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Sans Laisser de Traces

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Sans Laisser de Traces
Sans Laisser de Traces
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Czyta Elisabeth Lagelee
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Chapitre 18

Alors qu’elle conduisait en direction de l’adresse fournie par la réceptionniste de la clinique, Riley sentait venir sa crainte familière à l’idée d’interroger la famille d’une victime. Elle avait le pressentiment que, cette fois-ci, ce serait encore pire que d’habitude. Cependant, l’enlèvement était très récent.

— Peut-être que nous allons le trouver avant qu’il ne la tue, dit-elle.

— Si la scientifique nous trouve un indice sur ce type, répondit Bill.

— Je doute qu’il figure dans nos bases de données.

Le portrait qui se formait dans la tête de Riley n’était pas celui d’un délinquant habituel. Tout cela semblait très personnel, très intime aux yeux du tueur, d’une manière que Riley ne parvenait pas à expliquer. Elle finirait par mettre le doigt dessus. Mais il fallait qu’elle fasse vite, pour arrêter la terreur et l’agonie que traversait déjà Cindy. Personne ne devrait avoir à endurer une telle souffrance. La souffrance du couteau… L’obscurité… Le chalumeau…

— Riley, dit brusquement Bill, c’est juste là.

Riley retrouva brutalement l’instant présent. Elle gara la voiture sur le trottoir et balaya le quartier du regard. L’endroit était un peu délabré, mais cela lui donnait du charme. Une rue où les jeunes couples avaient la possibilité de louer des appartements bon marché.

Bien sûr, Riley savait que le quartier finirait par changer. Un jour ou l’autre, il s’embourgeoiserait, envahi par de riches bobos. Peut-être que cela deviendrait bientôt l’endroit rêvé pour une galerie d’art. Si la victime rentrait chez elle vivante.

Riley et Bill descendirent de voiture et s’approchèrent de la vitrine. Une élégante sculpture de métal était exposée derrière un panneau, sur lequel on pouvait lire : « FERMÉ ».

L’appartement du couple se trouvait à l’étage. Riley appuya sur la sonnette et attendit quelques instants en compagnie de Bill. Elle se demanda qui allait descendre pour l’accueillir.

Quand la porte s’ouvrit enfin, elle fut soulagée de croiser le regard compatissant de la spécialiste des victimes du FBI Beverly Chaddick. Riley avait déjà travaillé ave elle. Elle faisait ce boulot depuis vingt ans et elle savait parfaitement gérer les victimes et les membres de la famille.

— Nous devons poser quelques questions à M. MacKinnon, dit Riley. J’espère qu’il pourra nous répondre.

— Oui, dit Beverly, mais ne le brusquez pas trop.

Beverly conduisit Bill et Riley à l’étage, dans le petit appartement. Riley fut immédiatement frappée par la décoration joyeuse et par l’abondance des peintures et des sculptures. Les gens qui vivaient là devaient célébrer la vie de toutes les manières possibles. Ces jours-là étaient-ils terminés ? Son cœur se brisa pour le jeune couple.

Nathaniel MacKinnon, un homme d’un peu moins de trente ans, était assis dans la pièce qui servait à la fois de salon et de salle à manger. Sa silhouette dégingandée lui donnait l’air encore plus désespéré.

— Vous avez trouvé Cindy ? Elle va bien ? Elle est vivante ?

Riley réalisa qu’elle ne pouvait rien lui dire d’utile. Elle fut encore plus rassurée de savoir que Beverly restait avec eux et qu’elle avait déjà noué un lien avec le mari désespéré.

Beverly s’assit à côté de lui.

— Personne ne sait rien pour le moment, Nathaniel, dit-elle. Ils sont là pour aider.

Bill et Riley s’assirent non loin.

Riley demanda :

— M. MacKinnon, votre femme se sentait-elle menacée ou inquiète ?

Il secoua la tête sans dire un mot.

Bill intervint :

— C’est une question difficile, mais nous sommes obligés de la poser. Vous ou votre femme, aviez-vous des ennemis ? Quelqu’un lui voulait-il du mal ?

Le mari eut l’air d’avoir du mal à comprendre la question.

— Non, non, martela-t-il. Bien sûr, on se bagarre souvent dans mon business, mais ce sont des disputes stupides et insignifiantes, des querelles d’artistes. Personne ne ferait quelque chose comme…

Il s’arrêta au milieu de sa phrase.

— Et tout le monde… adore Cindy, dit-il.

Riley devina une trace de son anxiété et de ses doutes dans sa façon d’employer le temps présent. Elle sentit qu’interroger cet homme était probablement futile. Cela ne ferait que le perturber davantage. Elle et Bill feraient mieux de laisser la situation entre les mains compétentes de Beverly.

Riley jeta cependant un rapide coup d’œil dans l’appartement, à la recherche d’un indice.

Elle n’eut pas besoin qu’on lui dise que Cindy et Nathaniel MacKinnon n’avaient pas d’enfant. L’appartement n’était pas assez grand. En outre, les œuvres d’art exposées n’auraient pas survécu à un enfant un peu turbulent.

Elle devina, cependant, que leur situation n’était pas comparable à celle de Margaret et Roy Geraty. L’instinct de Cindy lui disait que Cindy et Nathaniel n’avaient pas d’enfant par choix, et seulement de façon temporaire. Ils attendaient le bon moment, le temps d’avoir plus d’argent, une maison plus grande, un style de vie plus stable.

Ils pensaient qu’ils avaient le temps, pensa Riley.

Elle avait d’abord cru que le tueur ciblait les mères. Comment avait-elle pu tomber si loin de la vérité ?

Quelque chose dans l’appartement finit par l’intriguer. Elle ne vit aucune photo de Nathaniel ou de Cindy. Ce n’était pas surprenant. Ils semblaient plus intéressés par la créativité des autres que par des photos d’eux-mêmes. Ils n’étaient pas narcissiques.

Pourtant, Riley ressentit le besoin de se faire une idée claire de Cindy.

— M. MacKinnon, demanda-t-elle avec prudence, avez-vous des photos récentes de votre femme ?

Il lui jeta un regard vide, puis son expression s’éclaira.

— Oh oui, dit-elle. J’en ai une toute récente sur mon téléphone.

Il fit apparaître l’image sur l’écran et le tendit à Riley.

Le cœur de Riley manqua un battement. Cindy MacKinnon était assise, avec une petite fille d’environ trois ans sur les genoux. Toutes deux arboraient des sourires éclatants en tenant une magnifique poupée.

Riley eut besoin de quelques secondes pour reprendre son souffle. La femme kidnappée, un enfant et une poupée. Elle ne s’était pas trompée. Pas entièrement ? Il y avait bien un lien entre ce tueur et les poupées.

— M. MacKinnon, qui est l’enfant sur cette photo ? demanda Riley aussi calmement que possible.

— C’est la nièce de Cindy, Gale, répondit Nathaniel MacKinnon. Sa mère est la sœur de Cindy, Becky.

— Quand cette photo a-t-elle été prise ? demanda Riley.

L’homme réfléchit un instant.

— Je crois que Cindy me l’a envoyée vendredi, dit-il. Oui, j’en suis sûr. C’était au goûter d’anniversaire de Gale. Cindy avait aidé sa sœur à tout organiser. Elle était partie plus tôt de son travail pour y aller.

Riley se débattit avec ses idées, hésitante sur les questions à poser.

— La poupée était un cadeau pour la nièce de Cindy ? demanda-t-elle.

Nathaniel hocha la tête.

— Gale était ravie, ce qui a fait plaisir à Cindy. Elle adore voir Gale heureuse. Gale, c’est comme son enfant. Elle m’a tout de suite appelé pour me raconter. C’est là que j’ai eu la photo.

Riley prit soin de garder un ton égal quand elle reprit la parole :

— C’est une très jolie poupée. Je comprends pourquoi Gale l’aime tant.

Elle hésita à nouveau, le regard fixé sur la poupée, comme pour la supplier de révéler ses secrets. Sans doute, ce sourire peint et ces froids yeux bleus détenaient la clef du mystère. Cependant, Riley ne savait comment formuler la question.

Du coin de l’œil, elle vit que Bill la surveillait avec attention.

Pourquoi un tueur brutal déguiserait-il ses victimes en poupées ?

Enfin, Riley demanda :

— Savez-vous où Cindy a acheté la poupée ?

Nathaniel eut soudain l’air surpris et perplexe. Même Bill sembla pris au dépourvu. Il se demandait certainement où Riley voulait en venir. La vérité, c’était que Riley elle-même n’en était pas certaine.

— Je ne sais pas, dit Nathaniel. Elle ne m’a pas dit. C’est important ?

— Je n’en suis pas sûre, admit Riley. Mais je crois que ça pourrait être utile.

Le désespoir de Nathaniel parut grandir.

— Je ne comprends pas. Quel est l’intérêt ? Vous pensez que ma femme a été enlevée à cause de la poupée d’une petite fille ?

— Non, ce n’est pas ce que j’ai dit, dit Riley en tâchant d’être à la fois calme et convaincante.

Bien sûr, c’était pourtant bien ce qu’elle avait dit. Elle pensait que sa femme avait été enlevée à cause de la poupée d’une petite fille, même si cela n’avait pour le moment aucun sens.

Nathaniel paniquait à présent. Riley vit que Beverly Chaddick, la spécialiste des victimes qui se tenait tout près, la surveillait d’un air mal à l’aise. En secouant imperceptiblement la tête, Beverly semblait lui demander de traiter le mari désespéré avec plus de douceur. Riley savait qu’interroger les victimes et leurs familles était loin d’être son point fort.

Je dois faire plus attention, se dit-elle.

Mais elle ressentait également le besoin d’aller vite. Une femme avait été capturée. Enfermée ou ligotée, cela n’avait pas d’importance. Elle ne vivrait pas longtemps. Était-ce vraiment le moment d’ignorer une information ?

— Y a-t-il un moyen de savoir où Cindy l’a achetée ? demanda Riley d’un ton plus doux. Au cas où nous ayons besoin de cette information.

— Cindy et moi, on garde les tickets de caisse, dit Nathaniel. Pour les dépenses déductibles des impôts. Je ne pense pas qu’elle aurait gardé ce ticket, mais je vais voir.

 

Nathaniel se dirigea vers un placard dont il sortit une boîte à chaussures. Il s’assit et entreprit de consulter les tickets qui se trouvaient à l’intérieur, mais ses mains tremblaient de façon incontrôlable.

— Je ne vais pas y arriver, dit-il.

Beverly lui prit gentiment la boîte des mains.

— Ce n’est rien, M. MacKinnon, dit-elle. Je vais chercher à votre place.

Beverly se mit à fouiller. Nathaniel semblait être sur le point d’éclater en sanglots.

— Je ne comprends pas, dit-il d’une voix brisée. Elle a juste acheté un cadeau. Ç’aurait pu être n’importe quoi, dans n’importe quel magasin. Je crois même qu’elle avait plusieurs idées, avant de se décider pour la poupée.

Riley en était malade. Choisir la poupée était peut-être ce qui avait plongé Cindy MacKinnon dans un cauchemar. Si elle avait choisi une peluche à la place, serait-elle à la maison en ce moment, vivante et heureuse ?

— Vous allez m’expliquer ce que c’est que cette histoire de poupée ? insista Nathaniel.

Riley savait que l’homme méritait de savoir, mais elle ignorait comment faire pour le ménager.

— Je crois…, commença-t-elle d’une voix hésitante. Je crois que le kidnappeur de votre femme… est obsédé par les poupées.

Les réactions de ses interlocuteurs ne se firent pas attendre. Bill secoua la tête et baissa les yeux. La tête de Beverly se redressa brusquement. Nathaniel la contempla avec une expression de désespoir intense.

— Pourquoi ? demanda-t-il d’un voix étranglée. Qu’est-ce que vous savez de lui ? Qu’est-ce que vous me cachez ?

Riley voulut répondre, mais elle vit alors un éclair de compréhension passer dans le regard de Nathaniel.

— Ce n’est pas sa première fois, hein ? dit-il. Il a fait d’autres victimes. Il a quelque chose à voir avec… ?

Nathaniel fouillait ses souvenirs.

— Oh mon Dieu, dit-il. J’ai lu ça dans la presse. Un tueur en série. Il a tué d’autres femmes. Les corps trouvés à Mosby Park et dans le parc national de Daggett, et du côté de Belding.

Il se recroquevilla et se mit à sangloter de façon incontrôlable.

— Vous pensez que Cindy est sa prochaine victime, hurla-t-il. Vous pensez qu’elle est déjà morte.

Riley secoua la tête avec insistance.

— Non, dit-elle. Ce n’est pas ce que nous pensons.

— Alors qu’est-ce que vous pensez ?

Le cerveau de Riley était en ébullition. Que pouvait-elle lui dire ? Que sa femme était sans doute encore en vie, mais terrorisée, sur le point d’être torturée et mutilée ? Que les coups pleuvraient jusqu’à ce que Cindy soit secourue ou tuée ?

Riley ouvrit la bouche pour parler mais aucun mot n’en sortit. Beverly se pencha en avant et saisit son poignet. Le visage de la spécialiste était chaleureux et amical, mais son geste était ferme.

Beverly prit la parole d’une voix douce, comme pour expliquer quelque chose à un enfant.

— Je ne trouve pas le ticket, dit-elle. Il n’est pas dans la boite.

Riley comprit le message que Beverly lui faisait passer. Avec les yeux, la spécialiste des victimes lui signifiait que la situation était devenue hors de contrôle et qu’il était temps que les agents s’en aillent.

— Je prends le relais, articula Beverly sans prononcer les mots.

Riley murmura :

— Merci. Je suis désolée.

Beverly sourit et hocha la tête avec compassion.

Nathaniel demeurait assis, la tête entre les mains. Il ne leva pas les yeux quand Riley et Bill se dirigèrent vers la porte de l’appartement.

Il redescendirent les escaliers et montèrent dans la voiture de Riley, mais sans allumer le moteur. Les yeux de Riley se mouillaient de larmes.

Je ne sais pas où aller, pensa-t-elle. Je ne sais pas quoi faire.

Cela devenait une habitude, ces temps-ci.

— Ce sont les poupées, Bill, dit-elle.

Elle essayait d’expliquer sa nouvelle théorie, pour elle-même autant que pour Bill.

— Il y a un rapport avec les poupées. Tu te souviens ce que Roy Geraty nous a dit à Belding ?

Bill haussa les épaules.

— Il a dit que sa première femme – Margaret – n’aimait pas les poupées. Que les poupées la rendaient triste. Que ça la faisait pleurer parfois.

— Oui, parce qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfant, dit Riley. Mais il a dit aussi autre chose. Il a dit que beaucoup de leurs amis et de leurs proches avaient des enfants. Il a dit qu’elle était tout le temps invitée aux baptêmes ou aux fêtes d’anniversaires.

Riley vit à l’expression de Bill qu’il commençait à comprendre.

— Elle a dû acheter des poupées, dit-il. Même si les poupées la rendaient triste.

Riley frappa du poing le volant de sa voiture.

— Elles achètent toutes des poupées, dit-elle. Il les a vues acheter des poupées. Il les a vues acheter des poupées dans le même magasin, au même endroit.

Bill hocha la tête.

— Nous devons trouver ce magasin, dit-il.

— Oui, dit Riley. Quelque part dans la zone délimitée, il y a un magasin de poupées où sont allées toutes les victimes. Et lui aussi. Si nous pouvons le trouver, peut-être – seulement peut-être – que nous allons de coincer.

Ce fut alors que le téléphone de Bill sonna.

— Allô ? dit-il. Ouais, Agent Walder, c’est Jeffreys.

Riley retint un gémissement de frustration. Quels dégâts Walder allait-il encore causer ?

Elle vit la mâchoire de Bill tomber de stupéfaction.

— Merde, dit-il. Merde. Okay. Okay. On arrive.

Bill raccrocha et tourna vers Riley un regard abasourdi, interloqué l’espace de quelques secondes.

— Walder et les gamins qu’il traîne avec lui, dit-il. Ils l’ont chopé.

Chapitre 19

Walder attendait Riley et Bill à l’entrée de l’Unité d’Analyse Comportementale.

— Nous le tenons, dit Walder en les guidant à travers le bâtiment. Nous avons le type.

Riley entendit l’allégresse et le soulagement dans sa voix.

— Comment ? demanda-t-elle.

— Agent Paige, vous avez vraiment sous-estimé les agents Huang et Creighton, dit Walder. Après votre départ, la réceptionniste leur a parlé d’un homme louche qui traînait autour de la clinique ces derniers temps. Il s’appelle Darrell Gumm. Les patientes de la clinique se sont plaintes de lui. Il s’approche trop près, selon elle. Il ne respecte pas leur espace. Il fait des commentaires obscènes. Une fois ou deux, il s’est même glissé dans les toilettes des femmes.

Riley rumina ces nouvelles informations pour les comparer au profil du tueur. C’est peut-être lui, pensa-t-elle. Un soupçon d’excitation la traversa.

Bill demanda à Walder :

— Personne n’a appelé la police pour s’en débarrasser ?

— Ils laissaient la sécurité de la clinique s’en occuper. Ils ont dit à Gumm de ne plus s’approcher. Ce genre d’établissement doit souvent gérer des cas comme celui-là. Mais Huang et Creighton ont compris que la description collait au profil du tueur. Ils ont demandé l’adresse à la réceptionniste et nous sommes tous allés à son appartement.

— Comment savez-vous que c’est lui ? demanda Riley.

— Il a avoué, dit Walder fermement. Nous l’avons poussé à avouer.

Riley en fut un peu soulagée.

— Et Cindy MacKinnon ? demanda-t-elle. Où est-elle ?

— On y travaille, dit Walder.

Le soulagement de Riley s’évanouit.

— Comment ça, « on y travaille » ? demanda-t-elle.

— Des agents de terrain fouillent le quartier. Nous pensons qu’il n’a pas pu l’emmener bien loin. De toute façon, il nous le dira bien assez tôt. Il parle beaucoup.

Il faut que ce soit notre homme, pensa Riley. Il faut que Cindy MacKinnon soit encore en vie. Ils ne pouvaient pas perdre une autre femme innocente entre les mains de ce malade. Il accélérait l’allure, mais il ne l’aurait sans doute pas tuée si vite après l’enlèvement. Il n’avait pas encore eu le plaisir de la torturer.

Bill demanda à Walder :

— Où se trouve le suspect maintenant ?

Walder pointa le doigt devant lui.

— Nous l’avons en détention, dit-il. Venez, c’est là que je me rends.

Walder poursuivit son récit alors qu’ils parcouraient le département d’Analyse Comportementale en direction des centres de détention.

— Quand nous avons sorti nos badges, dit Walder d’un ton grave, il nous a invités tout de suite à entrer. Quel fumier arrogant.

Cela correspondait au profil imaginé par Riley. Si Darren Gumm était effectivement le criminel, l’arrivée des agents pouvait être le dénouement qu’il avait espéré. Il avait peut-être toujours eu l’intention de se faire prendre, après avoir joué au chat et à la souris pendant deux ans avec les autorités. C’était peut-être la récompense qu’il attendait – la célébrité. Une célébrité de plus de quinze minutes.

Le problème, Riley le savait, c’était qu’il pouvait encore utiliser son dernier enlèvement pour les tourmenter. Il serait bien le genre à faire ça.

— Vous auriez dû voir cet appartement, continuait Walder. Une pièce unique, dégueulasse, avec un clic-clac et une salle de bain qui pue. Et, sur les murs, des coupures de presse sur des agressions, des viols et des meurtres commis un peu partout dans le pays. Pas d’ordinateur, pas de réseau, mais je dois dire qu’il avait une basse de données sur les psychopathes que beaucoup de départements de police pourraient lui envier.

— Et laissez-moi deviner, dit Bill. Il avait affiché les articles sur nos meurtres – toutes les infos qui sont sorties ces deux dernières années.

— Bien sûr que oui, dit Walder. Creighton et Huang lui ont posé quelques questions. Il a tout de suite eu l’air très suspect. Enfin, Huang lui a demandé ce qu’il savait sur Cindy MacKinnon et il n’a plus rien dit. Il savait très bien de qui nous parlions, c’est évident. Nous avions assez pour l’arrêter. Il a avoué dès quand nous sommes arrivés au département.

Walder mena alors Riley et Bill dans une petite pièce munie d’une vitre fumée qui permettait d’observer ce qui se passait dans la salle d’interrogation.

L’interrogatoire était déjà en cours. Emily Creighton était assise d’un côté de la table. L’agent Craig Huang faisait les cent pas derrière elle. Aux yeux de Riley, les deux jeunes agents semblaient plus professionnels qu’auparavant. Darrell Gumm était assis face à eux, ses poignets menottés à la table.

Riley le trouva immédiatement repoussant. De taille moyenne, âgé d’environ trente ans et un peu grassouillet, il ressemblait à un crapaud. Cependant, il semblait suffisamment solide et bien bâti pour représenter une menace physique, surtout devant une femme prise par surprise. Il avait le front bas, ce qui lui donnait un air de ressemblance avec certains hominidés éteints. Son menton était tout simplement inexistant. Il correspondait certainement aux attentes de Riley. Et ses aveux simplifiaient les choses.

— Où est-elle ? hurla Creighton à Gumm.

Riley comprit en percevant l’impatience dans la voix de la jeune femme qu’elle avait déjà posé cette question de nombreuses fois.

— Où est qui ? demanda Gumm d’une voix haut perchée et désagréable.

L’expression de son visage transpirait le mépris et l’insolence.

— Arrêtez de jouer à ça, dit Huang d’un ton sec.

— Je ne suis pas obligé de parler tant que j’ai pas d’avocat, non ? dit Gumm.

Creighton hocha la tête.

— Nous vous l’avons déjà dit. Nous ferons venir un avocat dès que vous en réclamerez un. Vous nous répétez que vous n’en voulez pas. C’est également votre droit. Vous pouvez renoncer à prendre un avocat. Vous avez changé d’avis ?

Gumm inclina la tête et jeta un coup d’œil vers le plafond, feignant la réflexion.

— Laissez-moi réfléchir. Non, je ne crois pas. Pas encore, en tout cas.

Huang se pencha vers lui par-dessus la table, en tâchant de prendre l’air menaçant.

— Je vous le demande pour la dernière fois, dit-il. Où avez-vous caché le 4x4 ?

Gumm haussa les épaules.

— Et je vous réponds pour la dernière fois – quel 4x4 ? Je n’ai pas de 4x4. Je n’ai même pas de voiture. Merde, j’ai même pas mon permis.

À voix basse, Walder informa Riley et Bill :

— Ça, c’est vrai. Pas de permis de conduire, pas de carte d’électeur, pas de carte de crédit, rien du tout. Il vit en dehors de la société. Pas étonnant que le 4x4 n’avait pas de plaque d’immatriculation. Il l’a sans doute volé. Mais il n’a pas pu rouler bien loin avec. Il se trouve sûrement dans les environs de son appartement.

 

L’agent Creighton fusillait Gumm du regard.

— Vous trouvez ça drôle, je suppose ? dit-elle. Vous avez laissé une femme ligotée quelque part. Vous l’avez avoué. Elle est terrifiée et, sans doute, affamée et assoiffée. Combien de temps allez-vous la laisser souffrir ? Vous voulez vraiment la laisser mourir ?

Gumm ricana.

— C’est le moment où vous commencez à me tabasser ? demanda-t-il. Ou alors vous allez me dire que vous avez les moyens de me faire parler sans laisser de traces ?

Riley avait essayé de rester silencieuse, mais elle n’y tint plus.

— Ils ne posent pas les bonnes questions, dit-elle.

Elle poussa Walder sur le côté et se dirigea vers la porte de la salle d’interrogatoire.

— Arrêtez, Agent Paige, ordonna Walder.

Riley l’ignora et fit irruption dans la pièce. Elle posa immédiatement les deux mains sur la table et se pencha vers Gumm d’un air menaçant.

— Dites-moi, Darrell, grogna-t-elle. Vous aimez les poupées ?

Pour la première fois, le visage de Darrell trahit son angoisse.

— Qui vous êtes, vous ? demanda-t-il à Riley.

— Quelqu’un à qui vous ne voulez pas mentir, dit Riley. Vous aimez les poupées ?

Les yeux de Darrell se tournèrent de tous côtés.

— J’sais pas, dit-il. Les poupées ? Ouais, c’est mignon…

— Oh, mais vous les trouvez plus que mignonnes, n’est-ce pas ? dit Riley. Quand vous étiez petit, vous étiez plutôt du genre à préférer les poupées. Le genre de petits garçons dont les autres se moquent.

Darrell se tourna vers le miroir sans teint.

— Je sais qu’il y a quelqu’un derrière, appela-t-il d’une voix, cette fois, terrifiée. Vous allez faire sortir cette folle ?

Riley contourna la table, repoussant Huang sur le côté, puis elle approcha son visage du sien, tout près. Il se pencha vers l’arrière pour échapper à son regard, mais elle ne lui laissa pas la place de bouger. Leurs visages se trouvaient à quelques centimètres l’un de l’autre.

— Et vous aimez toujours les poupées, je me trompe ? siffla Riley en frappant du poing sur la table. Les poupées de petites filles. Vous aimez bien les déshabiller. Vous aimez les voir toutes nues. Qu’est-ce que vous faites quand elles sont toutes nues ?

Darrell écarquilla les yeux.

Riley soutint son regard un long moment. Elle hésita, essaya de lire l’expression de son visage. Était-ce le mépris ou le dégoût qui provoquait cette grimace ?

Elle ouvrit la bouche pour poursuivre son interrogatoire, mais la porte s’ouvrit brusquement derrière elle. Elle entendit la voix sévère de Walder.

— Agent Paige, sortez de là immédiatement.

— Donnez-moi juste une minute de plus, dit-elle.

— Tout de suite !

Riley toisa Gumm quelques secondes. Il semblait perplexe. Elle regarda autour d’elle et vit que Huang et Creighton la dévisageaient avec stupeur. Elle tourna les talons et suivit Walder dans la pièce attenante.

— Qu’est-ce qui vous a pris ? demanda Walder. On dirait que vous ne voulez pas refermer cette enquête. Pourtant, l’affaire est terminée. C’est comme ça. Tout ce qu’il nous reste à faire, c’est retrouver la victime.

Riley poussa un grognement sonore.

— Je pense que vous vous trompez, dit-elle. Je ne pense pas que cet homme réagit comme l’aurait fait le tueur quand on lui parle de poupées. J’ai besoin de plus de temps pour être sûre.

Walder la dévisagea un instant, puis secoua la tête.

— Ce n’est vraiment pas votre jour, Agent Paige, dit-il. En fait, je dirais que vous n’avez pas vraiment brillé depuis le début de l’enquête. Bien sûr, vous avez vu juste sur un point. Gumm semble n’avoir aucun lien avec le sénateur – politique ou personnel. Enfin, ça n’a pas d’importance. Je suis sûr que le sénateur sera satisfait de savoir que le tueur de sa fille sera jugé.

Riley ne pouvait plus se retenir.

— Agent Walder, avec tout le respect que je vous dois…, commença-t-elle.

Walder l’interrompit.

— C’est justement votre problème, Agent Paige. Vous ne me montrez pas le respect que vous me devez. Votre insubordination me fatigue. Ne vous inquiétez pas, je ne ferai pas de rapport négatif à votre sujet. Vous avez bien travaillé par le passé et je vous accorde le bénéfice du doute. Je suis sûre que ce sont les épreuves que vous avez traversées qui affectent votre travail. Mais vous pouvez rentrer chez vous, maintenant. Nous prenons le relais.

Walder tapota alors l’épaule de Bill.

— J’aimerais que vous restiez, Agent Jeffreys, dit-il.

Bill bouillait de rage.

— Si elle s’en va, je m’en vais aussi, grommela-t-il.

Bill conduisit Riley dans le couloir. Walder passa la tête par la porte pour les regarder s’éloigner. À peine avaient-ils fait quelques pas qu’une certitude frappa Riley. L’expression sur le visage de Gumm, c’était du dégoût. Elle en était certaine à présent. Cette histoire de poupées nues ne l’avait pas du tout excité. Elle n’avait fait que le désorienter.

Riley se mit à trembler de tous ses membres. En compagnie de Bill, elle poursuivit son chemin pour sortir du bâtiment.

— Ce n’est pas lui, murmura-t-elle doucement à l’oreille de Bill. J’en suis sûre.

Bill lui renvoya un regard choqué. Elle s’arrêta et le fixa avec intensité.

— Elle est toujours dehors, ajouta-t-il. Et ils ne savent pas où.

*

Bien après la tombée de la nuit, Riley faisait les cent pas chez elle, en dressant la liste de tous les détails de l’affaire. Elle avait même envoyé quelques e-mails et sms dans l’espoir d’alerter le Bureau sur l’erreur de Walder.

Elle avait reconduit Bill chez lui, avant de passer chercher April, encore une fois très en retard. Heureusement, April n’en avait pas fait toute une histoire et Riley lui en était reconnaissante. Radoucie par l’affaire du joint, April s’était même montrée sous un jour agréable pendant le souper et avait accepté de faire la conversation.

Minuit était passé et le cerveau de Riley tournait en boucle. Elle n’arrivait nulle part. Elle avait besoin de parler, besoin de quelqu’un pour alimenter sa réflexion. Elle pensa à appeler Bill. Sans doute, il ne lui en voudrait pas d’appeler si tard.

Mais, non, elle avait besoin de quelqu’un d’autre – une personne à la perspicacité rare et à qui Riley avait appris à faire confiance.

Enfin, elle réalisa qui était cette personne.

Elle composa le numéro sur son téléphone portable et fut stupéfaite d’entendre un message enregistré lui répondre.

— Vous êtes bien sur la messagerie de Michael Nevins. S’il vous plait, laissez un message après le bip sonore.

Riley prit une grande inspiration, puis dit :

— Mike, on peut parler ? Si tu es là, décroche. C’est une urgence.

Pas de réponse. Son indisponibilité n’était pas une surprise. Il travaillait beaucoup. Elle aurait simplement espéré qu’aujourd’hui, exceptionnellement, ce ne serait pas le cas.

Enfin, elle dit :

— Je travaille sur une sale affaire et je crois que tu es le seul à pouvoir m’aider. Je vais venir te voir demain matin, à ton bureau. J’espère que ça ne te dérange pas. Je te l’ai dit, c’est une urgence.

Elle mit fin à l’appel. Elle ne pouvait rien faire de plus, à présent. Ou seulement espérer dormir un peu.