Za darmo

La Nation canadienne

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

CHAPITRE XIV
MARCHE DE LA COLONISATION

Les résultats de cette activité colonisatrice sont déjà fort beaux. Les Canadiens n'occupaient, il y a cinquante ans à peine, qu'une bien faible partie de leur immense et riche pays; des grands cours d'eau qui le traversent, ils n'avaient pas encore quitté les rives. Aujourd'hui, pénétrant partout, ils font gagner au loin la culture sur la forêt, et lancent, à travers les massifs montagneux, des chemins de fer qui portent la civilisation et la vie dans des lieux hier solitaires et sauvages.

En 1851, 8 millions d'acres étaient en culture dans la province de Québec; le recensement de 1881 en a élevé le chiffre à 12 millions d'acres.

La colonisation ne s'est pas portée partout d'une façon uniforme, elle s'est étendue tout d'abord dans les régions les plus fertiles, les moins accidentées et les plus douces de climat. Il est facile de s'en rendre compte à la seule inspection d'une carte: partout où les divisions administratives, les comtés, enferment dans des limites démesurément étendues de vastes portions de territoire, on peut être sûr que la population est, sinon totalement absente, au moins bien faible; tel est le cas du comté du Saguenay, qui s'étend depuis la rive nord de ce fleuve jusqu'aux frontières du Labrador, immense région déserte dont la côte seule est occupée çà et là par quelques rares habitations de pécheurs.

Là au contraire où, comme au sud de Montréal et de Québec, des comtés étroits se pressent les uns contre les autres, la population s'accumule d'une façon dense, donnant au pays un aspect fort peu différent de celui qu'on peut trouver en Europe.

De ce noyau principal formé au sud des grandes cités, partent trois grandes trouées de colonisation qui s'avancent vers le Nord: l'une par la vallée de l'Ottawa, l'autre au nord de Québec, vers le lac Saint-Jean, et la troisième vers la presqu'île de Gaspé, encore peu habitée relativement à son étendue, à cause des massifs montagneux qui en occupent le centre, mais que la culture attaque de tous côtés à la fois par sa ceinture de rivages.

Au nord de Québec, une vaste et fertile plaine s'étend jusqu'à la chaîne des Laurentides. C'est là que se trouvent tant de jolis et pittoresques villages, célèbres autant par leur histoire, mêlée à celle des premiers temps de la colonie, que par la renommée que leur ont de nos jours donnée les touristes; c'est Beauport, le premier fief canadien concédé au temps de Richelieu, qui égrène, tout le long de la route conduisant aux célèbres chutes de la rivière de Montmorency, ses coquettes maisons peintes en blanc, et présentant au passant leurs légères galeries de bois tournées vers le chemin. Plus loin, c'est Sainte-Anne, avec son église monumentale et son célèbre pèlerinage, pieusement fréquenté des Canadiens, en souvenir de Notre-Dame d'Auray, la patronne vénérée de leurs ancêtres bretons. Vers le nord, c'est encore, au milieu de la plaine, le village de Lorette, habité par une tribu indienne, les derniers représentants des Hurons-très civilisés aujourd'hui-et que rien, n'était la tradition de leur descendance, ne distinguerait des blancs.

Au delà encore se trouve le riche village de Saint-Raymond; mais si, poussant plus loin, on veut remonter davantage vers le Nord, on se heurte bientôt à la chaîne des Laurentides, massif montagneux d'une élévation médiocre, mais dont les plateaux et les vallées sont jusqu'à ce jour demeurés complètement inhabités. Non seulement ils ne sont pas utilisés pour la culture, mais l'exploitation forestière elle-même ne les a pas encore pénétrés. Les bois y sont moins beaux, les transports y sont moins faciles qu'en forêt de plaine, et dans un pays où ils ont le choix sur de vastes étendues, les forestiers se montrent aussi difficiles que les agriculteurs.

Les gracieuses et fraîches vallées des Laurentides, aux flancs couverts de bois épais, aux rivières torrentueuses coupées de rapides et de chutes, ne sont guère fréquentées que des touristes, non pas de touristes comme ceux d'Europe, auxquels il faut des chemins, des hôtels et du confortable, mais de touristes pour lesquels le plaisir du voyage a d'autant plus de prix qu'il est acheté par un peu de peine.

Dans ces rivières aux flots bondissants, aux rives encombrées de broussailles, dans ces lacs aux ondes calmes formés dans le creux des vallées, les habitants de Québec amateurs de sport viennent, durant l'été, se livrer aux plaisirs de la pêche, et se donner, à quelques dizaines de lieues de chez eux, l'illusion de la vie sauvage, en plein désert, aussi loin de la civilisation que s'ils en étaient séparés par des océans et des continents.

Aucune apparence de travail humain, nul chemin, nul sentier ne profane la solitude des Laurentides. C'est en suivant le cours des rivières qu'on pénètre dans leurs silencieuses vallées.

Les guides qui vous dirigent dans leurs mystérieux détours sont de gais compagnons, contant volontiers des histoires du pays, et chantant les chansons canadiennes. Leur vigueur ne le cède pas à leur gaieté, et très gaillardement, sans trahir le moindre effort, ils portent sur leurs épaules, quand la navigation est interrompue par quelque rapide, votre bagage et votre tente. Ils savent d'une très ingénieuse façon les enrouler dans une couverture, de manière à ne former qu'un seul et volumineux paquet, serré par une courroie qu'ils passent sur leur front, portant ainsi leur charge à peu près à la façon des bœufs attelés au joug. Si le rapide est une véritable chute, impraticable même au canot allégé de tous les bagages, le guide transporte jusqu'au delà du Portage l'embarcation elle-même, ce canot si léger, fait d'écorce de bouleau, et si bien adapté aux nécessités et aux besoins du pays.

Et comme il sait encore habilement dresser la tente et choisir, sous la forêt, un emplacement favorable, à l'abri du vent et des intempéries! A l'aide de la hachette qu'il porte toujours à la ceinture, il a vite coupé les piquets et, sous la toile tendue, dressé un lit de branches de sapin, moelleux et favorable au sommeil après ces journées de la vie des bois.

Tels sont aujourd'hui les seuls visiteurs des vallées des Laurentides. Ce massif montagneux semble former vers le Nord comme la barrière et la limite des cultures, mais cette barrière ne les arrête pas d'une façon définitive; elles ont pour ainsi dire sauté cet obstacle, et c'est au delà de la chaîne des Laurentides que s'effectue la colonisation des régions voisines du lac Saint-Jean, cette mer intérieure qui, par le Saguenay, déverse ses eaux dans le Saint-Laurent.

Le nom indien, du lac Saint-Jean: Pikoua-gami (lac plat), rend bien l'impression qu'on éprouve sur ses rives sans relief et dépourvues de pittoresque. Mais cette monotonie d'aspect qui désole l'œil de l'artiste, réjouit celui de l'agriculteur devant lequel se déroulent de vastes terres d'alluvions favorables à la culture.

C'est en 1647 que le lac Saint-Jean a été découvert par un missionnaire, le Père de Quen. Les colons ont tardé de deux cents ans à suivre ses traces, et ce n'est guère qu'en 1850 que, pour la première fois, quelques aventureux pionniers sont venus s'établir dans le pays. Comme toujours, ils étaient conduits par de courageux apôtres, vouant leur existence au développement de leur pays. L'un d'eux, l'abbé Hébert, a fondé l'une des premières paroisses créées dans la région, et devenue aujourd'hui l'une des plus prospères, le village d'Hébertville.

De grands progrès ont eu lieu depuis lors. Un chemin de fer, traversant la chaîne des Laurentides, a été ouvert il y a quelques années, et met ces nouvelles terres en relations directes avec Québec. La région du lac Saint-Jean-des bords mêmes du lac aux rives du Saguenay-renferme aujourd'hui une population de plus de 30,000 âmes, répartie en un assez grand nombre de villages, dont quelques-uns sont groupés et forment des centres importants. Telle est la petite ville de Chicoutimi sur le Saguenay, dont le port est, chaque année, visité par des navires d'Europe qui viennent y charger des bois.

La plupart des villages cependant ne forment pas d'agglomération; les habitations sont éparses, semées au hasard suivant les besoins de la culture, et distantes quelquefois les unes des autres de plusieurs milles. C'est l'église, construite en un lieu central, qui sert aux colons comme de point de réunion. Solitaire durant la semaine, au point que le voyageur européen s'étonne de trouver, au milieu d'un pays qui lui paraît inhabité, un édifice si soigné et si bien entretenu, on y voit chaque dimanche affluer les fidèles; les légères voitures canadiennes débouchent de toutes parts, arrivent par tous les chemins, et viennent, en lignes serrées, se ranger devant le porche de l'église.

Dans ce pays, occupé depuis quarante ans à peine, la viabilité est demeurée dans un état très primitif. La plupart des chemins ne sont que des pistes encombrées d'ornières, et ne peuvent être suivis que par des véhicules d'une construction toute spéciale. Aussi, quels chefs-d'œuvre de légèreté sont les voitures canadiennes! Deux longues planches flexibles posées sur les essieux et supportant deux légères banquettes en composent la partie essentielle. Ce simple véhicule se ploie à toutes les apérités du sol. Avec cela on passe partout; au grand trot des vigoureux chevaux canadiens, au milieu des cahots et des heurts, on franchit les ornières, on monte les côtes et l'on descend les ravins.

Des chemins semblables joignent entre eux les principaux centres de la région du lac Saint-Jean, et font communiquer les villages des bords du lac avec la ville de Chicoutimi et le Saguenay. Bientôt une voie ferrée, aujourd'hui en construction, fera elle-même ce trajet, ouvrant de nouvelles facilités à la colonisation et reliant par une double issue la région du lac Saint-Jean aux régions du Sud: d'un côté, par la ligne ferrée de Québec qui existe déjà, de l'autre, par la voie fluviale de Chicoutimi et du Saguenay.

 

Le mouvement de colonisation qui, à l'extrême ouest de la province, s'avance vers le Nord par la vallée de l'Ottawa et le lac Témiscamingue, est plus récent encore que celui du lac Saint-Jean, mais il n'est pas moins audacieux. En 1863, les rives du lac Témiscamingue, bien qu'ayant été, elles aussi, reconnues dès le dix-septième siècle, étaient absolument désertes; seul un poste de la Compagnie de la baie d'Hudson s'y dressait solitaire, et les chantiers d'exploitation forestière n'atteignaient même pas l'extrémité méridionale du lac.

Aujourd'hui, une colonie florissante, due à l'initiative des Pères Oblats, occupe une portion de ses rives, et les bûcherons se sont eux-mêmes avancés bien au delà vers le Nord.

Les communications de la colonie du Témiscamingue avec la ligne ferrée du Pacifique canadien, qui passe à 150 kilomètres au sud, sont assurées par un service de petits bateaux à vapeur remontant le cours de l'Ottawa. Plusieurs rapides interrompent la navigation, et partagent la rivière comme en trois biefs successifs, sur lesquels trois embarcations différentes font le service. Les bagages et marchandises sont transportés de l'une à l'autre à l'aide d'un tramway, de construction très primitive, mais très économique, ce qui, dans un pays neuf, est une considération qui doit l'emporter peut-être sur celle du luxe et du confortable.

Le trajet se fait en deux jours. Les voyageurs trouvent à mi-chemin une auberge suffisamment confortable pour la nuit, car les embarcations n'offrent aucun abri et consistent en de simples chalands traînés par des remorqueurs.

Les moyens de communication se perfectionneront d'ailleurs en même temps que la colonisation du Temiscamingue fera des progrès. Les promoteurs de l'établissement de la Baie des Pères ne doutent pas de sa prospérité future; déjà ils ont arpenté l'emplacement d'une ville, et l'on peut, dès aujourd'hui, en plein champ, au milieu des moissons et des prairies, parcourir la rue Notre-Dame et la rue Saint-Joseph! Admirable exemple de cette confiance en l'avenir si souvent couronnée de succès dans ces pays des prodigieuses surprises et des progrès imprévus.

Aux régions du lac Saint-Jean et du lac Temiscamingue, ajoutons celle de la presqu'île de Gaspé: telles sont les trois grandes régions de la province de Québec livrées depuis peu à la colonisation. Certes, sur bien d'autres points, il reste de nombreuses et fertiles terres à concéder, mais ce sont là les poussées extrêmes, et pour ainsi dire le front de combat, dans cette lutte engagée par le colon contre la nature primitive.

Ainsi qu'on ne s'étonne pas de l'apparence de désordre, de négligence et de pauvreté, que ces nouvelles terres prennent quelquefois aux yeux d'un Européen. Aucune comparaison n'est possible, non seulement avec nos campagnes d'Europe, si soignées et cultivées depuis de si longues générations, mais même avec les campagnes canadiennes des environs de Québec et de Montréal, et toutes les régions du Saint-Laurent colonisées depuis un siècle ou deux.

Dans les anciennes paroisses nous constatons le résultat du travail des générations antérieures; nous assistons, dans les nouvelles, au travail même de création entrepris par la génération présente pour les générations de demain. Par une vie âpre et rude dans une campagne désolée, le colon défricheur prépare la vie facile, dont jouiront ses descendants dans un pays riche et fertile. Ce n'est pas sans travail, sans peines, et sans déboires, que se sont créés les villages dont nous admirons aujourd'hui la prospérité, et le poète canadien a pu dire du voyageur qui, débarquant au Canada, admire la richesse et la beauté du pays:

 
Il est loin de se douter du prix
Que ces bourgs populeux, ces campagnes prospères
Et ces riches moissons coûtèrent à nos pères74.
 

La richesse présente des anciennes paroisses est un gage de la richesse future des nouvelles; la prospérité agricole de la province de Québec est, d'ailleurs, d'une façon générale, attestée par le chiffre de son exportation. Il s'élève tous les ans à plus de 20 millions de dollars (100 millions de francs) pour les seuls produits de l'agriculture75, chiffre assez éloquent par lui-même pour se passer de tout commentaire.

CHAPITRE XV
RICHESSE COMMERCIALE ET INDUSTRIELLE

La richesse matérielle de la province de Québec, au point de vue commercial et industriel, les statistiques suffisent pour la constater. Elles nous montrent que son mouvement d'affaires est supérieur de 60 à 80 millions de francs à celui de la province d'Ontario, renommée pourtant pour son activité et sa merveilleuse prospérité.

C'est à plus de 200 millions de francs que s'élève tous les ans la seule exportation de Québec76. Quelles richesses cette province livre-t-elle donc en si grande abondance à l'étranger? Ce sont celles surtout que lui fournit la nature même, et que lui procure sa situation pour ainsi dire privilégiée. Ce sont ses forêts, d'où sort tous les ans, comme nous l'avons dit plus haut, une valeur de 50 millions de francs; ce sont ses pêcheries maritimes et fluviales, ce sont ses mines, c'est son industrie, c'est surtout enfin l'agriculture qui, en produits directs ou en transit, fait sortir annuellement par ses ports une valeur de 100 millions de francs.

L'industrie ne fait que de naître, mais elle est déjà florissante, et donne un démenti à ceux qui accusent les Canadiens d'inactivité et de stagnation. D'après le recensement de 1881, les capitaux engagés dans l'industrie dans la province de Québec étaient de 59,216,000 piastres (296 millions de francs), et le nombre des personnes employées de 85,700.

La plus importante de beaucoup est l'industrie des cuirs; elle occupe à elle seule 22,000 ouvriers et ses produits fournissent le tiers de l'exportation totale des objets manufacturés. Son centre principal est Québec où, dans cette partie de la ville basse qui s'étend le long de la rivière Saint-Charles, se pressent de nombreuses et importantes manufactures.

Vient ensuite le sciage des bois, ayant son centre à Hull et à Ottawa, dont nous avons parlé plus haut, et qui fournit encore un gros chiffre à l'exportation; une foule d'autres industries enfin, plus modestes dans leur développement, mais dont l'ensemble donne encore un total important.

La situation même de la province de Québec est pour elle une richesse. La navigation du Saint-Laurent lui appartient tout entière; occupant l'embouchure du fleuve, elle en tient pour ainsi dire les portes et la clef, et nulle importation, nulle exportation ne se fait d'Europe au Canada, ou du Canada en Europe, sans passer par ses ports de Québec ou de Montréal. L'hiver, il est vrai, les glaces en empêchent l'accès, mais le trafic d'hiver est peu considérable; il serait d'ailleurs possible, dit-on, d'établir, sur le territoire même de Québec, un port d'hiver soit à l'extrémité de la presqu'île de Gaspé, dans la baie du même nom, soit à Tadoussac, à l'embouchure du puissant Saguenay.

Grâce à cette situation privilégiée, près de la moitié du commerce total du Dominion passe par la province de Québec. En 1887, sur 200 millions de piastres (1 milliard de francs), 90 millions de piastres (450 millions de francs) sont sortis ou entrés par ses ports!

Le réseau de navigation maritime intérieure est énorme, et la province de Québec est peut-être la seule contrée de l'Univers qui puisse voir remonter dans l'intérieur de ses terres les paquebots du plus fort tonnage sur un parcours de plus de 700 kilomètres! Ajoutez à cela 100 kilomètres sur le Saguenay, que des navires norvégiens remontent tous les ans pour y charger des bois.

Quant à la navigation fluviale, elle comprend 456 kilomètres sur l'Ottawa, 125 kilomètres sur le Saint-Maurice et 100 sur le Richelieu. Le lac Saint-Jean, véritable mer intérieure, lui offre encore les 92,000 hectares de ses eaux.

Sur toutes ces artères navigables, maritimes et fluviales, la province de Québec possède une flotte de 1,474 bâtiments, dont 300 à vapeur, d'un tonnage total de 178,000 tonneaux. Le tonnage de la flotte de commerce française tout en entière est de 900,000 tonneaux, la différence est loin de correspondre à la différence de population, et semble tout à l'avantage de nos compatriotes d'Amérique. Le Canada, il est vrai, comprend dans sa statistique toutes les barques de pêche et embarcations, mais ce n'est pas de là seulement que vient l'importance du chiffre: la flotte de Québec comprend de grands navires océaniques, et la Ligne Allan, dont le port d'attache est Montréal, est une des plus importantes de toutes celles qui mettent l'Amérique en communication avec l'Europe. Sa flotte rivalise avec celle des grandes compagnies, et des navires tels que le Parisian (5,000 tonneaux) ne le cèdent en rien, pour le confort, aux plus beaux transatlantiques.

Dans ce transit important, dans ce mouvement maritime considérable, la France ne prend malheureusement qu'une bien petite part. Tandis que-vu la communauté d'origine et les sympathies mutuelles-de nombreux navires apportant en France les produits canadiens, et portant au Canada les produits français, devraient traverser l'Océan et relier, comme par une ligne non interrompue, le port de Québec à nos ports français, notre commerce avec le Canada-inférieur même à celui de l'Allemagne-ne s'élève pas au chiffre total d'une dizaine de millions77 .

Ce port de Québec, où sont reçus avec tant d'enthousiasme nos navires de guerre, où l'on salue avec tant de bonheur la présence du pavillon français, semble inconnu à notre marine marchande, et tandis que 8,000 navires anglais, 6,000 navires américains le visitent annuellement, une centaine de bateaux français, d'un tonnage infime, y paraissent à peine chaque année, cédant le pas, pour le nombre et le tonnage, aux navires norvégiens eux-mêmes!

N'accusons pas les Canadiens de ce manque de relations commerciales avec la France. La faute en est à nous qui, pendant si longtemps, avons cessé avec eux tout rapport. Mais aujourd'hui que la période d'oubli est passée, que les relations littéraires et de sympathie sont reprises depuis longtemps entre les deux peuples, pourquoi les relations économiques ne se renouent-elles pas aussi?

La réponse à cette question, c'est un Canadien même qui nous la donne: «Les négociants français, dit-il, ont l'habitude de s'en prendre à leur gouvernement, à leur administration, qui ne leur ouvrent pas assez de débouchés à l'étranger. Qu'ils s'en prennent donc à leur manque d'initiative! Qu'ils se syndiquent et créent des compagnies de transport; qu'ils se syndiquent encore par groupes de trois ou quatre maisons pour se faire représenter dans les centres commerciaux étrangers, et ils verront si les débouchés ne s'ouvrent pas! Quant à tenter de faire des affaires par correspondance, c'est un rêve malheureux… Que les négociants français cessent de se plaindre et de demander au ministère du commerce comment ils doivent s'y prendre pour écouler leurs produits. En notre siècle, c'est à l'initiative privée qu'est due la prospérité d'un peuple. Voilà les conseils que moi, Canadien, je me permets d'offrir à mes frères d'au delà de l'Atlantique78.» Sage conseil ou perce peut-être une pointe d'ironie et bien capable de nous faire comprendre le danger d'enfermer comme d'un mur, dans une enceinte douanière, l'activité industrielle et commerciale de la nation.

 

Puisse la ligne de navigation directe de France à Québec, si longtemps réclamée en vain, si longtemps attendue avec impatience par les Canadiens, et qui vient enfin d'être établie et inaugurée récemment, ouvrir au commerce français un de ces débouchés que nos négociants demandent en vain aux échos administratifs.

Le développement du réseau des voies ferrées de la province de Québec n'est pas inférieur à celui de son réseau fluvial et maritime. Il comprenait en 1888 2,500 milles en exploitation, et 500 milles en construction. Toute la partie de la province située au sud de Québec et de Montréal est sillonnée en tous sens de chemins de fer, et reliée par plusieurs voies parallèles aux lignes américaines de Portland, Boston, New-York et Philadelphie.

La ligne de l'Inter-colonial suit, sur un parcours de 250 milles environ, la rive droite du Saint-Laurent, puis, s'infléchissant brusquement vers le sud, traverse le Nouveau-Brunswick et gagne la presqu'île de la Nouvelle-Écosse, établissant ainsi la communication entre ces deux provinces maritimes et les provinces intérieures de la Confédération.

Une ligne a été récemment ouverte de Québec au lac Saint-Jean, une autre remonte la vallée du Saint-Maurice jusqu'aux Grandes Piles. Au nord de Montréal, plusieurs tronçons pénètrent vers le nord, amorces à peine formées de grandes lignes futures. Tout ce système enfin est, vers l'ouest, relié à la ligne du Pacifique, qui traverse le continent entier, franchit les Montagnes Rocheuses, et rejoint au port de Vancouver la ligne océanique des mers de Chine.

Si étendu qu'il soit, le réseau de voies ferrées de la province de Québec paraissait encore insuffisant au zèle et à l'enthousiasme du grand promoteur de colonisation, Mgr Labelle. Par delà le massif encore désert des Laurentides, il voyait un domaine immense à ouvrir à l'activité des Canadiens. Là, une ligne ferrée reliant le lac Temiscamingue au lac Saint-Jean devait, suivant ses plans et son désir, faire courir dans l'intérieur des terres une nouvelle artère de colonisation. Par là il comptait doubler l'étendue exploitable et la richesse de la province. Si loin que nous soyons encore de la réalisation de plans aussi vastes, le réseau de voies de communication de Québec n'en reste pas moins, tel qu'il est aujourd'hui, un élément de prospérité et de croissance.

Tel est le territoire occupé par les Canadiens-Français. Nous avons dit son étendue, décrit sa beauté, énuméré ses richesses; n'a-t-il pas, avouons-le, toutes les qualités nécessaires à l'établissement d'une grande nation? Quels peuples d'Europe, pris parmi les plus puissants, peuvent s'enorgueillir de fleuves comme le Saint-Laurent et le Saguenay, de rivières comme l'Ottawa et le Saint-Maurice, de lacs comme le Témiscamingue et le lac Saint-Jean?

Le climat, objecte-t-on, est sévère; mais diffère-t-il sensiblement de celui sous lequel vivent et prospèrent plusieurs nations européennes riches, populeuses et puissantes?

Certes, la province de Québec renferme encore bien des terres désertes, bien des parties incultes; mais combien de siècles n'a-t-il pas fallu pour donner à la Gaule les 40 millions d'habitants de la France actuelle et pour faire de son sol ce merveilleux instrument de production, dont pas une parcelle, ni sur le sommet des montagnes, ni dans le plus profond des ravins, n'est laissée inexploitée par l'agriculture ou l'industrie?

Des jugements trop hâtifs sur les jeunes contrées d'Amérique provoquent quelquefois des conclusions bien étranges et bien fausses. Le sage Sully n'avait-il pas, contrairement à l'idée plus hardie et plus géniale de Henri IV, condamné d'avance et voué à un échec fatal tout essai de colonisation au nord du 45e degré de latitude79? Et c'est dans cette région que s'élèvent justement, aujourd'hui toutes les grandes villes d'Amérique. Elles s'y trouvent comme spécialement réunies et groupées.

Et que d'exemples plus récents et plus frappants encore! Un Américain, le colonel Long, visitant il y a une cinquantaine d'années le lac Michigan, donnait la description suivante d'une petite ville qui se fondait sur ses rives, alors à peu près désertes: «Au point de vue des affaires, l'endroit n'offre aucun avantage aux colons. Le chiffre annuel du commerce du lac n'a jamais dépassé la valeur de cinq ou six cargaisons de goélette. Il n'est pas impossible que dans un avenir très éloigné quand les rives de l'Illinois seront habitées par une population nombreuse, la ville puisse devenir l'un des points de communication entre les lacs du Nord et le Mississipi; mais, même alors, je suis persuadé que le commerce s'y fera sur une échelle très limitée. Les dangers de la navigation des lacs, le nombre si restreint des ports et des havres, seront toujours des obstacles insurmontables à l'importance commerciale de… Chicago80!» Car c'est bien de Chicago qu'il s'agit, de cette métropole de l'Ouest qui s'étonne aujourd'hui de ne pas étonner l'Univers: voilà ce que pensaient, il y a cinquante ans, les Américains les plus éclairés, de l'avenir réservé à cette orgueilleuse cité.

De leur territoire, vaste, riche, et beau en dépit de toutes les affirmations contraires, les Canadiens, si courageux et si résistants, sauront tirer toutes les richesses.

Leur activité, d'ailleurs, n'est pas forcément bornée à la seule province de Québec: c'est là, il est vrai, leur centre actuel, mais ils peuvent espérer pour l'avenir un domaine plus vaste encore. La merveilleuse force d'expansion de leur population leur permet, sans être taxés d'exagération, d'émettre hautement cet espoir.

74Fréchette, Légende d'un peuple, p. 63.
75Voir Esquisse générale de la province de Québec, par M. Mercier. Québec, 1890, broch.
76Voy. Résumé statistique publié par le gouvernement d'Ottawa, année 1886, tableau, p. 192; année 1888, p. 205.
77Résumé statistique publié annuellement par le gouvernement d'Ottawa.
78Revue française, 1er mai 1891. – Lettre d'Ottawa.
79Mémoires de Sully, année 1608.
80Patrie, 16 septembre 1893. (Notes sur Chicago, par M. Fréchette.)