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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III

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Elle étoit vêtue ce jour-là d'un justaucorps en broderie d'un prix considérable, et la coiffure étoit faite des plus belles plumes qu'on eût pu trouver. Il sembloit, tant elle avoit bon air avec cet habillement, qu'elle ne pouvoit pas en porter un qui lui fût plus avantageux. Le soir, comme on se retiroit, il se leva un petit vent qui obligea mademoiselle de Fontange de quitter sa capeline; elle fit attacher sa coiffure avec un ruban dont les nœuds tomboient sur le front, et cet ajustement de tête plut si fort au Roi qu'il la pria de ne se coiffer point autrement de tout ce soir; le lendemain toutes les dames de la cour parurent coiffées de la même manière. Voilà l'origine de ces grandes coiffures qu'on porte encore, et qui de la cour de France ont passé dans presque toutes les cours de l'Europe32. La crainte qu'avoit son amant qu'il n'arrivât quelque accident dans la course à cette nouvelle chasseresse l'obligea à rester toujours à ses côtés; il ne l'abandonna point, et, après lui avoir donné le plaisir de faire passer devant elle le cerf que l'on couroit, il s'écarta avec elle dans le lieu le plus couvert du bois, pour lui faire prendre quelque rafraîchissement. Comme l'on sait qu'il est de certains momens où la solitude a plus de charmes pour nous que toute la pompe de la cour, on laissa jouir paisiblement le Roi et sa maîtresse du repos qu'ils cherchoient à l'écart, et on jugea fort bien quand on crut qu'il préféroit ce délassement à la gloire qu'il auroit pu tirer de la chasse. Quoi qu'il en soit, la suite a fait connoître que nos amans ne se retirèrent ainsi tous deux que pour faire un tiers. Mademoiselle de Fontange, depuis ce jour, a été fort incommodée de maux de cœur et de douleurs de tête, qui, étant les véritables symptômes de la grossesse, nous pouvons croire, sans deviner, que la course fut vigoureuse et que ces momens de retraite ne se passèrent pas tous dans l'oisiveté. C'est ainsi que les Héros se faisoient autrefois; les Dieux n'avoient point de lieu plus propre pour l'exercice de leurs amours que la campagne, et nous avons sujet de croire que le fruit qui naîtra de ce passe-temps n'en sera pas plus sauvage pour avoir pris son commencement dans les bois.

Le jour qui suivit cette partie de divertissement ne fut pas également heureux pour toute la cour, puisque le Roi et sa maîtresse ne le passèrent que dans la tristesse: cette belle se ressentant des fatigues de la chasse, ou, si vous voulez, des momens de la retraite, souffrit des maux de cœur fort grands et des douleurs de tête fort aiguës. Bien que son amant connût que ces maux ne seroient pas de durée, il y parut néanmoins aussi sensible que s'ils avoient été fort dangereux; il ne la quitta point et agit toujours auprès d'elle en amant, mais le plus passionné du monde: il court, il va, il revient et semble mourir d'un mal qui ne le touche que dans ce qu'il aime. La tristesse de sa maîtresse le mit dans un abattement extraordinaire; mais ce qui lui tira presque les larmes des yeux, ce fut lorsqu'au plus fort de la douleur mademoiselle de Fontange, attachant ses regards sur lui, lui dit d'une manière tendre et languissante: «Ah! mon cher prince, faut-il que les douleurs suivent de si près les plaisirs les plus purs? Ah! il n'importe, poursuivit-elle, j'en chéris la cause et l'aimerai éternellement.» A ces paroles le Roi l'embrassa étroitement; il étoit sur son lit, et, la serrant le plus amoureusement du monde, il lui jura que jamais il n'auroit d'autre maîtresse qu'elle, et que de sa vie il n'avoit conçu tant d'amour pour une personne comme il en ressentoit pour elle.

L'après-dînée, notre malade se porta mieux; elle reçut plusieurs visites, et jamais reste de journée n'a été si bien employé que le fut celui-là: on y parla de nouvelles galantes et des pièces d'esprit qui étoient les plus récentes; et comme c'étoit à qui contribueroit davantage au divertissement de la belle, Mme D. A.33, qui avoit été de la chasse, tira un écrit de sa poche et en fit la lecture assez vite pour qu'aucun ne pût en pénétrer le sens. C'étoit une énigme qu'elle dit qui lui étoit tombée par hasard entre les mains; qu'elle en ignoroit le mot, mais qu'elle croyoit qu'elle ne pouvoit être que noble et relevée, puisqu'il y étoit parlé du Roi; la voici:

ÉNIGME
 
Tantôt je suis ouvert, tantôt je suis fermé,
Selon qu'il plaît au roy le plus puissant qu'on voie.
Je ressens la douleur et je donne la joie.
Je suis ou peu s'en faut de tout le monde aimé.
 
 
Mon frère fort souvent contre moi animé 34,
Vient fouler sans respect mon corail et ma soie;
Il me perce le sein, mais aussi je le noie,
Et éteins tous les feux dont il s'étoit armé.
 
 
Je suis petit de corps, mais je donne la vie;
Plus je suis à couvert, plus je reçois de pluie;
J'ai la langue en ma bouche, et je ne parle point.
 
 
Mon nom est trop caché pour le pouvoir connoître;
Un ombrage à vos yeux m'empêche de paroître:
Ne vous rompez donc plus la tête sur ce point.
 

Devant que l'énigme passât de main en main, le Roi en voulut faire la lecture. Bien qu'il ait de l'esprit infiniment, il ne l'eut pas pour lors assez pénétrant pour en découvrir le sens. Sa maîtresse fut plus spirituelle et entra d'abord dans la pensée de celui qui l'avoit composée; mais, bien loin de la déclarer, elle dit, pour dégoûter les autres d'une recherche plus exacte, que cela ne méritoit pas qu'on s'y appliquât davantage. Cela donna à penser à une de la compagnie, qui, faisant une seconde lecture de l'ouvrage, y connut ce qui y étoit mystérieux; elle eut pour lors plus d'esprit que de jugement, car elle ne put s'empêcher de dire tout haut qu'on ne devoit pas être surpris si le véritable sens de l'énigme étoit si difficile à trouver, puisqu'il n'y avoit que le Roi qui en eût la véritable clef. Cette parole ne produisit pas un effet tel que celle qui l'avoit imprudemment lâchée auroit souhaité; le Roi et toutes celles qui composoient le cercle devinèrent facilement qui étoit celle qui étoit sur jeu. On s'enquit de Mad. D. A. de qui elle avoit eu ces vers, on fit toutes les perquisitions possibles pour en apprendre l'auteur; mais Mad. D. A., qui étoit innocente du stratagème, s'en excusa facilement et dit qu'elle l'avoit trouvée sur sa table à son lever, sans savoir par qui ni comment elle y avoit été mise. Cela ne satisfit pas le Roi, qui ne veut pas qu'on raille ce qu'il aime. La compagnie prit congé de mademoiselle de Fontange, et plusieurs des personnes qui la composoient se retirèrent afin de rire à leur aise, et se divertir de l'énigme dont la plaisanterie avoit choqué si vivement cette belle. On soupçonna quelques amies d'Astérie35 d'avoir part à cet ouvrage; mais elle les justifia toutes auprès du Roi, et fit voir que le hasard se mêloit souvent de beaucoup de choses qui sembloient être exécutées avec dessein. Pour confirmer ce qu'elle disoit, elle apporta pour exemple la simplicité avec laquelle elle avoit produit quelques années auparavant un sonnet qui étoit bien plus satyrique. Je vais vous dire comment cela se passa. Vous saurez donc que la ruelle d'Astérie a toujours été composée de tout ce qu'il y a de plus spirituel et de plus éclairé à la cour parmi le sexe. Un jour entre autres que la compagnie étoit fort grande et que le Roi étoit présent, après avoir parlé des modes, qui est l'entretien le plus ordinaire des dames, un jeune abbé, qui ne cherchoit que l'occasion de faire paroître son esprit, fit tomber la conversation sur les ouvrages galans nouvellement imprimés. On y parla de toutes sortes de sciences, mais d'une manière qui n'avoit rien de pédantesque; la philosophie de M. Descartes y fut agitée; Gassendi eut ses partisans, et on peut dire que les maîtres auroient eu de la peine à en parler plus savamment. Astérie, qui étoit pour la sceptique, envoya quérir dans son cabinet un livre dont elle avoit besoin pour confirmer quelque chose qu'elle avoit avancé. On l'apporta. Il avoit pour titre la Recherche de la Vérité36. Elle l'ouvrit, et elle trouva dedans les vers suivans, écrits sur un papier volant:

 
SONNET
 
Quatre animaux M. D. T. S. 37 sont maîtres de ton sort;
Chacun voit son rival d'un œil de jalousie
Et veut gouverner seul, mais leur rage est unie
Pour sucer tour à tour ton sang jusqu'à la mort.
 
 
Le lion 38 prend partout, sans épargner l'autel;
Le timide mouton 39 opprime l'innocence;
Le lézard 40 des rappins 41 dort dessus la finance;
Mais du dernier de tous le poison est mortel 42.
 
 
C'est ce funeste auteur de toutes nos misères
Qui chassa du jardin le premier de nos pères,
Et pour prix de sa foi lui promit un trésor.
 
 
Ce serpent garde encor son ancienne malice;
Il se couvre de fleurs, et tout son artifice
Est de tromper son maître avec la pomme d'or.
 

Il n'est pas nécessaire de vous dire que la lecture de ce sonnet fit changer l'entretien: on connut d'abord l'excès de la satyre, et chacun voulut faire paroître son zèle pour en rechercher l'auteur; mais ce fut inutilement. On l'attribua à un Italien fort critique, qui s'appeloit Gerolamo Pamphilio; quelques mécontentemens qu'il avoit reçus sans sujet d'un des ministres d'Etat donnèrent fondement de croire que c'étoit lui qui avoit ainsi répandu sa bile sur tous les autres; il avoit déjà été soupçonné d'être l'auteur de cette inscription qui fit tant de bruit et qui fut placée dans un cartouche au-dessus de la porte de la chambre d'Astérie, un jour que le roi lui donnoit le divertissement de la musique. Comme je crois que personne ne l'ignore, je ne la mets point ici, outre qu'elle ne fait rien au sujet.

Revenons à mademoiselle de Fontange, que nous avons laissée avec le Roi, bien fâchée de ce qu'elle avoit servi de divertissement à la compagnie. Elle témoigna que cette aventure la touchoit d'autant plus vivement, qu'on l'attaquoit dans ce qu'elle avoit de plus sensible. Le Roi n'en marqua pas moins de déplaisir, mais seulement à cause qu'il en donnoit à sa maîtresse; car, pour lui, on peut dire qu'il se met au-dessus de ces sortes de bagatelles. Il la consola et lui promit d'en faire une si exacte recherche, qu'il découvriroit celui ou celle qui auroient voulu se divertir à ses dépens. Cela la remit un peu, et, après quelques réflexions, elle le pria de laisser le tout dans le silence, sans y penser davantage. Elle fit prudemment, car c'étoit l'unique moyen d'étouffer la raillerie et d'empêcher le monde d'en parler. Nos amans ne s'appliquèrent donc plus qu'à passer agréablement le temps et à se donner tous les témoignages les plus tendres de leur amours. On peut dire que le Roi n'en a jamais marqué davantage que pour mademoiselle de Fontange. Il ne peut pas être plus ardent, et le retour avec lequel cette belle témoigna le sien ne peut pas être plus passionné. Elle le fit paroître particulièrement lorsqu'étant à Paris, elle apprit de Saint-Germain que le Roi, qui se fait souvent un de ces plaisirs de vigueur, avoit couru grand danger dans la poursuite d'un sanglier; que son cheval avoit été blessé par cette bête, et que sans une force et une adresse particulières, Sa Majesté auroit eu de la peine à se tirer du péril. Cette nouvelle lui fut communiquée par un gentilhomme de madame la princesse d'Epinoi43, qui étoit elle-même de la partie. Mademoiselle de Fontange y fut presque aussi sensible que si le mal étoit effectivement arrivé; elle tomba dans la plus grande tristesse du monde, et envoya dès le même jour ce billet au Roi:

Je ne puis, mon cher Prince, vous exprimer l'inquiétude où je suis. Puis-je apprendre de tous côtés le peu de soin que vous apportez à votre conservation sans trembler? Au nom de Dieu, ménagez mieux une vie qui m'est plus chère que la mienne, si vous voulez me trouver à votre retour. Eh quoi! votre courage n'est-il pas assez connu, aussi bien que votre adresse, pour vous exposer ainsi à de nouveaux dangers? Pouvez-vous trouver le délassement des fatigues de la guerre dans un exercice si pénible et si périlleux? Ah! j'en tremble de peur! Pardonnez, mon cher Prince, ces reproches, à l'ardeur de ma passion, et revenez si vous aimez et si vous voulez retirer de la crainte celle qui vous chérit si tendrement.

Il est aisé à connoître que l'étude a moins de part à cette lettre que le cœur; l'on découvre d'abord que c'est lui qui parle, et il seroit difficile de le faire parler plus tendrement. Elle fut lue du roi avec des transports de joie qu'il seroit mal aisé d'exprimer; il la baisa mille fois, et envoya aussitôt un exprès à sa maîtresse, avec cette réponse:

Non, ma chère enfant, ne craignez pas, le péril est passé, et je ne veux plus me conserver que pour vous seule. Je vous l'avoue, je ne suis pas excusable d'avoir cherché du plaisir dans des exercices que vous n'avez pas partagés avec moi; mais pardonnez ces momens que j'ai donnés aux désirs de la gloire, et je pars pour passer les jours entiers à vous dire que je vous aime. Ah! qu'il est doux seulement d'y penser, lorsqu'on aime un enfant si aimable, et qu'on est certain d'en être aimé!

Le Roi suivit de bien près cette lettre, et partit de Versailles le jour d'après celui qu'elle fut envoyée, pour aller rassurer sa belle. «Ah! que je suis heureuse, mon cher Prince, lui dit-elle en l'abordant avec un air engageant, de vous voir ainsi de retour! Ah! que l'éloignement de ce qu'on aime est une chose difficile à supporter! – Je l'ai bien éprouvé, ma chère enfant, lui dit le Roi en l'embrassant, et ce n'est que l'amour extrême que je vous porte qui m'a si tôt rappelé et qui n'a pas pu me permettre de vivre un moment sans vous.» Cette entrevue fut accompagnée d'autant de marques de joie que si c'eût été la première: nos amans ne pouvoient assez se regarder, et les plaisirs qui suivirent ces transports furent goûtés de l'un et de l'autre dans toute leur étendue. Oui, on peut dire que ce fut dans toute leur étendue, puisque la nuit qui suivit l'arrivée de Versailles fut trop courte pour Mars et pour Vénus; le jour d'après partageoit une partie de leurs ébats, et les dégoûts qui suivent de si près les plus purs contentemens n'osèrent pas troubler le doux passe-temps de notre monarque.

Ce fut dans ces doux momens que mademoiselle de Fontange obtint du roi la grâce de… qui lui avoit inutilement été demandée par la bouche de plus d'un prince. Il lui accorda une pension considérable en faveur d'une demoiselle de ses amies; et l'abbaye de Chelles44, dont sa sœur a été pourvue, fut encore un effet de sa libéralité. Tant il est vrai que nous n'avons plus rien de cher, quand une fois nous avons donné notre cœur. Cette nouvelle abbesse fut bénite avec une pompe et une magnificence extraordinaires; c'étoit assez qu'elle fût la sœur de la maîtresse du Roi pour qu'il ne manquât rien à la cérémonie: aussi fût-elle honorée d'un grand nombre d'évêques; presque toute la cour y assista, et mademoiselle de Fontange y parut avec un si grand éclat qu'elle attira autant de regards sur elle que celle qui en faisoit le principal personnage.

Si toutes ces grâces et ces faveurs dont nous venons de parler avoient été accordées à des personnes qui ne fussent pas recommandables par leur mérite particulier, elles pourroient être sujettes aux changemens; mais toutes les demandes de mademoiselle de Fontange sont faites avec tant de choix et de discrétion, qu'il n'y a rien à craindre de ce côté-là. Si la V. L. R. avoit autant apporté de circonspection dans tout ce qu'elle a exigé du Roi45, son oncle46 ne seroit pas devenu d'évêque meunier; le proverbe est un peu commun, mais il ne convient pas mal au sujet. On dit que c'est sur sa pure et simple démission que M. de B. V. U.47 remplit dignement sa place; nous ne pouvons le croire pieusement, sans ôter à une vertu ce qui appartient à une autre et donnera l'humilité de L. B. L. B.48 ce qui a été un pur effet de son obéissance. Peut-être que s'il eût eu autant de bonheur qu'il eut de zèle pour apaiser quelques légers troubles de son diocèse, il ne seroit pas si tôt déchu de sa grandeur; mais le peu de réussite qui suivit ses empressemens ne causa pas seulement sa disgrâce, mais contribua aussi à celle de M. de Molac49. Le Roi lui en marqua son ressentiment par une lettre, qu'il eut la simplicité de faire voir, où entre autres termes il y avoit: J'entends que votre Bréviaire fasse toute votre occupation. Tant il est vrai que la cour ne juge de la nature d'une entreprise que par le bon ou le mauvais succès, et que les bonnes intentions ne produisent pas toujours de bons effets.

 

Comme l'air de la campagne donne souvent de l'assaisonnement à des plaisirs que nous trouverions fades et insipides dans les plus grandes villes, le Roi ne passa pas longtemps à Paris sans méditer son retour à Versailles: il est vrai que c'est un lieu rempli d'enchantement, depuis qu'on s'est appliqué à l'orner et à l'embellir. Toute la cour partit donc pour ce lieu de plaisance, et le Roi y renouvela toutes les fêtes et tous les divertissements qui avoient été en quelque manière interrompus par son départ si précipité: les parties de chasse y furent assignées; les dames qui accompagnent d'ordinaire Sa Majesté dans cet exercice y parurent infatigables et y firent voir beaucoup de vigueur. La santé de mademoiselle de Fontange étoit trop chère au Roi pour qu'il lui permît de s'engager, comme beaucoup d'autres dames, dans la course; elle en eut le plaisir sans se mettre dans le hasard, et vit de son carrosse tout ce qui pouvoit satisfaire sa curiosité. La chasse finie, le Roi descendit de cheval, prit la place auprès d'elle et la conduisit dans son appartement. Elle étoit pour lors dans l'humeur la plus gaie du monde, et elle dit mille plaisanteries à son amant sur le divertissement qu'une de la troupe avoit donné en tombant de son cheval. Le Roi rioit de tout son cœur, particulièrement quand elle dit devant plusieurs personnes que cette chute devoit être d'autant plus sensible à cette belle chasseresse, que les dames ne s'étoient pas pourvues de caleçons, contre l'ordinaire. Cela donna occasion à mademoiselle de B…50, fille d'honneur de Madame51, de dire qu'elle mourroit s'il lui étoit arrivé un pareil accident. «Je me réserve, continua-t-elle, pour des divertissemens plus tranquilles, et je ne puis assez admirer celles qui ne peuvent goûter de plaisirs sans courir fortune de leur vie.» Elle lâcha cette parole sans prendre garde que Madame, qui étoit présente, est une des plus passionnées pour cet exercice. Aussi releva-t-elle hautement ce qui avoit été dit. «Je vois bien, reprit-elle en s'adressant à celle qui eût bien voulu retirer sa parole, je vois bien que les plaisirs de la ruelle vous toucheroient plus vivement que ceux qui se trouvent dans l'agitation: il faut des divertissemens paresseux et sédentaires à celles dont la foiblesse ne leur permet pas d'en prendre d'autres.» Madame la Dauphine fit changer l'entretien en parlant du bal que Sa Majesté donnoit le lendemain. Ce fut un des plus beaux de tous ceux qui ont paru auparavant; tout y étoit pompeux et magnifique. Le Roi y dansa avec son adresse ordinaire; mais ce qui surprit le plus, ce fut qu'il prit jusques à deux fois une jeune demoiselle et lui dit quelques galanteries fort obligeantes. Il fut le lendemain au lever de sa maîtresse; mais il la trouva dans une tristesse et un abattement extraordinaires. Il témoigna bien du chagrin de la voir dans cet état; il lui demanda fort tendrement quel en étoit le sujet. «Ah! Sire, lui dit-elle en le regardant avec un air fort touchant, si votre personne étoit moins aimable, on auroit moins de tristesse!» Il connut que c'étoit la jalousie qui causoit ce désordre; il n'en fut pas fâché, car quand il aime il veut être aimé, et il n'y a rien qui l'engage si fortement que ces sortes de craintes, quand on les marque à propos. Il apprit de sa belle que ce qui s'étoit passé au bal l'avoit un peu alarmée, et que c'étoit la seule cause de sa mauvaise humeur. Il lui fit voir le peu de sujet qu'elle avoit eu de s'affliger, l'assura qu'il n'aimeroit jamais qu'elle, et que le soupçon qu'elle avoit eu étoit le plus mal fondé du monde. «Eh quoi! continua-t-il, est-il possible que vous connoissiez si mal les sentimens de mon cœur? J'abandonne tout ce que j'ai de plus cher dans la vie. Ah! c'est faire tort à mon amour que d'en avoir seulement la pensée, et vous ne le pouvez sans condamner mon jugement dans le choix que j'ai fait de votre personne. Non, je vous le dis encore une fois, ne jugez pas de l'amour que je vous porte par celui que j'ai témoigné à d'autres par le passé; la différence vous en doit être connue si vous connoissez votre mérite. Croyez que, trouvant en vous seule tout ce qu'il y a d'aimable dans toutes les autres, je ne ferai rien contre mon intérêt, ma parole et mon inclination. – Ah! Sire, quel plaisir n'ai-je point goûté par votre discours! et qu'il est doux d'entendre de la bouche d'un prince si aimable des paroles si tendres et si obligeantes! Mais aussi qu'il est difficile d'aimer un prince comme vous sans crainte et sans inquiétude! Non, je ne puis posséder un cœur comme le vôtre sans en appréhender la perte! C'est pourquoi excusez ma tristesse passée, et profitez de la joie que vous m'avez rendue en me confirmant dans la possession de votre cœur.» Elle dit ces dernières paroles en se jetant au cou du Roi, qui ne put résister plus longtemps à ses caresses; il la baisa, il l'embrassa, et après tout ce badinage, ils font quelque chose qui n'est guère plus sérieux.

[52Bien que les choses qui sont d'une ardeur si violente ne semblent pas devoir être de longue durée, nous avons néanmoins sujet de croire que comme c'est la beauté, l'esprit et le mérite d'une personne toute charmante, qui ont fait cet attachement, il subsistera tant qu'elle conservera les mêmes avantages.

Si nous faisons un juste parallèle du mérite de notre héroïne avec les qualités de celles qui l'ont précédée dans son emploi, nous trouverons que sans le secours de sa beauté elle les surpasse toutes. Ceux de la Cour qui se piquent d'être savants dans le discernement des esprits disent que le sien ne peut être plus accompli, qu'il a en même temps les lumières et le brillant de celui de La Vallière53, et le fond et le solide de celui d'Astérie. S'ils ne se trompent point dans le jugement qu'ils en font, il est à croire que, ramassant de la sorte en soi toutes les perfections qui peuvent rendre le Roi sensible, elle sera toujours aimée, et que tant qu'elle saura ménager sa fortune, il ne cherchera point d'autre amusement. Madame de Fontange est bonne, fort spirituelle, et sensible autant qu'il se peut à deux passions toutes différentes, à l'amour et à la haine; ce qui fait que, si elle aime avec ardeur ce que son cœur trouve agréable, elle ne hait pas avec moins d'excès ceux dont elle croit être méprisée. Elle aime l'honneur et la gloire, et le titre de duchesse ne lui déplaît pas. Elle a un grand air de jeunesse, qui la rend toute aimable. Elle parle agréablement. Mais pour faire son portrait en deux paroles, il suffit de dire qu'elle est du goût du plus délicat de tous les hommes en matière d'amour, et qu'elle a su engager le plus grand et le plus fier de tous les cœurs54.]

32On les appela dans la suite des Fontanges.
33Madame la duchesse d'Arpajon. (Note de l'édition de 1740.)
34Les éditions modernes donnent seule cette variante, qui supprime l'hiatus: … de transport animé.
35Madame de Montespan.
36C'est le célèbre ouvrage de Malebranche.
37Ces lettres, initiales des mots: maîtres de ton sort, semblent mises ici pour dérouter la recherche; mais, dans les notes qui suivent, nous croyons avoir donné le mot de l'énigme.
38Le lion désigne évidemment M. de Lyonne, ministre et secrétaire d'Etat, dont voici les armes: il portoit écartelé au premier et quatrième de gueules à la colonne d'argent mise en pal, au chef d'azur chargé d'un lion passant d'or, qui est de Lyonne; au deuxième et troisième, d'azur à trois bandes d'or, au chef aussi d'azur chargé d'une tête de lion arrachée d'or, qui est Servien.
39F. Séguier, chancelier de France, portoit d'azur au chevron d'or, accompagné de deux étoiles en chef de même, et d'un mouton passant d'argent en pointe. – C'étoient des armes parlantes: Segui, en Auvergne, signifie mouton.
40Michel Le Tellier, marquis de Louvois, ministre et secrétaire d'Etat, portoit d'azur à trois lézards d'argent posés en pal, deux et un, au chef cousu de gueules, chargé de trois étoiles d'or.
41Les textes imprimés portent: des jappins. Un manuscrit nous a autorisé à faire cette restitution.
42Colbert portoit d'or à la couleuvre ou guivre ondoyante d'azur.
43Jeanne Pelagie de Chabot-Rohan, seconde femme d'Alexandre Guillaume de Melun, prince d'Espinoy. Elle se maria le 11 avril 1668, devint veuve le 16 février 1679, et mourut le 18 août 1698.
44Voy. t. 2, p. 469.
45Ceci est en contradiction avec ce que l'on a vu ailleurs de sa réserve, qui étoit qualifiée d'égoïsme.
46Guillaume de La Baume le Blanc de La Vallière, oncle de la duchesse de La Vallière, se démit de l'évêché de Nantes en 1677.
47M. de Beauveau. Guillaume de La Baume le Blanc de La Vallière, évêque de Nantes, eut pour successeur à ce siége Gilles de Beauveau, son neveu, fils de François de Beauveau et de Louise de La Baume le Blanc.
48M. de La Baume le Blanc. – La première édition seule donne ces initiales.
49Sébastien de Rosmadec, quatrième du nom, marquis de Molac, qui avoit épousé Catherine Gasparde de Scorraille, sœur de mademoiselle de Fontange. Voy. t. 2, p. 469.
50«J'avois une fille d'honneur nommée Beauvais, dit la princesse palatine, mère du régent; c'étoit une personne fort honneste. Louis XIV en devint très amoureux; mais elle tint bon. Alors il se tourna vers sa compagne, la Fontange, qui étoit charmante aussi, mais sans esprit.» – L'initiale de notre texte a sans doute ici son explication.
51Marie Anne-Christine-Victoire de Bavière, fille de Ferdinand-Marie, duc de Bavière, électeur du Saint-Empire, et d'Adélaïde-Henriette de Savoie, épousa le 28 janvier 1680 Louis, dauphin de France, fils de Louis XIV.
52Toute la fin de cette histoire, écrite du vivant de mademoiselle de Fontange, a été changée dans les éditions faites après sa mort. Nous avons suivi le texte le plus ancien. On a lu dans la France galante tous les passages que les éditeurs maladroits de 1754 en ont détachés pour les recoudre à ce récit, dont ils ont dénaturé la rédaction primitive.
53Madame de Sévigné a fait aussi la comparaison de mademoiselle de Fontange et de madame de La Vallière, mais tout à l'avantage de la seconde: «La belle beauté, dit-elle (mademoiselle de Fontange) est si touchée de sa grandeur qu'il faut l'imaginer précisément le contraire de cette petite violette (mademoiselle de La Vallière) qui se cachoit sous l'herbe, et qui étoit honteuse d'être maîtresse, d'être mère, d'être duchesse: jamais il n'y en aura sur ce moule.» (Lettre du 1er septembre 1680.)
54On a vu, à la fin du second volume, le récit de la mort de mademoiselle de Fontange. Nous devons le compléter ici par cette lettre, où Louis XIV, craignant peut-être de trouver les preuves d'un empoisonnement, écrit au duc de Noailles de ne laisser ouvrir le corps que si on ne pouvoit absolument l'empêcher. Voici cette lettre, publiée par la Société de l'histoire de France, Bulletin, nov. 1852: Ce samedy à dix heures.– «Quoyque j'atandisse il y a longtemps la nouvelle que vous m'avés mendée, elle n'a pas laissé de me surprendre et de me fascher. Je voy par vostre lettre que vous avés donné tous les ordres nécessaires pour faire exécuter ce que je vous ay ordonné. Vous n'avés qu'à continuer ce que vous avés commencé. Demeurés tant que vostre présence sera nécessaire, et venés ensuitte me rendre compte de touttes choses. Vous ne me dittes rien du père Bourdaloue. Sur ce que l'on désire de faire ouvrir le corps, si on le peut esvister, je croy que c'est le meilleur party. Faites un compliment de ma part aux frères et aux sœurs, et les assurés que dans les occasions ils me trouveront toujours disposé à leur donner des marques de ma protection. «Louis.»