui craignent la lépre ou la goutte, & qui pour jouïr de l'avantage qu'il y a à en être éxempt, aiment mieux perdre ceux qu'ils pourroient tirer de leurs parties viriles. Il est certain que la lépre n'attaque point les Eunuques: outre l'expérience voici ce que Mr. le Prêtre conseiller au Parlement de Paris en rapporte dans les Questions Notables de droit.59Antipathia verò Elephantiasis veneno resistit; Hinc Eunuchi, & quicumque sunt mollis, frigidæ & effœminatæ naturæ, nunquàm aut rarò lepra corripiuntur; & quidem quibus imminet lepræ periculum de consilio medicorum, sibi virilia amputare permittitur. c. ex pars. 11. ex. de corpor. vitiatis ordinandis, vél non; Quod etiam aliquando permiserunt nonnulli leprosis ministrantes, manifesto experimento, magnoque vitæ & sanitatis commodo.60Mézeray dit, dans la Vie de Philippe Auguste, qu'il a lu qu'il y avoit des hommes qui apprehendoient si fort la ladrerie, cette vilaine & honteuse maladie, qu'ils se châtroient pour s'en préserver.

Les Eunuques ne sont jamais chauves, parce qu'ils ont le cerveau plus entier que les autres hommes à qui Venus en fait perdre une bonne partie, leur semence tirant de là sa principale origine. Ils sont aussi éxempts de la goutte, Hyppocratest61, & 62Pline en rendent de très bonnes raisons. Cœlius Rhodiginus, le dit aussi au chapitre trentiéme du livre quinziéme, lectionum antiquarum; Et dans quelqu'autre endroit de ce même Ouvrage il dit, que les Eunuques seuls sont éxempts d'être offensez de certaine vapeur qui sort de la terre en quelques lieux de l'Egypte, avec une telle puanteur qu'elle fait mourir toute autre sorte de personnes. C'est apparemment la même chose que ce qui est rapporté par Ammian Marcellin63, & par Dion dans la Vie de Trajan touchant la grotte de Hierapoli. Il y a, disent-ils, une citerne close de toutes parts, sur laquelle on a bâti un Theatre, de dessous lequel il sort un vent si pernicieux à toutes sortes d'animaux qu'ils meurent incontinent, après en avoir été atteints, excepté les hommes châtrez qui ne se sentent point du tout de la malignité de ce vent.

D'autres se sont faits Eunuques par fantaisie & par folie, témoin cet Athée qui n'en avoit point d'autre raison que son caprice, & qui le fit par pure extravagance. Témoin encore plusieurs autres dont les noms & l'histoire sont rapportez dans l'excellent Ouvrage de Theodore Zuinger intitulé, Theatrum Vitæ humanæ.64

Il y a des gens, enfin, qui se font Eunuques, parce qu'étans condamnez à la mort ils craignent l'infamie ou les douleurs du supplice & veulent les prévenir par cette opération qui les tuë infailliblement, parce qu'elle est mal faite & mal dirigée. D'autres étans accusez de crimes graves & énormes craignent d'être appliquez à la question, & pour éviter cette terrible épreuve & la confession qu'elle extorqueroit de leur bouche, ils s'ôtent la vie par cette mutilation.

 

CHAPITRE VII

Des Eunuques ainsi nommez à cause de leurs Emplois; Et de ceux qui le sont dans un sens figuré

CEux qui ont rempli des dignitez qui avoient été originairement occupées par des Eunuques, ont été eux-mêmes appellez Eunuques, de la même maniére que ceux qui occupent dans les Tribunaux & dans les Conseils, les places qui n'étoient autrefois données qu'à des vieillards sont encore appellez aujourd'hui Sénateurs. Les Eunuques avoient divers Offices & faisoient des fonctions différentes dans les Cours des Princes. Ceux qui ont succédé à ces Offices ont été appellez Eunuques, & c'est en ce sens qu'il est parlé dans l'Ecriture Sainte des Eunuques de Pharao Roi d'Egypte, de David, des Rois d'Israël, des Rois de la Judée, d'Assuerus Roi de Perse, des Rois de Babilone, de celui de la Reine de Candace; & du Président, ou de l'Intendant des Eunuques. On peut dire même que ce mot, Eunuque étoit autrefois un terme général qui signifioit toutes sortes d'Officiers des Rois ou des Princes de quelque qualité & de quelqu'ordre que fussent ces Officiers. Ces Eunuques n'étoient ainsi appelez que parce qu'ils représentoient dans leurs Emplois les Eunuques proprement ainsi nommez qui y avoient été leurs predécésseurs. Les premiers étoient Eunuques, ratione impotentiæ & ademptæ virilitatis; les autres ne l'étoient que ratione officii. Putifar, par éxemple, qui étoit l'Eunuque de Pharao, ne l'étoit que parce qu'il possédoit une Charge qui n'avoit été occupée jusques là que par des Eunuques. On n'en peut point douter, puis que Putifar avoit une femme, & une fille nommée Asenech, que l'on a crû avoir été mariée à Joseph. Nous verrons plus particuliérement dans la suite quels postes ou plûtôt quels rangs, les Eunuques tenoient dans les Cours de ces Rois & de ces Princes, & dans d'autres Cours dans lesquelles ils étoient établis; voyons présentement ce que c'est qu'un Eunuque, ce mot étant pris dans un sens figuré.

On appelle Eunuque un homme chaste, qui vit sagement dans le Célibat. Tels étoient les Juifs Esseniens dont parle Joseph l'Historien65 & ces Juifs Pharisiens qui demeuroient dans la continence, & qui se faisoient pour cela des violences ridicules & superstitieuses, qui gardoient dis-je la virginité pendant plusieurs années pour le Royaume des Cieux, dans la pensée qu'ils le méritoient & qu'ils se l'aqueroient par cette voye. Il y a plusieurs Interprétes très sensez qui croyent que quand Jesus Christ dit dans Saint Matthieu qu'il y a des Eunuques qui se sont faits Eunuques eux-mêmes pour le Royaume des Cieux, il fait allusion à ces deux Sectes de Juifs. Qu'il n'entend point prescrire aux Chrétiens ce qu'ils doivent faire à cet égard, mais qu'il leur parle de ce qui s'étoit pratiqué jusqu'alors dans le Judaïsme depuis que la République, & la Religion corrompuë étoient passées aux Juifs. Il blâme la témérité de ces gens qui se faisoient Eunuques, pour le dire ainsi, dans la vûë de gagner le Paradis par-là, soit en demeurant Eunuques pendant un certain tems, comme si la continence n'étoit pas au dessus des forces humaines, & comme si ce n'étoit point un don de Dieu qu'il accorde à peu de gens. En effet il ne dit pas aux Chrétiens qu'il y en aura qui se feront Eunuques, ou qu'il doit y en avoir qui doivent se faire Eunuques, mais qu'il y en a qui se sont faits Eunuques par le passé. Le mot66 Grec qui est employé dans l'Original est un prétérit, ce qui marque non ce qui se pratiquoit parmi les Chrétiens, ou ce qui devoit se pratiquer à la suite parmi eux, mais ce qui s'étoit pratiqué avant eux & qui se pratiquoit encore alors parmi quelques sectes de Juifs.67Saint Epiphane réfute les Hérésies de ces deux sortes de Sectes, & fait voir éxactement en quoi elles consistoient alors.68Un célébre Docteur Anglois prétend que ceux dont Jésus Christ parle dans Saint Matthieu, sont ceux qui vivent chastement, parce que Dieu l'a commandé, soit qu'ils soient mariez ou non.

Je n'étendrai pas trop loin la signification figurée du mot, Eunuque; Tout le monde sçait que le mot châtré qui est à peu près le même que celui d'Eunuque, se dit des choses dont on a retranché quelque partie. Il y a eu des femmes Eunuques; Andramis premier Roi de Lydie a été le premier qui en a fait châtrer, il s'en servoit au lieu d'hommes Eunuques. On dit un livre châtré, lors qu'on en a retranché quelque chose, par éxemple, la traduction que Mr. d'Ablancourt a faite de l'Eunuque de Lucien, est châtrée, parce que sous prétexte d'en retrancher quelques obscenitez, il en a ôté plusieurs périodes. On dit des Côtrets châtrez, une ruche de Mouches à miel châtrée; des Arbres & des Ceps de vigne châtrez. On dit même qu'on a châtré un homme quoi qu'il ait encore ses parties viriles, lors qu'on l'a châtré de la langue ou de quelqu'autre membre du corps que ce soit;

69 Si Hercle ego te non elinguendam dedero usque ab radicibus,

Impero auctorque sum, ut tu me cuivis castrandum loces.

Un Auteur moderne70 dit qu'on remarque entre les bizarreries étranges de Domitien qu'il fit arracher les Vignes de plusieurs Provinces particuliérement des Gaules; & que comme à son avénement à l'Empire, affectant la réputation de bon Prince, il avoit deffendu de plus couper les jeunes garçons (car le luxe & l'inhumaine volupté des riches se donnoit impunément la licence de faire cet outrage à la nature pour avoir des Eunuques à la mode des Orientaux.) Le Philosophe Appollonius, grand ennemi de la Tyrannie dit ce bon mot qui a été relevé & conservé, que ce Prince véritablement avoit conservé la virilité aux homes, mais qu'il avoit châtré la terre. Voilà donc la terre Eunuque, mais c'est une raillerie d'Appollonius, & il ne la rapporte que pour faire voir en combien de sens & de maniéres, ce mot peut-être pris.

Il y a eu des Eunuques dans le mariage quoi qu'ils fussent fort en état d'en remplir les devoirs; Quelques Interprêtes croyent que tels étoient ces Eunuques dont il est parlé au chapitre cinquante-sixiéme d'Esaïe, mais il y a peu d'apparence, car il est dit qu'ils ne sont que des troncs desséchez ce qui ne convient qu'aux véritables Eunuques. Il y en a une infinité d'autres qui ne souffrent aucune contestation, tel est celui dont Gregoire de Tours parle dans son Histoire de France. Un certain Sénateur de Clermont en Auvergne, qu'il dit s'être nommé Injuriosus, fils unique, fut fiancé à une fille aussi unique & de sa qualité, mais riche. S'étant Epousez quelques jours après, on les mit au lit en la maniére accoûtumée. D'abord que l'Epouse y fut, elle se tourna du côté de la muraille, soupira & pleura amérement. Le jeune Epoux surpris, lui demanda, la pressa, & la conjura par Jésus Christ Fils de Dieu, de lui dire ou de lui faire entendre sagement quel étoit le sujet de sa tristesse, elle lui dit qu'elle avoit fait vœu de demeurer Vierge toute sa vie, & que se voyant sur le point de violer son vœu, elle croyoit que Dieu l'avoit abandonnée. Qu'au lieu de Jésus Christ qu'elle croyoit avoir pour Epoux qui lui avoit promis de lui donner le Royaume des Cieux pour présent des nôces, elle n'avoit qu'un homme mortel qui ne pouvoit lui donner que des choses périssables, & fit de grandes exclamations sur ce sujet. Ce jeune homme qui avoit beaucoup de piété lui représenta que comme ils étoient l'un & l'autre enfans uniques, on les avoit mariez ensemble afin d'avoir lignée & de perpétuer leur famille Noble; & afin sur tout que leurs biens ne tombassent point dans des mains étrangéres. Elle repliqua que le monde & ses richesses n'étoient rien; que la pompe de ce siécle n'étoit qu'une fumée; que la vie n'étoit qu'un vent, & qu'il valoit bien mieux aquerir les biens du Paradis, & la Vie éternelle. Elle dit tout cela d'une maniére si vive & si touchante, qu'elle persuada son Epoux, & qu'elle en tira ces paroles si conformes à ses desirs. Que si c'étoit sa volonté de s'abstenir de toute convoitise, & de toute œuvre de la chair, il lui promettoit de se conformer à son intention. Elle lui dit que c'étoit une chose difficile à pratiquer, cependant, que s'il tenoit parole & que tous deux demeurassent Vierges dans ce monde, elle lui feroit part d'une partie du Douaire qui lui avoit été promis par son Epoux & Seigneur Jésus Christ, lors qu'elle se donna, & qu'elle se voua à lui comme Epouse & Servante. Il lui renouvella sa promesse, l'assura qu'il effectuëroit ce à quoi elle l'exhortoit, & s'étans donnez la main l'un à l'autre ils s'endormirent; Ils couchérent depuis dans un même lit pendant plusieurs années sans blesser leur Vœu de chasteté. Tout cela n'a été sçû qu'après leur mort. L'Epouse étant décédée la premiére, son Epoux fit ses funérailles, & la mettant dans le sepulchre, il dit ces paroles à haute voix, Je te rends graces, Seigneur Dieu Eternel, de ce que je te restituë ce trésor aussi entier que je l'avois reçû de toi en dépôt. L'Histoire dit, que l'Epouse lui répondit comme en soûriant, Pourquoi révéles-tu un secret sans en être requis? Et elle ajoûte un autre miracle que je ne rapporte point, parce qu'il ne s'en agit point ici.

Nicéphore Calliste71 & l'Histoire tripartite72 rapportent à peu près la même chose d'un Ægyptien nommé Amon qui a été depuis Religieux. La différence qu'il y a eu, c'est que ç'a été le mari qui a sermoné sa femme, au lieu que dans l'histoire précédente ç'a été la femme qui a persuadé son mari. Mais la même chose précisément est arrivée à l'Empereur Henri. Il a vécu avec l'Impératrice Chunegonde sa femme comme le jeune Gentilhomme Auvergnat dont je viens de parler, vécut avec la sienne. Chunegonde étoit une Princesse qui joignoit la jeunesse à la beauté, cependant ayant dit à Henri qu'elle avoit fait vœu de chasteté, il vécut avec elle comme avec sa sœur. Lors qu'il fut au lit de la mort, il rendit un témoignage public devant tous les Princes & les Seigneurs de sa Cour; Vierge, leur dit-il, vous me l'avez donnée, & Vierge je vous la rends. Ils ont été canonisez l'un & l'autre pour cela par Eugéne III. comme l'illustre Mr. Godeau nous l'apprend dans ses Eloges73. On peut dire à peu près la même chose de Marcien qui vécut de même en Eunuque avec Pulcheria sa femme, & de plusieurs autres; Mais les éxemples que je viens de rapporter suffisent. Si quelqu'un veut en voir un plus grand nombre, qu'il lise le chapitre septiéme du Livre quatriéme de Marule; & le Livre neuviéme de l'Histoire de Cromerus, dans lequel il trouvera l'Histoire de Bolislaus V., & de Cunegonde sa femme, qui d'un consentement mutuel vécurent ensemble toute leur vie dans une parfaite continence; ce qui a donné lieu à un Polonois nommé Clément Latinius de faire ces deux Vers,

Conjuge consenuit cum Virgine Virgo maritus
Addictus studiis Casta Diana tuis
48Apol. 2. pag. 71. adressée à l'Empereur Antonin.
49Epistol. 5. 6. ad Pammachium de Erroribus Origini.
50Dupin nouvelle Bibliothéque des Auteurs Ecclésiastiques tom 1. pag. 121. &c. tiré d'Eusebe liv. 6. ch. 2. §. 19. traduction Françoise, les chapitres de laquelle ne se rapportent point à l'Edition Gréque ni Latine.
51S. Romuald. tom. 2. pag. 185. du tresor Hist. & Chronol. in fol.
52Eusebe parle de cette sédition, mais il n'en dit pas la cause, liv. 6. ch. 41. &c.
53Voyez la Vie de Tertullien & d'Origéne, par Mr. de la Motte ch. 5. sur la fin.
54Dupin ibid. ubi supra. Et Eusebe ibid. ch. 19.
55Liv. 5. ch. 21.
56l. 4. §. 2. ff. ad legem Corneliam de sicariis et Veneficiis.
57Voyez Diction. Hist. & Crit. de Mr. Bayle tom. 1. pag. 955. & suiv.
58Essais liv. 2. ch. 29.
59Centuries 1. ch. C. de separatione ex causa luis Veneraæ.
60Abreg. Chronol. tom. 2. pag. 639.
61Voyez Hippocrat. lib. Aphorism. 28. & 29.
62Plin. lib. II. cap. 37.
63lib. 23.
64Tom. 17. lib. 3. tit. defectus testium vel naturâ, vel casu Eunuchi, spadones, castrati. Et tit. Hermaphroditorum & sacrorum ridiculorum.
65Joseph. Antiquit. Judaïq. liv. 18. ch. 2. idem de la guerre des Juifs liv. 2. ch. 7.
66Ευνουχισαν.
67Liv. 1. tom. 1. Heres. 15. 16.
68Mr. Dodwel, dans les additions aux Oeuvres Posthumes & Chronologiques de Pearson; dans sa digression sur le ch. 6. à l'occasion de le prétenduë Domitille, Vierge & Martyre.
69Plaut. in Aulular. Act. 2. Scen. 2. V. 72. 73.
70Mezerai Histoire de France avant Clovis in 12 pag. 160.
71Liv. 8. chap. 41.
72Liv. 1. ch. 12.
73Elog. 5. des Empereurs. Elog. 9. des Impératrices.