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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III

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Un si doux moment pensa être cependant le dernier de sa vie; la foiblesse où il étoit le fit évanouir lorsqu'il ne pensoit être que pâmé, et la duchesse s'apercevant que cela duroit trop longtemps pour être naturel, elle se débarrassa le mieux qu'elle put pour courir au secours. Elle fut promptement chercher une bouteille d'eau de Hongrie, et lui en ayant frotté le creux des mains, les tempes et les narines, il revint enfin à lui, mais si foible qu'il avoit de la peine à se soutenir. Quoiqu'elle l'eût déjà voulu voir dehors, elle ne le voulut pas laisser sortir néanmoins qu'il n'eût pris quelque chose; et ce qui venoit de se passer l'ayant rendu plus traitable qu'auparavant, il prit un bouillon, qui lui fit beaucoup de bien. Il mangea outre cela tout au moins pour quatre sous de pain320, un grand pot de confitures, une douzaine de noix confites, et but une bouteille de vin. Avec ce secours il prit des forces pour pouvoir s'en aller; mais, de peur que le suisse ne l'aperçût, il fit une station dans la salle en bas, comme il avoit fait en arrivant, pendant laquelle la duchesse d'Aumont fit monter le suisse, sous prétexte de lui dire ceux qu'elle vouloit qu'il laissât entrer et ceux qu'elle ne vouloit pas qui entrassent.

L'embarras où ils s'étoient trouvés fut cause qu'ils ne songèrent pas à prendre des mesures pour se revoir sitôt. Mais la maison de madame de Bonnelle étant un lieu propre à se donner rendez-vous, quoiqu'elle ne le crût pas, ils s'imaginèrent tous deux qu'y pouvant aller quand ils voudroient, il leur seroit aisé de se parler et de se dire tout ce qu'ils auroient sur le cœur. Cependant la femme de Caderousse, qui n'avoit point eu de ses nouvelles depuis trois jours, en étant en peine, envoya partout où il avoit coutume d'aller pour voir si on ne lui en apprendroit point; et n'en pouvant savoir d'aucun endroit, le bruit courut à la cour et à la ville qu'il falloit qu'il se fût allé battre. S'il avoit eu la moindre affaire, c'en étoit assez pour le perdre, les ordonnances ne pouvant être plus rigoureuses qu'elles l'étoient à cet égard321. Mais comme on savoit qu'il étoit sage, ce bruit s'évanouit bientôt pour faire place à un autre, qui fut qu'il falloit qu'il se fût engagé au jeu. Le changement qui parut sur son visage, lorsqu'il fut revenu chez lui, donna encore plus de couleur à ce faux bruit.

On s'imagina donc qu'il avoit fait quelque perte considérable, et sa femme n'osoit presque lui demander d'où il venoit, de peur de l'affliger. Elle lui lâcha pourtant quelques paroles qui firent voir son soupçon, et cela fournit un prétexte à Caderousse, qui ne savoit presque où en trouver après une si longue absence. Il parut dès le lendemain chez madame de Bonnelle, où l'on fut surpris de le voir si changé. La marquise de Rambures322, qui, avec la passion du jeu, avoit encore celle de l'amour jusqu'à l'excès, entendant dire à tout le monde qu'il falloit qu'il eût été bien piqué pour jouer trois jours entiers, sans que ses amis l'eussent pu voir: «C'est, dit-elle, qu'il n'avoit que faire de témoins au jeu qu'il jouoit.» Chacun se prit à rire de cette saillie; mais Caderousse en rougit, ce qui fut remarqué particulièrement du marquis de Fervaques323, fils de madame de Bonnelle.

Ce n'étoit pas néanmoins un homme qui fût sorcier; au contraire, il avoit extrêmement à se plaindre de la nature, qui lui avoit donné un fort grand corps, mais un fort petit esprit. Sur ces entrefaites, la duchesse d'Aumont entra, et après que celles qui ne l'avoient pas encore été voir lui eurent fait compliment sur son mariage, Fervaques se mit auprès d'elle, lui demanda si ce n'étoit point elle qu'on devoit accuser de la disparition de Caderousse? Comme il n'y a rien qui soit à l'épreuve de la vérité, elle ne se put empêcher de rougir, et, pour peu d'esprit qu'il eût eu, il eût bientôt reconnu qu'il l'avoit touchée sensiblement; mais il avoit dit cela à tout hasard, tellement que, ne faisant point de réflexion à l'intérêt qu'elle y prenoit, il se contenta de lui dire que, quelque mérite qu'eut Caderousse, il seroit trop heureux si une pareille fortune lui arrivoit; que, comme il n'y avoit personne qui en connût le prix si bien que lui, cela l'obligeoit à ne la désirer que pour lui-même; qu'il y avoit déjà plus de deux ans qu'il en étoit amoureux, sans lui en avoir jamais osé parler; mais que venant d'épouser un homme qui avoit beaucoup plus d'âge qu'elle, il avoit cru que, s'il manquoit ce temps-là, il manqueroit une occasion qui ne se rencontreroit peut-être jamais si favorable. La duchesse d'Aumont avoit toujours cru son cousin324 un peu fou; mais, comme elle ne le croyoit ni assez hardi ni assez spirituel pour lui oser faire jamais une déclaration comme celle-là, elle en fut toute surprise, et lui demanda s'il avoit appris ce qu'il lui venoit de dire depuis qu'il voyoit la comtesse d'Olonne325. Fervaques rougit à ce discours et se trouva bien embarrassé, car il étoit vrai qu'il sacrifioit depuis plusieurs mois à cette vieille médaille. Néanmoins, quoique la chose fût publique, il prit le parti d'abord de la nier; mais, voyant que la duchesse étoit trop bien instruite pour prendre le change, il crut avancer grandement ses affaires en lui sacrifiant deux ou trois de ses lettres qu'il avoit dans sa poche. C'est pourquoi, ne se retranchant plus sur la négative, mais sur ce qu'il n'avoit aucun dessein en la voyant, il les lui montra aussitôt, et voulut l'obliger à les lire malgré elle. La duchesse, qui ne prenoit aucun intérêt à cette vieille idole, s'en défendit; mais Fervaques, ne cessant de l'importuner, lui en présenta une tout ouverte, où elle ne se put empêcher de lire ces paroles:

Lettre de Madame d'Olonne au Marquis de Fervaques

Il y a si longtemps que je suis séparée du commerce du monde, que je vaux bien une fille de ce temps-ci. Vous m'en pouvez croire sur ma parole, moi qui ai assez d'expérience pour juger de toutes choses. Cependant il ne tiendra qu'à vous de vous en éclaircir, et vous me dites hier trop de douceurs, jusqu'à m'offrir votre bourse, pour ne pas faire tous les pas qui me peuvent faire paroître reconnoissante. Ne jugez pas que ce que j'en fais soit pour avoir lieu d'accepter vos offres. Quoique vous soyez plus riche que moi, j'ai encore mille pistoles à votre service; mais il me semble qu'entre gens comme nous on se doit aimer but à but, et qu'à moins que d'être dans le besoin, on ne doit jamais faire des démarches, ni l'un ni l'autre, qui puissent faire croire qu'on soit plus intéressé qu'amoureux.

 

La duchesse d'Aumont avoit voulu d'abord rendre la lettre, ne croyant pas qu'après ce qu'elle contenoit à l'ouverture, une honnête femme pût la lire sans s'attirer quelque reproche. Mais enfin la curiosité l'avoit emporté par-dessus toute sorte de considération, de sorte qu'elle ne rebuta point la seconde que Fervaques lui présenta, et qui étoit du même style. Voici ce qu'elle contenoit:

Lettre de Madame d'Olonne
au Marquis de Fervaques

Pour un homme qui va à la guerre, et qui est même capitaine dans la gendarmerie, vous avez bien peu de hardiesse. Attendez-vous que je vous aille prier, et pour vous avoir dit que j'avois des mesures à garder dans le monde, est-ce vous dire que vous n'avez rien à espérer? J'enrage que vous m'obligiez malgré moi à faire un personnage que j'ai toujours haï, c'est-à-dire à vous morigéner comme un jeune homme. Venez pourtant tout présentement, l'on vous apprendra à vivre, puisque vous ne le savez pas; mais apportez du moins plus de courage que vous n'en aviez hier au soir.

«Ah! la folle! dit en même temps la duchesse d'Aumont; et quand prétend-elle devenir sage, si ce n'est à l'âge qu'elle a? – Elle n'est point encore si âgée, ma cousine, dit Fervaques, et elle n'a pas plus de trente-cinq ans. – J'en suis bien ravie, mon cousin, lui répondit la duchesse, et que vous la trouviez à votre gré. – Moi? point du tout», répliqua Fervaques, qui s'avisa, mais un peu tard, qu'il venoit de dire une sottise; et pour lui prouver qu'il la voyoit sans attachement, il lui fit confidence qu'elle le vouloit marier avec mademoiselle de la Ferté, sa nièce, à qui elle donneroit tout son bien326. Cette conversation interrompit celle qu'il avoit commencée; mais, comme il y vouloit revenir à toute heure, la duchesse lui dit qu'on voyoit bien qu'il avoit beaucoup profité sous une si bonne maîtresse, et qu'il n'étoit plus besoin de l'accuser de timidité.

Cependant Caderousse s'étoit mis au jeu; mais, voyant que leur conversation duroit si longtemps, il étoit sur les épines, et faisoit mille fautes qu'il n'avoit pas accoutumé de faire. La marquise de Rambures, qui étoit auprès de lui, y prit garde, et que de temps en temps il jetoit des œillades à l'endroit où étoit la duchesse. Quand elle eut remarqué cela deux ou trois fois: «Voulez-vous parier, lui dit-elle à l'oreille, que je vous dis maintenant pourquoi nous ne vous avons point vu depuis trois jours, et pourquoi vous ne prenez pas garde à votre jeu?» Il ne fit que sourire à ce discours, comme s'il eût voulu dire qu'elle y seroit bien empêchée; mais elle se rapprocha en même temps de lui, et lui dit que la duchesse d'Aumont en étoit cause. Cela le déconcerta encore plus qu'auparavant; il ne sut que lui répondre, et c'en fut assez à cette dame, qui étoit habile dans le métier, pour lui faire juger que ce qu'elle en pensoit étoit véritable. «Vous voyez, lui dit-elle en même temps, que je suis mieux informée que vous ne pensez; mais que cela ne vous alarme pas; j'en userai bien, et je veux commencer à vous rendre service.» En même temps, elle dit à la duchesse d'Aumont que cela étoit bien vilain de quitter la compagnie pour être si longtemps tête à tête avec un homme; qu'elle s'en scandalisoit toute la première, et que, si elle ne venoit auprès d'elle, elle ne lui pardonneroit jamais.

Cela défraya la conversation quelques moments, et la duchesse ne pouvant plus demeurer auprès de Fervaques après ce reproche, elle se vint mettre à côté d'elle, c'est-à-dire auprès de Caderousse. S'il eût osé, il lui eût dit de n'en rien faire après ce qui venoit de se passer; mais, comme c'eût été donner trop de marques de leur intelligence, il se contenta de garder un certain sérieux, qui fit encore juger à la marquise de Rambures que leurs affaires étoient en meilleur état qu'elle ne croyoit. La duchesse d'Aumont, qui ne savoit point ce qui s'étoit dit tout bas, fut surprise du peu d'accueil que lui faisoit Caderousse, et s'en trouva si piquée, qu'elle s'en alla beaucoup plus tôt qu'elle n'auroit fait. Cependant, elle avoit trop de choses sur le cœur pour en rien témoigner, de sorte qu'elle lui écrivit un billet. Mais, faisant réflexion que si elle se servoit encore de Catherine, elle pourroit se douter à la fin de la vérité, elle le mit dans sa poche, résolue de le mettre elle-même le lendemain dans celle de son amant, quand elle le trouveroit chez sa tante. En effet, elle le fit si adroitement que personne ne s'en seroit aperçu, si la marquise de Rambures, qui avoit quelque dessein sur Caderousse, ne les eût observés de si près, qu'il étoit impossible que rien lui échappât. Elle vit donc tout ce manége; mais, devant que Caderousse sut ce qui étoit arrivé, elle fouilla dans sa poche sous prétexte de prendre son peigne, et prit la lettre qu'elle cherchoit. Par malheur pour la duchesse, elle étoit alors dans un coin avec Fervaques, qui lui contoit des folies et ne put prendre garde à ce qui se passoit. Elle affectoit même de ne pas regarder de ce côté-là, et d'être fort attachée à la conversation, pour se venger de Caderousse, qui, en effet, s'en désespéroit. Enfin, le jeu étant fini, chacun prit de son côté, et Caderousse s'étant offert à ramener les dames, elles le prirent au mot, si bien que la marquise de Rambures, qui ne s'en étoit pas encore allée de peur que ces deux amants ne se parlassent, n'ayant plus rien qui l'arrêtât, monta promptement en carrosse, et ne fut pas plus tôt arrivée chez elle qu'elle ouvrit sa lettre. Elle étoit conçue en ces termes:

Lettre de la Duchesse d'Aumont au Duc de Caderousse

Je ne croyois pas être si dégoûtante qu'on se dût rebuter de moi dès la première fois; mais je sais ce que j'en dois croire après votre procédé, et me fuir comme vous me fuyez est assez m'en dire pour me repentir toute ma vie d'avoir été folle, et pour me rendre sage à l'avenir. Dans le dépit où je suis, je croirois que je ne vous aime plus, si je n'avois un peu trop de penchant à la vengeance. Je n'ai jamais tant souhaité d'être aimable que je le fais maintenant, pour vous donner un peu de jalousie. Mais, hélas! que je suis simple! on n'est jaloux que de ce qu'on aime, et, si je ne m'abuse, vous me verriez entre les bras de toute la terre sans en avoir aucun chagrin.

Cette lettre parloit trop bon françois pour laisser aucun lieu de douter de la vérité. Ainsi, la marquise de Rambures, voyant tout ce qui en étoit, conçut fort peu d'espérance de son dessein, ayant à brouiller des gens qui étoient si bien ensemble; néanmoins, comme elle étoit malicieuse jusqu'à être méchante, elle résolut d'y faire tout de son mieux, quand même elle n'en devroit pas profiter. Pour cet effet, elle fit écrire une lettre comme si c'eût été Caderousse, et, ayant travesti un de ses laquais, qu'elle employoit dans ses affaires les plus secrètes, elle l'envoya à l'hôtel d'Aumont, avec ordre de rendre cette lettre en main propre à la duchesse. Le laquais s'acquitta fort bien de sa commission, et la duchesse, qui n'avoit jamais vu de l'écriture de Caderousse, s'étant méprise aisément au caractère, elle y lut ces paroles, qui l'accablèrent de désespoir:

Lettre du Duc de Caderousse à la Duchesse d'Aumont

Je vous ai aimée parce que j'ai eu de l'estime pour vous; mais je ne vous aime plus maintenant parce que je cesse de vous estimer. Cela ne vous doit pas surprendre dans le procédé que vous tenez aujourd'hui. Tout vous est bon, jusqu'à votre cousin Fervaques, et il vous importe peu que vous trouviez de l'esprit, pourvu que vous trouviez un corps qui vous rende service. Prenez garde néanmoins à vous méprendre, quoique ce soit parler contre moi que de vous parler contre les gens de grande taille: la sienne ne promet pas qu'il puisse durer longtemps; d'ailleurs, c'est avoir trop d'affaires que d'être obligé de contenter en même temps la comtesse d'Olonne et une femme de votre appétit.

Il est aisé de concevoir quel fut le désespoir de la duchesse à la lecture d'une lettre si crue, et, ne doutant point qu'elle ne vînt de Caderousse, non-seulement elle le haït mortellement, mais, si elle en eût cru sa passion, elle auroit été encore de ce pas lui arracher le cœur. Elle n'eut garde, avec des sentiments si envenimés, de se trouver à son ordinaire chez madame de Bonnelle; et Caderousse, n'y voyant point Fervaques, s'imagina qu'ils étoient ensemble, ce qui le jeta dans une jalousie inconcevable. Pour achever son désespoir, il arriva que le duc d'Aumont, qui étoit revenu de la cour, voyant sa femme dans une mélancolie surprenante, crut la divertir en la menant lui-même à l'Opéra327, et, le hasard ayant voulu que Fervaques s'y fût trouvé, il se mit dans sa loge, où il lui dit mille pauvretés. Tout cela fut rapporté le soir même à Caderousse, ce qui fut suffisant pour lui persuader que ces soupçons n'étoient que trop véritables. Epris de dépit et de jalousie, il la chercha partout pour lui pouvoir dire ce qu'il avoit sur le cœur; mais, comme elle le fuyoit avec beaucoup de précaution, il lui fut difficile de trouver ce qu'il cherchoit; il la rencontra néanmoins un jour chez la Reine, et se préparoit à lui faire tous les reproches qu'il croyoit être en droit de lui faire, quand la duchesse, le regardant avec un mépris et une colère qui étoient capables de glacer l'homme du monde le plus amoureux: «Ne m'approchez jamais, lui dit-elle, si vous ne voulez que je vous dévisage.» Elle s'esquiva au même temps, et il ne la put jamais joindre, parce qu'elle avoit pris tout exprès la duchesse de Créqui328 par-dessous le bras, avec qui elle s'en alloit.

Un traitement si extraordinaire eut de quoi le surprendre, lui qui croyoit que tous les sujets de plainte étoient de son côté. Cependant la marquise de Rambures, après avoir si bien réussi dans le projet qu'elle avoit fait de les brouiller ensemble, fit son possible pour venir à bout du reste: c'est pourquoi elle le pria de venir chez elle, où on devoit jouer, et, afin qu'il y fût attiré par la bonne compagnie, elle dit la même chose à tous les gens de la cour. L'assemblée fut bientôt des plus nombreuses, mais non pas des mieux choisies. La marquise de Rambures, qui s'encanailloit aisément, y souffrit de certaines gens qui n'avoient point d'autre caractère que celui de joueurs, et à qui l'on imputoit même de savoir jouer avec adresse. Cela rebuta bien d'honnêtes gens d'y aller, et à plus forte raison d'avoir quelque pensée pour elle: car, d'ailleurs, bien loin d'avoir quelques charmes, on pouvoit dire qu'elle étoit des plus laides; avec toutes ces méchantes qualités, elle avoit encore celle d'être déjà vieille329, ce qui n'étoit pas un ragoût pour un homme qui venoit tâter d'une jolie femme comme étoit la duchesse d'Aumont. Aussi Caderousse étoit bien éloigné de songer à ce qu'elle songeoit, et si ce n'est que madame de Bonnelle s'en étoit allée en Normandie après avoir perdu tout son argent, et qu'il n'y avoit point d'autre endroit où l'on jouât à Paris, il n'auroit pas seulement mis le pied chez elle.

 

Comme il n'en venoit point à ce qu'elle vouloit, qu'elle étoit impatiente de son naturel, elle lui dit un soir, comme il venoit de quitter le jeu, qu'il vînt dîner le lendemain avec elle et qu'elle avoit quelque chose à lui dire. Il le lui promit, ne se doutant point de la vérité, et il trouva qu'elle s'étoit parée extraordinairement, ce qui l'obligea à lui demander si c'est qu'elle se marioit ce jour-là. «Je n'en sais rien, lui dit-elle. Je ne suis pas une si méchante fortune que vous croyez: j'ai eu quatre cent mille francs en mariage, j'ai un bon douaire, et, quelque dégoûté que vous soyez, il y en a bien qui voudroient m'avoir qui ne m'auront pas. Je ne dis pas cela pour vous, continua-t-elle, en faisant encore plus de minauderies qu'elle n'en avoit fait auparavant. Je voudrois avoir dix millions; ils seroient à votre service, aussi bien que tout ce que j'ai.» Et se jetant à son cou en même temps, pour lui montrer qu'elle étoit de bonne foi, elle le surprit assez pour être quelques moments sans lui rien dire.

Cependant, comme il n'étoit pas un de ces héros de roman qui se font un scrupule de regarder seulement une autre personne que leur maîtresse, il reçut ses caresses avec dessein d'y répondre; mais, ayant à l'heure même repassé en son esprit qu'il n'alloit avoir que les restes d'une infinité de monde, les forces qu'il sentoit un moment auparavant commencèrent à l'abandonner. Il fit ce qu'il put pour rappeler sa vigueur; mais, quoiqu'il se dît qu'il y alloit de son honneur à ne pas demeurer en si beau chemin, tout ce qu'il se put dire fut inutile. Il se crut obligé, dans un si grand abandonnement de la nature, de faire des excuses proportionnées à la faute qu'il commettoit malgré lui; mais, ne sachant par où s'y prendre, il se fut jeter de désespoir sur un lit de repos. La marquise de Rambures, qui, bien loin de se défier de son malheur, croyoit toucher au doux moment qu'elle désiroit depuis si longtemps, s'y en fut en même temps avec lui, et, le prenant entre ses bras, elle lui fit connoître qu'elle ne vouloit rien lui refuser; mais, comme elle vit qu'il ne répondoit que par des baisers languissants à l'ardeur qui la consumoit, le cœur lui dit qu'elle étoit encore éloignée de ses espérances, et, pour en être plus sûre, elle chercha à s'en éclaircir par un attouchement qui lui fût sensible. D'abord qu'elle eut porté la main où elle vouloit, elle se repentit d'avoir été si curieuse, et n'y trouvant rien qui ne lui fit connoître son malheur: «A quoi dois-je attribuer ce que je vois? lui dit-elle, et êtes-vous insensible pour moi, pendant que vous êtes si sensible pour les autres? Ne sortez-vous point d'avec la duchesse d'Aumont, et faut-il qu'elle vous réduise au pitoyable état où vous êtes?» Ce discours le surprit, lui qui ne savoit pas qu'elle fût si bien instruite de ses affaires. Aussi, étant bien éloigné de croire qu'elle en pût parler si affirmativement: «Vous avez tort, lui dit-il, de m'accuser de penser à d'autres qu'à vous. Si la duchesse d'Aumont a quelque intrigue, ce n'est pas moi, et tout ce que je vous puis dire, c'est que, si vous me voyez en l'état où je suis, c'est vous qui en êtes cause, et qui…» Elle ne lui laissa pas le temps d'achever, et reprenant la parole avec véhémence, et même avec quelque sorte d'aigreur: «Quoi donc! lui dit-elle, ce n'est pas assez de l'outrage que vous me faites si vous n'y joignez le plus sanglant reproche qui se puisse faire à une femme? Enfin, c'est donc manque de charmes que vous vous trouvez aujourd'hui impuissant, et vous avez si peu de considération pour moi que de me l'oser dire à moi-même? – C'est mal expliquer ma pensée, répondit Caderousse, et ce que j'ai voulu dire n'est pas ce que vous dites. C'est la jalousie qui fait l'effet que vous voyez, et vous n'auriez pas à l'heure qu'il est à me reprocher mon impuissance, si, lorsque je me sentois prêt à vous donner des marques d'un assez bon tempérament, je ne me fusse ressouvenu d'une certaine robe de chambre qu'on m'a montrée à l'armée, et que le prince de Courtenay330 m'a fait voir comme venant de vous. – Que voulez-vous dire par là? interrompit la marquise de Rambures. – Qu'en amour comme en ambition, répondit Caderousse, on ne souffre pas volontiers de concurrent. Vous ne lui avez fait présent de cette robe de chambre que parce que vous l'aimiez; et le moyen de croire que vous l'ayez oublié, lui qui a de si belles parties pour les dames? Gros, large, robuste, bien fait; au lieu que je suis menu, effilé, foible, et enfin n'ayant aucune de ses belles et bonnes qualités.» Il ne voulut pas encore conter mille histoires qu'il savoit bien, de peur que le grand nombre ne lui fît connoître qu'on ne pouvoit estimer une femme qui en avoit tant. Cependant, la marquise ne voulant pas tomber d'accord de cette vérité, elle lui nia tout ce qu'il disoit; mais lui n'en voulut rien rabattre. Elle fut obligée de lui dire que quand même cela seroit, qu'est-ce que cela concluoit si fort contre elle? qu'à l'âge qu'elle avoit, et ayant toujours été du monde, ce n'étoit pas une chose extraordinaire qu'elle eût été aimée d'un honnête homme et d'un homme de qualité: que le prince de Courtenay étoit tel, et que, quand elle auroit eu quelque reconnoissance pour lui, c'étoit une chose trop vieille pour en garder encore le souvenir; que, si cette intrigue se passoit de son temps, elle ne trouveroit pas à redire à sa délicatesse; mais que, ne le connoissant pas seulement dans le temps dont il vouloit parler, c'étoit proprement lui vouloir faire une querelle d'Allemand.

La raison étoit fort bonne, et tout ce qu'il eut à dire fut qu'il en convenoit, mais que, comme on n'étoit pas maître de ses réflexions, ce n'étoit pas sa faute si elles avoient produit un accident si funeste. Au même temps, pour lui faire connoître qu'il ne tenoit pas à lui que les choses n'allassent mieux, il se remit à la caresser; ce qui faisant croire à la marquise qu'il falloit qu'il se sentît, elle oublia la querelle, pour ne pas perdre une si bonne occasion. Mais, quelque aide qu'elle lui donnât, elle ne put jamais faire passer une partie de sa vigueur dans le corps de ce pauvre paralytique. Cependant, le voyant de bonne volonté, elle chercha à l'encourager, lui disant qu'il ne falloit pas chercher à forcer la nature; que toutes choses avoient leurs temps; qu'il se porteroit peut-être mieux après dîner, et pour le réchauffer elle fut chercher des truffes, dont son cabinet étoit toujours rempli, quoiqu'elle en eût moins besoin que personne du monde. Il en mangea plutôt par complaisance que pour croire qu'elles pussent produire l'effet qu'elle espéroit.

Cependant, la marquise ayant ouï dire que d'agréables idées rappeloient souvent un homme de mort à vie, elle lui parla des charmes de la duchesse d'Aumont, lui disant qu'elle avoit cru qu'il en avoit été touché. Il s'en défendit comme de beau meurtre; à quoi elle ne voulut pas contredire, quoiqu'elle en fût si bien instruite. Ainsi elle ne continua cette conversation qu'en tant qu'elle lui pouvoit être utile; elle lui fit donc un détail de tout ce que cette aimable personne avoit de beau, et s'arrêta longtemps sur sa gorge et sur le reste de son corps, qu'elle disoit avoir vu plusieurs fois à découvert. Cette conversation ne manqua pas de ressusciter le pauvre défunt, de quoi il ne se fut pas plus tôt aperçu qu'il s'approcha d'elle pour tâcher de réparer sa réputation. Quoiqu'il n'y eût rien de plus outrageant que cela pour la marquise, elle résolut néanmoins de n'y pas prendre garde de si près, et, pour se faire faire l'application du mérite de la duchesse, elle embrassa de nouveau ce pauvre convalescent; mais, son imagination n'étant pas assez forte pour soutenir à la réalité d'un squelette l'idée du plus beau corps du monde, son feu s'éteignit en même temps, et, quoiqu'elle y mît la main pour le rattiser, les cendres étoient déjà si froides, qu'on eût dit qu'il n'y en avoit point eu depuis huit jours. Si elle n'avoit espéré quelque changement après le dîner, elle avoit assez de sujet de se mettre en colère pour lui dire bien des choses; mais, ne voulant rien précipiter, elle résolut de se donner patience jusque-là.

Cependant l'on servit à manger, et elle prit soin de lui mettre sur son assiette tout ce qu'il y avoit de meilleur. Elle eut soin aussi de ne l'entretenir que de choses agréables, ne sachant néanmoins si tout cela seroit capable de produire un bon effet. Et, à la vérité, quoiqu'il parût réjoui de la conversation, et que d'ailleurs il mît quantité de bons morceaux dans son ventre, il n'y avoit que lui qui s'enflât, et le reste étoit toujours si languissant que c'étoit grand'pitié.

Comme on étoit près d'apporter le dessert, et qu'il étoit plus embarrassé que jamais par la conclusion du repas qui s'approchoit, un de ses laquais entra, qui lui dit que sa femme étoit extrêmement mal, et que, s'il la vouloit voir encore avant de mourir, il se devoit hâter de venir au logis. Quoique cette nouvelle l'affligeât, comme elle le tiroit d'un grand embarras, il n'y fut pas si sensible qu'il l'auroit été le matin. Il se leva en même temps, et, priant la marquise de l'excuser s'il la quittoit si brusquement, il monta en carrosse et s'en fut chez lui, où il trouva que les choses n'étoient pas tout à fait si désespérées que le laquais les avoit faites. Sa femme, qui avoit eu une grande foiblesse, en étoit revenue, et son mal, qui étoit à proprement parler une certaine langueur, que les médecins appellent phthisie, donnant lieu de croire que son heure n'étoit pas encore si proche, il eut de quoi se consoler. Je ne saurois dire au vrai s'il en rendit grâces au Ciel; mais toujours le remercia-t-il de ce que cet accident avoit servi à le tirer d'affaire. Cependant, comme il se doutoit bien que la marquise ne manqueroit pas d'envoyer savoir des nouvelles de sa femme, il donna ordre non-seulement qu'on dît à ceux qui viendroient de sa part qu'elle étoit toujours bien malade, mais qu'il l'étoit aussi lui-même. Pour cet effet, il s'empêcha de sortir de quelques jours, pendant lesquels elle l'envoya visiter, et elle y seroit encore venue elle-même si elle n'eût craint d'apprêter un peu trop à parler dans le monde.

Un contre-temps si fâcheux donna beaucoup de chagrin à cette dame, qui étoit pleine de vivacité, comme je crois déjà l'avoir dit, et qui de plus n'avoit point de repos jusqu'à ce qu'elle eût exécuté le dessein qu'elle pouvoit avoir conçu une fois. Elle se dit néanmoins, pour se consoler, que l'abattement où elle avoit vu Caderousse étoit un commencement de la maladie qui venoit de le saisir, et cela servit à lui ôter quelque soupçon qu'elle avoit eu que c'étoit peut-être par quelque dégoût qu'il avoit pris pour sa personne.

Tels étoient les sentiments de l'un et de l'autre, lorsque la maladie de la duchesse de Caderousse, empirant tout d'un coup, fit songer sérieusement à son mari qu'il en seroit délivré avant deux jours. En effet, elle rendit l'esprit vingt-quatre heures après331, entre ses bras, le priant, s'il l'avoit jamais aimée, d'avoir soin de leurs enfants332, et de ne se jamais remarier. Il le lui promit, résolu de lui tenir parole, et il fut même bien aise qu'elle eût exigé cela de lui, prévoyant que la marquise de Rambures, se fondant sur son bien plutôt que sur son mérite, pourroit le solliciter de l'épouser.

D'abord que le grand deuil fut passé, ou, pour mieux dire, qu'il se fut écoulé quelques jours, pendant lesquels c'est la coutume de contrefaire l'affligé d'une chose dont on a souvent beaucoup de joie, il parut dans le monde comme auparavant, et tâcha d'avoir quelque conversation avec la duchesse d'Aumont, pour savoir d'où venoit sa colère. Mais elle eut encore plus de soin de le fuir qu'il n'en eut de la chercher, tellement que ses peines furent inutiles. Il retourna aussi chez madame de Rambures, qui le reçut plus froidement qu'à l'ordinaire; de quoi il ne s'étonna pas grandement, parce qu'il la savoit bizarre et fantasque. Il alla donc toujours son chemin, c'est-à-dire que, se sentant plus homme qu'il n'avoit fait l'autre fois, il voulut lui en donner des marques à l'heure même. C'étoit quelque chose de bien touchant pour une femme de son humeur, et peut-être qu'elle ne s'étoit jamais fait violence que cette fois-là sur l'article; mais, s'étant mise en tête de l'épouser, elle lui dit que ce n'étoit plus le temps; «que la force de l'amitié qu'elle avoit pour lui lui avoit fait passer autrefois par-dessus toute sorte de considération; mais que, si ses feux étoient aussi ardents qu'il le vouloit faire paroître, il en pouvoit chercher l'accomplissement par des désirs légitimes, et non pas par où il en vouloit venir.» Ce retour auroit eu de quoi l'affliger, s'il eût été fort amoureux; mais, y ayant plus de débauche à son fait que de passion, il prit la chose en raillerie, et lui dit qu'il étoit sûr que ce qu'elle en faisoit n'étoit que pour l'éprouver; qu'elle savoit à quoi sa femme l'avoit obligé en mourant, et qu'elle vouloit voir, sans doute, s'il seroit homme de parole. «A quoi vous a-t-elle donc obligé, Monsieur? lui répliqua-t-elle. – A ne me jamais remarier, Madame, lui répondit-il, et vous ne voudriez pas que je faussasse mon serment.» Je ne sais si elle avoit connoissance ou non de cette circonstance; quoi qu'il en soit, elle traita cela de bagatelle, et, pour lui rendre le change, elle lui dit que M. de Rambures l'avoit priée de même, en mourant, d'être sage; que son exemple la remettoit dans le bon chemin, dont elle n'étoit sortie que pour l'amour de lui, et qu'elle lui en auroit obligation toute sa vie.

320L'auteur nous donne, pour ainsi dire, la mesure de l'appétit du duc de Caderousse après son jeûne prolongé. Quelques années après l'époque qui nous occupe, le pain continuoit à être divisé en deux catégories: le gros pain et le petit pain. Quand le blé étoit vendu vingt livres le septier, ce qui étoit un prix moyen, le gros pain blanc valoit deux sous six deniers la livre; le pain bis-blanc ou bourgeois, deux sous deux deniers; le pain bis, un sou six deniers. Le petit pain étoit alors vendu un sou ou deux sous: le prix ne varioit pas, mais le poids varioit selon le prix du blé. Quand le blé valoit vingt livres le septier, le pain façon de Gonesse de deux sous pesoit neuf onces, ou, d'un sou, quatre onces et demie; le pain de chapitre d'un sou pesoit quatre onces et demie; le pain mollet, le pain à la reine, le pain à la sigovie, le pain à la mode et le pain cornu ne pesoient que trois onces et demie.
321Les ordonnances et édits sur les duels étoient toujours observés avec une grande rigueur. Pour les empêcher même, Louis XIV avoit eu la pensée, au dire de Guy Patin, de retirer l'épée aux gentilshommes et de leur faire porter au cou une médaille comme marque de leur qualité.
322Marie Bautru, fille de Nicolas Bautru, comte de Nogent et de Marie Coulon, étoit sœur du comte de Nogent, qui avoit épousé la sœur de Lauzun. Elle épousa, à la date du 5 avril 1656, René de Rambures, qu'elle perdit le 11 mai 1671. Elle-même mourut en mars 1683.
323Voy. ci-dessus, passim.
324Madame d'Aumont étoit en effet cousine de Fervaques, par sa mère, Charlotte de Prie, qui avoit épousé Noël de Bullion, seigneur de Bonnelles, par contrat du 24 février 1639. Charlotte de Prie, madame de Bonnelles, étoit sœur de Louise de Prie, maréchale de la Mothe-Houdancourt.
325Voy. ci-dessus, p. .
326Voy. ci-dessus, p. .
327Les opéras en vogue à cette époque étoient: Alceste, de 1674; Thésée, de 1675; puis vint Atys en 1676.
328La duchesse de Créqui étoit Armande de Saint-Gelais-Lusignan de Lansac; son père étoit oncle de la maréchale de La Mothe. La duchesse de Créqui étoit donc cousine-germaine de la maréchale de La Mothe, tante, à la mode de Bretagne, de la duchesse d'Aumont. (Cf. ci-dessus, note .)
329Nous ne saurions préciser l'âge de madame de Rambures; mais, mariée en 1656, mère seulement en 1661 d'un fils, aîné de la famille, qui mourut en 1679, elle ne pouvoit guère avoir moins de trente-six à trente-sept ans à l'époque qui nous occupe.
330Voy. t. 2, p. 88.
331Sur la première femme du duc de Caderousse, voy. ci-dessus, p. .
332De son premier mariage le duc de Caderousse eut un seul fils, Jacques-Louis d'Ancezune de Cadart de Tournon, duc de Caderousse, qui épousa, avant 1700, Madeleine, fille du marquis d'Oraison.