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Mémoires du maréchal Berthier … Campagne d'Égypte, première partie

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La cavalerie ennemie s'était reformée sur ces entrefaites, et semblait vouloir de nouveau tenter la charge. Leclerc fit ses dispositions et marcha à sa rencontre; mais elle n'osa l'attendre: elle se mit en fuite et disparut. L'armée reprit son mouvement, et s'avança sur Salêhiëh. Le soleil était ardent, le kamsin impétueux; on ne respirait pas; on suffoquait de chaleur, de soif et de poussière. Un grand nombre de bêtes de somme succombèrent dans cet affreux trajet. Les troupes étaient moins abattues: elles se flattaient de joindre les Ottomans; c'était une nouvelle occasion de gloire; l'espérance les soutenait. Le général lui-même partageait cette illusion; il pensait que le visir rallierait toutes ses forces, courrait toutes les chances plutôt que de se laisser rejeter dans le désert. Il se disposait, en conséquence, à livrer bataille le lendemain au point du jour, et fit halte à deux lieues de Salêhiëh. L'armée, qu'avaient rafraîchie quelques heures de repos, se remettait en marche pleine d'espérance et de joie, lorsque les habitans, accourus à sa rencontre, lui apprirent que la veille, à l'heure de l'aw (environ trois heures après midi), le visir était monté à cheval, et s'était perdu dans le désert avec une escorte d'environ cinq cents hommes, seules forces qu'il eût pu réunir. Il avait abandonné, dans sa frayeur, son artillerie et ses bagages. Jamais déroute n'avait été accompagnée de tant d'épouvante et de confusion. L'occasion de vaincre était perdue; mais l'ennemi avait vidé l'Égypte; le but était atteint. Les troupes continuèrent le mouvement, furent bientôt à Salêhiëh, et se répandirent dans le camp que l'ennemi nous avait cédé. C'était une enceinte d'environ trois quarts de lieue que couvraient des tentes placées sans ordre ou renversées. Ici était un coffre brisé; là, des caisses encore pleines de vêtemens, d'encens et d'aloès; plus loin, des pièces d'artillerie, des munitions, des selles, des harnais, et des outres qu'on n'avait pas eu le temps de remplir. Des amas de fer gisaient à côté des litières sculptées; des outres à demi pleines, posaient sur des ameublemens de prix; tout était confondu pêle-mêle; c'était un désordre, une confusion, qu'on ne vit jamais que dans le camp des Turcs. Mais ce n'était déjà plus que les débris de l'immense proie que les Osmanlis avaient abandonnée aux Arabes. Ceux-ci, suivant l'usage, étaient accourus au bruit du combat, prêts à se jeter sur celle des deux armées qui serait défaite. Une partie s'était mise sur les traces du visir; l'autre pillait son camp: ils s'éloignèrent à notre approche.

L'armée était exténuée; le visir avait fui. On fit halte; la cavalerie seule eut ordre de suivre les fuyards. Elle s'enfonça aussitôt dans les sables; mais la route était couverte de débris, l'arrière-garde aux prises avec les Arabes. L'affaire était en bonnes mains, elle revint au camp.

L'armée étrangère était défaite, il ne s'agissait plus que de pacifier l'intérieur. Damiette était au pouvoir des Turcs, le Saïd obéissait à Dervich-Pacha, et presque tous les habitans de la Basse-Égypte étaient soulevés contre nous.

Le général Rampon, qui commandait à Menouf, se porta sur la première de ces places; Belliard s'avança sur Lesbëh, Lanusse parcourut le Delta inférieur, Reynier s'établit à Salêhiëh, pour prévenir le retour des troupes qui avaient été refoulées dans le désert, et dissiper celles qui s'étaient jetées dans la Charkié. Ces dispositions prises, Kléber se rendit au Caire avec la 88e demi-brigade, deux compagnies de grenadiers de la 61e, le 7e régiment de hussards, et les 3e et 14e dragons. Il fit jeter quelques obus dans Boulac, et entra par les jardins dans son quartier-général, qui était assiégé. Il apprit alors ce qui s'était passé dans la capitale.

La bataille d'Héliopolis n'était pas engagée, que l'insurrection éclatait à Boulac. Excités par quelques Osmanlis, les habitans arborent quelques drapeaux blancs, s'arment de fusils, de sabres qu'ils avaient tenus cachés, et se portent avec fureur contre le fort Camin, qui n'a que dix hommes de garnison. Le commandant tire à mitraille et les ébranle; mais ils se remettent, reviennent à la charge. Le quartier-général est obligé d'accourir au secours. Trois cents des leurs sont couchés dans la poussière; ils se retirent, se barricadent, et font feu sur les troupes françaises de quelque part qu'elles se présentent pour entrer dans la ville. Le peuple du Caire avait été moins impétueux. Dès que les premiers coups se firent entendre, il se porta hors de l'enceinte et attendit pour se décider quelle serait l'issue de la bataille. Il vit arriver successivement des corps de mameloucks et d'Osmanlis qui nous étaient échappés et assuraient que notre défaite était inévitable. Bientôt après Nassif-Pacha se présenta à la porte des Victoires. Il était accompagné d'Osman-Effendi, kyaya-bey, l'un des personnages les plus considérables de l'empire; d'Ibrahim-Bey, de Mehemet-Bey-El-Elfy, d'Hassan-Bey-Jeddaoui; en un mot, de tous les chefs de l'ancien gouvernement, excepté Mourâd. Ils annonçaient que nous avions été taillés en pièces, qu'ils venaient prendre possession de la capitale au nom du sultan Sélim, et y célébrer le triomphe de ses armes sur les infidèles. Ils étaient accompagnés d'environ dix mille cavaliers turcs, de deux mille mameloucks, et de huit à dix mille habitans des villages qui s'étaient armés. Personne ne douta plus de la victoire, chacun s'efforça de faire éclater sa joie. Les uns étaient charmés de voir triompher le Prophète, les autres avaient à faire oublier les liaisons qu'ils avaient eues avec les infidèles.

Nassif-Pacha profite de cet élan de la multitude, et se rend de suite au quartier des Francs. Il en fait ouvrir les portes, et pendant que deux négociants tombent à ses pieds en lui montrant la sauve garde du visir, la foule se jette dans l'enceinte. Elle force les maisons, pénètre dans les magasins, les comptoirs; pille, massacre, incendie. En quelques instans tout est détruit, égorgé; et ce quartier, tout à l'heure si florissant, n'est plus qu'un monceau de cendres.

Le pacha profite de l'exaltation publique et pousse la multitude sur nos soldats. Il en inonde la place, les avenues qui conduisent au quartier-général, et s'avance à la tête de ses troupes pour la soutenir. L'adjudant-général Duranteau n'avait pas deux cents hommes à opposer à ces flots d'ennemis; néanmoins, il tente une sortie, et les repousse. Déconcerté par cette résistance inattendue, Nassif fait occuper les maisons et appelle le peuple aux armes. On arbore des drapeaux blancs; on prêche; on remue toutes les passions: dans un instant la population entière est sur pied. On attaque les Cophtes; on massacre les Grecs, les Syriens; partout le sang ruisselle. On se porte à la police; on saisit Moustapha-Aga et on l'empale. La populace regarde le supplice de ce magistrat comme le gage de l'impunité; elle applaudit, et se livre avec fureur à la sédition et au pillage. Sept soldats français se trouvaient auprès de Moustapha, lorsqu'il fut arrêté. Les séditieux se promettaient de les tailler en pièces, et réussirent à en mettre trois hors de combat; mais, percés eux-mêmes à coups de baïonnette, ils n'osèrent faire tête à ces braves, qui, attaquant, se défendant, emportant leurs blessés, arrivèrent enfin à la citadelle, après s'être débattus pendant une lieue, au milieu des flots qui les pressaient.

L'insurrection durait depuis deux jours, et les forces réunies des mameloucks, des Osmanlis et des séditieux, n'avaient pu triompher de la résistance de deux cents Français. Nassif-Pacha préparait une nouvelle attaque, lorsqu'il aperçut la colonne du général Lagrange qui arrivait d'El-Hanka. Il retire aussitôt ses troupes, rassemble quatre mille chevaux, et court à sa rencontre. Le général forme ses carrés, et ouvre la fusillade. Les assaillans se dispersent; il continue son mouvement, et entre au quartier-général. Il apporta un secours aussi nécessaire qu'inattendu, et la première nouvelle de la victoire.

Le poste fut bientôt inexpugnable; la citadelle et le fort Dupuy continuèrent à tirer sur la ville, qu'ils bombardaient dès les premiers instans de la révolte.

Nous fûmes cependant obligés d'abandonner successivement les maisons que nous occupions sur la place. Les insurgés s'avançaient aussi sur notre gauche, dans le quartier cophte. Ils prenaient les positions les plus propres à intercepter nos communications et à conserver celles qu'ils avaient au-dehors. Le général Friant arriva sur ces entrefaites avec cinq bataillons. Il repoussa l'ennemi sur tous les points; mais les succès même qu'il obtint, lui firent sentir combien il était difficile de pénétrer dans l'intérieur de la ville, de quelque part qu'on se présentât. On trouva dans toutes les rues, et pour ainsi dire à chaque pas, des barricades de douze pieds en maçonnerie et à double rang de créneaux. Les appartemens et les terrasses des maisons voisines étaient occupés par les Osmanlis qui s'y défendaient avec le plus grand courage.

On mettait tout en œuvre pour entretenir l'erreur du peuple sur la défaite des Français. Ceux qui paraissaient en douter étaient livrés aux tortures ou emprisonnés. Les insurgés déployèrent une activité que la religion peut seule donner dans ce pays; ils déterrèrent des pièces de canon qui étaient enfouies depuis long-temps. Ils établirent des fabriques de poudre, parvinrent à forger des boulets avec le fer des mosquées, les marteaux et les outils des artisans. Ils formèrent des magasins de subsistances des provisions des particuliers, qui sont toujours très fortes; ceux qui portaient les armes ou qui travaillaient aux retranchemens, avaient seuls part aux distributions; les autres étaient oubliés. Le peuple ramassait nos bombes et nos boulets à dessein de nous les renvoyer; et comme ils ne se trouvaient pas du calibre de leurs pièces, ils entreprirent de fondre des mortiers, des canons, industrie extraordinaire dans ce pays, et ils y réussirent.

 

Le général Friant arrêta les progrès de l'ennemi, en faisant mettre le feu à la file des maisons qui ferment la place Esbekié, à la droite du quartier-général. Une partie du quartier cophte fut aussi incendié, soit par nous, soit par les insurgés.

Telle était la position du Caire lorsque Kléber s'y rendit. Nous n'avions qu'une très petite quantité de fer coulé à notre disposition; nous manquions surtout de bombes et d'obus. Toute entreprise partielle lui parut dangereuse; il se détermina à attendre le retour de nos munitions, celui des troupes du général Belliard, qui devait remonter au Caire aussitôt qu'il aurait occupé Damiette, et celui de la division Reynier, qu'il rappela; en même temps, il fit achever les retranchemens, établir une batterie et préparer des combustibles; il travailla aussi à diviser les insurgés, à les intimider, à répandre la défaite du visir. Il fit parvenir des lettres aux cheiks et aux principaux habitans du pays. Moustapha-Pacha, qu'il avait retenu, écrivit par son ordre à Nassif-Pacha et à Osman-Effendi. Les mameloucks, le peuple du Caire et les Osmanlis, dont les intérêts sont tout-à-fait opposés, ne restèrent pas long-temps unis. Nassif-Pacha, Othman-Kayaya et Ibrahim-Bey, effrayés de ces dispositions, qu'ils ne pouvaient contenir, firent des ouvertures, et la capitulation fut arrêtée.

Elle leur était avantageuse sous bien des rapports, cependant elle ne fut pas exécutée. Ceux des habitans qui avaient excité et entretenu la sédition craignirent de rester exposés à notre vengeance, qu'ils jugeaient devoir être terrible comme elle l'est toujours dans l'Orient. Ils soulevèrent de nouveau la populace, firent distribuer de l'argent, des subsistances, et ordonnèrent des prières publiques; les femmes et les enfans arrêtaient les janissaires, les mameloucks; les conjuraient de ne pas les abandonner, et leur reprochaient leur désertion. D'un autre côté, les notables de la ville parvinrent à rapprocher plusieurs chefs de mameloucks et d'Osmanlis, parmi lesquels le général Kléber avait semé la dissension; les janissaires refusèrent de livrer les portes, et les hostilités recommencèrent sur tous les points.

Les circonstances étaient difficiles; nous n'avions pu assembler les ressources dont nous disposions, et nous étions obligés de ménager la place. Il fallait la réduire, mais par des moyens qui ne compromissent ni l'armée ni la population. Le Caire nous était indispensable, sa ruine eût fait dans l'Orient une impression fâcheuse; Kléber résolut de tout tenter avant de recourir à une attaque de vive force pour le soumettre. Mourâd-Bey jouissait d'une haute estime parmi les siens: le courage, la constance, le génie de ressources qu'il avait déployés dans cette lutte inégale, avaient encore accru la réputation que lui avait faite ses anciennes victoires. Les intelligences qu'il entretenait avec les Français devaient exercer une haute influence sur l'opinion; c'était un aveu d'impuissance, de lassitude, dont l'effet moral pouvait calmer l'exaltation populaire; le général en chef s'en prévalut avec habileté: il laissa percer le secret des négociations, et fit répandre les rapports, les communications qu'il avait depuis long-temps avec Mourâd.

Surpris à Sédiman par Zayoncheck, qui lui enleva sa tente, ses bagages; poursuivi par le général Belliard, qui le poussa à toute outrance au milieu du désert, ce bey s'était décidé à traiter. Il avait obtenu une trêve, et s'était retiré à Benesëh, où il se remettait de ses fatigues, lorsque le visir l'appela dans son camp. Il connaissait la perfidie des Turcs; il délibéra long-temps s'il devait s'y rendre; une autre considération le retenait encore. Il s'était rapproché des Français, leur loyauté ne l'avait pas moins charmé que leur bravoure; il sentait que sa vie, sa puissance, couraient moins de risques avec eux qu'avec les Osmanlis: il ne voulut pas joindre les pachas sans consulter le général Kléber. Mais aucune rupture n'avait encore éclaté, celui-ci ne crut pas devoir gêner ses déterminations; il lui répondit que sous les tentes du visir comme sous les siennes, il ne voyait jusqu'à présent que des amis; qu'il pouvait, s'il le jugeait convenable, réunir ses troupes à celles que commandait Youssef.

Les hostilités ne tardèrent pas à devenir inévitables. La face des choses était changée, Kléber résolut de s'assurer des dispositions de Mourâd-Bey. Il chargea le président de l'Institut, Fourier, de faire les ouvertures; elles furent accueillies. Setty-Fatmé, qui avait passé des bras d'Aly-Bey dans ceux de Mourâd, et dont la maison était depuis trente ans le seul asile qui fût ouvert aux malheureux, se chargea de les transmettre au bey. Elle ne dissimula pas combien il était disposé à traiter; mais elle craignait qu'on eût trop attendu, que Mourâd, qui était dans la matinée à quatre lieues du Caire, ne s'en fût éloigné. Il était encore sur les bords du Nil; l'émissaire de Fatmé le joignit et ne tarda pas à rapporter sa réponse. Elle était précise: «Si les Français consentent à livrer bataille au visir, j'abandonne les Turcs pour me joindre à eux; mais tant que la rupture sera incertaine je ne puis m'engager à rien.» Kléber, charmé de sa franchise, se borna à lui demander de ne prendre aucune part à l'action. Il y consentit, rassembla ses mameloucks, au moment où l'on se disposait à en venir aux mains, et gagna la rive droite du Nil. Ibrahim le sollicita vainement de se joindre à lui pour se jeter dans le Caire; il fut sourd à ses instances, et alla s'établir à Tourah Les négociations en étaient à ce point, lorsque Nassif-Pacha et Ibrahim-Bey refusèrent d'exécuter la capitulation qu'ils avaient consentie. Osman-Bey-Bardisy fut chargé de les suivre. «Vous déclarerez aux Français, lui dit Mourâd, que je m'unis à eux, parce qu'ils m'ont mis dans l'impossibilité de continuer la guerre. Je demande à m'établir dans une partie de l'Égypte, afin que s'ils la quittent, je m'empare, avec les secours qu'ils me fourniront, d'un pays qui m'appartient et qu'eux seuls peuvent m'enlever.» C'est à cela que se réduisaient ses instructions. Kléber lui répondit avec la même franchise; il lui garantit qu'il ne serait plus inquiété par nos troupes, et qu'après les intérêts de l'armée qui lui était confiée, il n'aurait rien de plus cher que ceux des mameloucks. Ces conditions furent agréées, des conférences s'établirent au quartier-général, et furent souvent interrompues par le bruit des pièces qui tonnaient sur le Caire: enfin, le traité fut conclu. Mourâd-Bey, suivant son expression, devint sultan français, et alla prendre possession des provinces qui s'étendent des cataractes à Kenëh. Il nous expédia aussitôt des convois de subsistances, désarma les Osmanlis qui s'étaient rassemblés dans son camp, et ne cessa d'entretenir des intelligences qui préparèrent la capitulation. Peu satisfait néanmoins de la lenteur avec laquelle elles opéraient, il proposa à Kléber d'incendier la place, et lui envoya même des barques chargées de roseaux. Son intervention fut plus prompte et plus efficace sur les peuplades de la Haute-Égypte. Derwich-Pacha, qui, en vertu de la convention d'El-A'rych, était allé prendre le commandement des provinces qu'elles habitent, les avaient soulevées à la nouvelle de la rupture, et s'avançait sur le Caire à la tête d'un rassemblement nombreux. Mourâd expédia des ordres aux villages; les fellâhs furent rappelés. Le bey reçut sur ces entrefaites l'ordre de dissiper les bandes qu'avait insurgées le pacha; la chose était faite, il se borna à répondre à Kléber que ses intentions avaient été prévenues, que Derwich avait déjà perdu les deux tiers de ses gens: «Au reste, ajouta-t-il, faites-moi savoir si vous demandez sa tête ou si vous exigez seulement qu'il quitte l'Égypte.» C'était en effet tout ce que voulait le général en chef; il ne tarda pas à être satisfait, Derwich repassa en Syrie.

Les Turcs n'étaient pas plus heureux dans le Delta. Douze à quinze mille d'entre eux s'étaient jetés à Damiette, et en occupaient les forts, les arsenaux. Le général Belliard, chargé de les suivre à la tête de douze cents hommes, les joint, les culbute, leur enlève quatorze pièces de canon et les disperse. Les habitans, stupéfaits de sa victoire, accoururent au-devant de lui et implorèrent sa clémence; mais ils s'étaient portés à mille excès; ils avaient pris les armes, outragé les Français, brûlé le général en chef en effigie; il les renvoya à Kléber, qui leur imposa une contribution de 200,000 francs; correction bien légère en comparaison de celle qu'ils attendaient.

Maître de cette place importante, le général Belliard s'avança sur Menouf, calmant, pacifiant cette population farouche que le fanatisme avait soulevée. L'adjudant-général Valentin obtenait le même, résultat devant Méhallé-el-Kebiré, et marchait sur Senrenhoud, dont les habitans, plus opiniâtres, refusaient de se soumettre au vainqueur. Il somme la place de rendre les armes; on lui répond que c'est par ordre du visir qu'on les a prises, qu'on ne reconnaît d'autres firmans que ceux du grand-seigneur. Il fait ses dispositions; l'ennemi croit qu'il se retire, et fond sur lui par toutes les issues; mais tourné, accablé, rompu, il est obligé de demander grâce, et se rend à discrétion. Tantah éprouve le même sort. Nos colonnes vont, viennent, parcourent le Delta et font tout rentrer dans l'ordre. Cependant le siége du Caire se poussait avec vigueur. Reynier était arrivé avec une partie de ses troupes; on avait reçu quelques munitions, la place était resserrée de tous côtés. Le général Almeiras reçut ordre d'attaquer le quartier cophte: il s'y porta à l'entrée de la nuit, força les maisons, enfonça les barricades qui abritaient l'ennemi, pénétra fort avant, et s'établit la gauche au mur du rempart et la droite à la hauteur de nos postes sur la place Esbekié. Les Turcs revinrent à la charge; mais enfoncés, battus sur tous les points, ils se retirèrent en nous laissant quatre drapeaux dans les mains. Nos communications furent dès-lors plus promptes et plus rapides; elles s'étendaient directement d'une extrémité de la ligne à l'autre. Elles devinrent encore plus faciles par le succès qu'obtint le général Reynier. Les insurgés avaient retranché près du fort Sulkowski un santon qui nous incommodait beaucoup. Il l'enleva; et profitant de l'effroi qu'il avait jeté parmi les Turcs, il attaqua, força les maisons qu'ils défendaient, et livra aux flammes toutes celles qui n'étaient pas nécessaires à la sûreté du poste qu'il avait emporté.

À la droite, les travaux ne se poussaient pas avec moins d'activité. On voulait se mettre en mesure de faire une attaque combinée qui commencerait par les ailes et se propagerait jusqu'au centre, en avant de notre position. En conséquence, un détachement du régiment de dromadaires que soutenait une compagnie de grenadiers, se porte brusquement sur la droite de la place Esbekié, attaque la maison qu'avait occupée la direction du génie s'en empare, et s'y retranche sous une grêle de balles.

Le feu continuel que la citadelle et les forts étaient obligés de faire, pour seconder des attaques si vives et si multipliées, eut bientôt épuisé nos munitions. L'ennemi s'en aperçut, et profita de cette circonstance pour échauffer le peuple, dont l'ignorance et le fanatisme se prêtaient à toutes les séductions que les chefs imaginaient. Nous étions aux dernières extrémités, nous manquions de poudre, de subsistances; nous allions être à la merci des croyans. C'était des prédications, des chants, tout ce qui pouvait exalter la multitude. Mais nous avions reçu des munitions, le général Belliard nous avait joints; nous nous soucions peu des secours qu'ils attendaient du ciel. Ils s'imaginaient que nous n'osions attaquer Boulac, que nous étions trop faibles pour le réduire, que nous ne pourrions arriver à eux. L'idée qu'ils avaient de nos forces était de nature à prolonger la défense, Friant fut chargé de les détromper. Il cerna, investit Boulac, et le somma d'ouvrir ses portes. Malheureusement, il offrit de tout oublier, de ne rechercher personne; on le crut hors d'état de sévir, on refusa de se soumettre. Le général Belliard, qui conduisait l'attaque résolut, de faire encore une tentative. Les Orientaux n'obéissaient qu'à la force: il la déploya, ouvrit un grand feu d'artillerie et essaya une dernière sommation. Elle fut aussi vaine que les premières. Les insurgés voyant qu'on parlemente encore, reviennent de l'effroi que leur a causé ce déluge inattendu de projectiles. Ils se retranchent, se barricadent, occupent tous les créneaux qu'ils ont ouverts, et répondent par une fusillade meurtrière. Le général, outré de cette obstination, ne les ménage plus; la charge bat, les soldats s'ébranlent; les retranchemens, les redoutes, tout est emporté. En vain l'ennemi se jette dans les maisons; les flammes, la baïonnette, courent sur sa trace; il est brûlé, mis en pièces: ce n'est partout que sanglots, que désespoir. Le général accourt au milieu de cet affreux désordre; il veut sauver cette aveugle population, il lui offre la vie, l'oubli du passé; elle lui répond par des cris de fureur. Le carnage recommence alors, le sang coule à flots, et cette cité populeuse n'est bientôt qu'un monceau de cadavres et de cendres. Tout est dissipé, tout est vaincu; il n'y a plus de résistance possible; les chefs des corporations accourent auprès du général et se mettent à sa disposition. Aussitôt le carnage cesse, les hostilités s'arrêtent et l'armistice est proclamé.

 

Boulac était réduit, le Caire détrompé, Kléber résolut de mettre à profit l'impression qu'avait dû produire cette exécution sanglante; mais la pluie survint, nous fûmes obligés d'ajourner nos apprêts. Le temps néanmoins ne tarda pas à se remettre au sec. Les bois, les toitures, perdirent l'eau dont ils s'étaient chargés; nos moyens d'incendie avaient repris toute leur force, nous fîmes nos dispositions. Les Turcs s'étaient retranchés dans les maisons qui avoisinent la place Esbekié. Ils avaient placé de l'artillerie dans les unes, établi des postes dans les autres, et crénelé avec soin le palais Setty-Fatmé, où s'appuyait leur gauche. C'était là que s'organisaient les sorties, là que se formaient les colonnes qui venaient chaque jour assaillir le quartier-général. Ce fut aussi là qu'on résolut de commencer l'attaque. Tentée de front, elle eût été meurtrière, on recourut à l'art; on découvrit, on mina l'édifice, hommes et bâtimens tout eut bientôt disparu. Les troupes s'ébranlent aussitôt; l'action s'engage, devient générale; partout on lutte avec fureur. Culbutés à la droite par le général Donzelot, les Osmanlis sont rompus au centre par le général Belliard, qui les cerne, les replie, les pousse de rue en rue, lorsqu'une balle l'atteint et le met hors de combat: cet accident rend la poursuite moins ardente. Les insurgés se forment de nouveau et menacent de revenir à la charge. Mais le général Reynier a forcé la porte Bab-el-Charyëh, l'incendie et la mort courent sur ses pas. Toute espérance est désormais perdue. Nassif-Pacha s'éloigne; il cherche à sauver sa cavalerie, suit les détours, s'engage, pousse à travers les décombres, et se croit hors de danger, lorsqu'il trouve au débouché d'une rue, une compagnie de carabiniers qui le reçoit à bout portant. Il essaie de se faire jour, mais ses efforts sont inutiles; il n'échappe à la mort qu'en abandonnant son cheval pour se jeter dans les maisons voisines, d'où il gagne les quartiers qu'occupent encore les siens. Une partie des Turcs était couchée dans la poussière, le reste avait fui; il n'y avait plus qu'une batterie qui continuât le feu. Les carabiniers, qui marchaient contre elle lorsqu'ils s'étaient trouvés en présence du pacha, reprennent leur mouvement, escaladent les mosquées, franchissent les terrasses, arrivent à la tour où sont les pièces et les enclouent.

Les Osmanlis étaient accablés; ils n'avaient pu défendre leurs retranchemens ni leurs murailles; l'élite de leurs troupes avait succombé, la ville était en feu; ils ne s'abandonnaient plus aux vaines espérances dont ils s'étaient bercés. D'un autre côté, les cheiks, qui n'avaient cessé d'être en relation avec le général en chef, insistaient auprès des pachas sur les dangers d'une plus longue résistance. Ils leur représentaient qu'inutile au visir, cette lutte pesait au peuple, dont elle compromettait la vie et la fortune. Osman-Bey-Bardisy, que Mourâd avait dépêché à Ibrahim, joignit ses instances à celles des cheiks. Il offrit la médiation de son chef aux insurgés, et les pressa vivement de rendre la place. Ils y consentirent, mais à des conditions telles que le bey ne voulut pas les transmettre au général Kléber, et se contenta de lui adresser les deux officiers qui en étaient porteurs. Le général les reçut en présence de son état-major, écouta patiemment les propositions qu'ils étaient chargés de lui faire, et les conduisant à l'embrasure d'une croisée, il leur montra l'incendie du Caire et les ruines de Boulac. Ce fut toute sa réponse. Il prit ensuite à part l'envoyé d'Ibrahim, et lui donna connaissance du traité qu'il avait conclu avec Mourâd. Le bey fut stupéfait. On put juger à son étonnement de l'effet que cette transaction produirait dans la place dès qu'elle y serait connue.

Les deux envoyés se retirèrent, et ne tardèrent pas à reparaître avec des propositions moins incompatibles avec l'état des choses. Ils sollicitèrent une suspension d'armes; le général refusa. Ils insistèrent, et demandèrent que du moins on ne fît pas d'attaque aussi vive que l'avait été la dernière. Ils déploraient ces actions sanglantes, et prétendaient qu'à la veille de s'entendre, comme on l'était, sur l'évacuation du Caire, elles n'avaient plus d'objet. Kléber examina, modifia le projet de capitulation qu'ils lui présentaient, et leur permit de visiter ceux de leurs compatriotes que le général Belliard avait faits prisonniers à Damiette. Ils apprirent de leur bouche les défaites qu'ils avaient essuyées, le désastre du visir, et la reprise de toutes les places de la Basse-Égypte. Cette entrevue les rendit plus humbles; ils allèrent porter au Caire la consternation dont ils étaient frappés. On résolut de l'augmenter encore; on marcha aux retranchemens dès que la nuit fut close; on les força, on culbuta ceux qui les défendaient, on ne s'arrêta que lorsque tout fut débusqué. L'attaque ne tarda pas à se rallumer; mais le jour commençait à poindre, Osman-Aga accourut avec la capitulation revêtue de la signature de Nassif-Pacha. Les hostilités cessèrent, les otages furent échangés, et nos postes établis sur le canal, depuis la Prise d'eau, jusqu'à la porte Bal-el-Charyëh.

Les Turcs se mirent aussitôt en mesure d'évacuer la place, et se retirèrent enfin emmenant avec eux les principaux chefs de l'insurrection. Trois à quatre mille habitans les suivirent aussi, et se dispersèrent dans les villages pour se soustraire à la vengeance des Français, dont ils se faisaient une idée monstrueuse.

Le général avait cependant promis de n'en exercer aucune; il avait même garanti paix et protection à tous ceux qui retourneraient tranquillement à leurs travaux. Il se réservait une satisfaction mieux entendue; c'était d'imposer le commerce, de faire contribuer les riches, et d'en tirer les moyens de faire face aux besoins de l'armée.

Le général Reynier, chargé d'escorter les Turcs jusqu'à Salêhiëh, retira ses troupes de la porte des Victoires, afin d'éviter de leur donner ombrage. Il ne prit avec lui qu'un régiment de cavalerie, se rendit à la Koubbé, où l'attendaient les Osmanlis; il se mit en route avec cette escorte, suivi à une assez longue distance par toute sa division. L'ennemi ne cacha pas la frayeur que lui causait ce redoutable voisinage; mais il éprouva bientôt que nos soldats ne sont pas moins généreux après la victoire, que terribles au milieu du feu, et cessa de s'abandonner aux alarmes qu'ils lui causaient. Nassif-Pacha surtout ne revenait pas de l'ordre, des égards qui présidaient à la marche. Ibrahim-Bey n'était pas moins étonné; ils ne pouvaient concevoir cette subordination qui fait la force des armées européennes, et témoignaient à l'envi l'admiration, la reconnaissance qu'elle leur inspirait.