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Sans Laisser de Traces

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Sans Laisser de Traces
Sans Laisser de Traces
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Czyta Elisabeth Lagelee
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— J’y vais, dit Riley en tournant la clef de contact.

— Merde, Riley, n’y va pas toute seule ! aboya-t-il. Attends-moi dehors. J’arrive dès que possible. Tu m’entends ?

Riley raccrocha et descendit du bas-côté. Non, elle n’attendrait pas.

*

Moins de quinze minutes plus tard, la voiture de Riley se garait au bord d’un terrain poussiéreux et isolé. Un mobile home se dressait au milieu de la parcelle. Riley sortit de son véhicule.

Un vieux tacot était garé à cheval sur la route et le bas-côté, mais Riley ne vit aucun signe du 4x4 décrit par le témoin suite à l’enlèvement de Cindy MacKinnon. Bien sûr, Cosgrove le gardait peut-être ailleurs. Ou peut-être l’avait-il abandonné, par peur d’être retrouvé.

Un frisson parcourut Riley quand elle aperçut deux abris de jardin aux portes verrouillées de l’autre côté de la parcelle. Était-ce là-bas qu’il emprisonnait les femmes ? En détenait-il une en ce moment même, pour la torturer avant de la tuer ?

Riley balaya les environs du regard. L’endroit était très isolé. Quelques maisons et quelques caravanes se dressaient non loin. Quand bien même, personne ne semblait vivre assez près pour entendre une femme crier dans ces abris de jardin.

Riley tira son arme de son étui et s’approcha de la caravane. Elle était juchée sur des fondations permanentes et devait se trouver là depuis des années. Par le passé, quelqu’un avait planté un parterre de fleurs le long de l’entrée pour lui donner l’allure d’une véritable maison. À présent, ce parterre était envahi par les mauvaises herbes.

Jusque là, le lieu correspondait à l’image que s’en faisait Riley. Elle fut certaine qu’elle était arrivée au bon endroit.

— C’est fini pour toi, connard, murmura-t-elle. Tu ne feras pas d’autre victime.

Quand elle atteignit la caravane, elle tambourina sur la porte métallique.

— Gerald Cosgrove ! hurla-t-elle. FBI. Vous êtes là ?

Il n’y eut pas de réponse. Riley monta les marches en parpaings et jeta un coup d’œil par la petite fenêtre. Ce qu’elle vit à l’intérieur lui glaça le sang.

La caravane était pleine de poupées. Elle n’aperçut pas un seul être vivant, seulement des poupées de toutes les tailles et de toutes les formes.

Riley appuya sur la poignée. La porte était verrouillée. Elle tambourina à nouveau. Cette fois, la voix d’un homme lui répondit.

— Allez-vous-en. Laissez-moi tranquille. Je n’ai rien fait.

Riley crut entendre quelqu’un s’agiter à l’intérieur. La porte de la caravane s’ouvrait vers l’extérieur. Riley ne pouvait donc pas l’enfoncer. Elle tira un coup de feu sur la serrure et le battant s’ouvrit avec docilité.

Riley fit irruption dans la pièce principale. Le nombre ahurissant de poupées la désorienta l’espace d’un instant. Il devait y en avoir des centaines. Elles étaient partout – sur les étagères, les tables et même par terre. Elle eut besoin de quelques secondes pour apercevoir un homme au milieu d’elle, recroquevillé en boule contre une cloison.

— Ne tirez pas, supplia Cosgrove en levant des mains tremblantes. Je n’ai rien fait. Ne tirez pas.

Riley se jeta sur lui et l’obligea à se relever. Elle le retourna et lui tordit le bras pour l’empêcher de bouger, puis elle rangea son arme dans son étui et sortit ses menottes.

— Donnez-moi votre autre main, dit-elle.

En tremblant de tous ses membres, il obéit sans hésitation. Riley le menotta et le poussa sur une chaise.

C’était un homme d’une soixantaine d’années, aux cheveux grisonnants, loin d’être impressionnant physiquement. Il avait l’air pathétique, assis là, en larmes. Mais Riley n’éprouvait aucune pitié à son égard. Le spectacle de toutes ces poupées lui suffisait pour savoir que cet homme était un pervers malade.

Avant qu’elle ne puisse l’interroger, elle entendit la voix de Bill.

— Merde, Riley. T’as fait sauté la serrure ?

Riley se retourna vers Bill qui entrait dans la caravane.

— Il ne voulait pas m’ouvrir.

Bill grommela dans sa barbe :

— Je croyais t’avoir dit de m’attendre dehors, dit-il.

— Et je croyais que tu savais que je ne le ferais pas, répondit Riley. Enfin bref, je suis contente que tu sois là. On dirait que c’est notre homme.

L’homme gémissait à présent.

— Je n’ai rien fait ! Ce n’était pas moi ! J’ai fait mon temps ! J’ai laissé tout ça derrière moi.

Riley demanda à Bill.

— Qu’est-ce que tu as trouvé sur lui ?

— Il a fait de la prison pour tentative d’attouchements sur mineur. Rien d’autre... Jusqu’à maintenant.

Aux yeux de Riley, cela correspondait au profil. Ce petit homme monstrueux s’attaquait à présent à des proies plus grosses – et avec plus de cruauté.

— C’est il y a des années, dit l’homme. Je n’ai rien fait depuis, je me tiens correctement. Je prends mes médocs. J’ai plus ces pulsions. C’est derrière moi. Vous faites une erreur.

Bill demanda d’un ton cynique :

— Alors, vous êtes innocent, c’est ça ?

— Exactement. Je ne sais pas qui vous cherchez, mais ce n’est pas moi.

— C’est quoi, ces poupées ? demanda Riley.

À travers ses larmes, Cosgrove esquissa un sourire brisé.

— Elles sont mignonnes, hein ? dit-il. Je les collectionne. J’ai eu de la chance il y a quelques semaines, j’ai trouvé un super magasin à Shellysford. Plein de poupées, plein de petites robes différentes. J’ai dépensé tout mon argent de la Sécu là-bas, j’ai acheté tout ce que j’ai pu avec.

Bill secoua la tête.

— Je ne veux vraiment pas savoir ce que vous faites avec, dit-il.

— C’est pas ce que vous croyez, dit Cosgrove. C’est comme ma famille. Mes seules amies. C’est tout ce que j’ai. Je reste à la maison avec elles. Ce n’est pas comme si je pouvais partir. Elles me traitent bien. Elles ne me jugent pas.

Son explication inquiéta Riley. Détenait-il une femme en ce moment même ?

— Je veux inspecter vos abris de jardin, lui dit-elle.

— Allez-y, dit-il. Il n’y a rien. Je n’ai rien à cacher. Les clefs sont juste là.

Il pointa le menton vers un trousseau de clef pendu près de la porte. Riley s’en saisit.

— Je vais jeter un œil, dit-elle.

— Non, pas sans moi, dit Bill.

Ensemble, Bill et Riley utilisèrent les menottes de Bill pour attacher le suspect à la porte du réfrigérateur. Ils sortirent de la caravane et la contournèrent. Ils ouvrirent le premier abri et jetèrent un coup d’œil. Il n’y avait rien dedans, hormis un râteau de jardinage.

Bill fit quelques pas à l’intérieur.

— Rien, dit-il. Pas même une trace de sang.

Ils marchèrent jusqu’au second abri et ouvrirent le verrou, avant de jeter un coup d’œil. Mise à part une tondeuse à main toute rouillée, il était également vide.

— Il doit les emprisonner ailleurs, dit Bill.

Bill et Riley retournèrent dans la caravane. Cosgrove était encore là et contemplait d’un air misérable sa famille de poupées. Ce spectacle troubla Riley – celui d’un homme sans véritable existence et certainement sans avenir.

Il demeurait une énigme à ses yeux. Elle entreprit de l’interroger :

— Gerald, où étiez-vous dans la matinée de mercredi dernier ?

— Quoi ? répondit Cosgrove. Comment ça ? Je ne sais pas. Je ne me rappelle pas. Ici, je suppose. Où j’aurais pu être, sinon ?

Riley le scruta avec une curiosité renouvelée.

— Gerald, demanda-t-elle, quel jour on est, aujourd’hui ?

Les yeux de Cosgrove s’égarèrent de tous côtés, hantés par l’incompréhension et le désespoir.

— Je... Je ne sais pas, bafouilla-t-il.

Riley se demanda si cela pouvait être vrai. N’avait-il aucune idée de la date ? Il semblait parfaitement sincère. En tous cas, il n’avait pas l’air amer ou en colère. Riley ne devinait en lui aucune volonté de combattre. Seulement de la peur et du désespoir.

Elle se morigéna fermement : un véritable psychopathe était capable de tromper les agents les plus expérimentés.

Bill détacha Cosgrove du réfrigérateur, sans lui retirer ses menottes.

Il aboya :

— Gerald Cosgrove, vous êtes en état d’arrestation pour le meurtre de trois femmes…

Bill et Riley firent brutalement sortir le suspect de la caravane, pendant que Bill égrainait les noms des victimes et détaillait les droits de Cosgrove. Ils le poussèrent à l’intérieur de la voiture que Bill avait conduit jusqu’ici – un véhicule du Bureau, bien équipé, et dont les sièges à l’avant et à l’arrière étaient séparés par un grillage. Ils attachèrent sa ceinture et le menottèrent.

Tous deux restèrent alors un instant debout sans dire un mot.

— Putain, Riley, tu l’as fait, marmonna Bill avec admiration. Tu as chopé ce connard... Même sans ton badge. Le Bureau va se rouler par terre pour te reprendre.

— Tu veux que je t’accompagnes ? demanda Riley.

Bill haussa les épaules.

— Nan, je gère. Je vais l’emmener en garde à vue. Tu n’as qu’à ramener ta voiture.

Riley décida de ne pas insister, en se demandant si Bill lui en voulait toujours pour l’autre nuit.

En regardant la voiture s’éloigner, Riley voulut se réjouir de sa réussite et de sa rédemption. Mais toute satisfaction la déserta soudain. Quelque chose clochait. Elle entendait encore les mots de son père résonner dans sa tête.

Eh bien, écoute tes tripes.

Petit à petit, tout en roulant, Riley se rendit compte de quelque chose.

Ce que ses tripes lui disaient, c’était qu’ils n’avaient pas le bon suspect.

Chapitre 33

Le matin suivant, Riley conduisit April à l’école. Alors qu’elle la déposait sur le trottoir, la sensation de s’être trompée l’assaillit à nouveau. Perturbée à l’idée d’avoir commis une erreur, elle n’avait pas dormi de la nuit.

 

Est-ce que c’est bien lui ? ne cessait-elle de se demander.

Avant de descendre, April se tourna vers sa mère avec une expression d’inquiétude sincère.

— Maman, qu’est-ce qui ne va pas ? demanda-t-elle.

Sa question prit Riley par surprise. Elle et sa fille semblaient avoir franchi un nouveau cap dans leur relation. Elles étaient entrées dans une nouvelle phase – bien plus agréable que la précédente. Tout de même, Riley n’avait pas l’habitude d’entendre April s’inquiéter pour elle. C’était agréable, mais étrange.

— Ça se voit ? dit Riley.

— Ah oui, vraiment, dit April.

Elle posa sa main sur celle de sa mère.

— Allez. Dis-moi.

Riley réfléchit. Il n’était pas facile de mettre des mots sur son impression.

— Je…, commença-t-elle avant de laisser traîner sa voix, hésitante. Je ne suis pas sûre d’avoir arrêté le bon suspect.

April écarquilla les yeux.

— Je… Je ne sais pas quoi faire, ajouta Riley.

April prit une grande inspiration.

— Ne doute pas de toi-même, Maman, répondit-elle. Tu fais ça tout le temps. Et tu finis par comprendre que tu n’aurais pas dû. Ce n’est pas ce que tu me dis souvent ?

April sourit et Riley lui rendit son sourire.

— Je vais être en retard si je ne vais pas en classe, dit April. On pourra en parler plus tard.

April embrassa Riley sur la joue, sortit de la voiture et courut vers l’école.

Riley ne redémarra pas immédiatement. Au lieu de cela, elle appela Bill.

— Alors ? demanda-t-elle quand il décrocha.

Elle l’entendit pousser un long soupir.

— Cosgrove est un type étrange, dit-il. Pour le moment, il est dans tous ses états... Épuisé et dépressif. Il pleure beaucoup. Je crois qu’il va bientôt craquer. Mais…

Bill s’interrompit. Riley sentit que lui aussi commençait à avoir des doutes.

— Mais quoi ?

— Je sais pas, Riley. Il a l’air tellement à l’ouest. Je ne suis même pas sûr qu’il comprenne très bien ce qui lui arrive. Il est conscient de l’endroit où il est, puis il oublie. Parfois, il ne se souvient même pas qu’il a été arrêté. Peut-être que les médocs qu’il prend lui détraquent la tête. Ou peut-être que c’est la psychose pure et simple…

Les doutes de Riley se réveillèrent.

— Qu’est-ce qu’il te raconte ? demanda-t-elle.

— En général, il réclame ses poupées, dit Bill. Il s’inquiète pour elles, comme si c’étaient ses enfants ou ses chiens et qu’il n’était pas censé les laisser seules chez lui. Il répète qu’elles ont besoin de lui. Il est parfaitement docile, vraiment pas agressif. Mais il ne nous donne aucune info. Il n’a rien dit sur les femmes, ou s’il en détient une en ce moment même.

Riley retourna les mots de Bill dans sa tête.

— Alors, qu’est-ce que tu en penses ? demanda-t-elle enfin. C’est lui ?

Riley devina la frustration dans la voix de Bill quand il répondit :

— Comment ça pourrait ne pas être lui ? Je veux dire, tout concorde. Les poupées, le casier judiciaire, tout. Il était dans le magasin en même temps qu’elle. Qu’est-ce que tu veux de plus ? Comment on aurait pu se tromper ?

Riley ne répondit pas. Elle n’avait rien à redire à son raisonnement, mais elle sentait que Bill luttait contre son propre instinct.

Puis elle demanda :

— Quelqu’un a fait des recherches sur les employés de Madeline ?

— Oui, dit Bill, mais ça n’a rien donné. Madeline embauche toujours des ados en lycée pour travailler à la caisse. Elle fait ça depuis qu’elle a ouvert sa boutique.

Riley poussa un grognement de découragement. Quand allaient-ils enfin refermer cette affaire ?

— Enfin bref, dit Bill, un psychologue du Bureau va interroger Cosgrove aujourd’hui. Peut-être qu’il va pouvoir nous renseigner et nous dire sur quel pied danser.

— Okay, dit Riley. Tiens-moi au courant.

Elle raccrocha. Son moteur tournait toujours, mais elle n’avait pas quitté le parking de l’école. Où irait-elle ? Si Newbrough tenait sa promesse et tentait de lui faire réintégrer le FBI, ce n’était apparemment pas encore fait. Elle n’avait toujours pas son badge – ou un boulot.

Je ferais mieux de rentrer, pensa-t-elle.

Mais, alors qu’elle redémarrait, les mots de son père lui revinrent en mémoire.

Eh bien, écoute tes tripes.

Ses tripes lui hurlaient qu’elle devait retourner à Shellysford. Elle ne savait pas exactement pourquoi, mais il le fallait.

*

La cloche au-dessus de la porte sonna quand Riley pénétra dans la boutique de vêtements. Il n’y avait pas de clients. Madeline leva les yeux de son travail au comptoir et fronça les sourcils. La propriétaire n’était visiblement pas très contente de la voir revenir.

— Madeline, je suis désolée pour hier, dit Riley en marchant vers elle. J’étais tellement maladroite, et je suis désolée. J’espère que je n’ai rien cassé.

Madeline croisa les bras sur sa poitrine et lui jeta un regard noir.

— Que voulez-vous, cette fois ? demanda-t-elle.

— Cette affaire me pose encore des problèmes, dit Riley. J’ai besoin de votre aide.

Madeline ne répondit pas pendant quelques secondes.

— Je ne sais toujours pas qui vous êtes, ni même si vous faites vraiment partie du FBI, dit-elle.

— Je sais, et je ne vous reproche pas de ne pas me faire confiance, dit Riley. Mais j’avais bien le ticket de caisse de Reba Frye, non ? Il n’y a que son père qui aurait pu me le donner. Il m’a vraiment envoyée ici. Vous savez que ça, au moins, c’est vrai.

Madeline secoua la tête avec circonspection.

— Je suppose que ça compte. Qu’est-ce que vous voulez ?

— Laissez-moi examiner votre collection de poupées une nouvelle fois, dit Riley. Je vous promets de ne pas mettre le bazar comme la dernière fois.

— Très bien, dit Madeline. Mais je ne vous laisse pas tout seule.

— Ça me convient, dit Riley.

Madeline se dirigea vers l’arrière-boutique et ouvrit les portes repliables Alors que Riley s’avançait entre les rayons de poupées et d’accessoires, Madeline resta debout sur le seuil et la surveilla avec attention. Riley comprenait les doutes de cette femme, mais son regard insistant n’aidait pas sa concentration – d’autant plus qu’elle ne savait pas ce qu’elle cherchait.

Ce fut alors que la clochette de la porte d’entrée sonna. Trois clientes pleines d’entrain firent irruption dans la boutique.

— Oh, mince, dit Madeline.

Elle se précipita dans son magasin de vêtements pour s’occuper de ses clientes. L’espace d’un instant, Riley eut les poupées pour elle toute seule.

Elle les étudia avec attention. Certaines étaient debout, d’autres assises. Toutes étaient vêtues de robes et de jupons. Même si elles étaient habillées, il était évident que les poupées étaient assises dans la même position que les victimes des quatre meurtres, leurs jambes tendues de façon très raide. Le tueur avait dû s’inspirer de ces poupées.

Cela ne suffisait pas. Il devait y avoir un indice caché là, quelque part.

Les yeux de Riley tombèrent sur une série de livres d’images rangés sur une étagère plus basse. Elle s’accroupit et les consulta un par un. Les livres étaient magnifiquement illustrés et racontaient des aventures dont les héroïnes ressemblaient trait pour trait aux poupées. Elles portaient également les mêmes robes. Riley réalisa que les livres et les poupées avaient été conçus pour être vendus ensemble sous forme de lot.

Riley se figea à la vue d’une couverture. L’héroïne avait de longs cheveux blonds et des yeux bleus grands ouverts. Une pluie de roses parsemait sa robe de bal blanche. Elle portait également un ruban rose dans les cheveux. Le livre s’intitulait : Un bal grandiose pour une Belle du Sud.

Un frisson parcourut Riley quand elle examina plus en détail le visage de la petite fille. Ses yeux bleus étaient ouverts de façon exagérée et cernés par d’énormes cils noirs. Un sourire peu naturel étirait ses lèvres épaisses et roses. Cela ne faisait aucun doute. Le tueur s’inspirait de cette image.

La clochette sonna à nouveau, signalant que les clientes avaient quitté le magasin. Madeline trottina jusqu’à son arrière-boutique, visiblement soulagée de voir que Riley n’avait pas mis le souk. Riley lui montra le livre.

— Madeline, avez-vous la poupée qui va avec ce livre ? demanda-t-elle.

Madeline jeta un coup d’œil à la couverture, puis balaya du regard les rayons.

— Eh bien, j’ai dû l’avoir, à un moment ou à un autre, dit-elle. Pour le moment, je ne les vois pas.

Elle réfléchit un instant, puis ajouta.

— Maintenant que j’y pense, j’ai vendu la dernière il y a quelques temps.

Riley pouvait à peine empêcher sa voix de trembler.

— Madeline, je sais que vous ne voulez pas faire ça. Mais vous devez m’aider à retrouver les noms de ceux qui ont acheté cette poupée. Je ne peux même pas vous expliquer à quel point c’est important.

Madeline se radoucit devant la fébrilité de Riley.

— Je suis désolée, mais je ne peux pas, dit-elle. Ce n’est pas que je ne veuille pas, mais je ne peux pas. Cela fait dix ou quinze ans. Même mon livre de comptes ne remonte pas aussi loin.

Le moral de Riley dégringola. Encore un cul-de-sac. La piste s’arrêtait là. Venir ici avait été une perte de temps.

Riley tourna les talons. Elle traversa le magasin et ouvrit la porte. Alors que l’air frais fouettait son visage, quelque chose la frappa. L’odeur. Elle réalisa soudain à quel point le magasin sentait le renfermé. Pas vraiment le renfermé, mais… une odeur âcre. Dans une boutique aussi féminine que celle-ci, cette odeur ne semblait pas à sa place. Qu’est-ce que c’était ?

Riley finit par comprendre. De l’ammoniaque. Mais qu’est-ce que cela voulait dire ?

Eh bien, écoute tes tripes, Riley.

Sur le pas de la porte, elle se retourna vers Madeline.

— Vous avez passé la serpillière aujourd’hui ? demanda-t-elle.

Madeline secoua la tête, stupéfaite.

— Je fais appel à une agence d’intérim, dit-elle. Ils m’envoient un aide à domicile.

Le cœur de Riley se mit à battre plus vite.

— Un aide à domicile ? demanda-t-elle d’une voix à peine plus forte qu’un murmure.

Madeline hocha la tête.

— Il vient le matin. Pas tous les jours. Il s’appelle Dirk.

Dirk. Le sang de Riley se glaça dans ses veines.

— Dirk comment ? demanda-t-elle.

Madeline haussa les épaules.

— Je ne connais pas son nom de famille, répondit-elle. Ce n’est pas moi qui écris ses chèques. L’agence saurait peut-être, mais ils ne sont pas très sérieux, vraiment. Dirk n’est pas très fiable, si vous voulez tout savoir.

Riley prit de longues inspirations pour calmer ses nerfs.

— Il est venu ce matin ? demanda-t-elle.

Madeline hocha la tête sans dire un mot.

Riley s’approcha d’elle et rassembla toute son talent de persuasion.

— Madeline, la pressa-t-elle, quoi que vous fassiez, ne laissez pas cet homme revenir dans votre magasin. Plus jamais.

Madeline tituba, choquée.

— Vous voulez dire qu’il est… ?

— Il est dangereux. Très dangereux. Et je dois le retrouver immédiatement. Vous avez son numéro de téléphone ? Vous savez où il habite ?

— Non, vous devriez demander à l’agence d’intérim, dit Madeline d’une voix craintive. Ils auront ses coordonnées. Tenez, je vous donne leur carte de visite.

Madeline fourragea derrière son comptoir et finit par trouver une carte de l’agence d’intérim Miller. Elle la tendit à Riley.

— Merci, dit Riley dans un hoquet. Merci beaucoup.

Sans ajouter un mot, Riley se précipita dans la rue, monta dans sa voiture et tenta d’appeler le numéro de l’agence. Le téléphone sonna, sonna, sonna, sans qu’on lui demande jamais de laisser un message.

Elle mémorisa l’adresse et démarra sa voiture.

*

L’agence d’intérim Miller se situait à un mile de Shellysford. Elle occupait un bâtiment avec une façade en briques, sans doute depuis des années.

Quand Riley poussa la porte, elle constata rapidement que l’agence n’avait pas suivi les progrès de la technologie. Il n’y avait qu’un ordinateur obsolète en vue. Beaucoup de monde attendait : des travailleurs remplissaient des formulaires autour d’une longue table.

 

Trois autres personnes – apparemment, des clients – se pressaient devant le comptoir. Ils se plaignaient avec virulence et tous en même temps, rapportant les problèmes qu’ils avaient eu avec les employés de l’agence.

Deux hommes aux cheveux longs travaillaient à l’accueil et renvoyaient les plaignants en essayant de répondre à tous les appels téléphoniques. Ils devaient avoir vingt ans. Visiblement peu compétents, ils ne s’en sortaient pas très bien.

Riley se fraya un passage jusqu’au comptoir et parvint à retenir l’attention d’un des jeunes hommes entre deux appels téléphoniques. Son badge portait le nom de « Melvin ».

— Je suis l’agent Riley Paige, du FBI, annonça-t-elle en espérant que, dans la confusion, Melvin ne demanderait pas à voir son badge. Je suis là pour enquêter sur un meurtre. Vous êtes le gérant ?

Melvin haussa les épaules.

— Je suppose.

Devant son regard vide, Riley devina qu’il avait fumé un joint ou bien qu’il n’était pas très brillant, ou peut-être les deux. Au moins, il ne s’inquiétait pas de savoir si Riley était bien ce qu’elle prétendait être.

— Je recherche l’homme qui travaille chez Madeline, dit-elle. Un aide à domicile. Il s’appelle Dirk. Madeline ne connaît pas son nom de famille.

Melvin marmonna dans sa barbe.

— Dirk, Dirk, Dirk… Ah oui, je me souviens de lui. « Dirk Tête-de-Gland », on l’appelait.

Il se tourna vers l’autre jeune homme pour lui demander :

— Eh, Randy, il lui est arrivé quoi, à Dirk Tête-de-Gland ?

— On l’a viré, répondit Randy. Il se pointait en retard au boulot, ou pas du tout. Un vrai chieur.

— Non, ce n’est pas possible, dit Riley. Madeline dit qu’il travaille encore pour elle. Il était encore là ce matin.

Melvin lui adressa un regard stupéfait.

— On l’a viré, c’est sûr, dit-il.

Il s’assit devant le vieil ordinateur et fit une recherche.

— Oui, on l’a viré, il y a trois semaines.

Melvin plissa les yeux, encore plus surpris qu’auparavant.

— Eh, c’est bizarre, dit-il. Madeline continue de nous envoyer des chèques, même s’il ne travaille plus ici. Quelqu’un doit lui dire d’arrêter. Elle fout son argent par les fenêtres.

La situation s’éclaircissait aux yeux de Riley. Même s’il avait été renvoyé, même s'il n’était plus payé, Dirk continuait de venir dans le magasin de Madeline. Il avait ses propres raisons de travailler là-bas – des raisons sinistres.

— Comment s’appelle-t-il ? demanda Riley.

Melvin parcourut des yeux l’écran de l’ordinateur. Il consultait apparemment le dossier d’embauche de Dirk.

— C’est Monroe, dit Melvin. Vous voulez savoir autre chose ?

Riley fut soulagée de constater que partager des informations confidentielles ne dérangeait pas Melvin.

— J’ai besoin de son adresse et de son numéro de téléphone, dit Riley.

— Il ne nous a pas donné de numéro de téléphone, dit Melvin sans détourner les yeux de l’écran. J’ai son adresse. Quinze-vingt rue Lynn.

Randy s’intéressait à la conversation. Il jeta un coup d’œil sur l’écran par-dessus l’épaule de Melvin.

— Attend, dit-il. C’est pas la bonne adresse. Les numéros de maison vont pas si loin dans la rue Lynn.

Riley n’était pas surprise. Dirk Monroe ne voulait sans doute pas que l’on sache où il habitait.

— Un numéro de Sécurité sociale ? demanda-t-elle.

— Je l’ai, dit Melvin.

Il l’écrivit sur un morceau de papier qu’il tendit à Riley.

— Merci, dit-elle.

Elle saisit le morceau de papier et tourna les talons. Dès qu’elle fut dehors, elle appela Bill.

— Salut Riley, dit-il en décrochant. J’aimerais te donner des bonnes nouvelles, mais notre psychologue a interrogé Cosgrove et il est convaincu que ce type est incapable de tuer qui que ce soit, alors quatre femmes… Il dit…

— Bill, le coupa-t-elle. J’ai un nom... Dirk Monroe. C’est lui, j’en suis sûre. Je ne sais pas où il habite. Tu peux tracer son numéro de Sécu ? Tout de suite ?

Bill nota le numéro et mit Riley en attente. Elle fit les cent pas sur le trottoir, fébrile. Enfin, Bill reprit l’appel.

— J’ai une adresse. C’est une ferme à trente miles de Shellysford. Une route de campagne.

Bill lui donna l’information.

— J’y vais, dit-elle.

Bill bredouilla :

— Riley, de quoi tu parles ? Laissez-moi appeler des renforts. Ce type est dangereux.

Riley sentit son corps crépiter sous l’effet de l’adrénaline.

— Ne discute pas, Bill, dit-elle. Tu me connais mieux que ça.

Elle raccrocha sans dire au revoir. Déjà, elle était en route.