Les Pendules à l’heure

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Les Pendules à l’heure
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Les Pendules à l’heure
Les Pendules à l’heure
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Czyta Elisabeth Lagelee
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CHAPITRE QUATRE

Riley frappa à la porte d’April. Il était midi et grand temps pour sa fille de se lever. Elle n’eut pas la réponse qu’elle espérait :

— Qu’est-ce que tu veux ? grogna April.

— Tu vas dormir toute la journée ?

— C’est bon, je suis levée. Je descends dans une minute.

Riley redescendit les escaliers en soupirant. Si seulement Gabriela était là ! Mais elle avait toujours un congé le dimanche.

Riley se laissa tomber sur le canapé. April était très distante, ces derniers jours. Riley ne savait pas comment faire pour briser la glace. Elle avait presque été soulagée de voir sa fille partir faire la fête pour Halloween la nuit dernière. Riley ne s’était pas inquiétée : la fête avait eu lieu à quelques pâtés de maisons… Et puis, April n’était toujours pas rentrée à une heure du matin.

Alors que Riley se demandait si elle devait appeler la police, sa fille avait fini par revenir. Elle était montée dans sa chambre sans dire un mot. Elle n’avait pas l’air beaucoup plus prête à communiquer ce matin.

Heureusement, Riley était à la maison pour la surveiller. Elle n’avait pas encore accepté son nouveau dossier. Bill ne cessait de lui envoyer des messages. Il était parti en reconnaissance avec Lucy Vargas pour enquêter sur la disparition de Meara Keagan. Ils avaient interrogé ses employeurs et ses voisins, mais n’avaient trouvé aucune piste.

Lucy prenait en charge les recherches. Elle faisait distribuer des prospectus avec une photo de Meara. Pendant ce temps, Bill attendait avec impatience que Riley prenne sa décision.

Mais elle n’était pas obligée de décider tout de suite. Tout le FBI savait qu’elle ne serait de toute façon pas disponible demain. L’un des premiers tueurs qu’elle avait arrêtés avait réclamé une audience. Elle ne pouvait pas rater ça.

April descendit les escaliers, toute habillée. Elle se précipita dans la cuisine sans accorder un seul regard à sa mère, qui la suivit.

— On mange quoi ? demanda April en ouvrant le frigo.

— Je peux te préparer un petit déjeuner, dit Riley.

— C’est bon, je vais me débrouiller.

April sortit un morceau de fromage et referma le frigo. Elle s’en coupa un morceau et se versa une tasse de café, qu’elle allongea de sucre et de crème. Puis, elle s’assit à table.

Riley la rejoignit.

— C’était comment, la fête ?

— C’était bien.

— Tu es rentrée très tard.

— Mais non…

Riley décida de ne pas la contredire. Après tout, une heure du matin, ce n’était peut-être pas si tard aux yeux des ados.

— Crystal m’a dit que tu avais un nouveau copain ?

— Ouais, répondit April en sirotant son café.

— Comment il s’appelle ?

— Joel.

Au bout d’un court silence, Riley demanda :

— Il a quel âge ?

— Je sais pas.

Une boule d’anxiété se referma sur la gorge de Riley.

— Il a quel âge ? répéta-t-elle.

— Quinze ans, d’accord ? Comme moi.

Non, April mentait.

— J’aimerais bien le rencontrer.

April leva les yeux au ciel.

— Mais Maman, t’as grandi où ? Dans les années cinquante ou quoi ?

Riley eut l’impression de prendre un coup.

— Je ne trouve pas ça bizarre, dit-elle. Dis-lui de passer. Tu me le présenteras.

April reposa son café si brutalement qu’elle en renversa une partie sur la table.

— Mais pourquoi t’essayes tout le temps de contrôler ma vie ?

— Je n’essaye pas de contrôler ta vie, je veux juste rencontrer ton copain.

Pendant quelques minutes, April se contenta de fixer son café du regard. Puis elle se leva brusquement de table et partit en trombe.

— April !

Riley la suivit à travers la maison. April ramassa son sac à l’entrée.

— Où tu vas ? demanda Riley.

April ne répondit pas. Elle ouvrit la porte et la fit claquer derrière elle.

Riley resta bouche bée quelques secondes. April allait forcément revenir pour s’excuser.

Elle attendit une minute entière, avant d’ouvrir la porte et de jeter un coup d’œil dans la rue. Aucun signe d’April.

L’incident laissa un goût amer dans la bouche de Riley. Comment les choses en étaient-elles arrivées là ? Bien sûr, elles avaient vécu des moments difficiles, toutes les deux, mais, depuis leur déménagement, April était heureuse. Elle avait sympathisé avec la voisine, Crystal. Quand l’école avait commencé en septembre, tout allait bien.

Et, deux mois plus tard, April retombait dans ses travers d’adolescente rebelle et boudeuse. Fallait-il y voir des effets du syndrome post-traumatique ? April avait déjà fait une attaque de panique, mais elle avait consulté un bon thérapeute…

Toujours à la porte, Riley sortit son téléphone et lui envoya un texto :

Reviens tout de suite.

Puis elle attendit. April ne répondit pas. Avait-elle laissé son téléphone à la maison ? Non, impossible. April avait pris son sac. Elle n’allait nulle part sans téléphone.

April l’ignorait-elle ?

Riley eut soudain une assez bonne idée de l’endroit où April avait pu aller. Elle referma la porte derrière elle et se dirigea vers la maison des voisins, où vivaient Crystal et Blaine. Tout en fixant du regard son téléphone, elle sonna.

Quand Blaine ouvrit la porte, il lui adressa un grand sourire.

— Eh bien, dit-il, quelle belle surprise ! Qu’est-ce qui t’amène ?

Riley se dandina nerveusement.

— Je me demandais… April est là ? Avec Crystal ?

— Non, répondit-il. Crystal n’est pas là non plus, d’ailleurs. Elle est au café. Tu sais, pas loin d’ici.

Blaine fronça les sourcils.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Un problème ?

— On s’est disputées, grommela Riley. Elle est partie comme une furie. J’espérais qu’elle serait là. Elle ignore mon texto.

— Entre, dit Blaine.

Riley le suivit dans son salon. Ils s’assirent sur le canapé.

— Je ne comprends pas ce qu’elle a, dit Riley. Je ne sais pas ce qui se passe.

Blaine lui adressa un sourire entendu.

— Je sais ce que c’est.

Son aveu surprit Riley.

— Vraiment ? demanda-t-elle. On dirait que vous vous entendez à merveille, Crystal et toi.

— La plupart du temps, oui. Depuis que c’est une ado, c’est un peu plus rock ‘n roll.

Blaine laissa passer un court silence, avant de poursuivre :

— Ne dis rien. C’est à propos de son nouveau copain.

— Visiblement, dit Riley. Elle ne veut rien me dire. Et elle refuse de me le présenter.

Blaine secoua la tête.

— Elles sont toutes les deux à cet âge-là, dit-il. C’est comme si c’était une question de vie ou de mort, d’avoir un copain. Crystal n’en a pas, ce qui me convient très bien, mais pas elle. Elle est presque désespérée.

— J’étais sans doute pareille au même âge, avoua Riley.

Blaine étouffa un rire.

— Crois-moi, quand j’avais quinze ans, je ne pensais qu’aux filles. Tu veux du café ?

— Oui, merci. Noir, s’il te plait.

Blaine disparut dans la cuisine. Riley en profita pour jeter un coup d’œil dans le salon. Tout était décoré avec goût.

Blaine ramena deux tasses. Riley but une gorgée de son café. Il était délicieux.

— Je ne savais pas ce que je faisais quand j’ai eu un enfant, dit-elle. J’étais sans doute un peu jeune.

— Tu avais quel âge ?

— Vingt-quatre.

Blaine éclata de rire.

— J’étais encore plus jeune. Je me suis marié à vingt-et-un ans. Je suis tombé amoureux d’une fille super belle, Phoebe. Super sexy. Bien sûr, je n’avais peut-être pas remarqué qu’elle était bipolaire et qu’elle buvait beaucoup.

Riley tendit l’oreille. Elle savait que Blaine avait divorcé, mais c’était tout. Visiblement, ils avaient tous les deux fait des erreurs de jeunesse. Ils s’étaient laissés berner par une attraction physique.

— Ton mariage a duré combien de temps ? demanda Riley.

— Neuf ans et c’est trop long. J’aurais dû demander le divorce bien plus tôt. Je me disais que je pourrais aider Phoebe. C’était stupide de ma part. Crystal est née quand Phoebe avait vingt-et-un an. Elle était encore étudiante en école de cuisine. On était pauvres et immatures. Ensuite, elle a accouché d’un bébé mort-né. Elle ne s’en est jamais remise. Elle est devenue alcoolique. Et violente.

Le regard de Blaine se voila. Riley comprit qu’il n’avait pas envie de tout dire.

— Quand April est née, j’étais en formation au FBI, dit-elle. Ryan voulait que j’avorte, mais pas moi. Il voulait absolument réussir sa carrière d’avocat. On a tous les deux réussi, mais on n’avait rien en commun. On n’a pas construit notre mariage.

Riley se tut sous le regard compatissant de Blaine. C’était agréable d’en parler à un autre adulte. Il était presque impossible d’être mal à l’aise en présence de Blaine. Elle avait l’impression qu’elle pouvait tout lui dire.

— Blaine, je ne sais plus quoi faire, dit-elle. Je suis demandée sur une affaire très importante, mais ça ne va pas à la maison. Je crois que je ne passe pas assez de temps avec April.

Blaine sourit.

— Ah oui. Le vieux dilemme. La famille ou le travail. Je connais. Crois-moi, tenir un restaurant, ça prend du temps. C’est dur pour Crystal.

Riley croisa le regard bleu et tranquille de Blaine.

— Comment tu fais ?

Il haussa les épaules.

— Tu sais… On n’a jamais assez de temps pour tout, mais ce n’est pas la peine de s’en vouloir. Abandonner ta carrière n’est pas la solution. Phoebe a essayé de rester à la maison. C’est aussi ça qui l’a rendue folle. Tu dois trouver le moyen de te pardonner.

 

Riley sourit. C’était une excellente idée. Se pardonner de n’avoir pas le temps. Ça semblait presque possible.

Elle tendit la main et toucha la main de Blaine. Il la prit dans la sienne. Une délicieuse tension s’installa entre eux. L’espace d’une seconde, Riley eut envie de rester chez lui, comme leurs deux enfants étaient partis. Peut-être qu’elle…

Cette pensée lui avait à peine traversé l’esprit que Riley s’éloigna de lui. Elle n’était pas prête. Elle dégagea sa main.

— Merci, dit-elle. Je vais rentrer. Si ça se trouve, April est déjà à la maison.

Elle le salua et sortit de chez lui. Son téléphone vibra. C’était un message d’April.

Je viens d’avoir ton texto. Désolée d’être partie comme ça. Je suis au café. Je reviens vite.

Riley soupira. Que répondre à ça ? Mieux valait ne pas répondre du tout. Elle aurait une conversation sérieuse avec April.

Riley rentrait chez elle quand son téléphone vibra à nouveau. Cette fois, c’était Ryan qui l’appelait. Elle n’avait pas du tout envie de lui parler, mais elle savait qu’il laisserait des messages jusqu’à ce qu’elle réponde. Elle décrocha.

— Qu’est-ce que tu veux, Ryan ?

— Je te dérange ?

Riley aurait voulu lui dire qu’il la dérageait toujours, mais elle se retint.

— Non, c’est bon, dit-elle.

— Je pourrais passer vous voir, toi et April ? dit-il. On pourrait discuter.

Riley ravala un grognement.

— Je ne préfère pas.

— Tu as dit que je ne dérangeais pas.

Riley ne répondit pas. C’était Ryan tout craché. Il essayait de la manipuler.

— Comment va April ?

Riley faillit s’étouffer. Ryan essayait seulement de faire la conversation.

— Oh, comme c’est gentil de demander…, répondit-elle d’un ton sarcastique. Elle va bien.

C’était un mensonge, mais elle n’avait pas envie de se confier à Ryan.

— Ecoute, Riley…, reprit Ryan d’une voix traînante. J’ai fait beaucoup d’erreurs.

Sans déconner…, pensa Riley. Il poursuivit :

— Ça ne va pas fort, ces derniers temps.

Riley ne répondit pas.

— Je voulais juste prendre de vos nouvelles.

Riley n’en crut pas ses oreilles.

— On va bien. Pourquoi tu demandes ? Tu t’es fait plaquer, Ryan ? Ou ça ne se passe pas bien, au boulot ?

— Tu es dure avec moi, Riley.

Oh non, elle se trouvait même plutôt gentille… Elle comprenait sa situation. Ryan se sentait seul. La fille qu’il avait rencontrée après le divorce avait dû partir.

Ryan ne supportait pas la solitude. Riley et April étaient toujours son dernier recours pour ne pas être seul. Si elle le laissait revenir, il resterait le temps de trouver une nouvelle copine.

Elle répondit :

— Rabiboche-toi avec ta dernière copine. Ou celle d’avant. Je ne sais même pas combien tu en as eu depuis le divorce. Combien, Ryan ?

Ryan poussa un hoquet à l’autre bout du fil. Riley avait vu juste.

— Ryan, la vérité, c’est que tu me déranges, oui.

C’était vrai, après tout. Elle venait de rendre visite à un homme qui lui plaisait. Pourquoi devait-il tout gâcher ?

— Quand est-ce que je peux te rappeler, alors ?

— Je ne sais pas, dit Riley. Je te tiens au courant. Salut.

Elle raccrocha. Elle s’assit sur le canapé et prit de longues inspirations pour se calmer.

Puis elle envoya un texto à April.

Reviens tout de suite.

Elle n’attendit que quelques secondes avant de recevoir une réponse.

OK. J’arrive. Désolée, Maman.

Riley soupira. La crise semblait être passée. Mais quelque chose n’allait pas.

Qu’est-ce qui se passait ?

CHAPITRE CINQ

Dans sa tanière faiblement éclairée, Scratch allait et venait d’une horloge à l’autre, pour tout préparer. Il était bientôt minuit.

— Répare celle avec le cheval ! hurla Grand-père. Elle est en retard !

— J’y vais.

Scratch savait qu’il serait puni quoi qu’il arrive, mais ce serait pire si tout n’était pas en place.

Il remit à l’heure la pendule avec les fleurs, qui avait cinq minutes de retard, puis il ouvrit une vieille comtoise et poussa tout doucement l’aiguille des minutes.

Il vérifia que la grosse horloge avec les bois de cerf était à l’heure. Ce n’était pas toujours le cas mais, pour une fois, oui. Enfin, il remit à l’heure celle avec les chevaux. Heureusement : elle avait sept minutes de retard.

— Va falloir que ça aille, maugréa Grand-père. Tu sais quoi faire ensuite.

Scratch obéit et s’empara du fouet. C’était ce qu’on appelait un chat à neuf queues. Grand-père s’en servait pour le punir quand il était plus jeune.

Il s’aventura jusqu’au fond de sa tanière, derrière la barrière. Ces quatre captives se trouvaient là, sur des matelas. Elles avaient une armoire pour faire leurs besoins. Ça puait, mais Scratch s’était habitué à l’odeur.

L’Irlandaise le regardait avec attention. A la diète depuis plus longtemps, les autres étaient très faibles. Deux d’entre elles ne faisaient plus que gémir. La quatrième était allongée à côté de la barrière. Elle ne faisait plus de bruit. Scratch ouvrit la cage. L’Irlandaise se jeta en avant pour essayer de s’échapper. Scratch la gifla d’un coup de fouet. Elle serra les dents et recula. Il la fouetta, encore et encore. Il savait d’expérience combien ça faisait mal.

A minuit, toutes les horloges se mirent à sonner l’heure. Scratch savait ce qu’il lui restait à faire.

Il s’accroupit à côté de la plus faible, celle qui paraissait à peine vivante. Elle lui adressa un étrange regard. C’était la seule qui était restée là assez longtemps pour savoir ce qu’il allait faire. C’était comme si elle était prête. Comme si elle était soulagée.

Scratch n’avait pas le choix.

Il s’agenouilla près d’elle et lui brisa le cou.

Comme la vie quittait son corps, Scratch leva les yeux vers la vieille horloge de l’autre côté de la barrière. La Mort allait et venait devant les aiguilles, vêtue de sa robe noire. On apercevait à peine son crâne souriant sous sa capuche. Elle poursuivait des chevaliers, des rois, des reines et des paysans, sans distinction. C’était l’horloge préférée de Scratch.

Le bruit mourut peu à peu. Bientôt, on n’entendit plus que le tic-tac des aiguilles et les sanglots des autres filles.

Scratch chargea le cadavre sur son épaule. Elle ne pesait rien du tout. Il ouvrit la cage, sortit et referma derrière lui.

L’heure était venue.

CHAPITRE SIX

Une belle comédie, pensa Riley.

La voix de Larry Mullins tremblait. Alors qu’il terminait son allocution aux familles des victimes, il semblait au bord des larmes.

— J’ai eu quinze ans pour y réfléchir, dit Mullins. Pas un jour ne passe sans que je regrette. Je ne peux pas revenir en arrière. Je ne peux pas ramener Nathan Betts et Ian Harter à la vie. Mais j’ai encore le temps de me racheter aux yeux de la société. Je vous supplie de me laisser une chance de le faire…

Mullins s’assit. Son avocat lui tendit un mouchoir et il s’essuya les yeux, bien que Riley ne vit aucune larme.

Les officiels échangèrent des murmures.

Ce serait bientôt au tour de Riley de témoigner. Elle dévisagea Mullins.

Elle se rappelait bien de lui. Il n’avait pas beaucoup changé. Quand elle l’avait arrêté, elle l’avait trouvé propre sur lui et éloquent. La prison l’avait endurci, mais il se cachait derrière les sanglots. Il avait travaillé comme nounou.

Il avait si peu vieilli ! Il avait été arrêté à vingt-cinq ans, mais il avait toujours le même visage poupin.

Les parents des victimes, eux, avaient vieilli, brisés prématurément. Le cœur de Riley se serra.

Si seulement elle avait mieux géré cette affaire… Jake Crivaro, son premier partenaire, partageait ses regrets. C’était un des premiers dossiers de Riley. Jake l’avait bien instruite.

Larry Mullins avait été arrêté pour le meurtre d’un petit garçon dans un terrain de jeu. En investiguant, Riley et Jake avaient découvert qu’un autre enfant était mort dans des circonstances similaires.

Quand Riley avait arrêté Mullins et lui avait lu ses droits avant de le menotter, il avait presque admis sa culpabilité en lui adressant un sourire triomphal.

« Bonne chance. », lui avait-il glissé.

En effet, la chance avait tourné très vite. Mullins avait nié avec force. Malgré tous les efforts de Riley et de Jake, les preuves étaient dangereusement minces. Il avait été impossible de déterminer comment les enfants avaient été étouffés. On n’avait découvert aucune arme du crime. Mullins admettait les avoir perdus de vue, mais pas de les avoir tués.

Riley se souvenait encore de ce que lui avait dit le procureur.

— Il va falloir jouer serré. On ne peut pas prouver que Mullins était le seul à avoir accès aux gamins quand ils ont été tués.

Ça s’était terminé sur une négociation de peine. Riley détestait les négociations de peine depuis ce jour. L’avocat de Mullins avait proposé un accord. Mullins plaiderait coupable, mais sans préméditation, et les sentences pour les deux meurtres défileraient en même temps.

Un accord minable. Cela n’avait même pas de sens. Si Mullins avait bien tué les deux enfants, comment aurait-il pu être aussi négligent ? C’était contradictoire, mais le procureur n’avait pas eu le choix et il avait accepté. Mullins s’en était tiré avec trente ans de prison et la possibilité de sortir plus tôt pour bon comportement.

Les familles avaient été horrifiées. Elles avaient accusé Riley et Jake de ne pas avoir fait leur travail. Jake avait rapidement pris sa retraire après ça. Il était devenu amer.

Riley avait promis aux parents des deux garçons qu’elle ferait tout pour garder Mullins derrière les barreaux. Quelques jours plus tôt, les parents de Nathan Betts l’avaient appelée pour lui rappeler sa promesse.

Les murmures se turent. Le conseiller-auditeur Julie Simmons se tourna vers Riley.

— L’agent spécial Riley Paige aimerait parler, dit-elle.

Riley avala sa salive. Voilà le moment qu’elle préparait depuis quinze ans. Elle savait que tout le monde dans la salle connaissait le dossier, même s’il était incomplet. Inutile de revenir dessus. Elle allait faire un discours plus personnel.

Elle se leva et prit la parole.

— C’est le « comportement exemplaire » de Larry Mullins qui lui vaut cette audience, je ne me trompe pas ?

Elle ajouta avec une pointe d’ironie.

— Monsieur Mullins, je vous félicite.

Mullins hocha la tête, le visage dénué d’expression. Riley poursuivit.

— « Comportement exemplaire », qu’est-ce que cela signifie, concrètement ? Cela n’a rien à voir avec ce qu’il a fait, mais plutôt avec ce qu’il n’a pas fait. Il n’a pas enfreint les règles de la prison. Il a surveillé son comportement. C’est tout.

Elle fit une pause pour reprendre le contrôle de sa voix.

— Sincèrement, je ne suis pas surprise. En prison, il n’y a pas beaucoup d’enfants à tuer.

Des hoquets et des murmures se firent entendre. Le sourire de Mullins se crispa.

— Excusez-moi, dit Riley. Je sais bien que Mullins n’a jamais admis qu’il avait prémédité les meurtres. Le procureur n’a pas choisi cette voie. Mais Mullins a bel et bien plaidé coupable. Il a tué deux enfants. Il me parait impossible qu’il ait pu le faire sans avoir eu de mauvaises intentions.

Elle se tut, le temps de choisir ses mots. Elle voulait pousser Mullins a montré sa colère. Bien sûr, Mullins savait qu’il n’avait pas le droit à l’erreur. La meilleure stratégie à adopter, c’était de convaincre les membres de la commission de l’énormité de ses crimes.

— J’ai vu le corps de Ian Harter, quatre ans, le jour de sa mort. Il avait l’air de dormir les yeux ouverts. La vie avait effacé l’expression de son visage, mais pas celle de ses yeux. Il a vécu ses derniers moments dans une terreur sans nom. La même chose est arrivée à Nathan Betts.

Les deux mères s’étaient mises à pleurer. Riley n’avait pas le choix. Elle était obligée de remuer les terribles souvenirs.

— Nous ne devons pas oublier cette terreur, dit Riley. Et nous ne devons pas oublier que Mullins n’a montré aucune émotion lors de son procès. Pas un geste de remords. Ses remords sont apparus beaucoup, beaucoup plus tard… En admettant que ce ne soit pas une comédie.

 

Riley prit une grande inspiration.

— Combien d’années a-t-il pris à ces garçons, si on les additionne ? Combien d’années de vie a-t-il volées ? Plus de cent, il me semble. Il a été condamné à trente ans. Il n’est resté que quinze ans en prison. Ce n’est pas suffisant. Il ne vivra jamais assez longtemps pour purger la peine qui devrait être la sienne.

Maintenant, la voix de Riley tremblait. Il fallait qu’elle se reprenne. Elle ne pouvait pas exploser de rage, ni éclater en sanglots.

— L’heure est-elle venue de pardonner Larry Mullins ? C’est aux familles des garçons de le dire. Mais le pardon n’est pas le sujet de cette audience. Le plus important, c’est le danger qu’il représente. Nous ne pouvons pas mettre en danger des enfants.

Quelques membres de la commission regardaient leurs montres. Riley paniqua. Ils avaient déjà assisté à deux audiences ce matin. Quatre autres suivraient. Ils s’impatientaient. Riley devait terminer. Elle les regarda droit dans les yeux, un à un.

— Mesdames et messieurs de la commission, je vous supplie de ne pas lui accorder sa libération.

Elle ajouta :

— Quelqu’un veut peut-être ajouter quelque chose au nom du prisonnier.

Riley s’assit. Elle était satisfaite de sa conclusion. Elle savait pertinemment que personne ici ne parlerait en faveur de Mullins. Il n’avait aucun ami et il n’en méritait aucun.

— Quelqu’un souhaite ajouter quelque chose ? demanda le conseiller-auditeur.

— J’aimerais ajouter quelques mots, lança une voix du fond de la pièce.

Riley sursauta. Elle connaissait cette voix.

Elle se retourna brusquement. Oui, il était là, l’homme aux larges épaules. Jake Crivaro. Riley n’aurait pas cru le voir aujourd’hui.

Jake s’approcha et se présenta aux membres de la commission. Puis il prit la parole :

— Je ne vous dirai qu’une chose : cet homme est un manipulateur de génie. Ne croyez pas un mot de ce qu’il dit. Il ment. Il n’a montré aucun remords quand nous l’avons arrêté. Ce qu’il vous sert, aujourd’hui, c’est une comédie.

Jake se tourna vers Mullins.

— Tu ne t’attendais pas à me voir aujourd’hui ? lança-t-il d’une voix méprisante. Je n’aurais raté ça pour rien au monde, espèce de connard tueur d’enfants.

Le conseiller-auditeur donna du marteau.

— De l’ordre, je vous prie !

— Oh, je suis navré, dit Jake. Je ne voulais pas insulter votre prisonnier modèle. Après tout, il s’est repenti. C’est un connard tueur d’enfants repenti.

Jake toisa Mullins. Riley comprit qu’il essayait de provoquer un coup de colère, mais le prisonnier gardait son calme.

— Monsieur Crivaro, retournez à votre place, di le conseiller-auditeur. La commission va rendre sa décision.

Les membres se rassemblèrent en échangeant des murmures et des notes. Riley attendit.

Donald et Melanie Betts sanglotaient. Darla Harter pleurait, mais son mari, Ross, lui tenait la main. Il regardait Riley. Son regard était tranchant. Qu’avait-il pensé de son élocution ? Pensait-il qu’elle s’était enfin rachetée ?

Il faisait chaud. Riley se mit à transpirer. Son cœur battait la chamade.

Cela ne prit que quelques minutes. Un membre de la commission chuchota leur décision à l’oreille du conseiller-auditeur. Elle se tourna vers le public et le prisonnier.

— Libération refusée, dit-elle. Passons à l’audience suivante.

La brusquerie de cette femme fit sursauter Riley, comme si cette affaire n’était rien de plus qu’un ticket de parking. La commission était en retard, bien sûr.

Riley se leva. Les deux couples se précipitèrent vers elle. Melanie Betts se jeta dans ses bras.

— Oh merci, merci, merci…, bredouilla-t-elle.

Les trois autres la remercièrent entre leurs larmes.

Jake se tenait à l’écart. Dès qu’elle quitta les parents, Riley le rejoignit.

— Jake ! dit-elle. Ça fait longtemps.

— Trop longtemps, dit-il en lui adressant un sourire de travers. Vous, les jeunes, vous ne donnez jamais de nouvelles…

Riley soupira. Jake l’avait toujours traitée comme sa fille. Il avait un peu raison : elle aurait dû rester en contact.

— Alors, comment vas-tu ?

— J’ai soixante-quinze ans. On m’a changé les deux genoux et la hanche. Ma vue baisse. J’ai un appareil pour entendre et un pacemaker. Et tous mes amis sont morts, à part toi. Qu’est-ce que tu dis de ça ?

Riley sourit. Il avait beaucoup vieilli, mais il n’était pas en si mauvais état qu’il semblait le croire. Il pourrait revenir au FBI s’il en avait envie.

— Je suis contente que tu aies pris la parole.

— Ça te surprend ? dit Jake. Je parle au moins aussi bien que ce bâtard de Mullins.

— Tu as vraiment aidé.

Jake haussa les épaules.

— J’aurais bien aimé qu’il pète les plombs devant la commission, mais il est plus malin que dans mes souvenirs. La prison lui aura appris au moins ça. Mais bon, on a eu ce qu’on voulait. Il va rester derrière les barreaux.

Riley ne dit rien. Jake lui adressa un regard curieux.

— Tu me caches quelque chose ? demanda-t-il.

— Ce n’est pas si simple, dit Riley. Si Mullins continue de bien se comporter, il aura le droit de demander audience l’année prochaine. Cette fois, on ne pourra rien y faire.

— Merde…, dit Jake

Il avait l’air presque aussi amer qu’à la fin du procès, tant d’années auparavant.

Riley savait ce qu’il ressentait. Il était terrifiant d’imaginer Mullins dehors. Cette petite victoire ne valait pas grand-chose.

— Bon, je dois y aller, dit Jake. Sympa de te voir…

Riley regarda son vieux partenaire s’éloigner. Il n’avait pas envie de traîner ici, à s’apitoyer sur son sort. Ce n’était pas son genre. Elle prit mentalement la décision de l’appeler plus souvent.

Il fallait qu’elle positive. Les Betts et les Harter lui avaient enfin pardonné. Riley n’était pas sûre de le mériter. Pas plus que Larry Mullins.

Ce fut alors que Larry Mullins passa devant elle, avec ses menottes.

Il lui adressa un sourire machiavélique, tout en articulant les mots :

— A l’année prochaine.