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Mémoires du maréchal Berthier … Campagne d'Égypte, première partie

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Cette obstination et ces obstacles ne font qu'irriter l'audace et la valeur de la cavalerie; elle s'élance et charge jusque sur les fossés de la redoute qu'elle dépasse; le chef de brigade Duvivier est tué; l'adjudant-général Roze, qui dirige les mouvemens avec autant de sang-froid que de talent, le chef de brigade des guides à cheval, Bessières, l'adjudant-général Leturcq, sont à la tête des charges.

L'artillerie de la cavalerie, celle des guides, prennent position sous la mousqueterie ennemie, et, par le feu de mitraille le plus vif, concourent puissamment au succès de la bataille.

L'adjudant-général Leturcq juge qu'il faut un renfort d'infanterie, il vient rendre compte au général en chef qui lui donne un bataillon de la 75e; il rejoint la cavalerie; son cheval est tué; alors il se met à la tête de l'infanterie; il vole du centre à la gauche pour rejoindre la 18e demi-brigade, qu'il voit en marche pour attaquer les retranchemens de la droite de l'ennemi.

La 18e marche aux retranchemens: l'ennemi sort en même temps par sa droite; les têtes des colonnes se battent corps à corps. Les Turcs cherchent à arracher les baïonnettes qui leur donnent la mort; ils mettent le fusil en bandoulière, se battent au sabre et au pistolet. Enfin, la 18e arrive jusqu'aux retranchemens; mais le feu de la redoute, qui flanquait du haut en bas le retranchement où l'ennemi s'était rallié, arrête la colonne. Le général Fugières, l'adjudant-général Leturcq font des prodiges de valeur. Le premier reçoit une blessure à la tête; il continue néanmoins à combattre; un boulet lui emporte le bras gauche; il est forcé de suivre le mouvement de la 18e qui se retire sur le village dans le plus grand ordre, en faisant un feu des plus vifs. L'adjudant-général Leturcq avait fait de vains efforts pour déterminer la colonne à se jeter dans les retranchemens ennemis. Il s'y précipite lui-même; mais il s'y trouve seul; il y reçoit une mort glorieuse: le chef de brigade Morangié est tué.

Une vingtaine de braves de la 18e restent sur le terrain. Les Turcs, malgré le feu meurtrier du village, s'élancent des retranchemens pour couper la tête des morts et des blessés, et obtenir l'aigrette d'argent que leur gouvernement donne à tout militaire qui apporte la tête d'un ennemi.

Le général en chef avait fait avancer un bataillon de la 22e légère, et un autre de la 69e, sur la gauche de l'ennemi. Le général Lannes, qui était à leur tête, saisit le moment où les Turcs étaient imprudemment sortis de leurs retranchemens; il fait attaquer la redoute de vive force par sa gauche et par la gorge. La 22e et la 69e, un bataillon de la 75e, sautent dans le fossé, et sont bientôt sur le parapet et dans la redoute, en même temps que la 18e s'était élancée de nouveau au pas de charge sur la droite de l'ennemi.

Le général Murat, qui commandait l'avant-garde, qui suivait tous les mouvemens, et qui était constamment aux tirailleurs, saisit le moment où le général Latines lançait sur la redoute les bataillons de la 22e et de la 69e, pour ordonner à un escadron de charger et de traverser toutes les positions de l'ennemi, jusque sur les fossés du fort. Ce mouvement est fait avec tant d'impétuosité et d'à-propos, qu'au moment où la redoute est forcée, cet escadron se trouvait déjà pour couper à l'ennemi toute retraite dans le fort. La déroute est complète; l'ennemi en désordre et frappé de terreur trouve partout les baïonnettes et la mort. La cavalerie le sabre: il ne croit avoir de ressource que dans la mer; dix mille hommes s'y précipitent; ils y sont fusillés et mitraillés. Jamais spectacle aussi terrible ne s'est présenté. Aucun ne se sauve: les vaisseaux étaient à deux lieues dans la rade d'Aboukir. Mustapha-Pacha, commandant en chef l'armée turque, est pris avec deux cents Turcs; deux mille restent sur le champ de bataille; toutes les tentes, tous les bagages, vingt pièces de canon, dont deux anglaises qui avaient été données par la cour de Londres au Grand-Seigneur, restent au pouvoir des Français: deux canots anglais se dérobent par la fuite. Le fort d'Aboukir ne tire pas un coup de fusil; tout est frappé de terreur. Il en sort un parlementaire qui annonce que ce fort est défendu par douze cents hommes. On leur propose de se rendre, mais les uns y consentent, les autres s'y opposent. La journée se passe en pourparlers; on prend position; on enlève les blessés.

Cette glorieuse journée coûte à l'armée française cent cinquante hommes tués et sept cent cinquante blessés. Au nombre des derniers est le général Murat, qui a pris à cette victoire une part si honorable; le chef de brigade du génie Crétin, officier du premier mérite, meurt de ses blessures, ainsi que le citoyen Guibert, aide-de-camp du général en chef.

Dans la nuit, l'escadre ennemie communique avec le fort. Les troupes qui y étaient restées se réorganisent; le fort se défend: on établit des batteries de mortiers et de canons pour le réduire.

En attendant la reddition du fort, Bonaparte retourne à Alexandrie, dont il examine la situation. On ne saurait donner trop d'éloges au général Marmont sur les travaux de défense de cette place; tous les services sont parfaitement organisés; et ce général a pleinement justifié la confiance que Bonaparte lui avait témoignée lorsqu'il lui donna un commandement aussi important.

Le 8 thermidor, le général en chef fait sommer le château d'Aboukir de se rendre. Le fils du pacha, son kiaya et les officiers veulent capituler; mais les soldats s'y refusent.

Le 9, on continue le bombardement.

Le 10, plusieurs batteries sont établies sur la droite et la gauche de l'isthme; quelques chaloupes canonnières sont coulées bas; une frégate est démâtée et forcée de prendre le large.

Le même jour, l'ennemi, qui commençait à manquer de vivres, s'introduit dans quelques maisons du village qui touche le fort; le général Lannes y accourt, il est blessé à la jambe; le général Menou le remplace dans le commandement du siége.

Le 12, le général Davoust était de tranchée; il s'empare de toutes les maisons où était logé l'ennemi, et le jette ensuite dans le fort, après lui avoir tué beaucoup de monde. La 22e demi-brigade d'infanterie légère, et le chef de brigade Magny, qui a été légèrement blessé, se sont parfaitement conduits; le succès de cette journée, qui a accéléré la reddition du fort, est dû aux bonnes dispositions du général Davoust.

Le 15, le général Robin était de tranchée; les batteries étaient établies sur la contrescarpe, et les mortiers faisaient un feu très vif; le château n'était plus qu'un monceau de pierres. L'ennemi n'avait point de communication avec l'escadre; il mourait de faim et de soif; il prend le parti non de capituler, ces hommes-là ne capitulent pas, mais de jeter ses armes, et de venir en foule embrasser les genoux du vainqueur. Le fils du pacha, le kiaya, et deux mille hommes, ont été faits prisonniers. On a trouvé dans le château trois cents blessés et dix-huit cents cadavres; il y a des bombes qui ont tué jusqu'à six hommes. Dans les vingt-quatre heures de la sortie de la garnison turque, il est mort plus de quatre cents prisonniers, pour avoir bu et mangé avec trop d'avidité.

Ainsi cette affaire d'Aboukir coûte à la Porte dix-huit mille hommes et une grande quantité de canons.

Les officiers du génie Bertrand et Liédot, le commandant d'artillerie Faultrier, se sont comportés avec la plus grande distinction. L'ordre et la tranquillité n'ont pas cessé de régner parmi les habitans de l'Égypte pendant les quinze jours qu'a duré cette expédition.

DISPOSITIONS DE BONAPARTE AVANT DE QUITTER L'ÉGYPTE, – MOTIFS QUI LE DÉTERMINENT, etc

L'armée ennemie avait succombé, le visir était encore au-delà du Taurus; l'Égypte n'avait de long-temps rien à craindre d'une invasion. La solde était arriérée, la caisse manquait de fonds; mais le miry n'avait pas été perçu; les blés, les riz, toutes les contributions en nature étaient intactes; les dépenses de premier établissement étaient faites; la situation financière de la colonie ne pouvait que s'améliorer: les mesures qui avaient suivi le retour de Syrie garantissaient ce résultat. Le nombre des provinces avait été réduit; ce luxe d'employés que traînent après elles les armées françaises n'existait plus, les services avaient été organisés sur de nouvelles bases, les impôts mieux assis; le mécanisme du gouvernement était désormais en plein jeu, il ne s'agissait que de le laisser aller. Mais en quel état se trouvait la France? Avait-elle battu, humilié les rois? ou vaincue à son tour avait-elle essuyé toutes les calamités de la défaite? Les journaux de Francfort l'annonçaient: mais ces feuilles, transmises par Kléber avant l'action, avaient été répandues à Damiette par Sidney. La source n'en était pas assez pure pour adopter de confiance ce qu'elles contenaient. D'un autre côté, la nouvelle était trop grave pour la négliger; car à quoi bon triompher sur le Nil si le Rhin était forcé? à quoi bon fermer le désert si les Alpes étaient ouvertes? C'était la France et non l'Égypte, Paris et non le Caire, qui formait le nœud de la question. Aussi Bonaparte ne négligea-t-il rien pour s'assurer du véritable état des choses: les intérêts de la politique se trouvaient ici d'accord avec ceux de l'humanité. Nous avions quelques centaines de prisonniers dans les mains: ils étaient hors d'état de nuire, nous ne pouvions, au milieu des décombres où ils gisaient encore, leur donner les soins qu'ils réclamaient. Le général en chef résolut de les renvoyer sur leur flotte. Il fit prévenir l'amiral turc de son dessein: Petrona-Bey accepta; les communications s'établirent, et nous sûmes bientôt tout ce que nous avions intérêt à savoir. Smith, de son côté, ne voulut pas rester en arrière des Osmanlis. La Vendée avait repris les armes, l'Italie était perdue, la Cisalpine n'existait plus; tout ce qu'avait fait, tout ce qu'avait créé Bonaparte était détruit. L'amour-propre pouvait égarer son courage, et lui faire abandonner l'Égypte pour demander compte aux Russes des succès qu'ils avaient obtenus. La tentative valait du moins la peine d'être faite; Sidney ne se l'épargna pas. Il mit à terre quelques uns de nos soldats qu'il avait arrachés au damas des Turcs, et les fit suivre d'une correspondance adressée au général en chef que ses avisos avaient interceptée. Ces égards étaient étranges après les expressions dont ses tentatives d'embauchage avaient été flétries; mais l'un était impatient d'apprendre ce qu'il tardait à l'autre de divulguer. Les communications se rouvrirent, et le secrétaire de Sidney ne tarda pas d'être à la côte avec un paquet de journaux. Fin, délié, alerte à semer un propos, il se flattait de répandre de fausses espérances dans nos rangs, et d'y puiser les notions qui manquaient à son chef. Mais il s'attaquait à trop forte partie; il fut pénétré, accablé de questions, obsédé de déférences et ne put communiquer avec personne. Il ne se déconcerta pas néanmoins, et essaya de surprendre au chef les renseignemens qu'il ne pouvait avoir d'ailleurs. Il se mit à discourir sur l'Égypte; parla de ses préjugés, de ses institutions, et conclut que les Français devaient prodigieusement s'ennuyer au milieu d'un peuple aussi sauvage. Le général ne lui répondit rien d'abord; et reprenant la parole au bout de quelques instans: «Vous devez, lui dit-il, vous ennuyer singulièrement en mer. Il est vrai que vous avez la ressource de la pêche: pêchez-vous beaucoup?» Ainsi déçu dans toutes ses tentatives, le secrétaire n'insista pas. Il se réduisit au seul rôle qui lui restait à jouer, et aborda les ouvertures qu'il était chargé de faire au général. Il lui peignit les dangers que courait la France, le peu d'importance qu'avait dans la balance générale une colonie lointaine, et lui proposa de l'évacuer pour aller redemander l'Italie aux Russes. Bonaparte feignit d'être ébranlé, et ajourna la négociation au retour d'un voyage qu'il était obligé de faire dans la Haute-Égypte. Il fit aussitôt répandre le bruit de cette excursion, et donna des ordres pour qu'une commission de l'Institut le précédât au-dessus de Benesouef. L'envoyé de Smith fut dupe de ces démonstrations. Il ne douta pas que quelque affaire importante n'appelât le général dans les provinces que Desaix avait conquises, et rejoignit son chef avec la conviction que le croissant ne tarderait pas à reprendre possession du Nil.

 

Des pensées bien différentes agitaient Bonaparte; il avait fait interroger les soldats que le commodore avait débarqués: il savait que la croisière manquait d'eau et ne pouvait tarder à s'aller rafraîchir. Une autre circonstance favorisait encore ses vues. Le Thésée avait quelques bombes à bord depuis le siége de Saint-Jean-d'Acre; elles venaient de faire explosion; l'équipage avait été cruellement traité, et le bâtiment obligé de chercher un port pour réparer ses avaries. La mer allait devenir libre; il ne s'agissait que de saisir l'instant où Smith serait éloigné.

La résolution du général était arrêtée. Sept mois auparavant, il avait annoncé le dessein de repasser en France si la guerre éclatait contre les rois: elle avait éclaté, elle était malheureuse, il ne pouvait hésiter. Il reporta Kléber à Damiette, fit rétrograder Reynier sur Belbéïs, et ordonna au génie de presser les travaux qui devaient fermer le désert. C'était la partie de la frontière la plus faible; il voulut qu'elle fût promptement en état. Il chargea le général Samson de tenir la main à l'exécution des ouvrages qu'il avait arrêtés; il mit à sa disposition les prisonniers que nous avions faits à Aboukir, lui recommanda de hâter les travaux qui devaient protéger El-A'rych, Salêhiëh, et de tout sacrifier pour couvrir ces deux points. Il prit aussi des mesures pour garantir la côte. Il fit reconstruire le fort que nos obus avaient détruit, ajouta quelques redoutes à celles qui défendaient Alexandrie, accrut les batteries du Bogaz, augmenta les difficultés que présentaient les passes et ne négligea rien de ce qui pouvait diminuer les chances d'une agression. Les Turcs ne croyaient à la victoire que lorsqu'ils le voyaient; sa présence était devenue indispensable au Caire; il partit, calma les cheiks, expédia les savans, donna de la vie, du mouvement à toutes les branches de l'administration. Il arrêta aussi tout ce qui intéressait la Haute-Égypte. Il prescrivit les mouvemens qu'il y avait à faire, les points qu'il fallait occuper, si le visir cherchait à déboucher par le désert ou que quelque expédition se présentât sur la côte. Il recommanda à Desaix de disposer les choses de manière que dans ce cas, qui du reste était peu probable, il pût ne laisser qu'une centaine d'hommes à Cosséir, déposer ses embarras à Kéné, et se porter rapidement sur le Caire avec toutes les troupes qu'il commandait. Il joignit à ces dispositions, le tableau du triste état où étaient nos affaires en Europe. La guerre avait été déclarée le 13 mars. Diverses actions malheureuses avaient eu lieu, Jourdan avait été battu à Feldkirck, Schérer à Rivoli: l'un avait été obligé de repasser le Rhin, l'autre avait été rejeté derrière l'Oglio. Mantoue était bloqué, et cependant les Russes n'étaient pas encore en ligne; c'était les Autrichiens seuls qui avaient obtenu ces résultats. L'armée navale n'avait pas été plus heureuse; elle n'avait pas essuyé de défaite, il est vrai; mais elle était sortie de Brest forte de vingt-deux vaisseaux que soutenaient dix-huit frégates, elle était arrivée au détroit, et était paisiblement rentrée à Toulon sans oser attaquer les Anglais, qui n'avaient pourtant que dix-huit bâtimens à lui opposer. L'escadre espagnole était également passée de Cadix à Carthagène, où elle avait rallié vingt-sept vaisseaux de guerre, dont quatre à trois ponts; mais les flottes anglaises n'avaient pas tardé à les suivre et à mettre le blocus devant les ports qui les renfermaient. Malte était ravitaillée; Corfou avait été pris par famine, la garnison reconduite en France, où la loi sur les otages, l'emprunt forcé, et les violences des Conseils avaient de nouveau soulevé toutes les passions.

Nous n'avions désormais rien à attendre de la métropole: les fers, les médicamens, les petites armes que nous en espérions ne pouvaient plus arriver. Il nous était cependant impossible de les tirer d'ailleurs; l'Afrique n'en confectionne pas; l'Italie nous était fermée: il fallait être sur le continent pour vaincre les lenteurs, aplanir les obstacles, et expédier les convois. La communication des journaux que le général avait transmis à Kléber, le disait assez.

Bonaparte avait pourvu à tout ce qui pouvait assurer ou compromettre la tranquillité de la colonie. Il avait arrêté la démarcation des provinces, fixé les attributions des commandans, déterminé les communications, les rapports qu'ils devaient avoir entre eux; des marchés étaient passés pour renouveler l'habillement des troupes; Poussielgue avait ordre de presser la rentrée du miry, d'innover peu, de cultiver les cheiks; et Dugua, tout en commandant avec douceur, d'être sans pitié pour la révolte. Restait la dangereuse influence des firmans. Le visir était encore au-delà du Taurus, ramassant quelques milliers de malheureux qui n'avaient aucune habitude de la guerre; mais son nom suffisait pour soulever les tribus, agiter les fellâhs; Bonaparte résolut de hasarder une nouvelle ouverture, persuadé que si elle ne le désarmait pas, elle pourrait du moins rendre les hostilités moins actives. Il manda, subjugua l'Effendi qui avait été pris à Aboukir, l'éblouit par l'appareil de forces qu'il fit étaler à ses yeux, et l'expédia avec la dépêche qui suit:

«Au Caire, le 30 thermidor an VII (18 août 1799).
«Au Grand-Visir,

«Grand parmi les grands éclairés et sages, seul dépositaire de la confiance du plus grand des sultans,

«J'ai l'honneur d'écrire à Votre Excellence par l'Effendi qui a été pris à Aboukir, et que je lui renvoie pour lui faire connaître la véritable situation de l'Égypte, et entamer entre la Sublime Porte et la République française des négociations qui puissent mettre fin à la guerre qui se trouve exister pour le malheur de l'un et de l'autre état.

«Par quelle fatalité la Porte et la France, amies de tous les temps, et dès-lors par habitude, amies par l'éloignement de leurs frontières; la France ennemie de la Russie et de l'Empereur, la Porte ennemie de la Russie et de l'Empereur, sont-elles cependant en guerre?

«Comment Votre Excellence ne sentirait-elle pas qu'il n'y a pas un Français de tué qui ne soit un appui de moins pour la Porte?

«Comment Votre Excellence, si éclairée dans la connaissance de la politique et des intérêts des divers états, pourrait-elle ignorer que la Russie et l'empereur d'Allemagne se sont plusieurs fois entendus pour le partage de la Turquie, et que ce n'a été que l'intervention de la France qui l'a empêché?

«Votre Excellence n'ignore pas que le vrai ennemi de l'Islamisme est la Russie. L'empereur Paul 1er s'est fait grand-maître de Malte, c'est-à-dire a fait vœu de faire la guerre aux musulmans: n'est-ce pas lui qui est chef de la religion grecque, c'est-à-dire des plus nombreux ennemis qu'ait l'Islamisme?

«La France, au contraire, a détruit les chevaliers de Malte, rompu les chaînes des Turcs qui y étaient détenus en esclavage, et croit, comme l'ordonne l'Islamisme, qu'il n'y qu'un seul Dieu.

«Ainsi donc, la Porte a déclaré la guerre à ses véritables amis, et s'est alliée à ses véritables ennemis.

«Ainsi donc la Sublime Porte a été l'amie de la France, tant que cette puissance a été chrétienne; lui a fait la guerre, dès l'instant que la France, par sa religion, s'est rapprochée de la croyance musulmane. Mais, dit-on, la France a envahi l'Égypte; comme si je n'avais pas toujours déclaré que l'intention de la République française était de détruire les mameloucks, et non de faire la guerre à la Sublime Porte; était de nuire aux Anglais, et non à son grand et fidèle ami l'empereur Sélim.

«La conduite que j'ai tenue envers tous les gens de la Porte qui étaient en Égypte, envers les bâtimens du Grand-Seigneur, envers les bâtimens de commerce portant pavillon ottoman, n'est-elle pas un sûr garant des intentions pacifiques de la République française?

«La Sublime Porte a déclaré la guerre dans le mois de janvier à la République française avec une précipitation inouïe; sans attendre l'arrivée de l'ambassadeur Descorches, qui déjà était parti de Paris pour se rendre à Constantinople; sans me demander aucune explication, ni répondre à aucune des avances que j'ai faites.

«J'ai cependant espéré, quoique sa déclaration de guerre me fût parfaitement connue, pouvoir la faire revenir, et j'ai à cet effet, envoyé le citoyen Beauchamp, consul de la République, sur la caravelle. Pour toute réponse on l'a emprisonné; pour toute réponse on a créé des armées, on les a réunies à Gazah, et on leur a ordonné d'envahir l'Égypte: je me suis trouvé alors obligé de passer le désert, préférant faire la guerre en Syrie à ce qu'on la fît en Égypte.

«Mon armée est forte, parfaitement disciplinée et approvisionnée de tout ce qui peut la rendre victorieuse des armées, fussent-elles aussi nombreuses que les sables de la mer; des citadelles et des places fortes hérissées de canon se sont élevées sur les côtes et sur les frontières du désert. Je ne crains donc rien, et je suis ici invincible; mais je dois à l'humanité, à la vraie politique, au plus ancien comme au plus vrai des alliés, la démarche que je fais.

«Ce que la Sublime Porte n'obtiendra jamais par la force des armes, elle peut l'obtenir par les négociations: je battrai toutes les armées lorsqu'elles projetteront l'envahissement de l'Égypte; mais je répondrai d'une manière conciliante à toutes les ouvertures de négociations qui me seront faites. La République française, dès l'instant que la Sublime Porte ne fera plus cause commune avec nos ennemis, la Russie et l'Empereur, fera tout ce qui sera en elle pour rétablir la bonne intelligence, et lever tout ce qui pourra être un sujet de désunion entre les deux états.

«Cessez donc des armemens dispendieux et inutiles: vos ennemis ne sont pas en Égypte; ils sont sur le Bosphore, ils sont à Corfou, ils sont aujourd'hui, par votre extrême imprudence, au milieu de l'Archipel.

«Radoubez et désarmez vos vaisseaux; réformez vos équipages, tenez-vous prêts à déployer bientôt l'étendard du Prophète, non contre la France, mais contre les Russes et les Allemands, qui rient de la guerre que nous nous faisons, et qui, lorsque vous aurez été affaiblis, lèveront la tête, et déclareront bien haut les prétentions qu'ils ont déjà.

«Vous voulez l'Égypte, dit-on; mais l'intention de la France n'a jamais été de vous l'ôter.

 

«Chargez votre ministre à Paris de vos pleins pouvoirs, ou envoyez quelqu'un chargé de vos intentions et de vos pleins pouvoirs en Égypte. On pourra, en deux heures d'entretien, tout arranger, c'est là le seul moyen de rasseoir l'empire musulman, en lui donnant la force contre ses véritables ennemis, et de déjouer leurs projets perfides, ce qui malheureusement leur a déjà si fort réussi.

«Dites un mot, nous fermons la mer Noire à la Russie, et nous cesserons d'être le jouet de cette puissance ennemie que nous avons tant de sujet de haïr; et je ferai tout ce qui pourra vous convenir.

«Ce n'est pas contre les musulmans que les armées françaises aiment à déployer et leur tactique et leur courage; c'est au contraire, réunies à des musulmans, qu'elles doivent un jour, comme cela a été de tout temps, chasser leurs ennemis communs.

«Je crois en avoir assez dit par cette lettre à Votre Excellence; elle peut faire venir auprès d'elle le citoyen Beauchamp, que l'on m'assure être détenu dans la mer Noire: elle peut prendre tout autre moyen pour me faire connaître ses intentions.

«Quant à moi, je tiendrai pour le plus beau jour de ma vie, celui où je pourrai contribuer à faire terminer une guerre à la fois impolitique et sans objet.

«Je prie Votre Excellence de croire à l'estime et à la considération distinguée que j'ai pour elle.

«Bonaparte.»

Ces dispositions prises, le général se mit en en route; mais il n'était pas hors du Caire que le bruit de son départ circulait déjà. Vial demandait à le suivre; Dugua voulait qu'il démentît une nouvelle qui pouvait avoir des résultats fâcheux; mais lui-même signalait un danger bien plus grave: quatre-vingts voiles avaient paru devant Damiette; Kléber se croyait menacé d'une invasion, et demandait des secours. Bonaparte fut un instant sur le point d'accourir; mais récapitulant bientôt les données qu'il avait sur l'état des forces ennemies qui croisaient sur la côte, il se convainquit que l'alarme n'était pas fondée, et que l'escadre qui l'avait répandue, était celle qui avait mouillé devant Aboukir, ou quelque arrière-garde de l'expédition que nous avions battue. Au reste, nous étions en mesure, de quelque côté que l'attaque se présentât. La division Reynier, soutenue par une artillerie nombreuse, devait, avec mille ou douze cents chevaux, s'avancer à la rencontre des troupes qui tenteraient de déboucher par la Syrie. En quelques marches les colonnes du Bahirëh pouvaient être rendues à Damiette. Le 15e de dragons se groupait sur Rahmanié; les colonnes du général Bon étaient en réserve, celles du général Lannes prêtes à se mettre en mouvement; nous pouvions faire face sur tous les points. Aussi, loin de partager ces alarmes, Bonaparte manda-t-il à Kléber de venir le joindre à Rosette, ou, s'il voyait quelque inconvénient à s'éloigner, de lui envoyer un de ses aides-de-camp; qu'il avait des choses importantes à lui confier.

Sa dépêche n'était pas en route depuis deux heures qu'on annonça un courrier d'Alexandrie. C'était le contre-amiral Gantheaume qui donnait avis que Sidney avait cédé au besoin de faire de l'eau autant qu'au bruit du voyage, que Turcs et Anglais avaient disparu, qu'aucun bâtiment ne se montrait au large. Bonaparte fait aussitôt ses dispositions; il rassemble ses guides qui stationnaient à Menouf depuis la bataille d'Aboukir, et gagne rapidement Alexandrie. Le temps avait fraîchi, une corvette était venu reconnaître nos frégates, Kléber ne devait arriver que sous deux jours; il courut au-devant de Menou, qu'il avait aussi mandé. Il rencontra ce général entre le Pharillon et l'anse de Canope, mit pied à terre et lui exposa longuement les vues, les motifs qui le déterminaient à braver les croisières anglaises. Les Conseils avaient tout compromis, tout perdu; la guerre civile joignait ses dévastations aux calamités de la guerre étrangère: nous étions divisés, vaincus, près de subir le joug. Il accourait, se confiait à la mer; mais malheur à la loquacité qui avait envahi la tribune, s'il parvenait à gagner nos côtes: le règne du bavardage était à jamais passé. Sa présence, d'ailleurs, n'était plus indispensable. La coalition triomphait; la France était battue, hors d'état d'envoyer des secours. Il ne s'agissait donc que de se maintenir, de conserver l'Égypte: or, Kléber était plus que suffisant pour atteindre ce résultat. Il avait confiance en sa sagacité; les troupes aimaient ses formes, son élan; elles l'accepteraient volontiers pour chef, et puis il leur avait adressé une proclamation où il leur recommandait de porter sur son successeur l'affection, le dévoûment qu'elles n'avaient cessé de lui témoigner. Quant aux cheiks, Kléber leur avait montré peu d'égards, la chose était moins facile; mais ils étaient encore étourdis de la victoire d'Aboukir, on pouvait tout se permettre avec eux. Il leur présentait son départ comme une absence momentanée, et leur demandait pour le général qui le remplaçait aujourd'hui toute la confiance, toute l'affection qu'ils avaient eue pour celui qui l'avait représenté pendant qu'il combattait au-delà du désert. «Ayant été instruit, manda-t-il au divan, que mon escadre était prête, et qu'une armée formidable était embarquée dessus, convaincu, comme je vous l'ai dit plusieurs fois, que tant que je ne frapperai pas un coup qui écrase à la fois tous mes ennemis, je ne pourrai jouir tranquillement et paisiblement de la possession de l'Égypte, la plus belle partie du monde, j'ai pris le parti d'aller me mettre moi-même à la tête de mon escadre, en laissant, pendant mon absence, le commandement au général Kléber, homme d'un mérite distingué, et auquel j'ai recommandé d'avoir pour les ulémas et les cheiks, la même amitié que moi. Faites tout ce qui vous sera possible pour que le peuple de l'Égypte ait en lui la même confiance qu'en moi, et qu'à mon retour, qui sera dans deux ou trois mois, je sois content du peuple de l'Égypte, et que je n'aie que des louanges et des récompenses à donner aux cheiks.»

La supposition était forte: néanmoins elle ne dépassait pas ce qu'on pouvait attendre d'une imagination musulmane. Elle n'était d'ailleurs destinée qu'à amortir des espérances que pouvait éveiller la nouvelle du départ: il suffisait qu'elle contînt les Turcs, jusqu'à ce que les troupes fussent revenues de leur surprise et que Kléber eût pris le commandement. Bonaparte voulut aussi prévenir les bruits que l'étonnement, la malveillance pouvait propager dans l'armée. Il chargea le général Menou de faire passer chaque jour au Caire un bulletin de sa navigation, et de ne cesser que lorsqu'il n'aurait plus connaissance des frégates. Il lui donna ensuite le commandement d'Alexandrie, de Rosette et du Bahirëh, et adressa au général Kléber les instructions qui suivent.

«Vous trouverez ci-joint, général, un ordre pour prendre le commandement en chef de l'armée. La crainte que la croisière anglaise ne reparaisse d'un moment à l'autre, me fait précipiter mon voyage de deux ou trois jours. J'emmène avec moi les généraux Berthier, Andréossy, Murat, Lannes et Marmont, et les citoyens Monge et Berthollet.

«Vous trouverez ci-joint les papiers anglais et de Francfort jusqu'au 10 juin. Vous y verrez que nous avons perdu l'Italie; que Mantoue, Turin et Tortone sont bloquées. J'ai lieu d'espérer que la première tiendra jusqu'à la fin de novembre. J'ai l'espérance, si la fortune me sourit, d'arriver en Europe avant le commencement d'octobre.