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La maison d’à côté

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La maison d’à côté
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La maison d’à côté
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Czyta Nicole Forup
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« Il croit qu’il parle à son chien ou quoi ? »

Martin se rendit tout de suite compte qu’il avait parlé trop fort. Tout le monde le regarda d’un air gêné. Tammy et Ruthanne firent un pas en arrière, en cherchant à trouver une porte de sortie. Mais Martin n’eut pas l’air de s’en préoccuper outre mesure.

« Qu’est-ce que tu viens de dire ? » demanda Steven, en s’avançant vers lui sur un ton agressif.

Martin ne recula pas. Il se contenta de lever les bras en l’air, comme s’il se rendait. Il tenait une bouteille de bière dans la main gauche. Steven l’écarta d’un geste brusque de la main et la bouteille alla se briser sur le trottoir. Le bruit attira l’attention des voisins qui se trouvaient à proximité.

Quand Chloé vit Steven se ruer vers Martin, son instinct lui disait d’intervenir et de retenir son bras. Elle aurait facilement pu l’immobiliser au sol. Grâce à l’entraînement qu’elle avait suivi au FBI, elle connaissait au moins trois façons différentes de le contrôler avant que la situation n’empire. Mais elle se retint en pensant à la gêne qu’il en ressentirait. Elle décida de ne pas intervenir et assista impuissante à la suite des événements.

« Steven, » se contenta de dire Chloé. « Arrête ! »

Elle ne l’avait vu qu’une seule fois aussi agressif. C’était à un match des Eagles à Philadelphia, quand il s’était presque battu avec un homme qui hurlait des obscénités derrière eux. Le voir dans cet état l’avait un peu effrayée mais lui avait également montré qu’il pouvait être passionné sur certaines choses.

Martin bougea si rapidement que tout le monde fut pris par surprise. Il décocha une droite parfaite au visage de Steven, qui perdit l’équilibre.

Puis Martin se saisit du bras de Steven, le tira vers l’avant et prit sa tête en étau. Elle fut choquée par la force employée par Martin.

« Steven ! » hurla Chloé.

« Waw, Martin, arrête… » dit Danielle.

Les deux femmes se précipitèrent pour les séparer. Quelques hommes qui se trouvaient à proximité vinrent également les aider. En voyant la dispute dégénérer, Chloé ne pouvait plus se contenter de rester sans bouger. Elle n’avait aucune idée de ce qui avait bien pu prendre à Steven et bien qu’elle soit également énervée sur Martin, il restait un étranger. En revanche, elle croyait bien connaître Steven et franchement, elle n’avait aucune idée qu’il puisse être capable d’une telle violence et colère. Et là, il était en très mauvaise posture. Elle se demanda quel genre d’entraînement avait reçu Martin car un simple type de la rue n’était pas capable de bouger de manière aussi rapide et avec autant de sang-froid.

L’entraînement de Chloé prit le dessus et avec l’aide de deux autres hommes, elle parvint à écarter Martin de Steven.

Steven avait l’œil droit gonflé à l’endroit où il avait reçu le coup de Martin, et il avait la tête toute rouge sous l’effet de la pression qu’il avait exercée sur sa nuque. Mais le pire, c’était son air humilié.

Elle regarda ensuite Martin pour voir s’il avait été blessé. Mais il avait l’air indemne.

Gênée par ce que Steven venait de faire, Chloé regarda en direction de sa sœur. Elle avait peur que cette scène jette un froid entre elles et les sépare davantage.

Elle vit un léger sourire sur les lèvres de Danielle, et elle en fut déconcertée. Était-il possible qu’elle ait aimé les voir se battre ? Est-ce que ça lui avait plu de voir Steven se prendre une raclée devant tous leurs nouveaux voisins ?

« Danielle ? » dit-elle à voix basse.

Danielle cligna des yeux et détourna le regard de Martin. Elle regarda Chloé et le sourire disparut de ses lèvres. Elle regarda les gens autour d’elle et baissa les yeux. Son regard devint vide et ses épaules s’affaissèrent.

« Viens, Danielle, » dit Martin, en se remettant debout. « Ces imbéciles ont eu assez de spectacle pour aujourd’hui. »

Sur ces mots, Martin s’en alla et Danielle se mit à le suivre lentement. Elle se contenta de lancer un bref regard de reconnaissance vers Chloé en partant. Chloé y vit à nouveau cette petite sœur effrayée de dix ans pour laquelle elle s’était toujours autant préoccupée durant son enfance, après la mort de leur mère. C’était comme voir un fantôme surgi de son passé.

Et comme tout fantôme digne de ce nom, cela effraya profondément Chloé.

« OK, c’est fini, » dit Steven. « Le spectacle est terminé. »

Chloé réalisa alors que plus de cinquante personnes étaient occupées à les observer, même après que Danielle et Martin soient partis. Elle baissa les yeux vers le trottoir et tendit la main vers celle de Steven pour rentrer chez eux. Mais il refusa de la lui prendre et se mit à marcher rapidement devant elle.

Chloé ne releva pas les yeux. Elle suivit Steven et bien qu’elle continue à regarder le trottoir sous ses pieds, elle pouvait sentir le regard de ses voisins dans son dos. Et bien qu’elle ne veuille pas vraiment l’admettre, elle était vraiment fâchée sur Danielle à cet instant précis… pour avoir amené Martin, pour traîner avec des hommes dans son genre.

Mais c’est toi qui l’as invitée, se dit-elle. Tu voulais qu’elle vienne. Qu’est-ce que ça en dit sur toi ?

Elle repensa au sourire qu’elle vit sur les lèvres de Danielle. Ce sourire cachait une sorte de secret… un secret dont Danielle n’avait peut-être même pas conscience.

Et en ce qui concernait Chloé, c’était très certainement la chose la plus effrayante de toutes.

CHAPITRE NEUF

Chloé passa la porte d’entrée moins de vingt secondes après Steven. Durant tout le trajet de retour, elle avait senti dans son dos le regard de ses futurs voisins posés sur elle. Quand elle referma la porte derrière elle, elle vit Steven assis sur le divan, les yeux fixés au sol et serrant les poings. Il était furieux.

« Dis-moi quelque chose, Steven, » dit Chloé.

« Comment peut-on se comporter de cette manière quand on rencontre quelqu’un pour la première fois ? demanda-t-il. « Comment peut-on agir de cette manière tout court d’ailleurs ? » Puisqu’il était clair que Chloé n’avait pas l’intention de répondre à cette question, il continua. « La bonne nouvelle, c’est que ta sœur a encore trouvé un autre paria dans son genre. Ni l’un ni l’autre ne savent comment se comporter en public. C’est vraiment n’importe quoi. »

« Ça, c’est un peu injuste, » dit Chloé. « Danielle a fait un effort pour s’habiller de manière décente aujourd’hui. Et je ne sais pas si tu as remarqué, mais elle était plutôt sociable. »

« Oui, effectivement, comparé à ses manières asociales et ses pitreries habituelles, elle a été charmante. »

« Steven, je sais que tu es furieux et peut-être même que tu as des raisons de l’être. Mais Danielle n’a rien à voir avec ça. »

« Bien sûr, qu’elle a quelque chose à voir ! C’est quand même elle qui l’a amené, non ? »

« Oui, c’est vrai. Mais ce n’est pas elle qui a murmuré à son oreille. Elle ne lui a pas non plus demandé de te frapper, et il ne faut pas non plus oublier – que c’est toi qui as intentionnellement arraché la bière des mains de Martin. Désolée, mais tu ne peux pas lui en vouloir pour ça. »

« Oh mon dieu, Chloé. Ne me dis pas que tu es de son côté. »

« Je ne suis du côté de personne. Mais en revanche, ce que j’ai vraiment besoin de savoir, c’est d’où est venue cette explosion de colère que j’ai vue chez toi. Je ne t’avais jamais vu aussi furieux. Et je ne t’ai jamais vu frapper quelqu’un. C’était effrayant, Steven. »

« Je sais… mais tu vois, aussi terrible que ça en ait l’air, ça m’est égal. Ils m’avaient ridiculisé. Chloé, n’oublie pas que nous allons maintenant vivre dans ce quartier. C’est notre vie maintenant. Et ça fait moins d’une semaine qu’on est là et ta farfelue de sœur et son idiot de petit ami ont déjà réussi à tout gâcher. »

« Tu exagères un peu, là, » dit Chloé. « Et ce n’est pas ton genre. »

« Ah vraiment ? Eh bien, tant que j’y suis, je vais continuer en ajoutant encore une chose : il faut que tu te trouves une autre demoiselle d’honneur car il est hors de question que je la laisse participer de près ou de loin à notre mariage. »

Chloé posa son verre d’eau et fit de son mieux pour calmer la colère qui montait en elle. Jusqu’à présent, ils n’avaient eu que deux grosses disputes – et une troisième était occupée à se former devant ses yeux – mais à chaque fois, elle avait dû faire des efforts pour se rappeler qu’elle n’était pas en cours ni sur une enquête. Elle ne pouvait pas le cuisiner de la même manière qu’elle le faisait parfois au cours de son entraînement au FBI.

« Steven, j’ai bien peur que tu n’aies pas ton mot à dire à ce sujet. C’est ma sœur et c’est elle qui sera ma demoiselle d’honneur. Tu n’as pas droit au chapitre, ni tes parents d’ailleurs. »

« Je trouve qu’ils devraient avoir leur mot à dire, » dit-il. « Après tout, c’est quand même eux qui payent la note. »

Chloé prit une profonde inspiration, dans le but d’éviter de lui répondre avec des mots durs. Finalement, elle se contenta de prendre le verre d’eau dans sa main gauche et de lui faire un doigt de la main droite. Elle sortit vers le porche arrière et claqua la porte derrière elle, en espérant presque casser quelque chose en chemin.

Furieuse, elle s’assit dans l’un des fauteuils sous le parasol. Elle entendait au loin le bruit de la fête de quartier – le murmure des conversations et des éclats de rire.

Ils sont probablement occupés à parler de la nouvelle famille de fous qui vient de s’installer dans le voisinage, pensa-t-elle. Ils rigolent sûrement de la dispute entre Steven et Martin.

 

« Qu’ils aillent se faire foutre, » dit-elle à voix basse.

Mais au moment où elle le disait, en essayant de prétendre que ça lui était égal, il y eut quelque chose qui lui revint en tête. Elle revit le léger sourire presque sinistre qu’elle avait vu sur les lèvres de Danielle.

C’était pire que l’air distant et lointain qu’elle avait généralement vu sur le visage de sa sœur au cours de leur adolescence.

Il y avait quelque chose de sombre et de mauvais qui semblait se cacher derrière ce sourire – comme si elle avait aimé le fait que Steven et Martin se battent. Comme si elle avait aimé l’idée d’apporter le chaos au cœur d’un petit quartier tranquille de banlieue.

Chloé essaya de balayer cette image de sa tête mais n’y parvint pas. Au lieu de ça, elle l’imagina dans quelques semaines, regarder les invités depuis sa position de demoiselle d’honneur, avec ce sourire aux lèvres.

Et ce n’était pas une image agréable à voir.

Elle laissa échapper un profond soupir, en s’enfonçant dans son fauteuil. Elle allait devoir parler avec Danielle. Elle allait devoir en apprendre davantage sur sa vie au cours des dernières années, depuis la dernière fois où elles s’étaient parlé, et espérer que la sœur qu’elle connaissait n’avait pas entièrement disparu.

CHAPITRE DIX

Danielle était assise dans la voiture de Martin et regardait à travers la vitre. Elle haïssait le fait de se sentir comme un enfant en colère qui avait décidé de ne plus parler à ses parents. Elle avait envie de demander à Martin ce qui l’avait poussé à être aussi odieux chez Chloé et à la fête de quartier. Il avait toujours été un peu énervant mais jamais à ce point-là. Mais elle ne lui posait pas non plus la question car elle était sûre de connaître déjà la réponse. Il avait agi de cette manière pour la même raison qui avait fait que Danielle avait eu du mal à regarder Chloé dans les yeux – pour la même raison qui la poussait à rentrer dans sa coquille à chaque fois que Steven était dans les parages.

C’était parce qu’aujourd’hui, ils étaient entré dans un monde qui n’était pas le leur. C’était un monde qu’ils disaient haïr, un monde dont ils n’avaient pas besoin et dont ils se moquaient. Mais à vrai dire, c’était un monde dont Danielle avait toujours rêvé. Elle gagnait plutôt bien sa vie en tant que serveuse – surtout avec les pourboires après vingt-trois heures – et elle dépensait très peu d’argent. Elle savait qu’un jour, si elle continuait comme ça, elle pourrait parvenir à s’acheter sa propre maison – peut-être pas dans un quartier comme Lavender Hills, mais quelque chose de bien plus joli que son appartement actuel.

Bien que Martin ne lui ait jamais rien dit de tel, il devait sûrement ressentir la même chose. Il n’empêche qu’aujourd’hui, c’était vraiment la première fois qu’elle le voyait dans ce genre d’environnement. Et ça ne s’était pas bien passé.

« Ce Steven, c’est vraiment un connard, » dit Martin, alors qu’ils s’approchaient de l’appartement de Danielle. « Un peu prétentieux, tu ne trouves pas ? »

« Oui, je le pense aussi. » Ce n’était pas un mensonge, car Steven ne lui avait jamais vraiment plu.

« Il ne m’a pas aimé dès le début, » dit Martin. « Ça crevait les yeux. »

« C’est peut-être vrai, » dit Danielle. « Mais il fallait vraiment que tu fasses ce genre de commentaires ? »

« Hé, le seul truc que j’ai dit qui l’a énervé, je te l’avais murmuré à l’oreille. Ce n’est pas ma faute s’il l’a entendu. Qu’est-ce qu’il faisait d’ailleurs ? Il m’espionnait ou quoi ? Il n’attendait que ça ? Que je dise quelque chose de travers pour qu’il ait une excuse pour s’énerver sur moi devant tous ses snobs de voisins ? »

« Je ne sais pas, » dit Danielle. « Mais pour être tout à fait honnête avec toi, je ne pensais pas que tu étais le genre de type à recourir aux insultes et aux coups quand quelque chose ne se passait pas comme tu veux. Car finalement… c’est toi qui l’as frappé en premier. »

« Vraiment désolé de te décevoir, » dit-il.

Il frappa le volant de la paume de sa main.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda-t-elle. Elle n’avait pas peur de ses sautes d’humeur. Au contraire, elle trouvait ça plutôt amusant. Elle se rappelait très bien la manière dont il s’était fâché sur elle l’autre soir. À un tel point qu’il l’avait plaquée sur le divan et qu’elle en avait gardé un bleu sur le bras. Mais s’il s’avisait de recommencer, elle serait prête… et il le regretterait.

« Rien. C’est juste l’indicateur de la jauge de carburant. On est presque à court d’essence. »

Danielle resta silencieuse. Elle se contenta de regarder par la vitre, en se demandant comment était-il possible qu’à chaque fois que Martin se mettait en colère, ça débouchait toujours sur autre chose – même quelque chose d’aussi insignifiant que de devoir aller faire le plein.

Il s’arrêta à la prochaine station-service qu’il trouva en chemin. Au moment où il ouvrit la portière et se dirigea vers la pompe, il avait une expression figée sur le visage, comme si le monde entier lui en voulait. Danielle ne l’avait jamais vu d’humeur aussi maussade et elle se sentit d’autant plus idiote d’avoir pu penser qu’il pourrait être un type fait pour elle.

Elle repensa de nouveau à la manière dont il avait réagi l’autre soir au sujet de son téléphone. Bien sûr, il lui avait expliqué plus tard que ça avait à voir avec son boulot. Mais alors pourquoi n’avait-il rien dit sur le moment, quand elle essayait de blaguer sur le sujet ?

Elle baissa les yeux vers le tableau de bord et vit son téléphone. Elle l’avait observé plus tôt dans la journée, au moment où il avait introduit son code, et du coup elle savait comment débloquer l’écran.

Elle jeta un coup d’œil à travers la vitre et vit qu’il regardait de l’autre côté de la rue, le regard perdu dans le vide, en attendant que le réservoir soit plein.

Tant pis, je tente le coup, pensa-t-elle.

Elle prit son téléphone et introduisit rapidement le code à quatre chiffres. L’écran se débloqua et elle alla directement aux messages. Elle les fit défiler pour retrouver ceux qui dataient d’avant-hier. Elle vit des messages qu’elle lui avait écrits, mais aussi des messages de son boulot. Il y avait également des messages venant de l’un de ses amis un peu excentrique, et plus loin elle tomba sur quelques messages venant d’un numéro qu’il n’avait pas enregistré sous un nom.

Elle les ouvrit, après avoir jeté un coup d’œil en direction de Martin afin de s’assurer qu’il était toujours occupé. Elle avait quelques secondes devant elle, avant d’entendre le clic de la pompe indiquant que le réservoir était plein.

En lisant le premier message, elle sut tout de suite qu’elle avait mis le doigt sur quelque chose. Et bien qu’elle soit consciente que ça ne pouvait qu’être pire par la suite, elle continua néanmoins à lire. C’était un simple échange de messages entre Martin et une femme apparemment très nécessiteuse. C’était elle qui avait commencé la conversation.

Elle : Quand est-ce que tu reviens me voir ? Ça fait déjà 3 jours. Je ne peux plus attendre. Une femme a aussi des besoins, tu sais…

Lui : Oh, je sais. Et j’ai bien l’intention de venir les assouvir. Demain, ça va ?

Elle : C’est promis ?

Lui : Oui.

Elle : OK, alors. Je suis déjà toute mouillée rien qu’en y pensant. Tu n’imagines même pas les choses que je vais te faire…

Lui : Oh, j’en ai déjà pas mal en tête. Mais n’hésite pas à m’envoyer tes idées et suggestions.

Et c’est ce qu’elle fit. Certaines des choses qu’elle lut l’aurait fait rougir si elle n’avait pas été autant en colère. Au moins maintenant, je sais pourquoi il a toujours essayé d’éviter d’avoir des relations sexuelles avec moi, pensa-t-elle. C’est parce qu’il avait l’odeur d’une autre sur lui.

Derrière elle, elle entendit le clic de la pompe. Les mains tremblantes, elle referma les messages, appuya sur le bouton pour remettre le téléphone en veille et le replaça sur le tableau de bord. Elle eut même encore quelques instants devant elle pour prendre une profonde inspiration avant que Martin n’ouvre la portière de la voiture, une dizaine de secondes plus tard.

Elle eut envie de tout lui dire tout de suite. De lui dire qu’elle savait concernant l’autre femme et toutes ces choses très descriptives qu’elle avait envie de lui faire – ou plutôt, qu’elle lui avait déjà sûrement fait.

Mais elle resta silencieuse. Elle avait envie de savoir jusqu’où il irait. Peut-être que cette bagarre ridicule à la fête de quartier allait révéler certains aspects de sa personnalité qu’elle ne connaissait pas encore.

Elle détourna les yeux de lui pendant qu’ils sortaient du parking de la station-service. Danielle se mit à réfléchir longuement à certaines choses et un sourire apparut peu à peu sur ses lèvres, sans qu’elle ne s’en rende compte.

En revanche, si Chloé avait pu voir ce sourire, elle l’aurait reconnu tout de suite.

Mais elle n’aurait pas su ce qu’il signifiait… sa raison d’être.

Tu penses que tu as une longueur d’avance sur moi, c’est bien ça ? pensa-t-elle, en évitant toujours de le regarder. On va voir comment ça va se terminer pour toi.

Et puis son esprit se mit à vagabonder. Il erra jusqu’à atteindre un endroit où elle n’était plus allée depuis très longtemps.

Un endroit sombre.

Un endroit qu’elle pensait vraiment avoir laissé derrière elle mais qui semblait toujours prêt à l’accueillir quand elle n’avait nulle part d’autre où aller.

CHAPITRE ONZE

Malgré ses efforts, Chloé ne parvenait pas à oublier le petit sourire sinistre qu’elle avait vu sur les lèvres de Danielle. Il y avait quelque chose dans ce sourire qui la turlupinait, quelque chose qui la dérangeait. Elle y pensa pendant toute la journée du dimanche, alors qu’elle et Steven étaient tous les deux restés à la maison, en faisant de leur mieux pour s’éviter le plus possible. Elle voyait bien que Steven commençait à avoir honte de la manière dont il s’était comporté à la fête de quartier mais qu’il n’était pas encore tout à fait prêt à l’admettre.

Chloé se demandait en quoi ce sourire pouvait bien la déranger et elle commença à se rendre compte qu’il pouvait y avoir autre chose derrière tout ça – qu’il se pourrait que ce sourire ait quelque chose à voir avec le passé. C’est pourquoi Chloé ne perdit pas de temps lundi matin. Elle appela le bureau du docteur Skinner dès que possible et elle demanda un rendez-vous pour le jour même, à treize heures.

Alors que l’heure du rendez-vous approchait, Chloé commença à se demander si elle ne s’était pas menti à elle-même concernant son passé – et surtout en ce qui concernait la mort de sa mère. Elle était vraiment jeune à l’époque et les psys qu’elle avait vus dans son enfance avaient dit qu’un tel traumatisme pourrait ne jamais être totalement éclairci. Cette pensée lui pesait lourd sur le cœur au moment où elle entra dans le bureau de Skinner cet après-midi-là.

« Vous avez dit à ma réceptionniste que vous aviez eu un weekend mouvementé, » dit Skinner. « Vous voulez m’en parler ? »

Elle lui raconta ce qui s’était passé, sur un ton un peu gêné. Mais en parler avec quelqu’un d’autre que Steven lui faisait également du bien. Elle termina son récit en parlant du sourire sournois qu’elle avait vu sur les lèvres de Danielle et comment cela semblait avoir déclenché une réaction en elle.

« Vous pensez que ça lui a plu de voir Steven se retrouver en confrontation devant vos nouveaux voisins ? » suggéra Skinner.

« Je ne sais vraiment pas, » dit-elle. « Mais plus j’y ai réfléchi ces derniers jours, plus je me suis mise à penser à ce jour où ma mère est morte – cette même scène dont je vous ai parlé la semaine dernière. Je me demandais s’il n’y avait pas quelque chose à découvrir, un souvenir qui serait encore trouble. »

« Et vous espériez que je pourrais peut-être vous aider à y voir plus clair… enfin, s’il y a quoi que ce soit à éclaircir. »

« Oui, c’est ce que j’espérais. »

« Eh bien, on peut certainement renouveler l’expérience, si vous le souhaitez, » dit Skinner. « La dernière fois que nous avons essayé, vous avez eu l’air très agitée vers la fin. C’est l’une des raisons pour laquelle j’ai interrompu la séance. Vous êtes sûre de vouloir essayer à nouveau ? »

Elle faillit presque dire non. Elle avait l’impression d’attendre une sorte de tour de magie, que Skinner aille fouiller dans ses souvenirs et en sorte la réponse qu’elle cherchait. Elle avait l’impression d’être naïve et impuissante. Mais avant qu’elle n’ait eu le temps de formuler sa réponse, Skinner eut l’air d’avoir pris la décision pour elle.

 

« Rappelez-vous, » dit-il, « j’ai besoin que vous soyez parfaitement à l’aise à l’endroit où vous vous trouvez. Ce qui veut également dire, débarrasser votre esprit de tout type d’attente… de tout espoir ou doute. Est-ce que vous pouvez faire ça ? »

Elle s’enfonça dans son fauteuil, ferma les yeux et se rappela combien ce siège était confortable. Elle savait également qu’il allait lui demander de se concentrer sur sa respiration et de s’assurer que chaque partie de son corps soit détendue. Elle fit tout ça, en écoutant sa voix mais sans y accorder trop d’attention. Elle essayait de vider son esprit, de ne plus penser à la dispute au cours de la fête de quartier, ni au sourire de Danielle…

« Vous vous rappelez les chaussures ? » demanda Skinner. « Les Chuck Taylors ? »

« Oui. »

« Est-ce que vous voyez les lacets ? Les grosses boucles des lacets ? »

Elle les voyait. Et de manière très nette. Elle pouvait même y voir la crasse qui s’y trouvait accrochée.

« Vous êtes de nouveau sur le porche de l’immeuble d’appartements ? » demanda Skinner.

Elle hocha la tête. Il lui était difficile de parler. Elle était intensément concentrée sur ses lacets. Même avant que Skinner ne lui demande de le faire, elle se leva en ne quittant pas des yeux les boucles de ses lacets. « Je vais entrer, » dit-elle.

« OK. Mais cette fois-ci, je veux que vous regardiez au-delà du corps de votre mère et du sang qui l’entoure. Je sais que ça va être difficile mais je veux que vous essayez. Cette fois-ci, je veux que vous concentriez toute votre attention sur Danielle. Vous pensez pouvoir le faire ? »

Elle hocha la tête, en comprenant qu’il lui était difficile de parler car il lui avait été extrêmement rapide cette fois-ci de retourner à ce moment précis de son passé. Elle avait un peu la tête qui tournait, mais d’une façon qu’elle n’avait jamais ressentie auparavant.

Elle vit ses chaussures gravir les marches pour entrer dans l’immeuble, puis dans leur appartement. Elle entendait son père hurler à l’intérieur – il était au téléphone, elle le savait, et parlait avec quelqu’un des services d’urgences. Mais elle fit de son mieux pour l’ignorer. Comme Skinner le lui avait demandé, elle parvint même à voir au-delà de la silhouette de sa mère, allongée sur le sol. Non… juste les lacets, bien serrés et tachés de crasse.

Et enfin, il y avait Danielle.

« OK, j’y suis, » dit-elle à Skinner, d’une voix endormie. « Je vois Danielle. Elle est penchée au-dessus du corps de maman. »

« Est-ce que vous la voyez telle qu’elle était ce jour-là ? » demanda Skinner.

« Oui. »

Du sang sur ses vêtements. Le regard vide et les yeux baissés vers le corps de leur mère. Oui, c’était définitivement Danielle à dix ans.

« OK, alors maintenant je veux que vous leviez les yeux de vos lacets et que vous la regardiez. Pas besoin de trop vous concentrer. Contentez-vous de la regarder et de voir ce qui se passe. Si quelque chose vous vient en tête. »

« C’est… non, ce n’est pas ici. Pas maintenant. C’est plus tard… après que la police soit venue. On était sur le siège arrière de la voiture de notre grand-mère. »

« Est-ce que vous pouvez voir cette voiture ? » demanda Skinner. « Est-ce que vous pouvez voir votre sœur dans cette… »

La scène changea de manière instantanée. Elle ne se trouvait plus au pied des escaliers, à côté du corps sans vie de sa mère. Elle était assise sur le siège arrière de la voiture de leur grand-mère. Elle et Danielle étaient blotties l’une contre l’autre. C’était la première fois que Danielle montrait une quelconque émotion. Elle pleurait, mais pas beaucoup.

Oh mon dieu, j’avais oublié ce moment, pensa Chloé. Comment ai-je pu…

« Ce n’est pas lui, » dit Danielle. « Ce n’est pas papa qui a fait ça. Je sais que ce n’est pas lui. »

Sur le siège avant, leur grand-mère laissa échapper un petit gémissement.

Ce fut ce bruit surgi du passé qui tira Chloé de son état de réminiscence. Elle ouvrit les yeux, en respirant de manière saccadée. Elle regarda autour d’elle et ses yeux s’arrêtèrent sur le docteur Skinner.

« Est-ce que ça va ? » demanda Skinner.

« Oui. Je… Je ne sais pas comment j’ai pu oublier ce moment. »

« Est-ce que c’est la réponse que vous cherchiez ? »

Elle revit le visage de Danielle à l’arrière de la voiture de leur grand-mère. Elle y avait vu un véritable chagrin, de vraies larmes et une expression sincère de tristesse. Bien que ce ne soit pas ce à quoi elle s’attendait, il se pourrait que ce souvenir ouvre des portes qui étaient restées fermées depuis trop longtemps.

« Je ne sais pas, » répondit-elle, en toute honnêteté.

« Eh bien, tant que vous êtes là, pourquoi vous ne me racontez pas comment se passe votre stage ? » demanda Skinner.

Au début, elle le fit uniquement parce qu’il le lui avait demandé – seulement pas obligation et rien de plus. Mais après quelques minutes, elle se rendit compte que c’était une distraction plutôt bienvenue. Elle s’était tellement préoccupée au sujet de Steven et de Danielle qu’elle avait presque failli oublier son principal centre d’intérêt – son stage au FBI pour devenir un agent sur le terrain.

Elle passa la demi-heure suivante à parler de son stage et de ce qu’elle avait l’intention d’accomplir au cours de sa carrière. Et bien qu’elle soit plutôt heureuse de parler de son avenir et de se rendre compte qu’il commençait à prendre forme, elle était également pleinement consciente que c’était son passé qui lui avait permis de devenir la femme qu’elle était aujourd’hui.

***

Elle reçut un message au moment où elle se dirigeait vers sa voiture. Elle pensait qu’il s’agirait de l’agent Greene mais elle ne reconnut pas le numéro qui s’affichait à l’écran. Mais le message en lui-même était heureusement bien clair.

Salut, c’est Kathleen. Désolée de ne pas t’avoir vue samedi. J’ai entendu ce qui s’est passé. Je suis désolée. J’espère que tout va bien. Enfin… je sors boire un verre ce soir avec quelques amies du quartier. Ruthanne Carwile sera également là. On aimerait que tu viennes avec nous. On ne voudrait pas que tu croies qu’un malheureux incident pourrait te mettre à l’écart ! LOL.

Au début, Chloé se sentit un peu offensée par ce message. Mais elle savait également qu’il était très facile de mal interpréter le ton et la voix dans un message de texte. D’après ce qu’elle avait pu voir de Kathleen – et surtout son côté hyper enthousiaste – elle ne pensait pas que son ancienne copine de lycée l’invitait uniquement pour la rabaisser.

Et en plus, aller boire un verre lui ferait vraiment du bien.

Elle revit la foule qui s’était rassemblée autour de Steven et de Martin au moment où ils s’étaient battus. Elle se rappelait très bien leurs expressions – certains riaient, d’autres baissaient les yeux comme s’ils étaient trop bien pour assister à une telle scène. Et puis, bien sûr, il y avait eu Danielle, souriante et détachée.

Oui, un verre lui ferait le plus grand bien. Plusieurs verres, même.