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Mémoires du maréchal Berthier … Campagne d'Égypte, première partie

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L'artillerie de campagne remplaçait aux batteries l'artillerie de siége qui venait de partir. On était parvenu à détruire par des mines et à la sape un aqueduc de plusieurs lieues qui conduisait l'eau à la ville; on réduit en cendres les magasins et les moissons qui sont aux environs d'Acre; on jette à la mer tous les objets inutiles; on se prépare à lever le siége.

La proclamation suivante du général en chef explique suffisamment les motifs de cette conduite.

PROCLAMATION
«Au quartier-général devant Acre, le 28 floréal an VII,
«Bonaparte, général en chef

«Soldats,

«Vous avez traversé le désert qui sépare l'Asie de l'Afrique, avec plus de rapidité qu'une armée arabe.

«L'armée qui était en marche pour envahir l'Égypte est détruite; vous avez pris son général, son équipage de campagne, ses bagages, ses outres, ses chameaux.

«Vous vous êtes emparés de toutes les places fortes qui défendent les puits du désert.

«Vous avez dispersé aux champs du mont Thabor cette nuée d'hommes accourus de toutes les parties de l'Asie dans l'espoir de piller l'Égypte.

«Les trente vaisseaux que vous avez vus arriver devant Acre, il y a douze jours, portaient l'armée qui devait assiéger Alexandrie; mais, obligée d'accourir à Acre, elle y a fini ses destins; une partie de ses drapeaux orneront votre entrée en Égypte.

«Enfin, après avoir, avec une poignée d'hommes, nourri la guerre pendant trois mois dans le cœur de la Syrie, pris quarante pièces de campagne, cinquante drapeaux, fait six mille prisonniers, rasé les fortifications de Ghazah, Jaffa, Caïffa, Acre, nous allons rentrer en Égypte; la saison des débarquemens m'y rappelle.

«Encore quelques jours, et vous aviez l'espérance de prendre le pacha même au milieu de son palais; mais dans cette saison la prise du château d'Acre ne vaut pas la perte de quelques jours; les braves que je devrais d'ailleurs y perdre sont aujourd'hui nécessaires pour des opérations plus essentielles.

«Soldats, nous avons une carrière de fatigues et de dangers à courir. Après avoir mis l'Orient hors d'état de rien faire contre nous cette campagne, il nous faudra peut-être repousser les efforts d'une partie de l'Occident.

«Vous y trouverez une nouvelle occasion de gloire; et si, au milieu de tant de combats, chaque jour est marqué par la mort d'un brave, il faut que de nouveaux braves se forment, et prennent rang à leur tour parmi ce petit nombre qui donne l'élan dans les dangers et maîtrise la victoire.»

Le 1er prairial, à neuf heures du soir, on bat la générale, et le siége est levé après soixante jours de tranchée ouverte.

La division du général Lannes se met en marche pour Tentoura; elle est suivie par les équipages de l'armée et le parc de la division Bon.

La division Kléber et la cavalerie prennent position; l'infanterie en arrière du dépôt de la tranchée, et la cavalerie devant le pont de la rivière d'Acre, à quinze cents toises de la place.

En même temps la division Regnier qui était de tranchée se replie dans le plus grand silence; les pièces de campagne sont portées à bras, et suivent la route de l'armée; les postes se replient sur la place d'armes. La division Regnier, placée à la queue de la tranchée, va dans son camp reprendre ses sacs et suit la marche de l'armée. Lorsqu'elle a passé le pont, la division Kléber fait son mouvement; elle est suivie de la cavalerie qui a ordre de ne quitter la rivière que deux heures après le départ des dernières troupes d'infanterie. Elle y laisse cent dragons pied à terre, pour protéger les ouvriers qui détruisent les deux ponts.

Le général Junot s'était porté, avec son corps, au moulin de Kerdanné, pour couvrir le flanc gauche de l'armée.

On aurait levé le siége de jour, si l'armée n'avait pas eu trois lieues à parcourir sur la plage; circonstance qui donnait à l'ennemi la facilité de suivre ce mouvement avec ses chaloupes canonnières, et d'établir une canonnade qu'il était prudent d'éviter. Les assiégés continuent leur feu tout le reste de la nuit, et ne s'aperçoivent qu'au jour de la levée du siége; ils avaient été si maltraités qu'ils ne purent faire aucun mouvement. L'armée exécute sa marche dans le plus grand ordre. Le 22, elle arrive à Tentoura, port où l'on avait débarqué les objets envoyés de Damiette et de Jaffa, et sur lequel avait été évacuée l'artillerie de siége avec quarante pièces de campagne turques, prises à Jaffa, et dont une partie avait été conduite devant Acre.

On n'avait pas assez de chevaux pour traîner cette immense artillerie turque. Bonaparte avait décidé que tous les moyens de transport seraient de préférence employés à l'évacuation des malades et des blessés. En conséquence, il ne fait suivre que deux obusiers et quelques petites pièces turques, et il en fait jeter vingt-deux à la mer; les caissons et les affûts sont brûlés sur le port de Tentoura.

Tous les malades et blessés sont évacués sur Jaffa; généraux, officiers, administrateurs, chacun donne ses chevaux; il ne reste pas un seul Français en arrière. Les hommes attaqués de la peste sont également évacués.

L'armée couche le 3 sur les ruines de Césarée; le 4, des Naplouzains se montrent au port d'Abouhaboura; quelques uns sont pris et fusillés; les autres s'éloignent. Leur but est de s'emparer des haillons qu'une armée abandonne dans sa marche.

L'armée campe le 5 à quatre lieues de Jaffa, sur une petite rivière, ou plutôt un médiocre ruisseau. Des partis se répandent dans les villages dont les habitans, pendant le siége, ont attaqué, pillé les convois et égorgé les escortes. Les habitations sont réduites en cendres, les troupeaux enlevés et les grains incendiés. Cette vengeance était commandée par la justice après tant d'assassinats: elle était autorisée par les lois rigoureuses de la guerre, puisqu'elle ôtait à l'ennemi tout moyen d'approvisionnement.

L'armée arrive le 5 à Jaffa; un pont de bateaux avait été jeté sur la rivière de Lahoya, que l'on passe difficilement à gué à son embouchure. On séjourne le 6, le 7 et le 8 à Jaffa. Ce temps est employé à punir les villages des environs qui se sont mal conduits. On fait sauter les fortifications de Jaffa, on jette à la mer toute l'artillerie en fer de la place. Les blessés sont évacués tant par mer que par terre. Il n'y avait qu'un petit nombre de bâtimens, et, pour donner le temps d'achever l'évacuation par terre, l'on est obligé de différer jusqu'au 9 le départ de l'armée.

Le 1er et le 2e bataillon de la 69e, et la 22e légère, partent successivement pour escorter les convois.

L'armée se met le 9 en marche. La division Regnier forme la colonne de gauche, et s'avance par Ramlé. Le quartier-général, la division Bon et la division Lannes suivent la route du centre. Le pays qu'on allait parcourir jusqu'à Ghazah avait commis toutes sortes d'excès. L'ordre est donné à la colonne du général Regnier et à celle du centre, de brûler les villages et toutes les moissons. La cavalerie prend la droite et s'avance, le long de la mer, dans les dunes, pour ramasser les troupeaux qui s'y sont réfugiés. La division Kléber forme l'arrière-garde, et ne quitte Jaffa que le 10.

L'armée marche dans cet ordre jusqu'à Kan-Jounes. La plaine est toute en feu; mais le souvenir du pillage des convois et des horreurs exercées contre les Français, ne justifiaient que trop ces représailles.

L'armée campe le 10 à Él-Majdal et arrive le 11 à Ghazah. Cette ville s'était bien conduite; les personnes et les propriétés y sont respectées. On fait sauter le fort, et l'armée part le lendemain pour Kan-Jounes où elle arrive le même jour. Le 13, elle entre dans le désert, suivie d'une quantité considérable de bestiaux enlevés à l'ennemi et destinés à l'approvisionnement de El-A'rych. Le désert entre cette place et Kan-Jounes a onze lieues d'étendue. Il est habité par quelques Arabes, du brigandage desquels Bonaparte avait à se plaindre. On brûle leur camp, on enlève leurs bestiaux, leurs chameaux, et on incendie le peu de récoltes qui se trouvent dans certaines parties du désert.

L'armée séjourne le 14 à El-A'rych. Cette place devenait de la plus grande importance. Bonaparte y ordonne de nouveaux travaux et de nouvelles fortifications, la fait approvisionner de vivres et de munitions, et y laisse garnison.

L'armée continue sa marche sur Cathiëh, où elle arrive le 16, après avoir horriblement souffert de la soif. Les divisions marchaient successivement; mais les puits étaient beaucoup moins abondans, et l'eau plus saumâtre qu'au premier passage de l'armée.

Les magasins de Cathiëh étaient parfaitement approvisionnés; l'armée séjourne dans cette place. Bonaparte va reconnaître Tinëh, Peluse et la bouche d'Omm-Faredje. Il ordonne la construction d'un fort à Tinëh, pour se rendre maître de la bouche d'Omm-Faredje. Il laisse à Cathiëh une garnison considérable; il réunit au commandement de cette place celui de El-A'rych, et le confie à un général de brigade.

Le 18, l'armée continue sa marche. Le quartier-général part le 19 pour Salêhiëh. La division Kléber se rend à Tinëh, où elle s'embarque pour Damiette. Les autres divisions de l'armée prennent la route du Caire, où elles arrivent le 26 prairial.

Les grands du Caire, le peuple et la garnison viennent au-devant de l'armée, qui se déploie dans l'ordre de parade. On est étonné de voir cette armée sortant du désert, et après quatre mois d'une campagne pénible et sanglante, se présenter dans le meilleur ordre et avoir la plus belle tenue.

À ce spectacle, succède bientôt un tableau vraiment attendrissant; c'est celui d'amis, de camarades, qui se livrent avec enthousiasme au plaisir de se revoir et de s'embrasser. La ville du Caire devient, pour les Français, une seconde patrie; ils y sont reçus par les habitans comme des compatriotes.

 

Mille rapports extravagans et semés par la malveillance, avaient précédé le retour de l'armée au Caire; on la disait réduite à quelques hommes blessés et mourans. Voici l'exacte vérité.

Le corps d'armée de l'expédition de Syrie a perdu, dans quatre mois, sept cents hommes morts de la peste, et cinq cents tués dans les combats. Le nombre des blessés était, il est vrai, de dix-huit cents; mais quatre-vingt-dix seulement avaient été amputés; presque tous les autres avaient l'espoir d'être promptement guéris, et devaient rentrer dans leurs corps.

C'était surtout les ravages de la peste que la malignité s'était plue à exagérer. À l'arrivée de l'armée en Syrie, les villes étaient infectées de cette maladie, que la barbarie et l'ignorance rendent si funeste dans ces contrées; celui qui en est attaqué se croit mort, tout le fuit et l'abandonne, et il expire quand les secours de la médecine, quand des soins convenables auraient pu le rendre à la vie. Le fatalisme, que ces peuples professent, contribue beaucoup à leur faire négliger le secours des médecins.

Les soldats français avaient bien aussi quelques préjugés; ils prenaient la moindre fièvre pour la peste, et se croyaient atteints d'une maladie incurable et mortelle. Le citoyen Desgenettes, médecin en chef de l'armée, parcourt les hôpitaux, visite chacun des malades et calme d'abord leur imagination effrayée. Il soutient que les bubons, qu'ils prennent pour des symptômes de peste, appartiennent à une espèce de fièvre maligne dont il est très facile de guérir avec des soins et des ménagemens; il va jusqu'à s'inoculer en présence des malades la matière de ces bubons, et emploie pour se guérir les remèdes qu'il leur ordonne.

Tous les genres d'héroïsme devaient éclater dans cette brave armée, et le dévouement du citoyen Desgenettes n'a pas été le moins généreux ni le moins utile. Après avoir rendu au soldat cette tranquillité d'esprit si nécessaire à la guérison, il achève par ses talens, ses soins assidus, ce qu'il a si heureusement entrepris, et le plus grand nombre recouvre la santé.

Un si bel exemple ne pouvait être perdu pour les autres officiers de santé. On ne peut donner trop d'éloges à la conduite du citoyen Larrey, chirurgien en chef de l'armée, pour le zèle et l'activité qu'il n'a cessé de déployer. On le voyait, lui et ses dignes confrères, sous le feu de l'ennemi, au pied de la brèche, panser les malheureux blessés. Plusieurs ont reçu des blessures à ce poste honorable; l'un d'eux a même été tué, mais rien ne pouvait arrêter leur ardeur et leur dévouement.

EXPÉDITION DANS LA HAUTE-ÉGYPTE

Pendant qu'au nord Bonaparte battait dans la Syrie les armées qu'Ibrahim-Bey et Djezzar se disposaient à conduire contre lui, le général Desaix, au midi, chassait dans la Haute-Égypte, Mourâd-Bey qui s'y était réfugié après la bataille des Pyramides.

Un mois après la prise du Caire, le général Desaix avait reçu l'ordre de marcher à la poursuite de Mourâd-Bey. Il s'était embarqué le 8 fructidor an VI, à la pointe du jour, avec deux bataillons de la 88e de ligne, deux bataillons de la 2e légère, deux bataillons de la 61e de ligne et l'artillerie attachée à sa division. Le convoi était escorté d'un chebeck, d'un aviso et de deux demi-galères armées en guerre.

Le 12, la division se trouve réunie à Al-Fieldi; arrivée le 13 à Bené, elle prend position en avant de la ville, appuyant sa gauche et sa droite au Nil, de manière à ce qu'elles soient protégées par les bâtimens de guerre; elle conserve cette position les 14, 15, 16 et 17 fructidor; et le 18, le général Desaix ayant pourvu à ses moyens de subsistance, elle part pour se rendre à Aba-Girgé, où elle arrive à sept heures du soir. Le général Desaix est informé que cent cinquante mameloucks, et beaucoup de djermes chargées de bagages, vivres et munitions, sont à Richnesé. Il se met en marche le 20 à la pointe du jour, avec le 1er bataillon de la 21e légère pour reconnaître leur position. L'inondation du Nil était déjà très étendue: les troupes éprouvaient les plus grandes difficultés. Elles traversent huit canaux et parviennent au lac Barthin, qu'elles passent à gué ayant de l'eau jusque sous les bras. Après avoir marché pendant quatre heures continuellement dans l'eau, elles arrivent au village de Chéboubié. Mourâd-Bey était descendu jusqu'au Faïoum; il avait laissé trois beys à Behnésé, avec cent cinquante mameloucks et beaucoup d'Arabes. Le général Desaix s'avance sur ce village; malgré les difficultés que lui oppose dans sa marche une digue qu'il est obligé de suivre, il fait tant de diligence, qu'il arrive au moment où les équipages de l'ennemi passaient le canal de Joseph. Les mameloucks et les Arabes étaient sur la rive gauche, et protégeaient douze djermes qui s'échappaient en remontant le Nil.

Les carabiniers de la 21e s'élancent sur la rive; ils font un feu très vif qui éloigne les mameloucks et disperse les Arabes. Les douze djermes sont arrêtées; onze étaient chargées de munitions, de vivres, et surtout d'une grande quantité de blé: la 12e portait sept pièces de canon.

Le général Desaix rentre le 21 à Aba-Girgé où il rejoint sa division; il appareille et arrive le 26 à la hauteur de Tarout'-Elcheriff; le 27, il prend position à l'entrée du canal de Joseph. Informé que l'ennemi occupait Siout avec le reste de ses bâtimens de guerre, il part dans l'après-midi avec deux demi-galères, deux bataillons de la 61e et deux de la 88e. Il marche vers Siout, après avoir ordonné à un aviso d'escorter la 21e qui doit le suivre; il laisse un détachement de cette demi-brigade et une chaloupe canonnière pour occuper Tarout'-Elcheriff et protéger la navigation avec le Caire.

Le 28, il arrive à Siout; mais l'ennemi s'était enfui à son approche, et avait remonté jusqu'à Girgé ses djermes et ses bâtimens de guerre.

Trois kiachefs de Soliman-Bey, et environ trois cents mameloucks et quelques Arabes, étaient à Benhadi, à six lieues de Siout, avec leurs femmes et beaucoup d'équipages. Le général Desaix, dans l'espoir de les atteindre, part le premier jour complémentaire. Il longe les montagnes et arrive le lendemain au jour naissant, après une marche pénible à travers le désert. L'ennemi avait déjà disparu. Desaix rentre à Siout le troisième jour complémentaire; il y laisse une demi-brigade et un aviso, pour escorter un convoi considérable de grains dont il avait ordonné le chargement pour le Caire; et le soir même, il part avec sa division et sa flottille, dans le dessein de rejoindre Mourâd-Bey qui avait regagné le Faïoum.

Le cinquième jour complémentaire, il arrive à l'entrée du canal de Joseph, et reçoit du Caire un convoi qui lui apporte cinquante quintaux de biscuit et trois mille cartouches.

Il se met en marche le 2 vendémiaire et entre dans le bahr Joseph, laissant sur le Nil six bâtimens de guerre pour garder l'entrée du canal, et croiser à la hauteur de Tarout'-Elcheriff; deux de ces bâtimens ont ordre de descendre jusqu'à Benesneff, en suivant le mouvement de la division.

Après une longue et pénible navigation dans le canal, où les djermes échouaient souvent par la difficulté de suivre la division à travers des plaines inondées, l'avant-garde aperçoit, le 12, un poste de Mourâd-Bey à la hauteur du village de Menekia. Desaix ordonne le débarquement, et se porte avec un détachement sur des espèces de dunes qui dominent le canal de distance en distance jusqu'à Illahon. Il s'engage une fusillade d'avant-garde; l'ennemi se retire, la division se rembarque et continue de suivre le canal.

Le 13 au matin, on aperçoit l'ennemi embusqué dans un endroit où le canal s'approche du désert; des forces considérables se montrent tout à coup dans le village de Manzoura. Il eût été dangereux de débarquer sous le feu de l'ennemi; le général Desaix ordonne de revirer de bord, regagne la position près de Menekia, et fait débarquer sa division qui se forme successivement.

Des compagnies de carabiniers chassent et dispersent les mameloucks qui harcelaient les barques.

Après avoir formé sa division en carré, Desaix organise le service des barques de manière à leur faire suivre dans le canal le mouvement des troupes qui s'avancent à l'extrémité de l'inondation, et au bord du désert. Les mameloucks paraissent vouloir attaquer; quelques coups de canon les éloignent, et à la nuit la division prend position vis-à-vis le village de Manzoura.

Elle continue sa marche dans le même ordre, mais elle est harcelée par l'avant-garde de l'ennemi. Le corps de Mourâd-Bey était encore éloigné de deux lieues, et paraissait formé sur deux lignes. À l'approche de la division, il gagne les hauteurs, prend position sur son flanc gauche, et se met en mesure de la charger.

Desaix ordonne un changement de direction, marche droit à Mourâd-Bey, et le canonne avec tant de succès, que cette masse de cavalerie, incertaine dans ses mouvemens, s'arrête et se replie. La division continue sa marche jusqu'à Elbelamon.

Le 15, elle regagne ses barques pour y prendre du biscuit. L'ennemi croit qu'elle rétrograde; il la harcelle en poussant des cris de victoire et de joie; quelques coups de canon l'éloignent, et l'armée continue sa route, après avoir pris des vivres et le repos nécessaire.

Desaix, informé par ses espions que Mourâd-Bey avait l'intention de l'attendre à Sédiman, et de lui livrer bataille, se dispose à l'attaquer lui-même.

Le 16, au lever du soleil, la division se met en mouvement; elle est formée en carré, avec des pelotons de flanc: elle suit l'inondation et le bord du désert. À huit heures, on aperçoit Mourâd-Bey à la tête de son armée, composée d'environ trois mille mameloucks et huit à dix mille Arabes. L'ennemi s'approche, entoure la division, et la charge avec la plus grande impétuosité sur toutes ses faces; mais de tous côtés il est vivement repoussé par le feu de l'artillerie et de la mousqueterie; les plus intrépides des mameloucks, désespérant d'entamer la division, se précipitent sur l'un des pelotons de flanc, commandé par le capitaine Lavalette, de la 21e légère. Furieux de la résistance qu'ils éprouvent, et de l'impuissance où ils sont de l'enfoncer, les plus braves se jettent en désespérés dans les rangs, où ils expirent après avoir vainement employé à leur défense les armes dont ils sont couverts, leurs carabines, leurs javelots, leurs lances, leurs sabres et leurs pistolets. Ils tâchent du moins de vendre chèrement leur vie, et tuent plusieurs chasseurs.

De nouveaux détachemens de mameloucks saisissent ce moment pour charger deux fois le peloton entamé; les chasseurs se battent corps à corps, et, après des prodiges de valeur, se replient sur le carré de la division. Dans cette attaque, les mameloucks perdent plus de cent soixante hommes: elle coûte aux braves chasseurs treize hommes morts et quinze blessés.

Mourâd-Bey, après avoir fait charger les autres pelotons sans plus de succès, divise sa nombreuse cavalerie, qui n'avait encore agi que par masse, et fait entourer la division. Il couronne quelques monticules de sable, sur l'un desquels il démasque une batterie de plusieurs pièces de canon, placée avec avantage, et qui fait un feu meurtrier.

Le général Desaix, devant un ennemi six fois plus fort que lui, et dans une position où une retraite difficile sur ses barques le forçait à abandonner ses blessés, juge qu'il faut ou vaincre ou se battre jusqu'au dernier homme. Il dirige sa division sur la batterie ennemie qui est enlevée à la baïonnette.

Maître des hauteurs et de l'artillerie de Mourâd-Bey, Desaix fait diriger une vive canonnade sur l'ennemi, qui bientôt fuit de toutes parts. Trois beys et beaucoup de kiachefs restent sur le champ de bataille, ainsi qu'une grande quantité de mameloucks et d'Arabes. La division ramène ses blessés, prend quelque repos, et se met en marche à trois heures après midi pour Sédiman, où elle s'empare d'une partie des bagages de l'ennemi, que les Arabes commençaient à piller. Mourâd-Bey se retire derrière le lac de Ghazah, dans le Faïoum: les Arabes l'abandonnent.

Les Français ont perdu dans la bataille de Sédiman, trois cent quarante hommes; cent cinquante ont été blessés. Généraux, officiers et soldats, tous se sont couverts de gloire. La division part le 17, avec la flottille, pour se rendre à Illahon; elle s'empare des barques de l'ennemi qui s'y trouvent.

Le général Desaix fait partir les blessés pour le Caire, où il avait déjà envoyé environ quatre cents hommes affectés d'ophthalmies, maladie occasionnée par les vapeurs du Nil, et malheureusement très commune dans la Haute-Égypte. La division reste à Illahon, d'où elle part pour lever les impositions et prendre les chevaux du Faïoum. Mourâd-Bey avait non seulement défendu aux habitans de payer, il avait encore envoyé Ali-Kiachef avec cent cinquante mameloucks et des Arabes pour soulever le pays.

 

Desaix laisse trois cent cinquante hommes dans la ville de Faïoum, et il en part le 16 brumaire pour soumettre les villages insurgés. Il trouve sous les armes tous ceux dans lesquels il se présente; mais ils rentrent aussitôt dans l'obéissance, à l'exception du village de Liriné, où Ali-Kiachef soutient contre l'avant-garde un léger combat, à la suite duquel il prend la fuite, abandonnant six chameaux chargés d'effets. Le village est livré au pillage et brûlé.

Mourâd-Bey, profitant du moment où le général Desaix avait quitté le Faïoum pour parcourir la province, avait envoyé environ mille mameloucks pour soulever le pays et marcher sur la ville de Faïoum. Des beys et des kiachefs s'étaient répandus au nord et au midi de la province, pour soulever les Arabes et les fellâhs. Le 17, une multitude prodigieuse était déjà réunie sous les armes. Le 18, à huit heures du matin, des Arabes paraissent au sud-ouest de la ville de Faïoum, et s'avancent vers la partie qui est sur la rive gauche du canal.

Le général Robin, atteint de l'ophthalmie, se trouvait à Faïoum. Le chef de bataillon Expert était commandant de la place. Instruit des mouvemens de l'ennemi, il retranche, autant que le permettent les moyens d'une ville ouverte de toutes parts, la maison où l'hôpital est établi.

Il n'avait que trois cent cinquante hommes et cent cinquante malades. Sur les onze heures du matin, plus de trois mille Arabes, mille mameloucks, et une quantité prodigieuse de fellâhs armés s'avancent sur deux colonnes; une partie s'élance et escalade l'enceinte des faubourgs; ils avaient à leur tête des beys et des kiachefs. Tous attaquent en même temps et avec fureur sur tous les points.

Toutes les issues de la ville n'avaient pu être occupées. L'ennemi profite de cet avantage, pour tourner les principaux postes, qui, après avoir fait une vive résistance, et couvert de morts les défilés qu'ils défendent, se retirent en bon ordre, en se ralliant à la maison d'Ali-Kiachef, où était l'hôpital. C'est là que le général Robin et le commandant Expert réunissent leurs forces afin d'éviter une guerre de rue trop meurtrière. Pendant que les Arabes et les fellâhs s'approchent en gagnant de toit en toit, le reste des assiégeans se précipite en foule et sans précautions par les grandes issues.

Le chef de bataillon Expert avait prévu ce désordre; et, dans le dessein d'en profiter, il avait formé dans l'hôpital deux colonnes retranchées. Il commande lui-même la colonne de droite; celle de gauche est confiée au chef de bataillon Sacro. Dès que l'ennemi est à portée, la réserve fait une fusillade terrible par les toits et les fenêtres; en même temps les deux colonnes débouchent en battant la charge, et fondent à la baïonnette sur l'ennemi, qu'elles culbutent de rue en rue. La terreur s'empare également des Arabes et des fellâhs qui sont sur les maisons; la plupart, croyant la victoire assurée, se livraient au pillage; tous veulent se sauver à la fois et s'embarrassent dans leur fuite; on en fait un carnage affreux; l'ennemi est poursuivi jusqu'à une lieue de la ville par les chefs de bataillon Expert et Sacro, qui montrent l'un et l'autre une intrépidité et un sang-froid qu'on ne peut trop admirer. L'ennemi laisse deux cents hommes tués dans la ville, et un grand nombre de blessés; les Français ont eu quatre hommes tués et seize blessés.

Les habitans de la ville de Faïoum se réunissent aux Français et poursuivent l'ennemi. Desaix s'était mis en marche pour cette ville aussitôt qu'il avait été informé des dangers qui la menaçaient; il y arrive le 20 frimaire au matin, il apprend la victoire aussi glorieuse qu'inespérée de ses braves, et il s'empresse d'en profiter pour faire de nouvelles courses dans les provinces de Benesouef et de Miniet, et disputer la levée des impositions de ces provinces à Mourâd-Bey, qui faisait aussi des incursions dans l'intention de les percevoir.

Quoique battu à Sédiman et à Faïoum, Mourâd-Bey, à la faveur de sa cavalerie, que l'infanterie française ne pouvait atteindre, restait toujours maître des provinces de la Haute-Égypte, et conservait une position menaçante.

Bonaparte envoie à Desaix un renfort de mille hommes de cavalerie, et de trois pièces d'artillerie légère commandés par le général Davoust, et lui donne ordre de poursuivre vivement Mourâd-Bey jusqu'aux cataractes du Nil, de détruire les mameloucks, ou de les chasser entièrement de l'Égypte.

Le général Davoust, parti du Caire le 16 frimaire, se rend en quatre jours à Benesonuef, et a bientôt rejoint le général Desaix. La division se met en mouvement le 26 frimaire, pour attaquer Mourâd-Bey qui était campé à deux journées de marche, sur la rive gauche du canal Joseph, et au bord du désert.

Le 27 frimaire, elle rencontre l'avant-garde de l'ennemi, formée par les mameloucks de Selim-Aboudic. On les chasse du village de Fechen, où ils venaient de prendre position, et ils se retirent sur le camp de Mourâd-Bey qui fuit à l'approche du général Desaix, et marche vers le Nil qu'il se dispose à remonter. La division, sur laquelle il avait dix à douze heures d'avance, cherche en vain à l'atteindre. Elle bivouaque, le 27, à Zafetezain; le 28, à Bermin; le 30, à Zagny, où elle quitte les montagnes pour se rapprocher du fleuve. L'infanterie prend position à Taha, la cavalerie à Miniet, d'où Mourâd-Bey avait fui au lever du soleil, et avec tant de précipitation, qu'il avait abandonné quatre djermes portant une pièce de douze en bronze, un mortier de douze pouces, et quinze pièces de canon de fer de différens calibres.

Mourâd-Bey se retire vers le Haut-Saïd; Desaix le poursuit à grandes journées. Le 1er nivôse, la division couche près des anciens portiques d'Achmounain; le 4 à Siout, et arrive le 9 à Girgé.

Mais la flottille, sans cesse retardée par les vents contraires, n'avait pu mettre la même célérité dans ses mouvemens. On avait le plus grand besoin des munitions et des approvisionnemens dont elle était chargée, et l'on se voit contraint de perdre à l'attendre vingt jours d'un temps précieux.

Mourâd-Bey profite de cette inaction des Français pour leur susciter des ennemis de tous les côtés. Déjà il avait écrit aux chefs du pays de Jedda et d'Yamb'o, pour les engager à passer la mer, et à exterminer une poignée d'infidèles qui voulaient détruire la religion de Mahomet. Des émissaires avaient été envoyés en Nubie, et en amenaient des renforts. D'autres s'étaient rendus à Hesney, près du vieil Hassan-Bey Jaddâoui, dans le dessein de le réconcilier avec Mourâd-Bey, et de le déterminer à faire cause commune. Quelques uns enfin s'étaient répandus dans le beau pays entre Girgé et Siout; leur but était de faire insurger les habitans sur les derrières des Français, d'attaquer et détruire leur flottille.

Desaix fut informé, dès le 12 nivôse, qu'un rassemblement considérable de paysans se formait près de Souâguy, à quelques lieues de Girgé. Il était important de faire un exemple prompt et terrible des insurgés, afin de contenir les peuples dans l'obéissance, et de lever sans obstacles les impositions et l'argent dont on avait besoin. Le général Davoust reçoit l'ordre de partir sur-le-champ avec toute la cavalerie, et de marcher contre ce rassemblement.

Ce général rencontre, le 14, cette multitude d'hommes armés, près du village de Souâguy. Il fait former à l'instant son corps de bataille par échelons, et ordonne à son avant-garde, composée du 7e de hussards et du 22e de chasseurs, de charger avec impétuosité. Les insurgés ne peuvent soutenir ce choc, ils fuient en désordre, et sont poursuivis long-temps. On leur tue plus de huit cents hommes. Un pareil châtiment semblait devoir répandre la terreur dans le pays; mais à peine la cavalerie rentrait à Girgé, que le général Desaix est informé qu'il se forme, à quelques lieues de Siout, un rassemblement beaucoup plus considérable que le premier, et composé de paysans à pied et à cheval, la plupart venus des provinces de Miniet, de Benesouef et d'Hoara.