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Mémoires du maréchal Berthier … Campagne d'Égypte, première partie

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LES ANGLAIS REFUSENT D'EXÉCUTER LA CONVENTION D'EL-A'RYCH

BATAILLE D'HÉLIOPOLIS

La lettre de Sidney donna une nouvelle impulsion aux mesures de défense que le général en chef avait arrêtées. Il pressa le retour du matériel qui se trouvait déjà à Rosette, et fit remonter en toute hâte des munitions qu'on avait transportées à Alexandrie. Il accéléra la marche des corps qui stationnaient à Rahmaniëh, expédia des courriers dromadaires à ceux qui étaient encore disséminés dans la Haute-Égypte, et se vit bientôt entouré de l'armée entière, avec laquelle il prit position vers la Koubbé. Il lui adressa une proclamation pour la préparer aux suites d'une rupture; en même temps il chargea le secrétaire de Sidney qui lui avait rendu la dépêche du commodore d'aller sur-le-champ donner communication de cette pièce au visir. Il appela auprès de lui Moustapha-Pacha, commissaire de la Porte, lui déclara qu'il différait l'évacuation du Caire, et qu'il regarderait comme un acte d'hostilité le moindre mouvement que ferait l'armée ottomane au-delà de Belbéis. Joussef se trouvait dans cette place lorsque la dépêche lui fut rendue. Son camp était déjà levé et lui-même prêt à monter à cheval. Il témoigna son étonnement de l'opposition que montraient les Anglais à l'exécution d'un traité qu'ils avaient mis tant d'insistance à conclure, et adressa à Sidney les représentations qui suivent:

Le Grand-Visir au commodore Sidney Smith

«Il est superflu de vous faire savoir qu'il a été convenu, dans les conférences qui ont eu lieu à El-A'rych, entre mes plénipotentiaires et ceux de l'honoré général Kléber, que les escadres de la Sublime Porte, celles de l'Angleterre et de la Russie n'auraient pas inquiété les bâtimens sur lesquels doivent s'embarquer les Français qui évacueront l'Égypte. Ces conventions vous ont été connues, et elles ont été stipulées d'après votre avis, en vertu de votre qualité de ministre plénipotentiaire; vous étiez convenu en même temps que la Porte aurait fourni des firmans de route, et que vous auriez donné des passe-ports aux Français qui seraient sortis de l'Égypte en toute sûreté avec armes et bagages, et remis lesdits passe-ports au lord Nelson, qui se serait chargé de les faire arriver sains et saufs dans les ports de France.

«D'après cela, il est évident qu'il est de toute nécessité que cette convention soit complétement exécutée, sans qu'il puisse y être mis aucune opposition. Cependant le général en chef Kléber vient de m'envoyer copie d'une lettre que vous lui écrivez, et dont l'original a été vu par votre secrétaire Keith, dans laquelle vous lui faites part des ordres de lord Keith, mon honoré ami, amiral de l'escadre de Sa Majesté britannique dans la Méditerranée, qui sont contraires à l'exécution de la convention. Quoique vous n'ayez pas encore reçu la lettre du lord Keith qui contient les susdits ordres, votre lettre ayant singulièrement affecté le général Kléber, son excellence Moustapha-Pacha a fait savoir, par des dépêches réitérées, qu'il se refusait à évacuer le Caire. Comme vous mandez à ce général, en lui faisant part des ordres du lord Keith, qu'il serait nécessaire d'ouvrir de nouvelles conférences pour prendre des arrangemens en conséquence, il a élevé des doutes sur la libre sortie des Français de l'Égypte, et a déclaré qu'il n'évacuerait le Caire que lorsqu'il serait pleinement rassuré. Cependant l'époque où le Caire aurait dû être évacué, conformément à la convention, étant arrivée, et cette infraction au traité mettant dans le cas de recommencer les hostilités; mais étant convaincu que le général Kléber ne s'est point conformé au traité à cet égard, que parce qu'il a eu connaissance et a été très affecté des difficultés opposées par le lord Keith, et qu'il désirait, avant d'en venir à cette mesure, être rassuré de ce côté, on s'est borné à lui faire donner l'assurance que l'Angleterre ne mettrait aucun obstacle à l'arrivée de l'armée française dans les ports de France.

«Il est inutile de vous dire qu'il est certain que le lord Keith n'était point instruit de l'évacuation de l'Égypte, lorsqu'il a expédié ses dépêches, et que vous auriez dû lui en donner connaissance avant d'écrire au général français des lettres qui devaient nécessairement lui donner de l'inquiétude; vous devez donc montrer le plus grand zèle pour faire exécuter complétement tous les articles de cette convention, passée entre la Sublime Porte et les Français qui sont en Égypte, et à laquelle vous avez participé comme plénipotentiaire de votre cour; vous y êtes d'autant plus obligé que, conformément à l'alliance que la Sublime Porte a contractée avec l'Angleterre, et par laquelle cette puissance garantit l'intégrité de l'empire ottoman, vous devez mettre tout en œuvre afin que l'Égypte soit remise le plus tôt possible sous sa domination.

«L'ambassadeur extraordinaire de Sa Majesté britannique près la Sublime Porte, le lord Elgin, notre ami, lui a présenté plusieurs mémoires dans lesquels il dit que son roi n'apportera aucune difficulté dans les conventions qu'elle voudra passer pour l'évacuation de l'Égypte; que sa volonté, à cet égard, sera toujours exécutée, et que Sa Majesté Britannique se conformera toujours aux articles du traité d'alliance qui unit les deux puissances; d'après cela, il est de votre devoir de faire cesser promptement les difficultés que votre lettre a apportées à l'entière exécution de la convention passée pour l'évacuation de l'Égypte.

«Je vous ai écrit la présente, afin que, mettant tous vos soins à ce que rien n'arrive de contraire à notre alliance et à la convention stipulée, vous m'expédiez le plus tôt possible une dépêche tendante à rassurer le général Kléber, par la certitude que vous me donnerez que les bâtimens sur lesquels seront embarqués les Français ne seront nullement inquiétés par les bâtimens anglais, et que ceux-ci, au contraire, les feront parvenir sains et saufs dans leur patrie; et que, conformément à notre alliance, vous et tous les préposés de votre cour emploierez tous vos moyens afin que les articles de la convention soient pleinement exécutés. Quand la présente vous sera parvenue, j'espère que vous ferez tout ce qui tendra à resserrer notre alliance, et surtout à faire exécuter la convention, et que vous vous empresserez de m'envoyer la lettre que je vous demande.

«Signé Joussef-Pacha.
Pour copie conforme,
Le général de division, chef de l'état-major,
«Signé Damas.»

Après ces observations, qui étaient en effet péremptoires, le visir se persuada que tout allait s'aplanir; il reprit son mouvement, se rendit auprès d'El-Hanka avec son armée, et portant son avant-garde à Matarié, à deux heures de chemin du Caire, il plaça dans la plaine de la Koubbé ses avant-postes au milieu des nôtres.

Sur ces entrefaites, le lieutenant Wright arriva au quartier-général, porteur d'une lettre adressée par le lord Keith, commandant de la flotte anglaise dans la Méditerranée, au général en chef de l'armée française en Égypte. Elle était datée de Minorque, le 8 janvier 1800, écrite en anglais, et ainsi conçue:

«Monsieur,

Ayant reçu des ordres positifs de Sa Majesté de ne consentir à aucune capitulation avec l'armée française que vous commandez en Égypte ou en Syrie, excepté dans le cas où elle mettrait bas les armes, se rendrait prisonnière de guerre, et abandonnerait tous les vaisseaux et toutes les munitions des ports et ville d'Alexandrie aux puissances alliées, et dans le cas où une capitulation aurait lieu, de ne permettre à aucune troupe de retourner en France, qu'elle ne soit échangée, je pense nécessaire de vous informer que tous les vaisseaux ayant des troupes françaises à bord, et faisant voile de ce pays avec des passe-ports signés par d'autres que par ceux qui ont le droit d'en accorder, seront forcés par les officiers des vaisseaux que je commande de rentrer à Alexandrie; et que ceux qui seront rencontrés retournant en Europe, d'après des passe-ports accordés en conséquence d'une capitulation particulière avec une des puissances alliées, seront regardés comme prises, et tous les individus à bord considérés comme prisonniers de guerre.

Signé Keith.»

Kléber prit à l'instant la résolution de livrer bataille, certain que l'armée partagerait ses sentimens, aussitôt qu'elle connaîtrait cette lettre odieuse; elle fut imprimée pendant la nuit, et servit de proclamation. «Soldats! ajouta le général, on ne répond à de telles insolences que par des victoires: préparez-vous à combattre.» Jamais outrage ne fut plus vivement senti. L'injure était commune, chacun brûlait de la venger. Tous les Français se reconnurent à cette généreuse indignation; l'on eût dit que l'armée poussait dans ce moment un cri de guerre unanime.

Le visir avait rejeté toutes les propositions qui lui avaient été adressées. Il ne voyait dans notre modération que le témoignage de notre faiblesse. Convaincu que les Français ne pouvaient s'opposer à la marche de son armée, il exigea, au terme convenu, l'évacuation du Caire, de tous les forts et du Delta. Dans les conférences qui se tinrent à la Koubbé, le reis-effendi et le teftedar, feignirent de regarder cette opposition des Anglais comme un événement peu considérable, qui, n'étant point émané de Constantinople, ne devait pas arrêter l'évacuation. Tout délai de notre part était, selon eux, une infraction au traité, et c'était offenser la Porte que d'exiger une autre garantie que ses firmans.

La communication de la lettre du lord Keith n'avait rien changé aux dispositions du visir. Sidney-Smith voulut, à son ordinaire, s'interposer entre les Turcs et nous, et conseilla inutilement de tout suspendre de part et d'autre. Le visir, qui n'appréciait pas les suites d'une rupture, repoussa le conseil donné par la prévoyance, persista dans ses prétentions, et consentit seulement à promettre des otages et des subsides.

 

Pendant que duraient les conférences, le visir faisait venir de nouvelle artillerie d'El-A'rych, il augmentait ses forces déjà très considérables, armait les habitans des villages. Il répandait dans les provinces des firmans, où les Français étaient représentés comme des infidèles, ennemis de l'Islamisme, infracteurs des traités. Il écrivait dans le même sens aux tribus d'Arabes, établissait des chefs de sédition dans toutes les villes, et notamment au Caire, à Méhallet-el-Kebis et à Taula, où elles ne tardèrent pas à éclater. Il ordonna aux odjakis qui composaient l'ancienne milice du Grand-Seigneur de se rendre à son camp, avec leurs chevaux et leurs armes; enfin, il enjoignit à tous, sous peine d'être traités comme rebelles, de se réunir, au nom de la religion et du souverain, pour exterminer les Français que leur petit nombre et la terreur de ses armes avaient glacés d'effroi.

Cependant les troupes françaises arrivèrent de la Basse-Égypte et du Saïd. Il n'y avait pas un instant à perdre, la position des deux armées suffisait pour amener des hostilités. Nos forces ne pouvaient augmenter, celles de l'ennemi allaient toujours croissant. Kléber fit cesser les conférences, et s'adressant à Moustapha-Pacha:

«Il faut, lui dit-il, que votre excellence sache que les desseins du visir me sont connus. Il me parle de concorde et forme des séditions dans toutes les villes. C'est vous-même qu'il a chargé de préparer la révolte du Caire. Le temps de la confiance est passé. Le visir m'attaque puisqu'il est sorti de Belbéis; il faut que demain il retourne dans cette place, qu'il soit le jour suivant à Salêhiëh, et qu'il se retire ainsi jusqu'aux frontières de la Syrie, autrement je l'y contraindrai. L'armée française n'a pas besoin de vos firmans, elle trouvera l'honneur et la sûreté dans ses forces; informez Son Altesse de mes intentions.»

Le même jour il convoqua les officiers généraux en conseil de guerre; il leur présenta la lettre de lord Keith, le plan de bataille, et leur dit:

Citoyens généraux,

«Vous avez lu cette lettre, elle vous dicte votre devoir et le mien. Voici notre situation: les Anglais nous refusent le passage après que leurs plénipotentiaires en sont convenus, et les Ottomans, auxquels nous avons livré le pays, veulent que nous achevions de l'évacuer conformément aux traités; il faut vaincre ces derniers, les seuls que nous puissions atteindre; je compte sur votre zèle, votre sang-froid et la confiance que vous inspirez aux troupes. Voici mon plan de bataille.»

Cette exposition ne fut suivie d'aucune délibération, chacun était animé d'un égal désir de soutenir la gloire de nos armes.

Ne voulant point attaquer le visir sans une déclaration expresse d'hostilités, Kléber lui adressa la lettre suivante:

Au quartier-général de l'armée française,
le 28 ventôse an VIII.

«L'armée dont le commandement m'est confié, ne trouve point, dans les propositions qui m'ont été faites de la part de Votre Altesse, une garantie suffisante contre les prétentions injurieuses, et contre l'opposition du gouvernement anglais à l'exécution de notre traité. En conséquence, il a été résolu ce matin, au conseil de guerre, que ces propositions seraient rejetées, et que la ville du Caire ainsi que ses forts, demeureraient occupés par les troupes françaises, jusqu'à ce que j'aie reçu du commandant en chef de la flotte anglaise dans la Méditerranée, une lettre directement contraire à celle qu'il m'a adressée le 8 janvier, et que j'aie entre les mains les passe-ports signés par ceux qui ont le droit d'en accorder.

«D'après cela, toutes conférences ultérieures entre nos commissaires deviennent inutiles, et les deux armées doivent dès cet instant être considérées comme en état de guerre.

«La loyauté que j'ai apportée dans l'exécution ponctuelle de nos conventions donnera à Votre Altesse la mesure des regrets que me fait éprouver une rupture aussi extraordinaire dans ces circonstances, que contraire aux avantages communs de la République française et de la Sublime Porte. J'ai assez prouvé combien j'étais animé du désir de faire renaître les liaisons d'intérêt et d'amitié qui unissaient depuis long-temps les deux puissances. J'ai tout fait pour rendre manifeste la pureté de mes intentions. Toutes les nations y applaudiront, et Dieu soutiendra par la victoire la justice de ma cause. Le sang que nous sommes prêts à répandre rejaillira sur les auteurs de cette nouvelle dissension.

«Je préviens aussi Votre Altesse que je garde comme otage à mon quartier-général, son excellence Moustapha-Pacha, jusqu'à ce que le général Galbo, retenu à Damiette, soit arrivé à Alexandrie, avec sa famille et sa suite, et qu'il ait pu me rendre compte du traitement qu'il a éprouvé des officiers de l'armée ottomane, sur lesquels on me fait des rapports très extraordinaires.

«La sagesse accoutumée de Votre Altesse, lui fera distinguer aisément de quelle part viennent les nuages qui s'élèvent; mais rien ne pourra altérer la grande considération et l'amitié bien sincère que j'ai pour elle.

«Signé Kléber.»

Pendant que Kléber faisait connaître ces nouvelles dispositions au visir, on ordonnait au Caire les préparatifs du combat.

Au milieu de la nuit suivante le général se rendit, avec les guides de l'armée et son état-major, dans la plaine de la Koubbé, où se trouvait déjà une partie des troupes. Les autres arrivèrent successivement et se rangèrent en bataille. La clarté du ciel, toujours serein dans ces climats, suffisait pour que les mouvemens s'exécutassent avec ordre; mais elle était trop faible pour que l'ennemi pût les apercevoir. Kléber parcourut les rangs et remarqua la confiance et la gaîté de nos soldats, présages ordinaires de la victoire.

La ligne de bataille était composée de quatre carrés; ceux de droite obéissaient au général Friant, ceux de gauche au général Reynier; l'artillerie légère occupait les intervalles d'un carré à l'autre, et la cavalerie en colonnes, dans l'intervalle du centre, était commandée par le général Leclerc: ses pièces marchaient sur ses flancs et étaient soutenues par deux divisions du régiment des dromadaires.

Derrière la gauche, en seconde ligne, était un petit carré de deux bataillons. L'artillerie de réserve, placée au centre, était couverte par quelques compagnies de grenadiers, et les sapeurs, armés de fusils; d'autres pièces marchaient sur les deux côtés du rectangle, soutenues et flanquées par des tirailleurs. Enfin, des compagnies de grenadiers doublaient les angles de chaque carré, et pouvaient être employés pour l'attaque des postes. La 1re brigade de la division Friant était commandée par le général Belliard, et formée de la 21e légère et de la 88e de bataille; les 61e et 75e de bataille formaient la 2e brigade, aux ordres du général Donzelot.

Le général Robin commandait la 1re brigade de la division Reynier, composée de la 22e légère et de la 9e de bataille. Le général Lagrange avait sous ses ordres la 13e et la 85e de bataille, formant la 2e brigade de cette division. Le général Songis commandait l'artillerie, et le général Samson le génie.

Nassif-Pacha, à la tête de l'avant-garde ennemie, avait deux autres pachas sous ses ordres. Le village de Matarié, qu'il occupait avec cinq ou six mille janissaires d'élite, et un corps d'artillerie, avait été retranché et armé de seize pièces d'artillerie. Les avant-postes se prolongeaient sur la droite jusqu'au Nil, et sur la gauche jusqu'à la mosquée de Sibil-Yalem; le camp du visir était situé entre El-Hanka et le village de Abouzabal. C'est dans cet endroit que son armée était rassemblée, elle y occupait un espace considérable; on ne peut décrire son ordre de bataille; les Turcs n'en observent aucun. Presque tous les rapports qui nous sont parvenus portaient cette armée à quatre-vingt mille hommes, quelques uns cependant ne l'évaluaient qu'à soixante mille.

On se mit en marche vers les trois heures du matin. L'aile droite arriva au point du jour près de la Mosquée (Sibil-Yalem), où l'ennemi avait une grand'garde de cinq ou six cents chevaux; quelques coups de canon les déterminèrent à se replier. Les deux carrés de gauche arrivèrent devant le village de Matarié. Ils s'y arrêtèrent hors de portée de canon, et donnèrent le temps à la division de droite de venir se placer entre Héliopolis et le village d'El-Mark, afin de s'opposer à la retraite des troupes ennemies, et à l'arrivée des renforts que le visir pouvait envoyer.

Tandis que ce mouvement s'exécutait, on aperçut un corps de cavalerie et d'infanterie turque réuni à une forte troupe de mameloucks, qui, après avoir fait un grand détour dans les terres cultivées, se dirigeait vers le Caire. Les guides eurent ordre de les charger; ceux-ci acceptèrent la charge, et renforcés successivement par de nouvelles troupes, enveloppèrent les nôtres. L'issue de cette mêlée eût été funeste, si le 22e régiment de chasseurs et le 14e de dragons ne fussent accourus. Le combat néanmoins fut long et opiniâtre; à la fin l'ennemi prit la fuite et s'éloigna à perte de vue dans les terres, continuant toujours de se diriger sur le Caire.

Le général Reynier commença l'attaque de Matarié; des compagnies de grenadiers mises en réserve pour cet objet, reçurent l'ordre d'emporter les retranchemens, et l'exécutèrent avec une bravoure digne des plus grands éloges; tandis qu'elles bravaient le feu de l'artillerie ennemie et s'avançaient au pas de charge, les janissaires sortirent de leurs retranchemens et fondirent à l'arme blanche sur la colonne de gauche; mais accueillis de front par une fusillade meurtrière, pris en flanc par les troupes de droite, ils sont accablés, défaits, tous reçoivent la mort. Leurs cadavres comblent les fossés dont ils s'étaient couverts, on s'élance sur leurs membres palpitans, on franchit tous les obstacles, le camp est emporté; drapeaux, pièces d'artillerie, queues de pachas, effets de campemens tombent dans nos mains. L'infanterie se jette en vain dans les maisons et cherche à s'y défendre, on la suit, on la force; tout ce qui oppose de la résistance est égorgé ou livré aux flammes. Pressées par le fer et le feu, quelques colonnes essaient de déboucher dans la plaine; mais elles tombent sous le feu de la division Friant. Le reste est tué ou dispersé par une charge de cavalerie.

L'ennemi avait abandonné ses tentes et ses bagages; mais l'armée sentait la nécessité de ne pas laisser reprendre haleine au visir, et de le poursuivre jusqu'aux limites du désert. Elle abandonna le butin aux Arabes, et continua le mouvement.

Nassif-Pacha désirait parlementer et demandait un officier de marque. Le chef de brigade Baudot, aide-de-camp du général en chef, fut chargé d'aller recevoir ses ouvertures; mais il ne fut pas plus tôt aperçu des troupes turques, qu'il se vit assailli de toutes parts. Blessé à la tête et à la main, il allait être mis en pièces, lorsque deux mameloucks du pacha qui l'accompagnaient réussirent à l'arracher à cette multitude sauvage. Ils le conduisirent au visir qui le fit arrêter.

Cependant le général Reynier avait rassemblé sa division auprès de l'obélisque d'Héliopolis. Tout à coup des nuages de poussière s'élèvent à l'horizon; l'armée turque s'avance, conduite par le visir en personne, et prend position sur les hauteurs qui séparent les villages de Syriacous et d'El-Mark. Son chef s'établit derrière le bois de palmiers qui entoure le dernier de ces villages.

Nous marchons à sa rencontre; Friant se porte sur la gauche, Reynier sur la droite, toute l'armée s'avance et prend insensiblement son premier ordre de bataille. Les tirailleurs ennemis sont repoussés, chassés du bois qui les protége. Le groupe de cavalerie qui forme le quartier-général du visir est couvert d'obus et de mitraille. Les Ottomans ripostent, le feu s'échauffe, la canonnade devient terrible. Mais les boulets de l'ennemi se perdent au-dessus de nos carrés, et ses pièces, accablées de projectiles lancés avec justesse et précision, sont bientôt démontées. Il réunit ses drapeaux épars sur toute la ligne, c'est le signal ordinaire d'une charge générale; nous nous y préparons. Le général Friant laisse approcher les Osmanlis, démasque ses pièces et les couvre de mitraille. Cette terrible réception les ébranle; ils hésitent, flottent et prennent enfin la fuite. L'infanterie n'avait voulu tirer qu'à bout portant; elle ne brûla pas une amorce.

 

Le terrain était coupé, sillonné de profondes gerçures; cette circonstance avait ralenti l'impétuosité de la cavalerie ennemie, et ne permit pas à la nôtre d'accabler les fuyards.

Le visir était exposé au feu de nos pièces, dans le village d'El-Mark. Il fait ses dispositions pour nous éloigner. Son armée s'ébranle, se divise et nous entoure de toutes parts. Ainsi placés au milieu d'un carré de cavalerie qui avait plus d'une demi-lieue de côté, nous tuâmes, nous fusillâmes, pas une de nos balles n'était perdue. Enfin, les Turcs désespérant de vaincre, s'éloignent à toute bride et gagnent El-Hanka.

Quoique battu, le visir était encore redoutable. Il avait des troupes nombreuses, et sa présence suffisait pour armer la population contre les Français: aussi Kléber était-il déterminé à le suivre au Caire, dans le désert, à travers les terres cultivées, partout où il porterait ses pas. Il se mettait sur ses traces, lorsqu'il vit venir à lui l'interprète qui avait accompagné son aide-de-camp. Le visir l'avait chargé de proposer à Kléber de faire cesser les hostilités, et d'évacuer le Caire, conformément au traité qu'ils avaient conclu. «Retournez à son camp, répondit le général, et dites-lui que je marche sur El-Hanka.» L'armée était en mouvement et fut bientôt à la hauteur du village. Une cavalerie nombreuse le défendait; mais elle n'aperçut pas plus tôt nos troupes, qu'elle se replia confusément, et prit la fuite. De ceux qui étaient sur les flancs et les derrières, les uns revinrent sur leurs pas, les autres se dispersèrent. Quant à Mourâd-Bey, dès que l'attaque avait commencé, il s'était éloigné à perte de vue dans le désert, pour ne pas prendre part à l'action.

L'armée ottomane ne nous attendit pas à El-Hanka; elle s'éloignait, fuyait, abandonnait tout ce qui pouvait retarder son mouvement. Nous espérions la joindre dans son camp; nous forçâmes de marche; nous y fûmes rendus avant le coucher du soleil. Elle n'avait fait que passer; nous trouvâmes ses effets de campement, ses équipages, des objets précieux, une grande quantité de cottes de maille, de casques de fer. Nous étions accablés de fatigue, nous rencontrions des tentes qui nous invitaient à réparer nos forces; nous cédâmes. La nuit tendit ses voiles, tout fut bientôt calme, assoupi; on put distinctement entendre le bruit du canon qu'on tirait au Caire. Kléber avait laissé dans cette ville la 32e de bataille, et des détachemens de différens corps qui faisaient ensemble environ deux mille hommes, auxquels il avait ordonné, si quelque émeute générale venait à éclater, de se retirer dans les forts. Le général Verdier, qui en avait le commandement, devait se borner à maintenir la communication entre la ferme d'Ibrahim Bey, la Citadelle et le fort Camin. Le général Zayoncheck commandait à Gisëh. Ces dispositions suffisaient pour donner au général en chef le temps de repousser le visir; mais le corps de mameloucks et d'Osmanlis qui s'était détaché pendant la bataille, s'était sans doute joint aux séditieux; il était nécessaire de marcher au secours. Le général Lagrange reçut, en conséquence, l'ordre de s'y porter avec quatre bataillons, deux de la 25e, un de la 61e et un de la 75e. Il partit vers minuit, et bientôt après l'armée s'achemina vers Belbéis. La route était couverte de pièces de canon, de litières sculptées, de voitures à ressorts, et de bagages abandonnés. À chaque pas, c'était des débris, des traces d'une déroute, telle qu'on n'en vit jamais. Nous arrivâmes sur le déclin du jour. L'infanterie occupait les forts, la cavalerie en défendait les avenues.

La division Reynier fit halte devant la ville. Le général Priant obliqua sur la gauche, et l'artillerie ouvrit le feu; mais les escadrons ennemis n'ont pas plus tôt aperçu qu'on cherche à les tourner qu'ils tournent bride et s'éloignent. La division Friant continue son mouvement, le général Belliard pénètre dans l'enceinte, chasse successivement les Turcs des points les plus avantageux, et les refoule dans l'un des forts, où ils se défendent le reste du jour. On emploie la nuit à faire les dispositions d'attaque; mais les Turcs proposent de rendre la place, à condition qu'ils seront libres de rejoindre le visir, et d'emporter leurs armes. Cette dernière clause est rejetée. L'action s'engage et devient terrible; mais les pertes qu'ils essuient, le manque d'eau qui les accable, ne leur permettent pas de prolonger une défense meurtrière. Ils se rendent à discrétion; ils supplient le général en chef de leur permettre de se rallier au visir, et de laisser à quelques uns d'entre eux les armes nécessaires pour se défendre contre les Arabes. Il y consentit, et la place nous fut remise. Pendant qu'on s'occupait à les désarmer, un d'entre eux, animé par le désespoir et le fanatisme, s'écrie qu'il préfère la mort; et comme s'il eût été indigné de ne pas la recevoir, il s'avance contre le chef de brigade Latour, et lui tire un coup de fusil à bout portant. Tous ceux qui ont des armes les jettent aussitôt: Nous ne méritons pas de les conserver, disent-ils à nos soldats; notre vie est à vous. Le coupable fut sur-le-champ puni de mort par nos grenadiers. On ne laissa des armes qu'aux chefs, et on fit prendre à la colonne la route de Salêhiëh.

Nous trouvâmes dix pièces de canon dans la ville et dans les environs, indépendamment de celles que nous avions laissées lors de l'évacuation. Parmi les premières, étaient deux pièces anglaises semblables à celles qu'on enleva à Aboukir, et qui portaient la devise: Honni soit qui mal y pense. Pendant que cela se passait, la cavalerie du général Leclerc battait l'estrade sur la route de Salêhiëh et dans l'intérieur des terres. Le 7e régiment de hussards ramena, le 1er au matin, quarante-cinq chameaux avec leurs conducteurs. L'escorte était composée de mameloucks et d'Osmanlis, qui déclarèrent qu'ils étaient chargés de porter au Caire, à Nassif-Pacha et à Ibrahim-Bey, une partie de leurs bagages. Kléber ne douta plus que le visir n'eût chargé ces deux chefs de se mettre à la tête de la révolte. L'armée ottomane était considérablement diminuée par la perte qu'elle avait essuyée dans la bataille et la séparation des corps qui occupaient le Caire. Il ordonna en conséquence au général Friant de marcher sur cette ville avec le général Donzelot et cinq bataillons, dont deux de la 61e, deux de la 75e, un de la 25e, quelques pièces d'artillerie légère, et un détachement de cavalerie. Il le chargea de maintenir les communications entre tous les forts jusqu'à son retour, et lui recommanda d'éviter des attaques qui pouvaient nous causer des pertes trop considérables.

Cependant le général Reynier marchait sur Salêhiëh avec sa division, le 23e régiment de chasseurs et le 14e de dragons. Kléber suivait avec la brigade du général Belliard, les guides et le 7e régiment de hussards. À peine était-il en marche, qu'un Arabe, escorté par un détachement de notre cavalerie, lui remit une lettre, par laquelle le visir proposait d'arrêter la marche des deux armées, d'établir des conférences à Belbéis (il croyait l'armée française à El-Hanka) pour l'exécution du traité. Il faisait, après la bataille, les propositions qu'il avait rejetées avant qu'elle fût engagée. Le général renvoya la réponse au lendemain, et s'arrêta au village de Seneka, où il passa la nuit. Il se remettait en marche à la pointe du jour pour gagner Koraïm, où était Reynier, lorsqu'une vive canonnade se fit entendre en avant de ce village. Il crut ce général fortement engagé, ordonna au général Belliard de presser sa marche, et se porta en avant pour prendre part à l'action. Il n'avait avec lui que les guides et le 7e régiment de hussards. Arrivé sur les hauteurs de sable qui sont à quelque distance du village, il découvrit la division Reynier occupée à repousser, avec son artillerie, trois ou quatre mille cavaliers qui l'entouraient; mais à peine est-il aperçu, que le corps ennemi fait un mouvement subit et fond sur son escorte. Il fallait franchir l'intervalle qui le séparait du carré du général Reynier, ou recevoir la charge. Elle fut si impétueuse, que l'artillerie des guides n'eut pas le temps de se mettre en batterie. Les conducteurs sont taillés en pièces; la mêlée devient affreuse, chacun s'occupe de sa défense personnelle. Les habitans de Koraïm voyant cette petite troupe enveloppée, la croient perdue. Ils s'arment de lances et de fourches, et se joignent aux assaillans. Le danger est extrême; la position désespérée. Tout à coup le 24e de dragons paraît; le général reprend l'offensive, charge, culbute l'ennemi, qui laisse trois cents des siens sur la place. Il joignit alors le carré du général Reynier, auquel se réunit bientôt celui du général Belliard. Kléber, encore tout échauffé de ce terrible combat, fit venir l'Arabe qui lui avait apporté le message du visir, et lui remit sa réponse aux propositions du musulman: elle était courte et sévère. «Tenez-vous prêt à combattre, je marche sur Salêhiëh.»