Le Mensonge Idéal

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CHAPITRE TROIS

Immédiatement, tout le monde commença à s’agiter dans la grande salle. Beaucoup d’agents se dirigèrent vers le centre tactique des équipements, où ils prirent des armes plus lourdes et des gilets pare-balles. Jessie et Hernandez se regardèrent l’un l’autre, ne sachant que faire. Hernandez commença à se lever de son siège, mais Decker le lui interdit.

— N’y pensez même pas, Hernandez. Vous n’approcherez pas de ce carnage.

Hernandez se laissa retomber sur sa chaise. Jessie et lui contemplèrent ce qui se passait dans le poste avec un intérêt jaloux. Au bout de quelques minutes, les choses se calmèrent et le personnel restant repartit au travail. Seulement quelques moments auparavant, la grande salle, remplie d’une bonne cinquantaine personnes, avait fourmillé d’activité, alors que maintenant, c’était une ville fantôme. En comptant Jessie et Hernandez, il restait moins de dix personnes.

Soudain, Jessie entendit un bruit sourd mais fort. Quand elle se retourna, elle vit que le capitaine Decker venait de poser une demi-douzaine de dossiers épais sur son bureau.

— Voici les affaires que je veux que vous examiniez, dit-il. J’avais espéré que je pourrais les étudier avec vous mais, visiblement, je vais être occupé pendant les quelques heures qui vont suivre.

— Pas de nouvelles sur la fusillade ? lui demanda-t-elle.

— La fusillade s’est arrêtée. Quand nos voitures sont arrivées, ils se sont tous éparpillés. Nous en sommes à six morts, tous de gangs rivaux. Il y a une autre douzaine de blessés. Nous avons environ trente agents et une douzaine d’inspecteurs qui interrogent les gens du coin, sans même compter le SWAT.

— Et moi ? demanda Hernandez. Comment puis-je contribuer, capitaine ?

— Vous pouvez travailler sur les affaires de vos collègues jusqu’à leur retour. Je suis sûr qu’ils vous en remercieront chaleureusement. Bon, il faut que je retourne m’occuper de cette affaire de gang.

Il repartit en hâte dans son bureau, laissant Hernandez et Jessie seuls avec des piles de paperasse.

— Je crois qu’il fait exprès d’être vache, marmonna Hernandez.

— Voulais-tu finir ce que tu disais avant ? lui demanda Jessie en se demandant si elle insistait trop.

— Pas maintenant, répondit-il d’une voix qui avait perdu sa légèreté. Peut-être plus tard, quand nous serons hors du bureau et que tout ne sera pas aussi … intense.

Jessie signifia son accord d’un hochement de tête, malgré sa déception. Au lieu de bouder ou de rester à le confronter de façon déplaisante, elle tourna son attention vers les dossiers des affaires qui se trouvaient devant elle.

Si je me concentre sur les détails de quelques meurtres, cela m’éclaircira peut-être les idées.

Elle gloussa en silence de son propre humour noir et ouvrit le premier dossier.

Cela fonctionna. Elle se plongea si profondément dans les détails des affaires que presque une heure passa sans qu’elle remarque le passage du temps. Ce ne fut que quand Hernandez lui tapota l’épaule qu’elle leva les yeux et se rendit compte qu’on était au milieu de la matinée.

— Je crois que je nous ai peut-être trouvé une affaire, dit-il en tenant un morceau de papier d’un air provocateur.

— Je croyais que nous n’étions pas censés chercher de nouvelles affaires, répondit-elle.

— C’est vrai, admit-il, mais il n’y a personne d’autre ici pour s’en occuper et je crois que c’est la sorte de chose que Decker pourrait nous permettre d’étudier.

Il tendit le papier. Avec moins de réticence qu’elle aurait probablement dû en ressentir, Jessie le prit. Elle ne tarda pas à comprendre pourquoi ils allaient peut-être réussir à convaincre Decker de leur attribuer cette affaire.

Elle semblait assez simple. Une femme de trente ans avait été retrouvée morte dans son appartement de Hollywood. Le jeune homme qui avait signalé la découverte du corps avait d’abord été détenu comme suspect quand un voisin avait signalé l’avoir vu entrer dans l’appartement par une fenêtre. Cependant, le jeune homme avait affirmé être un collègue qui prenait des nouvelles de la défunte après deux jours sans nouvelles. Il n’y avait aucun signe évident de violence et la scène donnait d’entrée de jeu l’impression d’un suicide.

— On dirait qu’ils maîtrisent très bien la situation. Je ne vois pas ce que nous pourrions ajouter …

— J’ai cru entendre un « mais », dit Hernandez en souriant.

Alors que Jessie ne voulait pas lui donner cette satisfaction, elle se rendit compte qu’elle souriait légèrement, elle aussi.

— Mais … il y a une référence à des ecchymoses plus anciennes sur ses poignets et sur son cou, ce qui pourrait suggérer des maltraitances passées. Cela vaut probablement la peine de le vérifier. De plus, selon son collègue, elle était coach personnel dans un centre de culture physique haut de gamme, où elle se spécialisait dans les clients à profil élevé. Si certains trouvent que la Police de Los Angeles ne consacre pas assez de ressources à l’affaire, ils risquent de faire un scandale.

— Exactement, dit Hernandez, tout excité. C’est notre ticket d’entrée, Jessie. D’après ce que je sais de Decker, il ne courra pas le risque de se mettre la populace à dos s’il peut l’éviter. S’il assigne un inspecteur de la SSH et une profileuse criminelle célèbre à l’affaire, cela coupera court aux critiques. De plus, cela semble tout à fait idéal pour nous aider à retourner sur le terrain. Il n’y a aucun signe de violence. Si c’est un meurtre, il s’agit probablement d’un empoisonnement ou de quelque chose de ce style. On dirait qu’il n’y a pas de coups de couteau dans cette affaire.

— Il a fortement insisté pour que nous restions assis à nos bureaux pendant un certain temps, lui rappela Jessie.

— Je crois qu’il sera d’accord, insista Hernandez. De plus, il est tellement occupé par la fusillade du gang qu’il acceptera peut-être rien que pour se débarrasser de nous. On peut au moins essayer.

— J’irai avec toi, dit Jessie, mais je n’argumenterai pas. S’il coupe la tête à quelqu’un, ce sera à toi.

— Trouillarde, dit-il pour la taquiner.

*

Jessie dut admettre que Ryan Hernandez était bon.

Il lui suffit de prononcer les mots « clients riches », « Hollywood » et « probablement un suicide » avant que Decker ne les autorise à enquêter sur l’affaire. Ces mots à la mode avaient frappé tous les points faibles de leur patron : sa peur de la mauvaise publicité et son désir incessant de ne pas se mettre à dos sa hiérarchie et d’empêcher l’inspecteur Hernandez de l’importuner en permanence.

Sa seule règle était simple.

— Si cela commence à ressembler à un meurtre et si le coupable a utilisé une violence de quelque sorte, appelez pour me demander des renforts.

Maintenant, alors que Hernandez les emmenait à Hollywood, il avait presque l’air étourdi par l’excitation et cela se ressentait à sa façon de conduire.

— Pas trop vite, avertit-elle. Je ne veux pas avoir un accident avant d’être arrivée sur la scène du crime.

Elle ne fit plus allusion à leur discussion d’avant, décidant de le laisser en reparler quand il serait prêt. Cela ne prit pas longtemps. Quand il fut moins excité de se retrouver dans une voiture et en route vers une scène de crime, il jeta un coup d’œil en direction de Jessie.

— Bon, voilà ce qui se passe, commença-t-il à dire à un rythme beaucoup plus rapide qu’en temps normal. J’aurais dû t’appeler plus souvent après toutes ces catastrophes. Je veux dire, d’abord, visiblement, je l’ai fait, mais tu étais gravement blessée et pas très bavarde, ce que je comprends complètement.

— Vraiment ? demanda Jessie d’un air sceptique.

— Bien sûr, dit-il en quittant l’autoroute gratuite 101 à Vine Street. Tu as été obligée de tuer ton propre père. Même s’il était psychopathe, il était ton père, mais je ne savais pas comment aborder ce sujet avec toi. De plus, il y avait le fait que ton père psychopathe m’avait poignardé. Ce n’était pas ta faute, mais je craignais que tu ne t’imagines que je t’en voulais. Donc, je réfléchissais à toutes ces choses pendant que mon estomac perdait régulièrement du sang, qu’on me donnait des antalgiques très forts et que j’essayais de ne pas vomir tout ce que je mangeais. Ensuite, quand je me suis dit que j’étais prêt à discuter de tout cela en adulte, ma femme m’a formellement envoyé mes papiers de divorce. Je savais que ça allait se produire, mais j’ai souffert quand j’ai reçu ces papiers. Comme j’étais encore à l’hôpital, ça m’a démoli, en quelque sorte. Je suis tombé dans un trou noir. Je ne voulais pas manger. Je ne voulais pas me rééduquer. Je ne voulais parler à personne, alors que c’était exactement ce que j’aurais dû faire.

— Si tu veux, je peux te recommander quelqu’un … commença à proposer Jessie.

— Merci, mais, en fait, j’ai déjà quelqu’un, interrompit-il. Decker m’a finalement ordonné de consulter, m’a dit que je risquais de ne jamais revenir du tout si je ne me prenais pas en main. Donc, je l’ai fait et ça a aidé. Cependant, à ce stade, environ six semaines avaient passé depuis l’attaque et je trouvais bizarre de t’appeler soudain. De plus, pour être honnête, je n’étais pas certain à 100 % d’aller bien sur le plan psychologique et je ne voulais pas perdre les pédales en te parlant sérieusement pour la première fois après que nous avions failli mourir tous les deux. Donc, j’ai encore repoussé l’échéance. Et puis, il y a l’autre chose.

— Quelle autre chose ?

— Tu sais, notre attitude « collègues amicaux mais aussi amis qui se sentent parfois mal à l’aise parce qu’il y a peut-être quelque chose de plus » ? Je n’imagine rien, n’est-ce pas ?

 

Jessie mit longtemps à répondre, car répondre honnêtement à cette déclaration ne pouvait que changer les choses. Cependant, Ryan avait tout dit et il aurait été lâche de ne pas en faire autant.

— Non, tu n’imagines rien.

Il rit avec gêne et cela lui donna une toux complète qui le fit pleurer.

— Ça va ? demanda-t-elle.

— Ouais, c’est juste que … j’avais peur de mentionner cette dernière partie.

Ils restèrent assis en silence pendant une minute pendant que Ryan se faufilait dans la circulation de Sunset Boulevard en essayant de trouver une place pour se garer.

— Donc, c’est comme ça ? finit-elle par dire.

— C’est comme ça, confirma-t-il en se garant.

— Tu sais, dit-elle doucement, tu es beaucoup moins cool que je l’avais cru au premier abord.

— C’est seulement une façade, dit-il en ne plaisantant qu’à moitié.

— Ça me plaît, en fait. Ça te rend plus … accessible.

— J’imagine que je te dois des remerciements.

— Eh bien, on devrait probablement en parler un peu plus, répondit-elle.

— Je crois que ce serait la chose la plus mature à faire, acquiesça-t-il. Tu veux bien dire après qu’on a examiné le corps là-haut, n’est-ce pas ?

— Oui, Ryan. Le corps en premier et la conversation embarrassante plus tard.

CHAPITRE QUATRE

C’était comme si une lumière s’était allumée dans la tête de Jessie.

Dès qu’elle ferma la portière de la voiture et regarda le bâtiment qui contenait actuellement une femme morte, son esprit s’éclaira. Toute idée de père tueur en série, de demi-sœur orpheline et d’opportunités semi-romantiques passa au second plan.

Ryan et elle se tenaient sur le trottoir près du coin de Sunset et de Vine et ils examinaient les alentours. C’était le cœur de Hollywood et Jessie y était venue beaucoup de fois, mais toujours pour aller à un dîner, à un concert ou pour voir un film ou un spectacle. Elle n’avait jamais imaginé que, à cet endroit, des gens ordinaires travaillaient, vivaient et, apparemment, mouraient.

Pour la première fois, elle remarqua que, parmi les tours de bureaux, les restaurants et les salles de cinéma, beaucoup des immeubles ressemblaient aux bâtiments polyvalents de son quartier, avec des magasins de détail au rez-de-chaussée et des appartements ou des copropriétés au-dessus.

Plus loin dans la rue, elle vit un immeuble d’appartements de dix étages avec un supermarché Trader Joe au-dessous. De l’autre côté de la rue, il y avait une salle de gym Solstice Fitness Center à la base d’un bâtiment d’une hauteur qui atteignait facilement les vingt étages. Elle se demanda si les résidents avaient droit à des inscriptions gratuites, mais sans y croire. Cet endroit était incroyablement cher.

On aurait dit que l’immeuble de la victime était légèrement moins chic. Il avait plusieurs restaurants et un studio de yoga au premier étage, mais il y avait aussi une pharmacie Walgreens et une droguerie Bed, Bath & Beyond. Quand ils remontèrent le trottoir pour accéder à l’entrée principale, ils durent contourner une ligne de SDF installés le long du mur du bâtiment. La plupart d’entre eux dormaient encore, mis à part une vieille femme qui était assise en tailleur et se marmonnait des choses à elle-même.

Ils passèrent devant elle sans un mot et arrivèrent à l’entrée du bâtiment. Par rapport à l’immeuble de Jessie, ici, la sécurité était inexistante. Il y avait un hall d’entrée en verre qui exigeait l’utilisation d’une carte d’accès pour entrer et d’une autre pour appeler l’ascenseur mais, quand Jessie et Ryan approchèrent de l’entrée, un résident leur tint la porte ouverte et passa sa carte devant le capteur de l’ascenseur sans leur demander quoi que ce soit. Jessie remarqua qu’il y avait des caméras fixes dans le vestibule et sur l’ascenseur, mais qu’elles avaient l’air bon marché. Ryan poussa le bouton pour aller au huitième étage et, quelques secondes plus tard, ils sortirent de l’ascenseur sans qu’on leur ait jamais demandé ce qu’ils faisaient là.

— On est entrés facilement, dit Ryan quand ils parcoururent le hall extérieur pour aller vers le ruban de la police et les plusieurs agents qui s’affairaient aux alentours.

— Beaucoup trop facilement, nota Jessie. Je suis consciente que, en matière de sécurité personnelle, je suis une maniaque, mais cet endroit est vraiment pitoyable, surtout par rapport au quartier environnant.

— Il est beaucoup plus sécurisé qu’il y a vingt ans, lui rappela Ryan.

— C’est vrai. Cependant, ce n’est pas parce qu’on ne voit pas de prostituées et de trafiquants de drogue à chaque coin de rue que c’est Disneyland.

Ryan ne répondit pas. Ils atteignirent l’appartement de la victime. Il montra son badge d’inspecteur et Jessie montra sa carte de profileuse de la Police de Los Angeles.

— Des agents de la Division de Hollywood sont déjà venus et repartis, dit un agent perplexe.

— Nous ne faisons qu’assurer le suivi pour la Section Spéciale Homicide, mentit Ryan. C’est surtout une faveur pour notre capitaine. Nous aimerions que vous demandiez à quelqu’un de nous présenter la scène du crime, même si cela le pousse à se répéter.

— Aucun problème, répondit-il. L’agent Wayne est le premier agent de la scène du crime. Je vais l’appeler.

Pendant qu’il appelait l’autre agent avec sa radio, Jessie inspecta les environs. La porte de devant était ouverte, maintenant, ainsi qu’une fenêtre adjacente. Jessie se demanda si cela avait été le cas avant. Il était difficile d’imaginer qu’une femme célibataire vivant au cœur de Hollywood ait pu laisser ouverte une fenêtre accessible par un hall extérieur. Cela revenait presque à inviter les ennuis.

L’appartement de la victime était à l’opposé des ascenseurs de l’étage, qui avait la forme d’une grosse lettre C. Cela signifiait que son appartement était visible aux gens qui se tenaient de l’autre côté de l’étendue dégagée qui se trouvait entre les halls. Jessie se demanda si l’on avait déjà interrogé les locataires de ces appartements.

À ce moment-là, un vieil agent en uniforme sortit de l’appartement pour les saluer. Il était costaud et il perdait ses cheveux, dont quelques-uns collaient à son crâne en sueur. Il semblait avoir guère plus de quarante ans et il avait cette attitude blasée qui pouvait être un avantage ou un obstacle en fonction de son attitude.

— Agent John Wayne, dit-il en tendant une main à Ryan. Comme j’ai déjà entendu toutes les blagues que vous voulez raconter, passons aux choses sérieuses. Que puis-je faire pour vous ?

— Vous êtes son portrait craché, ne put s’empêcher de dire Ryan.

Jessie le frappa au bras avant de se retourner vers le policier, qui avait l’air impassible.

— Désolé, agent Wayne, dit-elle. Merci de nous accorder votre temps. Nous savons que les inspecteurs de Hollywood ont déjà analysé la scène du crime, mais nous espérions que vous pourriez quand même nous la présenter. Cette affaire ressemble à une autre sur laquelle nous enquêtons et nous voulons nous assurer qu’il n’y ait pas de lien.

— Bien sûr, entrez, dit-il en repartant à l’intérieur et en leur tendant des couvre-chaussures en plastique alors qu’ils se préparaient à entrer.

Ils se les mirent, ainsi que des gants, et entrèrent.

— Certaines de ses possessions ont déjà été saisies comme preuves, dit Wayne, mais nous pouvons vous donner une liste détaillée.

— Quelque chose vous a-t-il frappé ? demanda Ryan.

— Quelques choses, répondit l’agent. Aucun signe d’effraction. Il y avait de l’argent dans son sac à main. Son téléphone était sur la table de chevet.

— Si cela ne vous gêne pas, demanda Jessie, avant que vous ne nous expliquiez le reste, j’aimerais prendre le temps d’évaluer le site sans idée préconçue.

L’Agent Wayne hocha la tête. Jessie inspira longuement et profondément, permit à son corps de se détendre et commença à profiler la victime. Le salon était chichement décoré avec des meubles qui semblaient venir de chez IKEA. Il y avait peu de tableaux et aucune photo visible. La seule touche personnelle était un certificat de coach personnel NASM encadré et fixé au mur.

Jessie entra dans la cuisine presque immaculée. Il n’y avait ni plats sales dans l’évier ni plats propres sur l’égouttoir. Sur le plan de travail, il y avait un seul torchon de vaisselle, propre et plié. À côté, on voyait plusieurs piluliers portant chacun les jours de la semaine et rigoureusement alignés dans le bon ordre. Jessie ne les toucha pas. D’après ce qu’elle vit, les pilules qui se trouvaient à l’intérieur ressemblaient à des suppléments et à des multi-vitamines. Elle remarqua que ni les pilules pour lundi ou mardi n’avaient été prises. On était mercredi matin.

Elle inspecta le reste de la cuisine. Le rouleau de papier essuie-tout était presque complet. Quand elle ouvrit les placards, elle vit des dizaines de boîtes de dinde hachée aux haricots et des quantités de barres protéinées, ainsi que plusieurs flacons de protéine de lactosérum en poudre.

Le réfrigérateur était à moitié vide, mais il contenait deux pots de lait de 3,8 litres chacun, plusieurs récipients de yaourt grec et un énorme sac en plastique d’épinards. Le congélateur contenait un mélange de myrtilles, de fraises et de baies d’açaï congelées et un Tupperware qui contenait ce qui ressemblait à de la soupe au poulet et aux nouilles. Sur le frigo, on avait collé un petit post-it qui disait « De Maman, novembre 2018 », ce qui remontait à plus d’un an.

Ils allèrent tous les trois dans le hall et se dirigèrent vers la chambre où le corps attendait. L’odeur de chair en putréfaction assaillit les narines de Jessie. Elle s’accorda un moment pour l’accepter, puis s’arrêta dans la salle de bains, qui n’était pas aussi bien rangée que le reste de la maison. Il était clair que la résidente passait beaucoup plus de temps dans cette pièce.

— Comment s’appelait la victime ? Demanda-t-elle.

Cela avait été mentionné sur le document que Ryan lui avait donné au poste, mais elle avait volontairement évité de le lire jusqu’à maintenant.

— Taylor Jansen, dit l’Agent Wayne. Elle était …

— Désolé, agent, interrompit-elle. Je ne veux pas être impolie, mais veuillez garder les autres informations juste un peu plus longtemps.

Elle regarda de près la commode de Taylor. Si elle ne semblait pas se soucier de bien remplir sa cuisine, avec sa salle de bains, c’était l’inverse. L’étagère était recouverte de produits de maquillage, dont une boîte entamée d’ombre à paupières et plusieurs rouges à lèvres. Deux brosses à cheveux et un peigne étaient poussés dans un coin à côté d’un petit flacon de parfum.

L’armoire à pharmacie était pleine de médicaments sans ordonnance comme l’Advil, le Benadryl et le Pepto-Bismol, mais il n’y avait aucun flacon de médicaments sur ordonnance. La douche contenait plusieurs flacons remplis d’un quart de shampoing et d’après-shampoing, avec aussi du démaquillant visage, un rasoir à jambes, de la mousse à raser et un savon revitalisant.

Jessie sortit de la salle de bain et l’odeur forte, qui avait été temporairement masquée par les odeurs de la salle de bains, l’assaillit à nouveau. Elle jeta un coup d’œil vers l’arrière du hall et remarqua une fois de plus qu’il n’y avait absolument rien de personnel sur les murs.

— Avant que nous allions dans la chambre, dit-elle en se tournant vers Wayne, j’aimerais savoir combien d’erreurs j’ai faites. Taylor Jansen est célibataire, blanche, belle et a autour de trente ans. Elle travaille près d’ici et voyage souvent. Elle a peu d’amis. Elle est obsédée par les détails et elle a assez d’argent pour habiter à un endroit bien meilleur que celui-ci.

Wayne écarquilla brièvement les yeux avant de répondre.

— Elle avait exactement trente ans, dit-il. Son anniversaire avait été le mois dernier. Elle est blanche et semble avoir été très belle. Elle travaille bien aux alentours, dans une salle de gym à moins d’un pâté de maisons d’ici. Nous sommes en train de reconfirmer son statut relationnel, mais son collègue, celui qui l’a trouvée, dit qu’elle n’avait personne à l’heure actuelle. Il est en bas, dans une voiture de police, et il est en train de refaire sa déclaration si vous voulez lui parler. Je ne peux rien dire sur les voyages et l’aspect financier, mais il le pourra peut-être, lui.

— Dès que nous en aurons terminé ici, nous irons volontiers lui parler, dit Ryan avant de se tourner vers Jessie. Es-tu prête à entrer ?

 

Elle hocha la tête. Elle avait parfaitement remarqué que, à quelques exceptions près, sa description de Taylor Jansen aurait aussi pu être la sienne. Elle allait avoir trente ans dans quelques semaines. Son appartement de centre-ville était aussi spartiate que celui-là et ce n’était pas parce qu’elle n’avait pas eu le temps de le décorer. Elle aurait pu compter ses bonnes amies sur deux doigts et, si l’on exceptait son mariage récent avec un homme qui avait essayé de la tuer, malgré sa conversation avec Ryan, elle n’avait personne à l’heure actuelle. Si elle mourait demain, est-ce que l’analyse préliminaire de sa personne par une autre profileuse serait si différente de celle qu’elle venait de faire de la femme qui gisait derrière cette porte de chambre ?

— Vous en voulez ? demanda Wayne en se mettant de la crème à l’eucalyptus juste au-dessous des narines pour lutter contre les odeurs répugnantes qui allaient devenir encore plus fortes.

— Non, merci, dit Jessie. Aussi désagréable que ce soit, j’ai besoin que tous mes sens fonctionnent à plein quand je vais sur une scène de crime. Bloquer une odeur pourrait en masquer une autre, qui pourrait être importante.

— C’est à vous de voir, dit Wayne en haussant les épaules.

Quand il ouvrit la porte, Jessie regretta presque immédiatement sa décision.