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Mémoires du maréchal Berthier … Campagne d'Égypte, première partie

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Il donne ordre au contre-amiral Gantheaume de faire croiser ses frégates sur la côte de Tripoli, de Syrie et de Chypre, pour enlever les bâtimens qui approvisionnent la place d'Acre en vivres et en munitions.

Quelques Arabes, campés aux environs du mont Carmel, inquiétaient les communications de l'armée, l'adjudant-général Leturq part le 30 germinal avec un corps de trois cents hommes, surprend les Arabes dans leur camp, en tue une soixantaine, et leur enlève huit cents bœufs qui servent à nourrir l'armée.

Le 3 floréal, l'ennemi travaille à une place d'armes pour couvrir la porte par laquelle il faisait ses sorties, vers les bords de la mer du côté du sud. Le 5, la mine destinée à faire sauter la tour de siége est achevée; les batteries commencent à canonner la place; on met le feu à la mine; mais un souterrain qui se trouve sous la tour, offre une ligne de moindre résistance, et une partie de l'effort de la mine s'échappe vers la place. Il ne saute qu'un seul côté de la tour, et elle reste dans un état de brèche qui la rend aussi difficile à gravir qu'auparavant.

Bonaparte ordonne qu'une trentaine d'hommes essayent de s'y loger pour reconnaître comment elle se lie au reste de la place; les grenadiers parviennent aux décombres sous la voûte du premier étage, ils s'y logent; mais l'ennemi qui communiquait par la gorge, et qui occupait les débris des voûtes supérieures, les force à se retirer.

Le 6, les batteries continuent à démolir la tour de brèche; le soir on essaye de se loger au premier étage; les travailleurs y restent jusqu'à une heure du matin. L'ennemi, qu'on n'avait pu chasser des étages supérieurs, foudroie ces braves avec avantage, lance sur eux des matières incendiaires, et les force, malgré leur opiniâtreté, à évacuer le premier étage de la tour. Le général Vaud est dangereusement blessé dans cette attaque.

Le 8, l'armée fait une perte qui sera ressentie par toute la France; le brave Caffarelli meurt des suites de la blessure qu'il avait reçue à la tranchée du 20 germinal. Une balle lui avait cassé le bras, et il fallut recourir à l'amputation. Caffarelli emporte au tombeau les regrets universels. La patrie perd en lui un de ses plus glorieux défenseurs, la société un citoyen vertueux, les sciences et les arts un savant distingué, le génie un commandant rempli de connaissances et de ressources, les soldats un compagnon d'armes plein de bravoure, de dévouement et d'activité. L'expérience l'aurait rendu l'un des premiers généraux de son arme.

Cette perte est bientôt suivie de celle du chef de bataillon du génie, Say, jeune officier d'une grande espérance. Une balle l'avait blessé au bras sous les murs de Saint-Jean-d'Acre. Il est mort à Qaisarié des suites de l'amputation. Il était chef de l'état-major du génie.

L'ennemi, pour défendre son front d'attaque, dont presque toutes les pièces étaient démontées, était parvenu à établir une place d'armes en avant de sa droite; il cherche à en établir une seconde à la gauche, vis-à-vis le palais de Djezzar. Il y fait construire des batteries, et à la faveur de leur feu et de celui de la mousqueterie, ces ouvrages flanquent avec avantage la tour et la brèche. Il travaille sans relâche, élève des cavaliers, pousse des sapes pour augmenter ses feux de revers; enfin il marche en contre-attaque sur les boyaux des assiégeans.

Par la protection de la fusillade de ses tours et de ses murailles élevées, d'où il plongeait sur les assiégeans, l'ennemi avait une grande facilité à pousser ses ouvrages extérieurs. Pour éteindre ses feux et parvenir à se loger dans ses ouvrages, il aurait fallu une grande supériorité d'artillerie et des munitions qu'on était loin d'avoir. On parvenait bien, après des prodiges de valeur, à les enlever; mais on manquait de moyens suffisans pour s'y maintenir, et l'ennemi ne tardait pas à y rentrer.

Le 12, quatre pièces de dix-huit sont mises en batterie, et dirigées contre la tour de brèche, pour en continuer la démolition. Le soir, vingt grenadiers sont commandés pour se loger dans la tour; mais l'ennemi, profitant du boyau qu'il avait établi dans le fossé, fusille la brèche à revers. Les grenadiers reconnaissent l'impossibilité de descendre de la tour dans la place, et se voient forcés de se retirer.

Au moment où l'on montait à la tour de brèche, les assiégés avaient fait, avec un corps de troupes nombreux, une sortie à leur droite; ils sont chargés par deux compagnies de grenadiers avec tant de succès et d'impétuosité, qu'on parvient à les couper, et tout ce qui n'a pu rester sous la protection du feu de la place est culbuté dans la mer. La perte de l'ennemi dans cette journée est d'environ cinq cents hommes tués ou blessés.

Bonaparte ordonne de faire une seconde brèche sur la courtine de l'est, et une sape pour marcher sur les fossés, y attacher le mineur, et faire sauter la contrescarpe.

Jusqu'au 15, les ouvrages des assiégeans et des assiégés se poussent avec ardeur; mais l'armée manque de poudre, et Bonaparte est obligé d'ordonner de ralentir le feu; alors l'ennemi redouble d'audace; il travaille aux sapes avec une nouvelle activité; il pousse surtout avec ardeur celle de sa droite, dont le but était de couper la communication de la sape des assiégeans avec la nouvelle mine.

Bonaparte ordonne qu'à dix heures du soir des compagnies de grenadiers se jettent dans les ouvrages extérieurs de la place. L'ordre est exécuté; l'ennemi est surpris, égorgé; on s'empare de ses ouvrages, trois de ses canons sont encloués; mais le feu de la place, qui plonge sur ses ouvrages, ne permet pas d'y tenir assez long-temps pour les détruire entièrement; l'ennemi y rentre le 16, et travaille à les réparer. Il s'obstinait opiniâtrement à trouver les moyens de cheminer sur le boyau de la mine destinée à faire sauter la contrescarpe établie vis-à-vis la nouvelle brèche de la courtine. Le 17, dans la matinée, il fait une nouvelle tentative, qui ne réussit pas au gré de ses désirs, et il prend aussitôt le parti de couper sa contrescarpe le plus près possible de la mine.

On s'aperçoit à trois heures que l'ennemi débouche par une sape couverte sur le masque de la mine; on le canonne; le mal était fait; on parvient dans la nuit à le chasser de son logement; mais la mine était éventée, les châssis défaits et le puits comblé.

Cet événement était d'autant plus funeste, que la mine aurait pu jouer, à la rigueur, dans la nuit du 16 au 17, ainsi que Bonaparte l'avait ordonné; mais le général commandant l'artillerie avait insisté pour un délai de vingt-quatre heures, espérant voir enfin arriver dans la journée les poudres demandées au commandant de Ghazah. L'ancienne tour de brèche devenait alors le seul point où l'on pût continuer l'attaque; Bonaparte ordonne que, dans la nuit du 17 au 18, on s'empare de nouveau des places d'armes de l'ennemi, des boyaux qu'il a établis pour flanquer la brèche, et particulièrement de celui qui couronnait le glacis de la première mine, qu'on surprenne et qu'on égorge tout ce qui s'y trouvera, qu'on attaque les ouvrages et qu'on s'y loge.

Les éclaireurs de la 87e, et les grenadiers s'emparent de tous les ouvrages, excepté du boyau qui couronne le glacis de l'ancienne mine et prend la tour à revers; le feu terrible de l'ennemi rend inutiles tous les efforts de la valeur; on ne peut ni travailler au logement, ni le faire évacuer.

Le 18, on a connaissance d'environ trente voiles turques venant du port de Mœris, de l'île de Rhodes, et apportant aux assiégés des vivres, des munitions et un renfort de troupes considérable. Ce convoi était sous l'escorte d'une caravelle et de plusieurs corvettes armées.

Bonaparte veut prévenir l'arrivée de ces secours. Il ordonne de renouveler, dans la nuit du 18 au 19, la même attaque qui avait eu lieu la nuit précédente, à dix heures du soir; les deux places d'armes de l'ennemi, son boyau de glacis et la tour de brèche sont enlevés. On parvient à se loger dans la tour et dans le boyau. Les 18e et 32e demi-brigades comblent les boyaux et les places d'armes de cadavres ennemis; elles enlèvent plusieurs drapeaux et enclouent les pièces; la résistance opiniâtre des ennemis, le feu de ses batteries, rien n'arrête leur intrépidité. Jamais on ne déploya plus d'audace et de valeur. Les généraux Bon, Vial et Rampon étaient eux-mêmes à la tête de ces demi-brigades, et donnaient l'exemple du courage et du sang-froid. Le chef de la 18e, Boyer, militaire distingué, périt dans l'attaque; cent cinquante autres braves, dont dix-sept officiers, sont tués ou blessés; mais la perte des assiégés est considérable, et leurs cadavres servent d'épaulement aux assiégeans.

On apprend dans la nuit que les poudres venant de Ghazah arriveront le lendemain. Bonaparte ordonne qu'à la pointe du jour, on batte à la fois en brèche et la courtine à la droite de la tour de brèche, et cette tour elle-même. La courtine tombe et offre une brèche qui paraît praticable; Bonaparte s'y porte et ordonne l'assaut; la division Lannes marche précédée de ses éclaireurs et de ses grenadiers que conduit le général de brigade Rambaud; les autres divisions sont disposées pour les soutenir.

On s'élance à la brèche, on s'en empare; deux cents hommes sont déjà dans la place. D'après les ordres de Bonaparte, les troupes qui étaient dans la tour devaient, au moment où l'on s'emparerait de la brèche, attaquer quelques Turcs logés dans les débris d'une seconde tour, qui dominaient la droite de la brèche; les bataillons de tranchée devaient en outre se porter dans les places d'armes extérieures de l'ennemi, pour qu'il ne pût ni en sortir, ni fusiller la brèche en revers; ces ordres importans ne sont point exécutés avec assez d'ensemble.

L'ennemi, sorti de ses places d'armes extérieures, file dans le fossé de droite et de gauche, et parvient à établir une fusillade qui prend la brèche à revers. Les Turcs qui n'avaient point été délogés de la seconde tour qui domine la droite de la brèche, font une vive fusillade, ils lancent sur les assiégeans des matières enflammées; les troupes qui escaladaient hésitent et s'arrêtent; l'incertitude est dans leurs rangs; elles ne filent plus dans les rues avec la même impétuosité. Le feu des maisons, des barricades des rues, du palais de Djezzar, qui prenait de face et à revers ceux qui descendaient de la brèche, et ceux qui étaient déjà dans la ville, occasionne un mouvement rétrograde parmi les troupes qui sont entrées dans la place et ne s'y voient point assez soutenues. Elles abandonnent deux pièces de canon et deux mortiers dont elles s'étaient déjà emparées derrière les remparts.

 

Le mouvement se communique bientôt à toute la colonne. Le général Lannes parvient enfin à l'arrêter et à reporter sa colonne en avant. Les guides à pied, qui étaient en réserve, s'élancent à la brèche. On se bat corps à corps avec un acharnement réciproque. Mais l'ennemi avait repris le haut de la brèche, l'effet de la première impulsion ne subsistait plus, le général Lannes était grièvement blessé; le général Rambaud avait été tué dans la place. L'ennemi avait eu le temps de se rallier. Le débarquement s'était opéré. Non seulement on avait à combattre toutes les troupes qui se trouvaient sur la flotte, mais tous les matelots turcs étaient placés à la brèche pour la défendre: on se battait depuis le point du jour, et il était nuit. Tout l'avantage était désormais du côté de l'ennemi; la retraite devenait nécessaire, et l'ordre en fut donné.

En arrivant au camp, on apprend par le contre-amiral Gantheaume, que le chef de division Pérée, en croisant devant Jaffa, avait pris deux petits bâtimens qui avaient été séparés de la flotte turque, et sur lesquels se trouvaient six pièces d'artillerie de campagne, une quantité considérable de harnais et de provisions de bouche, cent cinquante mille francs en numéraire, quatre cents hommes de troupes, et l'intendant de la flottille turque. On avait trouvé sur lui l'état des forces embarquées sur la flotte, celui des munitions et des vivres; et il résultait de ses déclarations et de ses réponses, que la flotte faisait partie d'une expédition projetée contre Alexandrie, et combinée avec une autre expédition que Djezzar devait tenter par terre; mais à la nouvelle de l'attaque inopinée de Saint-Jean-d'Acre, on avait détaché de cette expédition tout ce dont on pouvait déjà disposer pour l'envoyer au secours de cette place.

Bonaparte avait fait continuer le feu des batteries, dans la journée du 20 et pendant la nuit. Le 21, à deux heures du matin, il se rend au pied de la brèche et ordonne un nouvel assaut.

Les éclaireurs des différentes divisions, les grenadiers de la 15e, ceux de la 19e, les carabiniers de la 2e légère montent à la brèche. Ils surprennent les postes de l'ennemi, les égorgent; mais ils sont arrêtés par de nouveaux retranchemens intérieurs qu'il leur est impossible de franchir; ils sont contraints de se retirer.

Le feu des batteries continue toute la journée; à quatre heures du soir, les grenadiers de la 25e demi-brigade arrivent de l'avant-garde; ils sollicitent et obtiennent l'honneur de monter à l'assaut. Ces braves s'élancent; mais l'ennemi avait établi une deuxième et une troisième ligne de défense, qu'on ne pouvait forcer sans de nouvelles dispositions: la retraite est ordonnée. Ces trois assauts coûtent à l'armée environ deux cents tués et cinq cents blessés. Elle a surtout à regretter la perte du général Bon blessé à mort; celle de l'adjudant-général Fouler; du chef de la 25e, le citoyen Venoux; de l'adjoint Pinault, de l'adjoint aux adjudans-généraux Gerbault, du citoyen Croisier, aide-de-camp du général en chef.

Le citoyen Arrighi, aide-de-camp du général Berthier; les adjoints aux adjudans-généraux Nethervood et Monpatris, sont grièvement blessés. Dans les deux derniers assauts, les grenadiers et les éclaireurs étaient commandés par le général Verdier.

Les revers des parallèles étaient remplis de cadavres turcs qui exhalaient une infection insupportable et dangereuse; comme on ne pouvait y entrer, Bonaparte envoie, le 22 au matin, un parlementaire à Djezzar, avec une lettre ainsi conçue:

«Alexandre Berthier, chef de l'état-major-général de l'armée,

«À Amet-Pacha-el-Djezzar.

«Le général en chef me charge de vous proposer une suspension d'armes pour enterrer les cadavres qui sont sans sépulture sur le revers des tranchées. Il désire aussi établir un échange de prisonniers; il a en son pouvoir une partie de la garnison de Jaffa, le général Abdallah, et spécialement les canonniers et bombardiers qui font partie du convoi arrivé il y a trois jours à Acre, venant de Constantinople.»

Le parlementaire dont Bonaparte avait fait choix était un Turc arrêté comme espion. On n'aurait pu, sans imprudence, hasarder avec ces barbares les usages militaires des nations policées. On tire sur le parlementaire; la place continue ses feux, et les batteries des assiégeans lui répondent.

Le 24, on renvoie le même parlementaire; il entre dans la place; mais elle continue son feu, et rien n'annonce qu'on se dispose à répondre. Au contraire, vers les sept heures du soir, au signal d'un coup de canon, l'ennemi fait une sortie générale; mais il est vigoureusement repoussé.

Les nouvelles que Bonaparte recevait d'Égypte lui annonçaient plusieurs soulèvemens, qui paraissaient se lier à un système général d'attaque qui devait avoir lieu, en Égypte, contre les Français.

Au Caire, et dans les autres villes principales, la tranquillité n'avait point été troublée par le plus léger mouvement; mais il n'en était pas de même dans les provinces de Benisouef, de Charkié et de Bahiré; toutes ces insurrections furent heureusement comprimées par la valeur et l'activité des troupes françaises et de leurs généraux.

Une tribu d'Arabes, sortie d'Afrique, s'était établie sur les frontières de la province de Gisëh, qu'elle inquiétait par ses brigandages, et dont elle cherchait à soulever les fellâhs. Le général envoie contre cette horde le général Lanusse, qui leur tend des embuscades, enlève leur camp et les disperse. Le fils du général Leclerc, jeune homme de la plus haute espérance, est dangereusement blessé en combattant ces barbares.

Peu de jours après, le village de Bodéir, province de Charkié, s'étant révolté, le chef de brigade Durantheau, officier de mérite, s'y porte à la tête d'une colonne, et le village est brûlé.

Le pacha d'Égypte, qui, à l'approche des Français, avait fui avec Ibrahim-Bey, y avait laissé son kiaya. La conduite de ce kiaya lui avait mérité une sorte de confiance de la part de Bonaparte, qui l'avait nommé émir hadjy pour la prochaine caravane de la Mecque, et lui avait communiqué le plan de son expédition en Syrie. Le kiaya s'était même engagé à suivre l'armée, et il se mit effectivement en route; mais il marchait lentement, et s'arrêta dans la province de Charkié: il prétendit avoir reçu la nouvelle de la mort de Bonaparte, de la déroute complète des Français, et, déguisant sa perfidie sous ce faux prétexte, il soulève et pousse à la révolte la province de Charkié, ainsi que les Arabes, dont quelques uns s'unissent à lui.

Le général Dugua, toujours prévoyant et actif, avait donné l'ordre au général Lanusse de poursuivre ce traître; mais, fidèlement prévenu de la marche des Français, il fuit à leur approche, et leur échappe en se jetant dans le désert, d'où il gagne les montagnes de Damas.

Au commencement de floréal, un émissaire arrivé d'Afrique, débarqué à Derne, joue le saint, se dit l'ange Él-Mahdi, annoncé par l'Alcoran, s'environne de disciples, et se réunit aux Arabes. Deux cents Maugrabins arrivent aussi d'Afrique, comme par hasard, et se joignent au saint prophète. Il annonce que les fusils, les baïonnettes, les sabres, les canons des Français, ne pourront atteindre les vrais croyans qui marcheront sous ses drapeaux; qu'à leur aspect les Français devaient poser les armes, et rester sans défense.

L'espoir d'un triomphe aussi facile et aussi peu dangereux entraîne, sur les pas de cet imposteur, une multitude aisée à séduire. Lorsqu'il se croit assez fort pour attaquer les Français avec avantage, il marche à la tête des Arabes sur Demenhour. Ces mêmes Arabes venaient, il y a quelques jours, de faire un traité de paix avec le général Marmont, commandant à Alexandrie. Soixante hommes de la Légion nautique étaient restés dans Demenhour, malgré l'ordre qu'avait reçu leur commandant de se rendre au fort de Rahmanié. Ils sont surpris et massacrés. L'ange Él-Mahdi profite de ce premier succès, et de la confiance qu'il inspire dans ses promesses pour augmenter le nombre de ses prosélytes. Il parvient à soulever toute la province. Les habitans le suivent avec transport à des combats où ils doivent être invulnérables.

L'illusion de ces malheureux ne fut pas de longue durée. Le chef de brigade Lefebvre part du fort de Rahmanié avec deux cents hommes; il est bientôt environné par des nuées de ces fanatiques; il se bat jusqu'à six heures du soir, et rentre dans le fort de Rahmanié après avoir tué tout ce qui a eu la témérité d'avancer à la portée de son feu.

La mort de tant de croyans, victimes de leur crédulité, affaiblit considérablement le crédit de l'ange Èl-Mahdi et la foi de ses soldats; mais tout le pays était soulevé, et la crainte d'un châtiment terrible, la nécessité de s'y soustraire par des succès, la confiance dans leur nombre, rendaient aux habitans cette intrépidité que leur inspira d'abord le fanatisme. Il fallait pour les soumettre des forces plus considérables que celles dont le chef de brigade Lefebvre pouvait disposer. Le général Lanusse, à la tête d'une colonne mobile, arrive le 19 floréal à Rahmanié, et de là marche sur Demenhour. Il bat et met en fuite tout ce qui se présente devant lui. Il fait passer au fil de l'épée quinze cents hommes qui se trouvent dans la ville, et la réduit en cendres. Il dissipe et poursuit les disciples du saint Él-Mahdi, qui lui-même, tremblant et grièvement blessé, ne trouve de salut que dans une prompte fuite.

Les Maugrabins passent le Nil et gagnent la Charkié; les Arabes se dispersent, et l'ordre est rétabli dans la province.

Dans le même temps quelques partis de mameloucks, chassés de la Haute-Égypte par le général Desaix, étaient descendus dans les provinces de la Basse-Égypte, où ils cherchaient à soulever les fellâhs et les Arabes; ils sont atteints et battus par le chef de brigade Destrées. Ils se réfugient dans la province de Charkié, où, d'après les ordres du général Dugua, le général de brigade Lagrange ne tarde pas à les poursuivre. Le 19 floréal, il atteint Elfy-Bey et les Arabes Belley; il les bat, leur tue trois principaux kiachefs, et contraint le reste de se sauver dans l'oasis d'Housrel, d'où ils gagnent la Syrie à travers le désert.

Le général Lanusse, qui a déployé la plus grande activité et rendu les plus signalés services, en se portant avec une rapidité étonnante partout où il y avait des séditions, atteint, le 7 prairial, dans la Charkié, les Maugrabins et les autres disciples de l'ange Él-Mahdi, échappés de la Bahiré, lorsqu'il brûlait Demenhour. Il leur tue cent cinquante hommes, et brûle le village où ils se sont réfugiés.

Pendant ces expéditions les Anglais s'étaient présentés devant Suez; ils y avaient paru le 15 floréal, avec un vaisseau et une frégate. Ayant trouvé ce port en état de défense, ils se retirent, et laissent un brick en croisière; mais le chérif de la Mecque force les Anglais à souffrir que les bâtimens continuent d'apporter le café à Suez.

Une seule expédition avait manqué; celle contre Cosséir, dont le but était d'enlever les richesses que les mameloucks, battus par le général Desaix dans la Haute-Égypte, faisaient embarquer dans ce port. La chaloupe canonnière le Tagliamento, qui, d'après les ordres de Bonaparte, était partie de Suez le 16 ventôse, ayant sauté dès le premier coup de canon, il avait fallu se retirer; hors ce cas, un succès complet avait couronné toutes les entreprises, et les troupes restées en Égypte n'avaient pas manqué d'occasions de signaler leur courage et de rivaliser d'intrépidité avec les divisions qu'elles n'avaient pu suivre dans l'expédition de Syrie.

Cette expédition touchait elle-même à son terme; son but principal était rempli. L'armée, après avoir traversé le désert qui sépare l'Afrique de l'Asie, et vaincu tous les obstacles avec plus de rapidité qu'une armée arabe, s'était emparée de toutes les places fortes qui défendent les puits du désert. Elle avait déconcerté les plans de ses ennemis par l'audace et la rapidité de ses mouvemens. Elle avait dispersé, aux champs d'Edrelon et du mont Thabor, vingt-cinq mille cavaliers et dix mille fantassins, accourus de toutes les parties de l'Asie dans l'espoir de piller l'Égypte. Elle avait forcé le corps d'armée qu'on envoyait sur trente bâtimens assiéger les ports de l'Égypte, d'accourir lui-même au secours de Saint-Jean-d'Acre.

 

Bonaparte, avec environ dix mille hommes, avait nourri, pendant trois mois, la guerre dans le cœur de la Syrie; il avait détruit la plus formidable des armées destinées à envahir l'Égypte, pris ses équipages de campagne, ses outres, ses chameaux et un général. Il avait tué ou fait prisonniers plus de sept mille hommes, pris quarante pièces de campagne, enlevé plus de cinq cents drapeaux, forcé les places de Ghazah, Jaffa, Caïffa. Le château d'Acre ne paraissait pas encore disposé à se rendre; mais on avait déjà recueilli les principaux avantages qu'on s'était promis du siége de cette place. Quelques jours de plus donnaient l'espoir de prendre le pacha dans son palais: cette vaine gloire ne pouvait éblouir Bonaparte; il touchait au terme du temps qu'il avait fixé à l'expédition de Syrie; la saison des débarquemens en Égypte y rappelait impérieusement l'armée pour s'opposer aux descentes et aux tentatives de l'ennemi. La peste faisait des progrès effrayans en Syrie; déjà elle avait enlevé sept cents hommes aux Français, et, d'après les rapports recueillis à Sour, il mourait journellement plus de soixante hommes dans la place d'Acre.

La prise de cette place pouvait-elle compenser la perte d'un temps précieux, et celle d'une foule de braves qu'il aurait fallu sacrifier, et qui étaient nécessaires pour des opérations plus importantes?

Tous les militaires qui ont fait des siéges contre les Turcs, savent qu'ils se font tuer, et qu'ils sacrifient femmes et enfans pour défendre jusqu'au dernier monceau de pierres. Ils ne capitulent point et ne s'abandonnent jamais à la bonne foi de leurs ennemis, parce que, en pareil cas, ils ne savent qu'égorger.

Le siége d'Acre pouvait être long et meurtrier. Tout rappelait Bonaparte en Égypte. Il ne pouvait, sans compromettre le sort de son armée et de ses conquêtes, prolonger plus long-temps son séjour en Syrie. La gloire et les avantages de son expédition ne dépendaient nullement de la prise du château d'Acre. Il cède donc aux puissantes considérations qui lui ordonnent d'en lever le siége.

Il lui fallait plusieurs jours pour l'évacuation des blessés et des malades. Il ordonne que les batteries de canons et de mortiers continuent leurs feux, et qu'on emploie le reste des munitions de siége à raser le palais de Djezzar, les fortifications et les édifices.

Le 26, à la pointe du jour, on s'aperçoit que l'amiral anglais a mis à la voile avec trois bâtimens turcs; il venait d'être instruit que les frégates françaises avaient enlevé deux de ses avisos et deux bâtimens turcs, et cette nouvelle lui inspirait des craintes sur un convoi de djermes et deux avisos turcs envoyés devant le port d'Abouzaboura, pour embarquer des Naplouzains que Djezzar croyait avoir déterminés de nouveau à se soulever. Le contre-amiral Pérée donnait en effet la chasse à cette flottille qui est dégagée par les Anglais; il fait prendre le large à ses frégates; mais elles ne sont point poursuivies par les vaisseaux anglais, qui s'empressent de retourner à Saint-Jean-d'Acre.

Le 27, à deux heures et demie du matin, l'ennemi fait une sortie; il est repoussé avec vigueur, après avoir perdu beaucoup de monde. À sept heures, il en fait une nouvelle sur tous les points; partout il trouve la même résistance. Il ne peut pénétrer dans aucun boyau; il est mitraillé par les batteries, et reconduit la baïonnette aux reins dans ses places d'armes: tout est couvert des cadavres des assiégés. Ce combat glorieux et sanglant ne coûte aux Français que vingt hommes tués et cinquante blessés.

Le 28, un parlementaire anglais se présente vers la plage, il ramène le Turc qui avait été envoyé le 22 à Djezzar en parlementaire, et apporte au chef de l'état-major une lettre du commodore anglais, qui s'exprimait ainsi en parlant de Bonaparte: «Ne sait-il pas que c'est moi seul qui peux décider du terrain qui est sous mon artillerie?» Il voulait dire que Djezzar ne pouvait répondre sans son agrément et sa participation, et que c'était à lui qu'il fallait adresser toutes les propositions.

Le commandant du canot remet, en route, un paquet, contenant des proclamations de la Porte ottomane, certifiées par Sidney Smith, et conçues en ces termes:

PROCLAMATION

«Le ministre de la sublime Porte aux généraux, officiers et soldats de l'armée française qui se trouvent en Égypte.

«Le directoire français, oubliant entièrement le droit des gens, vous a induits en erreur, a surpris votre bonne foi, et, au mépris des lois de la guerre, vous a envoyés en Égypte, pays soumis à la domination de la sublime Porte, en vous faisant accroire qu'elle-même avait pu consentir à l'envahissement de son territoire.

«Doutez-vous qu'en vous envoyant ainsi dans une région lointaine, son unique but n'ait été de vous exiler de la France, de vous précipiter dans un abîme de dangers, et de vous faire périr tous tant que vous êtes? Si, dans une ignorance absolue de ce qui en est, vous êtes entrés sur les terres d'Égypte, si vous avez servi d'instrument à une violation des traités, inouïe jusqu'à présent parmi les puissances; n'est-ce point par un effet de la perfidie de vos directeurs? Oui, certes; mais il faut pourtant que l'Égypte soit délivrée d'une invasion aussi inique. Des armées innombrables marchent en ce moment; des flottes immenses couvrent déjà la mer.

«Ceux d'entre vous, de quelque grade qu'ils soient, qui voudront se soustraire au péril qui les menace, doivent, sans le moindre délai, manifester leurs intentions aux commandans des forces de terre et de mer des puissances alliées; qu'ils soient sûrs et certains qu'on les conduira dans les lieux où ils désireront aller, et qu'on leur fournira des passe-ports pour n'être pas inquiétés pendant leur route par les escadres alliées, ni par les bâtimens armés en course. Qu'ils s'empressent donc de profiter à temps de ces dispositions bénignes de la sublime Porte, et qu'ils les regardent comme une occasion propice de se tirer de l'abîme affreux où ils ont été plongés.

«Fait à Constantinople, le 11 de la lune de ramazan, l'an de l'Hégyre 1213, et le 5 février 1799.

«Je, soussigné, ministre plénipotentiaire du roi d'Angleterre près la Porte ottomane, et actuellement commandant la flotte combinée devant Acre, certifie l'authenticité de cette proclamation, et garantis son exécution. À bord du Tigre, le 10 mai 1799.»

«Signé Sidney Smith.»

Cet écrit reçoit la seule réponse que l'honneur accorde à de lâches conseils, le silence du mépris. L'amiral anglais fait connaître qu'il existe entre l'Angleterre et la Porte un traité d'alliance, signé le 5 janvier 1799; il envoie quelques prisonniers français qu'il avait enlevés des mains de Djezzar.

L'officier qui commandait le canot anglais est renvoyé sans réponse, et le feu continue de part et d'autre.

Pendant la nuit, on commence l'évacuation des blessés, des malades et du parc d'artillerie. Le 1er bataillon de la 69e demi-brigade part le 29; le 2e le suit le 30, ils escortent les convois d'artillerie et les blessés. L'avant-garde, aux ordres du général Junot, après avoir brûlé tous les magasins de Tabarié, prend position à Safarié, pour couvrir les débouchés d'Obeline et de Cheif-Amrs sur le camp d'Acre.

L'ennemi, qui était bombardé et canonné plus vivement qu'il ne l'avait encore été, qui voyait un feu plus terrible que tout ce qu'il avait essuyé jusqu'alors se diriger sur le palais de Djezzar, sur les parties des fortifications qui n'avaient point encore été battues, et sur tous les édifices de la ville, fait, le 1er prairial, à la pointe du jour, une sortie générale; il est reçu avec intrépidité et forcé de se retirer promptement. Ce mauvais succès ne le décourage point; à trois heures de l'après-midi, il sort de nouveau sur tous les points; il emploie tous les renforts qu'il a reçus; il combat avec une fureur et un acharnement qu'il n'avait pas encore déployés. Son but était de pénétrer dans les batteries dont le feu lui devenait si incommode, de les détruire, et de prévenir ainsi la ruine de la ville. Malgré son opiniâtreté et la vivacité de ses attaques, il est repoussé sur tous les points, et obligé de se retirer avec une grande perte. Cependant il parvient à s'emparer un instant du boyau qui couronne le glacis de la tour de brèche. Mais à peine y est-il entré, que le général de brigade Lagrange, qui commande la tranchée, l'attaque avec deux compagnies de grenadiers, reprend le boyau, poursuit les assiégés jusque dans leur place d'armes extérieure, tue tout ce qui ne se précipite pas dans la place, et les pousse jusque dans leurs fossés.