Za darmo

Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

Tilladet, faute de mieux, entretint cette intrigue pendant quelque temps, et, le hasard ayant voulu qu'elle devînt grosse de son fait, ce fut une étrange alarme. Comme Tilladet n'avoit pas pour elle cet amour délicat qui fait qu'on craint pour la personne aimée, il lui dit, quand elle lui fit confidence de cet accident, qu'elle avoit tort de s'en mettre en peine; que son mari n'étoit pas plus à craindre pour elle que le maréchal352 son père ne l'avoit été pour sa femme; qu'elle avoit eu un enfant du duc de Longueville dans le temps qu'elle ne couchoit point avec lui; qu'elle ne s'en portoit point plus mal pour cela, ni qu'elle n'en alloit pas moins la tête levée.

Ces raisons ne satisfirent point la duchesse de La Ferté; au contraire, elle se scandalisa de lui voir des sentiments si indifférents, et, ayant pleuré et gémi pendant une heure, elle trouva moyen de l'attendrir, ce qui étoit une chose fort extraordinaire pour lui. Cependant, comme il n'étoit pas un homme de grand expédient, il lui avoua franchement qu'il ne savoit quel emplâtre y mettre; mais que, si elle vouloit, il avoit des amis qui étoient assez éveillés pour l'assister au besoin. D'abord que la duchesse l'entendit parler de la sorte, elle fit encore plus de cris qu'elle n'avoit fait auparavant; elle lui demanda s'il étoit fou de vouloir dire ces sortes de choses à personne, et si ce n'étoit pas proprement la vouloir perdre.

Tilladet, pour lui faire quitter tout d'un coup ces vaines frayeurs, crut qu'il n'étoit pas besoin de finesses avec elle, et, lui avouant ingénuement que son amour n'étoit point un coup de l'étoile, mais une chose préméditée entre Biran, Roussi et lui, il la fit trembler quand elle vint à faire réflexion que son secret étoit entre les mains de gens accoutumés à ne céler que ce qu'ils ne savoient pas. Elle en fit de grands reproches à Tilladet, qui, bien loin de lui dire quelque chose pour la consoler, lui soutint que le seul moyen de la tirer d'affaire étoit de leur faire part encore de ce qui se passoit. Enfin, après bien des paroles de part et d'autre, la duchesse, qui ne pouvoit être dans un pire état que celui où elle se trouvoit, consentit à tout; si bien que Tilladet dit à Biran et à Roussi dans quel embarras ils se trouvoient.

Toute l'affaire roula sur Biran, qui étoit plus intrigant que l'autre. Aussi Tilladet ne lui eut pas plutôt fait son rapport, qu'il lui dit qu'il y trouveroit bientôt remède. Celui qu'il y trouva fut de faire une partie de débauche avec le duc de La Ferté, qui étoit de ses amis; c'est-à-dire ami de cour, car je ne prétends pas que ce mot signifie ce qu'il devroit signifier. La Ferté, qui étoit toujours prêt pour ces sortes de choses, accepta le rendez-vous, qui étoit à l'Alliance353, dans la rue des Fossés, au faubourg Saint-Germain. Roussi fut de la débauche avec le duc de Ventadour et Biran, qui alloit à ses fins et qui en auroit joué une douzaine comme eux; il leur dit, quand il les vit en pointe de vin, que leur exemple ne lui donnoit point d'envie de se marier; que leurs femmes portoient le haut de chausse, et qu'il ne leur étoit pas permis de coucher avec elles quand ils vouloient.

Ventadour, écumant de la bouche comme un cheval qui se joue de son mors, se trouva choqué de ces paroles, et lui répliqua que, s'il ne couchoit pas avec sa femme, c'étoit parce qu'il en avoit de plus belles. Mais Biran lui contredisant tout exprès, il le mit tellement en colère, qu'il jura qu'il ne seroit pas plutôt chez lui qu'il lui passeroit son épée au travers du corps, ou qu'elle lui obéiroit. Pour ce qui est du duc de La Ferté, il n'avoit pas été si longtemps sans faire paroître son extravagance; il avoit déjà tiré tout ce qu'il portoit, et, l'ayant montré à la compagnie, il dit qu'il vouloit qu'on le lui coupât s'il ne faisoit son devoir dès qu'il seroit arrivé à sa maison. C'étoit un plaisir de voir la passion de ces deux hommes, qui étoient aussi fous l'un que l'autre; mais ce qui étoit encore plus plaisant, c'est que Biran et Roussi faisoient mine de n'en vouloir rien croire. En quoi celui-ci jouoit d'autant mieux son personnage qu'il espéroit qu'une pareille action l'alloit mettre au comble de la joie.

Ils quittèrent ces deux ducs en leur faisant ainsi la guerre, de quoi ceux-ci étant encore tout remplis en arrivant chez eux, ils montèrent d'abord dans la chambre de leurs femmes, où ils débutèrent par des juremens. La duchesse de La Ferté, qui, en conséquence des avis que Biran avoit donnés à Tilladet, avoit été avertie par lui de tout le manège, fit semblant de trembler à sa voix, et, quoique son ordinaire fût de parler plus haut que lui, elle ne sonna mot en cette occasion. La Ferté, qui se faisoit un point d'honneur de tenir parole à Biran et à Roussi, la voyant si souple, se coucha auprès d'elle, où il tâcha de se mettre en état de la caresser. La duchesse, qui savoit jouer son rôle, fit la pleureuse, se plaignit qu'il ne la recherchoit que lorsqu'il revenoit de débauche, et par de petites résistances elle l'anima tellement, qu'elle crut qu'il pourroit accomplir l'œuvre dont il n'avoit auparavant que la volonté. En effet, toutes choses se passèrent selon son désir; après quoi, son mari ne demandant qu'à dormir, il passa toute la nuit d'une pièce, pendant que de son côté elle eut sujet d'avoir plus de repos. Quand La Ferté eut cuvé son vin, elle voulut le lendemain matin le faire retourner à l'ouvrage, soit que le métier lui plût ou qu'elle eût peur qu'il ne se ressouvint pas de ce qui s'étoit passé; mais il se trouva si pesant, qu'après avoir essayé d'en venir à bout, il fut obligé de faire retraite.

Cependant Roussi étoit aux écoutes pour savoir ce qu'il avoit à espérer de ses petits soins; mais il avoit manqué à une chose, qui étoit d'avertir sa maîtresse; tellement que, le duc de Ventandour s'y étant pris aussi brutalement avec elle que La Ferté avoit pu faire avec sa femme, elle ne voulut jamais le souffrir. Le petit bossu jura et pesta de bonne sorte; mais, s'étant aguerrie à tout cela depuis qu'elle étoit avec lui, elle le laissa dire et ne fit que ce qu'elle voulut.

Roussi, sachant de quelle manière la chose s'étoit passée, lui en sut non-seulement mauvais gré, mais pensa encore se brouiller avec elle. Il lui reprocha que c'étoit le considérer bien peu que d'avoir trouvé une si belle occasion et ne s'en être pas servie. Elle ne put disconvenir de l'un, mais nia l'autre fortement, rejetant sur lui toute la faute, dans laquelle elle lui assura qu'elle ne seroit jamais tombée s'il lui eût fait part de ce qui se passoit. Il fallut bien qu'il s'en contentât, et de la petite oie, qu'elle lui continua en attendant mieux. Cependant, quoi que ce fût quelque chose de beau que ce qu'elle lui donnoit, y ayant peu de corps semblables au sien, si ce n'est celui de la duchesse d'Aumont sa sœur, comme l'appétit croît en mangeant, il se sentoit excité tous les jours de plus en plus à la consommation du plaisir entier. La duchesse de même ne pouvoit sentir de telles amorces sans désirer la même chose. Ainsi leurs désirs étant communs, ils s'émancipèrent à de petites libertés qui les firent tomber insensiblement dans le précipice qu'ils avoient évité depuis si longtemps. La duchesse, qui avoit peur des suites, n'eut pas plutôt commis la faute qu'elle s'en repentit. Elle s'en prit à ses yeux; mais Roussi, lui remontrant qu'elle retrouveroit l'occasion qu'elle avoit perdue avec son mari, la consola tellement, qu'elle se résolut de s'abandonner à la Providence. Il eut donc tout ce qu'il souhaita ce jour-là, et quelques autres suivans. Mais le duc de Ventadour, qui avoit passé sa fantaisie ailleurs, ne lui ayant rien dit, la crainte du tablier fit qu'elle se priva d'un plaisir où elle étoit encore plus sensible qu'une autre.

Ce fut de grandes alarmes jusqu'au temps qu'elle put avoir des marques de sa stérilité. Mais enfin, ayant vu ce qu'elle désiroit de voir, tout se calma, à la réserve de son amour. En effet, comme elle avoit éprouvé des forces qui n'étoient pas ordinaires, la privation d'un tel plaisir lui fit tant de peine, que pour avoir une couverture, elle témoigna à tout le monde que, puisque Dieu lui avoit donné un mari, elle seroit bien aise de vivre dorénavant avec lui en meilleure intelligence. Quoiqu'on ait toujours du penchant à juger mal de son prochain, on crut qu'une si grande résignation étoit l'effet des conversations fréquentes qu'elle avoit avec la duchesse d'Aumont, car celle-ci étoit toujours regardée comme une béate354, et Biran, qui avoit accoutumé d'être indiscret, avoit été si sage à son égard, que personne ne se doutoit de leur intrigue. En effet, il eût été difficile de la soupçonner sans passer pour médisant; car elle ne se contentoit plus d'ensevelir les morts, elle alloit encore les mettre en terre: ce qui lui donnoit une si grande réputation, que, si elle fût morte dans ce moment, on l'auroit sans doute canonisée.

 

L'Avocat, dont il a été parlé dans la première partie de cet ouvrage355, sachant que la duchesse de Ventadour faisoit tant d'avances pour se raccommoder avec son mari, voulut en avoir le mérite. Il les vit séparément l'un et l'autre, et, leur ayant fait trouver bon qu'il leur donnât à manger, il emprunta une maison à un village au-dessous de Montmartre, où il leur fit bonne chère. Plusieurs autres personnes s'y trouvèrent aussi et le louèrent fort de son repas, qui avoit été mieux apprêté qu'il ne fut payé; car au bout de six mois le traiteur fut obligé de lui faire donner assignation, et, s'il ne l'eût menacé de lui faire arrêter son carrosse356, il ne l'auroit pas contenté sitôt.

La suite de ce repas eut le succès pour lequel il avoit été fait. Le duc et la duchesse couchèrent ensemble, ensuite de quoi elle songea à faire venir son amant, avec qui il lui étoit permis maintenant de se divertir tout à son aise. Par malheur pour elle il étoit allé à la Ferté-sur-Joire, terre qu'a son père aux environs de la ville de Meaux357. Ainsi elle fut obligée de presser son retour par une lettre dont voici la copie:

Lettre de la Duchesse de Ventadour au Comte de Roussi

Vous ne me direz plus que je ne vous aime pas. Je me viens de raccommoder avec mon magot pour l'amour de vous, et, comme je crois être entre les bras d'un singe quand je suis obligée de le souffrir, je crains à tous moments qu'il ne m'étouffe. Jugez s'il est sacrifice plus sanglant que le mien. Cependant vous m'abandonnez lorsque j'ai le plus besoin de consolation, et de plus vous m'abandonnez sans me le dire; si vous ne revenez bientôt, je vais mourir. Mais qu'importe? aussi bien n'ai-je plus guère à vivre, et je sens bien que, si je ne meurs de tristesse, je mourrai du moins de joie quand je vous tiendrai entre mes bras.

La fin de cette lettre étoit trop touchante pour ne pas monter promptement à cheval. Roussi prit la poste, et trouva la dame si affamée qu'il lui fut impossible de la contenter. Enfin, en étant sorti le mieux qu'il put, elle ne lui donna point de repos qu'il ne lui eût accordé une nouvelle entrevue, et, celle-ci étant suivie de plusieurs autres, elle le mit si bien sur les dents, qu'il fut obligé d'avouer que l'excès nuit en toutes choses.

Les affaires de ces trois amans étoient en cet état quand Biran se brouilla avec la duchesse d'Aumont. Comme il avoit un régiment de cavalerie, et qu'en temps de paix comme en temps de guerre, le Roi n'exemptoit personne de son devoir, il fut obligé d'aller faire un tour à la garnison, où ayant vu la femme de La Grange, intendant des troupes358, il en devint amoureux, ou, pour mieux dire, il chercha à passer son temps avec elle. Cette petite femme, à qui mille officiers avoient inspiré la vanité, ne se vit pas plutôt un amant de la trempe de Biran, qu'elle méprisa tous les autres; et, ayant peur qu'un homme de la cour ne se rebutât si elle le faisoit languir, elle ne le fit attendre que jusqu'à ce qu'il lui demandât quelques faveurs.

La duchesse d'Aumont, qui avoit admiré plusieurs fois la constance qu'il avoit eue pour elle, n'en étoit pas si bien assurée qu'elle n'eût pris des mesures pour être avertie s'il retournoit à son penchant. Ainsi, ayant su peu de jours après ce qui se passoit, elle entra dans une jalousie qui ne lui laissa plus de repos. Elle lui écrivit donc en des termes qui témoignoient son ressentiment; mais, quoique Biran l'aimât, elle avoit tort d'être absente, et, toute charmante qu'elle étoit, il se contenta de lui donner de belles paroles, pendant qu'il continua avec l'autre son petit commerce, qui dura tant qu'il fut obligé d'être à la garnison.

Ainsi, n'ayant point changé de conduite, il outra tellement la duchesse que, quand il fut de retour, elle ne le voulut plus voir. Ce fut alors qu'il reconnut le tort qu'il avoit eu de préférer une petite bourgeoise, plus laide que belle, à une femme de qualité toute charmante. Cependant son repentir ne fut pas capable de lui faire obtenir sa grâce, si bien qu'il lui prit fantaisie de retourner à la garnison pour insulter celle qui étoit cause de son malheur. Voilà sans doute une résolution bien bizarre pour un homme d'esprit, et qui venoit de témoigner tant de tendresse à une femme; mais, ne croyant que ce moyen-là pour regagner la confidence de l'autre, il arriva auprès de la petite La Grange, à qui pour premier compliment il débuta que, ne pouvant pas être toujours à son régiment et étant obligé d'en laisser le soin au lieutenant de sa compagnie, il prétendoit qu'il veillât aussi bien sur sa conduite que sur celle de ses cavaliers; que pour l'engager à le faire avec plus d'affection il vouloit qu'il partageât ses faveurs avec lui; que, du tempérament dont il la connoissoit, il savoit qu'elle ne se pouvoit passer d'homme, et qu'il aimoit mieux lui en donner un de sa main que de s'en rapporter à son choix.

Il est aisé de juger l'effet que fit ce compliment sur une personne qui se ressouvenoit d'avoir été traitée, il n'y avoit pas encore longtemps, comme si elle eût été aimée. Elle s'en trouva si surprise qu'elle auroit cru que c'eût été un songe, si Biran, pour ne lui laisser aucun lieu de douter de la vérité, n'eût lâché en même temps son lieutenant après elle. Comme ce procédé étoit extrêmement choquant, elle voulut prendre son sérieux; mais Biran, prenant le sien, lui dit qu'il n'y avoit point d'autre parti à prendre, sinon qu'il révéleroit à son mari tout ce qui s'étoit passé entre eux. Ce fut bien pour la faire tomber de fièvre en chaud mal, s'il m'est permis de parler de la sorte. Elle lui demanda s'il étoit fou ou ivre; mais, voyant qu'il n'étoit ni l'un ni l'autre, et qu'il continuoit toujours sur le même ton, elle eut recours aux pleurs, qui ne le touchèrent guère. Cependant, comme il crut que c'étoit vouloir exiger trop d'elle tout en un moment, il se relâcha à lui accorder un délai de vingt-quatre heures, pendant lesquelles il dit au lieutenant de faire ses affaires.

Jamais on n'avoit ouï parler d'une conduite comme celle-là, et c'étoit ce qui désespéroit la petite La Grange; mais, se voyant entre ses mains, la crainte qu'il n'exécutât ses menaces la fit résoudre, non pas à faire ce qu'il disoit, mais à tâcher de gagner le lieutenant, afin qu'il lui fît accroire tout ce qu'elle voudroit. Elle lui promit pour cela non-seulement la protection de son mari, mais encore une assez bonne somme. Mais celui-ci, qui étoit pitoyable comme un homme de guerre, lui fit réponse qu'elle se trompoit si elle le croyoit capable de mentir à son colonel; et, comme il avoit pris ses manières depuis le temps qu'il le hantoit, il ajouta qu'elle avoit tort de faire la réservée; qu'elle avoit peut-être accordé des faveurs à gens qui ne le valoient pas, et qu'il lui conseilloit d'en user plus honnêtement, si elle vouloit qu'on en usât bien avec elle.

S'il est vrai ce que la médisance rapporte, il faut croire qu'elle fit réflexion à un discours si pressant. Quoi qu'il en soit, le lieutenant se vanta, après être sorti d'avec elle, qu'elle s'étoit rendue à la raison; et on y ajouta d'autant plus de foi qu'il dit de certaines circonstances de ses beautés cachées dont on ne pouvoit parler si assurément à moins que de les avoir vues. Elle crut après cela qu'elle étoit en repos du côté de son mari; mais Biran poussant les choses jusqu'à l'extrémité, il lui envoya un homme exprès à un endroit où il étoit allé, pour l'avertir que, s'il vouloit sauver l'honneur de sa femme, il falloit qu'il revînt en diligence; autrement qu'il alloit faire naufrage dans un rendez-vous qu'elle avoit donné. La Grange quitta les affaires du Roi pour les siennes, mais ce fut pour essuyer mille railleries piquantes qu'il lui fit; de sorte que, comme il n'étoit pas d'ailleurs trop prévenu de la vertu de sa moitié, il commença à faire méchant ménage avec elle, et la renvoya peu de temps après chez ses parens ou dans une religion.

Biran, ayant fait cette belle manœuvre, s'en retourna en poste à Paris, où il prouva à la duchesse d'Aumont la violence de son amour par le tour scélérat qu'il venoit de faire. La duchesse, qui n'étoit pas différente de la plupart des femmes, qui aiment le sacrifice, fut ravie de celui-ci, et, après s'être fait prier quelques moments, elle le remit enfin dans ses bonnes grâces.

En ce temps-là l'on continuoit toujours à jouer chez la marquise de Rambures, où le chevalier Cabre s'étoit si bien introduit qu'il étoit devenu le tenant. Caderousse, qui connoissoit le tempérament de la dame, en étoit au désespoir, par l'intérêt qu'il étoit obligé de prendre à sa conduite, après être entré dans sa famille. Cependant il n'y pouvoit que faire, la marquise étant d'un âge à faire plutôt des réprimandes aux autres qu'à souffrir qu'on lui en fît. En effet, elle n'étoit pas à ignorer qu'un commerce si honteux la ruinoit de réputation; mais sa folie, qui alloit jusqu'à l'excès, fut enfin au-delà de toute sorte d'imagination. Elle devint jalouse de ce petit homme, qui voyoit une certaine madame Sallé359, femme d'un maître des comptes, et encore quelques autres femmes. Elle s'emporta extraordinairement contre lui, lui reprocha sa naissance et l'honneur qu'elle lui faisoit. Mais lui, qui, depuis qu'il avoit de l'argent, commençoit à se donner des airs de qualité, la traitant mal à son tour, lui dit qu'un homme tel qu'il étoit, quand il avoit de l'honneur, valoit mille fois mieux qu'une femme de qualité qui n'en avoit point; qu'il ne s'étoit pas loué à elle pour faire le métier de porteur de chaise; qu'il ne l'avoit que trop caressée et qu'il étoit temps qu'il en caressât d'autres qui lui fissent moins de peine.

C'en étoit assez dire pour faire mourir de douleur une femme amoureuse. Aussi le prit-elle à cœur tellement qu'elle devint sèche comme un bâton, et, le chagrin rongeant tous les jours son esprit de plus en plus, enfin elle acheva ses jours, qu'elle ne pouvoit plus passer aussi bien dans le monde avec honneur. Quand elle se vit à l'extrémité, elle envoya chercher Cabre, et, sachant qu'il refusoit de venir, elle y renvoya une seconde fois, le priant de ne lui pas refuser cette grâce. La petite Sallé, qui ne l'aimoit que parce qu'il se laissoit voler quand il tailloit à la bassette, lui dit que cela étoit vilain de refuser une femme en l'état où elle étoit, et, l'ayant obligé à monter en carrosse, elle y entra avec lui, résolue de l'attendre à la porte.

 

Caderousse étoit dans la maison, et, le voyant venir, il crut que son dessein étoit d'achever de la piller; à quoi il n'avoit pas perdu de temps pendant qu'il l'avoit vue, si l'on en croit la renommée. Quoi qu'il en soit, comme l'intérêt rend tout le monde ardent, lui qui n'aimoit point à dégainer fit le brave, et, se postant sur une porte, lui demanda à qui il en vouloit. Cabre lui dit nettement: «A madame de Rambures.» A quoi l'autre ayant répondu un peu en colère qu'il ne l'avoit que trop vue, et que ce n'étoit plus le temps, le discours s'échauffa de sorte que, s'il ne fût survenu des valets, ils auroient peut-être tiré l'épée. Cabre jugea à propos de ne pas avoir affaire à cette populace; mais, quelque sage que fût ce conseil, on le poursuivit jusques à son carrosse, où la vue de madame Sallé, qui étoit connue pour ce qu'elle étoit, excita plutôt les injures que de les apaiser.

Pendant que cela se passoit, le duc de Roquelaure vint à mourir de chagrin360, et l'on voulut que ce fût pour avoir fait une méchante affaire en achetant le comté d'Astarac, qui appartenoit à la maison d'Epernon, et pour avoir perdu cinquante mille écus au jeu. Comme néanmoins il étoit gouverneur de Guyenne, et que ce gouvernement lui avoit beaucoup valu, ses affaires se trouvèrent encore en assez bon état pour faire désirer à plusieurs filles des plus huppées de la cour de pouvoir épouser le marquis de Biran. Mais c'étoit au roi à le marier, et il ne sut pas plus tôt la mort de son père qu'il lui fit proposer que, s'il vouloit songer à mademoiselle de Laval361, fille d'honneur de madame la Dauphine, il lui donneroit deux cent mille francs et le brevet de duc. Ces offres étoient trop avantageuses pour les refuser. La demoiselle étoit d'une des premières maisons de France, aimable de sa personne, ayant de l'esprit infiniment, et enfin revêtue de toutes les bonnes qualités que l'on pouvoit désirer. Aussi le duc du Lude362, oncle de Biran, et qui lui tenoit lieu de père, remercia d'abord le roi des bontés qu'il avoit pour lui, et, sans le consulter, l'assura qu'il seroit disposé à lui obéir; mais, l'ayant trouvé, il fut surpris de ne lui pas voir pour cette affaire toute la chaleur qu'il dût avoir, et lui en ayant demandé la raison: «Parce, lui répondit Biran, que le Roi prend trop de soin de mademoiselle de Laval.» Ce peu de paroles fit comprendre au duc du Lude qu'il falloit qu'il eût ouï quelque chose de certains discours qui s'étoient faits à la cour sur ce sujet; mais, comme ce duc ne voyoit rien d'égal au brevet qui étoit proposé par ce mariage, il fit ce qu'il put pour lui insinuer l'ambition qui le tourmentoit lui-même. Biran voulut encore lui contredire; mais lui, se fâchant aussitôt, lui répliqua qu'il ne falloit point couvrir d'un prétexte comme celui-là un refus qui ne procédoit que d'une autre passion; qu'il étoit averti de bonne part qu'il voyoit mademoiselle de Bois-franc363 avec assiduité; s'il n'avoit point de honte de songer à entrer dans la famille d'un homme qui ne devoit son bien qu'à ses rapines et à ses usures; qu'il ne le vouloit plus voir après cela, et que, s'il ne venoit avec lui tout de ce pas remercier le Roi, il n'avoit que faire de compter jamais ni sur son amitié ni sur sa succession364.

Ce qu'avoit dit le duc du Lude de mademoiselle de Bois-franc étoit vrai; Biran l'aimoit depuis un mois ou deux. La duchesse d'Aumont en avoit été si jalouse qu'elle n'avoit pas craint d'éclater. Cependant Biran, se voyant pressé de la sorte par son oncle, résolut de se faire un mérite auprès de la duchesse du mariage qu'on lui proposoit. C'est pourquoi, comme ce qu'il avoit dit du Roi n'étoit pas capable de l'arrêter, il prit le parti de contenter son oncle, et s'en fut avec lui remercier ce prince. Il se retira ensuite dans sa chambre, où s'étant fait donner du papier et de l'encre, il écrivit en ces termes à la duchesse:

Lettre du Marquis de Biran à la Duchesse d'Aumont

Je viens de remercier le Roi de ce qu'il m'a choisi pour épouser une demoiselle qu'il n'a pas haïe. C'est vous en dire assez pour vous apprendre que je ne l'aimerai jamais, et que vous serez toujours maîtresse de mon cœur. Si vous vous étonnez que je fasse un pas comme celui-là, prenez-vous en à vous-même, et non pas à moi, qui ne crois pas manquer d'honneur pour cela. Je veux vous témoigner que, bien loin d'aimer mademoiselle de Bois-Franc, comme vous vous êtes imaginée, je ne me marie que parce qu'on le veut, ou plutôt parce que j'épouse une personne qui ne pourra jamais vous donner de jalousie.

La duchesse d'Aumont trouva dans cette lettre des consolations merveilleuses. «Ah! le pauvre garçon! s'écria-t-elle aussitôt, qui eût cru qu'il eût été de si bonne foi que de vouloir être cocu pour l'amour de moi!» Et, après plusieurs exclamations de cette sorte, elle eut la malice de lui demander un rendez-vous pour le lendemain, sachant que le jour d'après il devoit être marié. Biran, que je nommerai dorénavant le duc de Roquelaure, puisqu'il devoit être déclaré tel par le Roi, n'eut garde de refuser le cartel, et, pour lui faire voir qu'il ne vouloit vivre que pour elle, il se ménagea si peu que jamais il n'avoit fait paroître tant de courage. La paix s'étant faite aisément de cette manière, elle lui dit qu'au moins il se ressouvînt qu'il n'alloit avoir que les restes d'un autre, et qu'il songeât à se conserver. Il le lui promit formellement, et, comme elle avoit pris toutes ses précautions là-dessus, elle crut qu'il lui garderoit parole. Néanmoins, comme c'étoit du fruit nouveau pour lui, et que les jeunes gens ne font pas toujours ce qu'ils promettent, il n'eut pas plutôt mademoiselle de Laval entre ses bras, qu'il la traita, non pas comme sa femme, mais comme une maîtresse. Si elle eût voulu dire tout ce qu'elle savoit, peut-être eut-elle avoué que ce n'est pas toujours les plus grands hommes qui sont les plus vigoureux; mais, comme elle avoit plus d'un jour à vivre avec lui, et qu'elle ne vouloit pas en user si franchement avant que de le connoître, elle fit toutes les grimaces que ses parents lui avoient dit de faire, pour lui faire accroire qu'il en avoit eu les gants.

Biran étoit trop habile pour s'y méprendre; néanmoins, comme il étoit aussi bien instruit qu'elle qu'il falloit garder le secret, il feignit d'en être le plus content du monde, principalement aux gens qui venoient lui faire compliment sur son mariage365.

En effet, pour insinuer mieux qu'il avoit l'esprit libre, il se fit coiffer avec des cornettes et des fontanges, et, tenant la place de sa femme, il reçut les dames qui la venoient voir. Si bien que, comme il n'y avoit pas grande clarté dans la chambre, elles s'en seroient retournées sans prendre garde à la supercherie, s'il ne les eût désabusées par un attouchement qui leur étoit sensible.

Ces folies ne pouvant pas toujours durer, sa femme, qui n'étoit pas d'humeur à se passer de la cour, le fit ressouvenir qu'il y avoit quatre jours qu'il n'y avoit été. Il fut ravi que cela vînt d'elle, pour plus d'une raison: car, outre qu'il n'étoit pas toujours en état de lui rendre service, il étoit bien aise de se conserver pour la duchesse d'Aumont, avec qui il avoit résolu d'entretenir commerce. Il trouva qu'il y avoit bal ce jour-là à Saint-Germain; mais la plupart de ceux qui y dansoient ayant oublié à sa vue qu'ils étoient obligés de se ménager, ils l'amenèrent boire à une lieue de là, si bien qu'ils n'étoient pas encore revenus quand le Roi dit qu'il étoit temps de commencer. On fut chercher les danseurs, et, ceux qui y étoient allés leur ayant annoncé la volonté du Roi, ce fut la chose du monde la plus pitoyable quand ils vinrent à paroître devant lui. Le Roi, voyant ce qui en étoit cause, s'en alla plus tôt que de coutume, et Biran n'osa paroître, de peur qu'il ne l'accusât d'avoir été l'auteur de la débauche. D'ailleurs il n'étoit pas plus en état de se montrer que les autres, principalement devant un prince qui, étant extrêmement sage de lui-même, s'apercevoit aussitôt des moindres excès. La nuit ayant dissipé toutes les exhalaisons vineuses qu'il pouvoit avoir, il se trouva le matin au lever du Roi, qui lui demanda fort obligeamment de ses nouvelles et de celles de sa femme. Il lui répondit, en goguenardant, qu'il faudroit bien d'autres fatigues à l'un et à l'autre pour les faire mourir. Cependant ce qu'il avoit dit au Roi n'étoit rien en comparaison de ce qu'il dit à sa femme. Etant revenu à Paris, elle lui demanda quel accueil il avoit reçu; sur quoi prenant un grand sérieux, il lui répondit qu'il avoit tout lieu imaginable de se louer de Sa Majesté; qu'elle ne l'avoit pas plus tôt vu qu'elle lui avoit dit fort obligeamment qu'elle ne vouloit plus se ressouvenir de ce qu'avoit fait monsieur de Biran, et que ce ne seroit plus que de ce que feroit monsieur de Roquelaure.

La dame fut ravie de ce qu'il paroissoit si content, et, ne se doutant en aucune façon pourquoi il avoit dit ces paroles, elle lui exagéra la bonté du Roi, lui demanda si l'on pouvoit dire les choses avec plus d'esprit et plus de bonté. Biran avoua que cela étoit impossible, et, après avoir encore renchéri par dessus, il lui dit qu'il trouvoit cette pensée si juste qu'il vouloit s'en servir à son égard; qu'il lui promettoit donc qu'il avoit oublié tout ce qu'avoit fait mademoiselle de Laval, et qu'il ne se mettroit jamais en peine que de ce que feroit madame de Roquelaure. Si la duchesse avoit pu retenir sa langue après ce reproche, elle l'eût fait sans doute aux dépens d'une partie de son sang; mais, n'y ayant plus de remède, elle tâcha de cacher la confusion où elle étoit.

Le commerce qu'il avoit avec madame d'Aumont dura encore quelque temps; mais, ayant une jeune femme tous les jours auprès de lui, quelque abstinence qu'il pût faire, la duchesse s'aperçut devant peu qu'une femme étoit plutôt capable de servir à trente hommes qu'un homme à deux femmes. Comme elle étoit gourmande sur l'article, elle chercha quelqu'un qui la pût consoler de la perte qu'elle avoit faite, et, comme l'archevêque de Reims366, frère du marquis de Louvois, se radoucissoit auprès d'elle depuis quelque temps, elle fit un jugement avantageux de mille apparences heureuses qui se trouvoient en lui. En effet, il étoit marqué à la marque que Caderousse estimoit si essentielle pour être habile homme en amour, et qu'il avoit spécifiée quand il avoit parlé du prince de Courtenay à la marquise de Rambures. Ce prélat aussi ne faisoit aucune abstinence qui pût diminuer son embonpoint, et, s'il avoit à craindre quelque maladie, ce n'étoit que parce qu'il en usoit quelquefois en homme qui croyoit que rien ne pouvoit nuire à sa santé.

Cet endroit étoit fort touchant pour la duchesse, qui aimoit l'excès en beaucoup de choses; néanmoins, il avoit encore une autre qualité qui servit autant à la gagner: ce fut qu'étant homme d'église et elle dévote, elle crut qu'on leur verroit tout faire, s'il faut parler de la sorte, sans qu'on y trouvât à redire. Elle étoit en cette pensée quand l'archevêque, qui croyoit qu'une lettre faisoit autant d'effet que la parole, lui envoya celle-ci:

352Voy. dans ce volume, p. et .
353C'est-à-dire: à l'enseigne de l'Alliance. Avant l'usage de numéroter les maisons, on les désignoit et on les reconnoissoit par leurs enseignes, enseignes parlantes généralement, formées de sujets allégoriques ou autres, taillés dans la pierre, incrustés dans la façade des maisons, ou peints et formant tableaux.
354Le béat, c'est le saint qui n'est pas encore canonisé.
355Voy. t. 2, p. 429.
356Il n'étoit pas rare qu'un créancier fît arrêter le carrosse même d'un grand seigneur. Segrais raconte, entre autres vicissitudes du comte d'Elbène, qu'un créancier étant parvenu à l'attirer jusque dans la rue à la suite d'une visite qu'il lui avoit faite, osa, de son autorité privée, le faire saisir par quatre hommes, jeter dans un carrosse de louage, et conduire, de son chef, dans une prison, où le comte resta trois jours.
357Nous écrivons autrement le nom de cette ville, appelée aujourd'hui La Ferté-sous-Jouarre.
358L'intendant des troupes étoit chargé de veiller à l'approvisionnement des objets nécessaires à l'armée. Dangeau (Journal, t. 1, p. 314, à la date du 22 mars 1686) parle de M. de La Grange, intendant d'Alsace.
359M. Jacques Sallé, précédemment auditeur des comptes, fut nommé maître des comptes en 1674. Il servoit, comme M. Ladvocat, non le maître des requêtes, mais le maître des comptes, pendant le semestre d'hiver.
360Le duc de Roquelaure mourut le 11 mars 1683. Cf. t. 1, p. 163.
361Voy. t. 2, p. 426, 448.
362Le duc du Lude étoit, comme Roquelaure, un duc à brevet. Ses lettres de duché-pairie furent commandées le 31 juillet 1675. Il mourut en septembre 1685.
363L'Etat de la France pour 1669 indique comme trésorier général des maison et finances de Monsieur, duc d'Orléans, aux gages de 4,800 livres par an, M. Joachim Seiglière, sieur de Boisfranc. Sa fille, Marie-Magdeleine-Louise de Seiglière de Boisfranc, née en 1664, épousa, le 15 juin 1690, Bernard-François Potier, duc de Gèvres, et mourut le 3 avril 1702. – Madame de Caylus, dans ses Souvenirs, assure que M. de Roquelaure avoit pensé à l'épouser elle-même. (Edit. Michaud, Paris, Didier, p. 494.)
364La succession du duc du Lude devoit en effet revenir à Roquelaure, puisque le duc n'avoit eu d'enfants ni de sa première femme, Eléonore de Bouillé, ni de la seconde, Marguerite-Louise de Béthune, veuve du comte de Guiche.
365Dans les éclaircissements dont il a fait suivre le second volume de ses Mémoires sur madame de Sévigné, M. Walckenaër a donné, sur l'usage qu'on avoit de visiter les jeunes mariés le lendemain de leurs noces, une longue et très curieuse note, à laquelle nous renvoyons le lecteur. (Voy. son ouvrage, t. 2, p. 390-392.)
366Charles-Maurice Le Tellier, archevêque et duc de Reims, maître de la chapelle de musique du Roi, intermédiaire de Sa Majesté vis-à-vis des gens de lettres et des artistes depuis la mort de Colbert, étoit frère du marquis de Louvois. Né en 1642, il mourut le 22 février 1710. (Voy., dans cette collection, les notes de M. Ed. Fournier sur un pamphlet, le Cochon mitré, qui attaque le galant archevêque. —Variétés historiques, t. 6, p. 209.)